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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1849/2023

ATA/195/2024 du 13.02.2024 ( FPUBL ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE;RAPPORTS DE SERVICE DE DROIT PUBLIC;FONCTIONNAIRE;DEVOIR PROFESSIONNEL;VIOLATIONS DES DEVOIRS DE SERVICE;PRESCRIPTION;MESURE DISCIPLINAIRE;RÉPRIMANDE
Normes : sPVG.3.al1; sPVG.93.al1; sPVG.93.al2; REGAP.107.al2; sPVG.97.al1; LPAC.27.al7; LPAC.29; LPol.36.al3; Cst.5.al1
Résumé : Constatation de l'existence de lacunes authentiques s'agissant du délai et de la suspension de la prescription de l'action disciplinaire pour le personnel de la Ville de Genève. Comblement de ces lacunes par l'application du délai de prescription annal en référence à la LPAC et à la LPol. Suspension dudit délai pendant la procédure de licenciement immédiat et pendant l'enquête administrative. Prescription acquise et annulation du blâme. Admission du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1849/2023-FPUBL ATA/195/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 février 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Robert ASSAEL, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE intimée

 



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1975, a été nommé fonctionnaire dès le 1er mars 2002 par la Ville de Genève (ci-après : la ville), au poste d'agent de sécurité municipal au service des agents de ville et du domaine public, dont est issu l'actuel service de la police municipale (ci-après : SPM), avec période d'essai de trois ans, en classe 6 de l'ancienne échelle des traitements.

b. L'intéressé a gravi les échelons jusqu'à sa nomination au poste de sergent-major instructeur, en classe I de la nouvelle échelle des traitements, dès le 1er novembre 2015. Selon son cahier des charges signé le 21 octobre 2015, il devait notamment assurer le rôle de chef de classe dans le cadre des écoles de formation des agents de police municipale (ci‑après : APM) et dispenser des cours théoriques et pratiques.

En 2017, à la suite de la réorganisation de l'école de formation des APM, A______ s'est vu attribuer, en plus, la fonction de référent d'école municipale pour l'ensemble de la formation des APM.

c. A______ a fait l'objet de cinq évaluations, intervenues entre 2003 et 2016, globalement positives, voire très positives. Elles préavisaient toutes la poursuite des relations de travail.

d. Le 8 novembre 2017, le lieutenant chef de l'instruction a adressé une note au chef du SPM concernant A______, dans laquelle il constatait que ce dernier ne semblait pas saisir l'importance de ses responsabilités managériales sur ses subordonnés, en relation avec un incident lors de la sortie d'école à B______ le 23 mars 2017 et en lien avec l'organisation de l'examen d'une aspirante blessée de la volée 2016-2017. Cette note concluait néanmoins à la renonciation à prononcer une sanction, vu le temps écoulé, le devoir de célérité et l'objectif recherché.

e. Le 24 mars 2017, A______ a été ajouté par l’un des aspirants de l’école de formation des APM de la volée 2016-2017 à un groupe WhatsApp créé le jour même, intitulé « Photos apm 16-17 ». Ce groupe comportait tous les aspirants de la volée ainsi que d'autres formateurs, soit C______, appointé de la police cantonale et référent d'école cantonale, D______et E______, sergents instructeurs, ainsi que F______, appointé et aide‑instructeur.

Se référant à l’affaire judiciaire française « G______ », du nom attribué à un homme de 22 ans ayant fait l'objet d'une arrestation suivie d'une allégation de viol par les policiers, le 2 février 2017, en Seine‑Saint-Denis, en France, l’un des intervenants du groupe a publié le même jour à 20h03'57" une photographie de H______ où il était écrit « Il est où G______ que je l’encule ». Un aspirant a écrit deux secondes plus tard « Comme c’est trash je kiff ». À 20h04'27", le même intervenant qui avait publié la photographie a publié une nouvelle image montrant le dessin d’une forme humaine se faire sodomiser par une matraque, au-dessus duquel était écrit « je suis G______ ». Le même intervenant a écrit à 20h05'25" « Fdp ». Une seconde plus tard, un autre intervenant a écrit « Fils de pute » accompagné d’un émoticone d’une main avec le majeur tendu vers le haut. À 20h05'27", A______ a écrit « Fils de pute » accompagné du même émoticône.

Plus tard, à 20h40'01", une aspirante a écrit « On vous encule à sec », accompagné sept secondes plus tard d’un émoticone montrant une main avec le majeur tendu vers le haut. À la même seconde, un aspirant a écrit « Oh ça promet » avec trois émoticones de visage pleurant de rire. À 20h40'41", un intervenant a écrit « [le nom d’une aspirante] si seulement... ». Quatre secondes plus tard, un aspirant a écrit « Bandes de rampes à fumier ». À 20h40'48", un autre aspirant a écrit « Les faibles partent ». Une seconde plus tard, A______ a envoyé « Je suis chaud ».

À 21h07'31", un intervenant a écrit « La chatte a ta mere ». Un aspirant a répondu à 21h07'51" « En poster chez [le nom de cet intervenant] ». Une aspirante a écrit « Et ton père??? ». L’intervenant a répliqué « Ouai elle m a dit que ca l excitai », « T a pa vu que ton oreiller collait??? », « Elle voulais essayer des lieu. Insolite ». L’aspirante a répondu « Mon oreiller collait?? je vois pas pourquoi j’ai tout avaler ». Des aspirants ont écrit des émoticones de visage pleurant de rire, « [le nom de cette aspirante] Présidente », « Oh putain j en ai les retine qui saigne », « Ha ha ha [le nom de cette aspirante] » avec un émoticone de visage pleurant de rire. L’intervenant a écrit à 21h18'42" « Je parlais a [l’aspirant qui avait écrit le message de 21 h 7 min 51 s] mais tu m a mis le dur [le nom de cette aspirante] !!!!!!!!!!! ». A______ a écrit à 21h18'48" « Je suis vraiment chaud » avec un émoticône d’une bouche tirant la langue.

Le 9 juin 2017, A______ est sorti du groupe WhatsApp, sans plus avoir écrit de messages après le 24 mars 2017.

f. Le 15 mars 2018, I______, formateur ayant exercé sur mandat au sein de l'école de formation des APM entre 2008 et 2017, a dénoncé des dysfonctionnements auprès de la cheffe du SPM et commandante de la police municipale, prenant comme exemple ces échanges WhatsApp, dont il lui a remis des captures d'écran.

g. Le 8 juin 2018, les échanges WhatsApp survenus le 24 mars 2017 ont été dénoncés auprès du Ministère public (dossier P/1______).

h. Informé le 21 juin 2018 des éléments dénoncés par la direction du département de l’environnement urbain et de la sécurité de la ville, devenu depuis lors le département de la sécurité et des sports (ci-après : DSSP), le Conseil administratif de la ville (ci-après : CA) a suspendu le 27 juin 2018 A______ de son activité avec effet immédiat, l’a informé qu’il envisageait la résiliation de son engagement pour justes motifs et lui a accordé un délai pour s’exprimer par écrit sur les faits qui lui étaient reprochés.

i. Par décision du 25 juillet 2018, déclarée exécutoire nonobstant recours, le CA a prononcé la résiliation immédiate de l’engagement de A______ pour justes motifs, avec effet rétroactif au 27 juin 2018.

j. Par arrêt du 2 avril 2019 (ATA/349/2019), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a partiellement admis le recours interjeté par A______ contre cette décision, annulé celle-ci et ordonné la réintégration du précité au sein de l’administration municipale, au sens des considérants. La résiliation immédiate avec justes motifs ne respectait pas le principe de la proportionnalité.

k. Le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours de A______ contre cet arrêt (arrêt du Tribunal fédéral 8C_335/2019 du 18 juin 2019) et rejeté le recours de la ville (arrêt du Tribunal fédéral 8C_336/2019 du 9 juillet 2020).

B. a. Le 11 août 2020, A______ a sollicité de la ville sa réintégration ainsi que la reprise du versement de son salaire.

b. Par décision du 16 septembre 2020, déclarée exécutoire nonobstant recours, le CA a ouvert une enquête administrative à l’encontre de A______ et prononcé sa suspension d’activité à titre de mesures provisionnelles, jusqu'au prononcé d'une éventuelle sanction ou d'un licenciement.

c. Le recours interjeté par A______ contre cette décision a été déclaré irrecevable par la chambre administrative par arrêt du 24 août 2021 (ATA/844/2021).

d. Les 11 mars ainsi que 6 et 18 mai 2021 ont eu lieu les auditions de deux témoins et une comparution personnelle dans le cadre de l'enquête administrative.

J______, entendue comme témoin, cheffe du SPM et commandante de la police municipale depuis le 1er mars 2018, avait collaboré de 2003 à 2015 avec A______, lorsqu'ils avaient créé une cellule d'instructeurs dont elle était responsable. Elle travaillait alors à la formation des aspirants. A______ était une personne engagée, volontaire, très discrète, respectant sa hiérarchie et donnant entière satisfaction. Il respectait les directives en matière de tactiques et techniques d'intervention. Elle a détaillé la procédure déclenchée lorsque I______ lui avait transmis les captures d'écran du groupe WhatsApp entre fin mars et mai 2018. Tant les discussions WhatsApp que le fait de minimiser l'incident à B______ l'avaient choquée. Elle suivrait les ordres qui lui seraient donnés, et si elle n'était pas favorable à un retour à un poste d'encadrement, il serait un bon agent, même s'il devrait regagner la confiance. En 2017-2018, il avait continué à être instructeur, sans problème à sa connaissance. D______n'avait vu les messages que plus tard, n'était a priori pas présent à la soirée et aucune mesure ou sanction n'avait été prise à son encontre.

À la suite de son audition, la cheffe du SPM et commandante de police a notamment transmis aux enquêteurs une décision de la ville du 13 juillet 2017 infligeant un blâme à F______ en raison de son comportement lors de la sortie à B______ et a expliqué qu'il avait ensuite cessé d'être stationné au centre de formation et était retourné dans un poste de quartier, sans que le prononcé d'un changement d'affectation d'office eût été nécessaire, en l'absence d'impact financier et au niveau du travail entre un appointé et un agent.

K______, entendu à titre de témoin, était chef de poste L______ depuis 2013, où il avait collaboré étroitement avec A______ lorsqu'il était remplaçant chef de poste. La collaboration se passait excellemment bien et il le recommanderait à quiconque sans réserve. Il le reprendrait pour travailler au poste L______ si la décision lui appartenait.

A______ a expliqué avoir écrit « fils de pute » dans un contexte où tout le monde « se chambrait ». Un de ses collègues avait commencé à utiliser ces propos et tous avaient écrit ces termes au fil de la discussion. Il ne faisait aucunement référence aux images et textes liés à l'« affaire G______ ». Quant à la phrase « je suis vraiment chaud », c'était pour indiquer qu'il se réjouissait de la soirée, dans un contexte festif. Le 24 mars 2017 était le dernier jour des aspirants avant leurs affectations respectives, consacré au débriefing de leur formation. En début de soirée, il se trouvait au restaurant avec les autres instructeurs. Ils n'avaient pas discuté ensemble du groupe WhatsApp et avaient rejoint vers 23h les futurs agents dans un café-restaurant. Il ne s'agissait pas d'une soirée officielle. Il n'était pas dans un état d'esprit à calmer les ardeurs des intervenants. Il ne s'en était pas rendu compte, dans la mesure où il était lui-même dans un état d'esprit festif. En 2017, il était en souffrance sur le plan privé et la situation était pour lui également difficile sur le plan professionnel, en raison du flou qui régnait en l'absence de réponse à ses questions de son supérieur. Ce qui s'était passé n'était pas bien et il le regrettait. Il ne cherchait pas d'excuses. C'était la seule erreur qu'il avait commise. Durant les mois qui avaient suivi le 24 mars 2017 et jusqu'à sa sortie du groupe, il n'avait pas suivi les discussions WhatsApp, qui ne l'intéressaient pas. Au bout d'un moment, il avait quitté le groupe. Il ne considérait pas ce groupe comme professionnel. Il ne se mettrait plus avec des collègues dans un groupe WhatsApp dans un contexte privé. Il avait beaucoup souffert depuis le début de sa suspension. Il était tout à fait capable de gérer une équipe et ne pouvait être réintégré comme simple agent de terrain.

e. Le 30 mars 2021, la commandante de la police cantonale a transmis aux enquêteurs le blâme infligé le 4 juin 2020 à C______ en relation avec les échanges WhatsApp du 24 mars 2017 et a indiqué qu'il avait été déplacé du centre de formation de la police et des métiers de la sécurité le 31 décembre 2018.

f. Le 8 mars 2022, les enquêteurs ont rendu leur rapport. Ils étaient liés par les faits constatés dans les arrêts des 2 juillet 2019 de la chambre administrative et 9 juillet 2020 du Tribunal fédéral auxquels il convenait de se référer, et avaient décidé d'établir des faits complémentaires, en particulier s'agissant des circonstances entourant l'envoi des messages incriminés et des mesures prises à l'encontre des autres collaborateurs impliqués.

En date du 24 mars 2017, A______ avait pris part activement à un fil de discussions WhatsApp en publiant au moyen de son téléphone professionnel deux messages dont le contenu était inapproprié. Malgré ses qualités de gradé, d'instructeur et de référent d'école des polices municipales de l'ensemble du canton, il n'avait pas freiné ou à tout le moins essayé de calmer les ardeurs des intervenants. Il lui appartenait pourtant de faire preuve d'un degré élevé d'exemplarité, ce d'autant que cet événement, certes isolé et s'étant déroulé en dehors des heures de service, s'inscrivait dans un contexte professionnel lié à la célébration du dernier jour des aspirants APM au sein de l'école de formation 2016-2017. D'autres instructeurs, parmi lesquels le référent de la police cantonale, avaient adressé un nombre important de messages inadéquats le soir en question et avaient fait l'objet de sanctions et/ou de changements d'affectation. Les compétences de A______ n'avaient jamais été remises en question et il n'avait fait l'objet d'aucune sanction durant l'ensemble de son parcours professionnel au sein de la ville. Selon les témoins, il pourrait encore exercer des fonctions au sein du SPM, mais sans responsabilités d'encadrement. L'intéressé n'était pas disposé à être réaffecté sur le terrain.

g. Le 9 mars 2022, la ville a transmis le rapport d'enquête à A______ et l'a informé envisager un licenciement pour motif fondé, auquel ce dernier s'est opposé le 25 mars 2022.

h. Le 9 juin 2022 s'est déroulée une séance réunissant A______, son conseil, le secrétaire général de la ville ainsi que son adjoint, lors de laquelle la ville, qui avait opté pour une mesure moins incisive qu'un licenciement en le transférant dans un poste sans supervision sur autrui, lui a proposé une affectation d'office dans un poste d'appointé.

i. Par décision du 30 juin 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, le CA a prononcé le changement d'affectation de A______ à une nouvelle fonction sans responsabilité d'encadrement, soit au poste d'appointé à 100% au SPM dès le 30 juin 2022, en catégorie G annuité 25 de l'échelle des traitements.

j. Par arrêt du 14 juillet 2023 (ATA/719/2023), la chambre administrative a rejeté le recours interjeté contre cette décision. Un recours contre cet arrêt est actuellement pendant au Tribunal fédéral.

k. Le 4 novembre 2022, le DSSP a informé A______ qu'il envisageait de lui infliger un blâme et l'a invité pour ce faire à un entretien formel fixé le 16 novembre 2022. Celui-ci a contesté cette sanction et demandé l'annulation de cet entretien en se prévalant, dans un premier temps, le 10 novembre 2022, de la prescription des faits reprochés et, dans un second temps, le 14 novembre 2022, du fait qu'il avait déjà été sanctionné par la ville par décision de changement d'affectation d'office du 30 juin 2022.

l. Par décision du 3 février 2023, le DSSP a infligé un blâme à A______ sur la base des faits retenus dans le rapport d'enquête précité.

m. Par décision du 26 avril 2023, le CA a rejeté le recours hiérarchique formé par A______ et confirmé le blâme.

C. a. Par acte expédié le 30 mai 2023, A______ a interjeté recours auprès la chambre administrative à l'encontre de cette décision. Il a conclu à l'annulation de la décision, au constat de la prescription de l'action disciplinaire, au classement de la procédure disciplinaire et à l'allocation d'une indemnité de procédure.

Limitant la motivation de son recours à l'examen de la question de la prescription, il arguait que les faits reprochés, soit les messages envoyés au groupe WhatsApp le 24 mars 2017, avaient été atteints par la prescription le 25 mars 2022, en application à titre de droit public supplétif de l'art. 128 al. 3 de la loi fédérale complétant le code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO – RS 220) sur renvoi de l'art. 3 al. 1 du statut du personnel de la ville du 29 juin 2010 (LC 21 151 ; ci-après le statut). La procédure disciplinaire devait être classée, l'application des principes généraux du droit pénal n'étant pas pertinente, ce d'autant moins qu'il n'avait pas fait l'objet d'une procédure pénale.

b. Le 7 juillet 2023, la ville a conclu au rejet du recours.

Il ressortait de l'enquête administrative que le recourant avait gravement violé ses devoirs professionnels, eu égard à ses fonctions, à ses responsabilités élevées, aux cours qu'il dispensait, notamment la déontologie, et aux divers engagements qu'il avait signés. Ses agissements avaient terni l'image de la ville tant à l'interne qu'à l'externe et ébranlé les rapports de confiance, au point que cette dernière était fondée à considérer que la continuation des rapports de service n'était plus possible. Il n'avait pas pris conscience de la gravité de ses actes puisqu'il avait persisté à les minimiser ainsi que leur portée. L'intimée avait néanmoins préféré prendre une sanction moins incisive, en prononçant à son encontre un blâme. Cette sanction se justifiait tant par la violation de ses devoirs que la dénonciation pénale qui le visait notamment. Son homologue au plan cantonal avait écopé d'une sanction similaire pour sa participation aux faits incriminés. La décision était conforme au statut et au principe de la proportionnalité.

L'exception de la prescription soulevée par le recourant devait être rejetée. Dans un arrêt du 25 septembre 2018 relatif à un avertissement infligé à un employé de la ville, la chambre de céans avait considéré, en se référant au régime de prescription pénale, que le délai de prescription prévu en matière de contravention entre trois ans et sept ans, selon la peine encourue pour l'infraction en cause trouvait application (ATA/984/2018 du 25 septembre 2018 consid. 5). Postulant que les conditions de punissabilité de l'infraction de « discrimination et incitation à la haine » (art. 261bis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) étaient réalisées en l'espèce, l'intimée concluait à l'application du délai de prescription décennale (art. 97 al. 1 let. c CPS). En toute hypothèse, quelles que soient les dispositions légales pertinentes, le délai de prescription devait être, à tout le moins, suspendu ou interrompu, notamment dès le licenciement avec effet immédiat du recourant, suivi de la procédure judiciaire jusqu'à l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_336/2019 précité ainsi que pendant l'enquête administrative, laquelle avait débuté le 16 septembre 2020 pour s'achever le 8 mars 2022.

c. Dans ses observations du 9 septembre 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions.

L'action disciplinaire était prescrite non pas sur la base des règles de prescription issues du CO, mais plutôt par application analogique de l'art. 36 al. 3 la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05) ou de l'art. 27 al. 7 la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), qui prévoyaient une prescription annale. Celle-ci était en l'occurrence acquise dans la mesure où les dispositions topiques de ces lois ne contenaient pas de règles en matière de suspension du délai de prescription. Du reste, le recourant n'avait jamais été mis en prévention pour une quelconque infraction, encore moins fait l'objet d'une condamnation.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 104 statut ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la question de savoir si l'action disciplinaire à l'encontre du recourant était prescrite au moment du prononcé de la sanction.

Il convient de préciser que le recourant ne soulève plus le grief de violation du principe ne bis in idem en lien avec le fait qu'il a déjà fait l'objet d'une mesure de changement d'affectation d'office, ni la violation du principe de la proportionnalité ou la question du bien-fondé du blâme.

2.1 Les rapports de service des membres du personnel de la ville sont régis par le statut, les dispositions d'exécution, ainsi que, le cas échéant, les clauses du contrat de travail (art. 3 al. 1 statut). En cas de lacune, les dispositions pertinentes du CO, sont applicables à titre de droit public supplétif (art. 3 al. 2 statut).

2.2 La section 3 du statut, consacrée à la « violation des devoirs de service », du chapitre VI, sur les « devoirs du personnel », comprend deux articles. Selon l'art. 93 al. 1 du statut, intitulé « sanctions disciplinaires », les membres du personnel qui violent leurs devoirs de service intentionnellement ou par négligence peuvent se voir infliger un avertissement ou un blâme ou la suppression de l'augmentation annuelle de traitement pour l'année à venir. À teneur de l'art. 94 du statut, sur les « autres mesures », si la violation des devoirs de service le justifie, le changement d'affectation d'office au sens de l'art. 41 al. 4 statut ou le licenciement sont réservés.

Selon les travaux préparatoires du statut, l’art. 93 al. 1 statut avait été introduit de manière à ne prévoir plus qu'un catalogue de sanctions réduit. Il ne conservait plus que, comme sanctions possibles, l’avertissement et le blâme, sanctions avant tout symboliques, auxquels s’ajoutait la suppression de l’augmentation annuelle de traitement pour une année (Mémorial des séances du Conseil municipal de la ville du 10 novembre 2009, P-49, p. 15)

2.3 Selon l’art. 93 al. 2 du statut, le CA détermine par règlement l’autorité compétente pour prononcer ces sanctions.

L’art. 107 al. 2 du règlement d’application du statut (REGAP - LC 21 152.0) dispose que le directeur ou la directrice du département, le secrétaire général ou la secrétaire générale de la ville, ainsi que le conseiller administratif délégué ou la conseillère administrative déléguée sont compétents pour prononcer un blâme concernant le personnel placé sous leur autorité.

L’art. 97 du statut énonce que lorsque l’instruction d’une cause le justifie, le CA peut confier une enquête administrative à une ou plusieurs personnes choisies au sein ou à l’extérieur de l’administration municipale (al. 1). La personne intéressée est informée par écrit de l’ouverture de l’enquête administrative et de son droit de se faire assister et représenter conformément à l’art. 9 LPA (al. 2). Au terme de l’enquête, le CA communique le rapport à la personne intéressée et lui impartit un délai pour se prononcer.

Alors, le CA dispose d'une large liberté d'appréciation pour décider de l'ouverture d'une enquête administrative, il est contraint d'ordonner une telle procédure si un licenciement pour motif objectivement fondé après la période d'essai est envisagé (art. 99 al. 1 statut ; Mémorial des séances du conseil municipal de la ville du 10 novembre 2009, PR-749, p. 28).

2.4 Selon la doctrine, un régime ignorant complètement l’institution de la prescription serait dans la règle arbitraire (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 1, 3ème éd., 2012, p. 899 n. 6.3.2.3 note 259). En l’absence de dispositions légales pertinentes, le délai de prescription sera déterminé en se référant aux délais prévus dans la même loi s’ils apparaissent applicables, ou, à défaut, à des règles légales régissant des cas analogues. En dernier recours, le juge fixera le délai qu’il établirait s’il avait à faire acte de législateur, en se gardant d’imposer des délais trop courts, car le créancier, à défaut de disposition expresse de la loi, ne peut s’attendre à une prescription trop rapide (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 742 et les références citées). Il est judicieux qu’il n’y ait pas une trop grande variété des durées de prescription et que des causes ou des domaines semblables connaissent des délais identiques. Ce n’est qu’à défaut de pouvoir procéder par analogie qu’il y aura lieu de se référer au droit privé. Le juge est, enfin, libre de s’en écarter si la transposition ne paraît pas souhaitable (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, pp. 98-99 n. 1.3.1.2.).

2.5 La chambre administrative a rappelé dans un arrêt ATA/719/2023 du 4 juillet 2023 qu’elle avait déjà été amenée à traiter, dans l’ATA/984/2018 du 25 septembre 2018, la question de la prescription des sanctions disciplinaires prononcées par la ville. Elle a ainsi constaté que ni le statut, ni le règlement d’application du statut du personnel de la ville ne contenaient de règles relatives à la prescription et que le CO, applicable à titre de droit public supplétif, ne prévoyait pas de règle quant à la prescription des sanctions. Dans cet arrêt, qui concernait un avertissement, elle a retenu un délai de prescription « minimal » d’au moins trois ans, vu l'art. 103 CP, délai qui n'était en l'espèce pas atteint. Elle a rappelé qu’en matière de contraventions, l’action pénale et la peine se prescrivaient par trois ans (art. 103 CP) et, de manière plus générale, que l’action pénale se prescrivait par sept ans si la peine maximale encourue n’était pas une peine privative de liberté (art. 97 al. 1 let. d CP ; ATA/984/2018 du 25 septembre 2018 consid. 5)

2.6 Selon l’art. 27 al. 7 LPAC, pas applicable directement en l'espèce puisque le recourant n'est pas membre de l'administration cantonale, la responsabilité disciplinaire des membres du personnel se prescrit par un an après la découverte de la violation des devoirs de service et en tout cas par cinq ans après la dernière violation. La prescription est suspendue, le cas échéant, pendant la durée de l'enquête administrative (art. 27 al.  7 LPAC).

2.7 L’art. 29 LPAC prévoit que lorsque les faits reprochés à un membre du personnel relèvent également d’une autre autorité disciplinaire administrative, celle-ci est saisie préalablement (al. 1). Lorsque les faits reprochés à un membre du personnel peuvent faire l’objet d’une sanction civile ou pénale, l’autorité disciplinaire administrative applique, dans les meilleurs délais, les dispositions des art. 16, 21 et 27 LPAC, sans préjudice de la décision de l’autorité judiciaire civile ou pénale saisie (al. 2).

2.8 Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la LPAC, qu'« au cours de la discussion, il a été rappelé que l'absence de toute disposition relative à la prescription des sanctions disciplinaires ne signifie pas que ces dernières ne se prescrivent pas. La jurisprudence a en effet eu l'occasion de faire une application analogique de la loi pénale genevoise, laquelle renvoie (tant dans son ancienne teneur que dans sa teneur actuelle) au droit fédéral. À l'heure actuelle, cela signifie que les infractions disciplinaires se prescrivent par 3 ans. Au cours des débats, il est apparu que pour une majorité de la commission, une durée de 3 ans est insuffisante. De surcroît, il est souhaitable de maintenir un double régime de prescription relative et de prescription absolue, de manière à contraindre l'employeur à prendre des mesures dans un délai relativement bref après la découverte de la violation des devoirs de service, pour éviter de laisser le fonctionnaire concerné dans l'incertitude. En définitive, la commission a voté un sous-amendement proposé par un commissaire (L), lequel introduit une prescription relative d'une année et une prescription absolue de 5 ans. De surcroît, la prescription est suspendue pendant la durée de l'enquête administrative. En d'autres termes, si l'employeur suspend l'enquête administrative en attendant le résultat, par exemple, d'une enquête pénale, la prescription cesse de courir, ce qui garantit dans tous les cas la possibilité pour l'État de sévir, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. » (MGC 2006-2007/VI A – 4524 ; ATA/215/2017 du 21 février 2017 consid. 15d confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_281/2018 du 26 janvier 2018 consid. 5.4.2).

2.9 Dans un arrêt ATA/1235/2018 du 20 novembre 2018, la chambre administrative a retenu, dans des situations où la LPAC s’appliquait, que dès le moment où le conseil d'administration, en l’occurrence d’un établissement public médical, avait eu connaissance de manquements de la part de la recourante en tant que responsable du service comptabilité, l'intimée aurait dû ouvrir une enquête administrative, qu'elle aurait pu suspendre en cas de nécessité (en application de l'art. 14 LPA selon le renvoi de l'art. 28 al. 1 LPAC, qui devait toutefois rester exceptionnelle ; ATA/215/2017 précité consid. 16c). En renonçant à statuer sur le plan disciplinaire pendant plus d’une année, l’intimée avait laissé la recourante dans l’incertitude sur sa situation, ce qui allait clairement à l'encontre des principes de droit disciplinaire (consid. 8c).

La chambre de céans a par la suite fréquemment rappelé ce dernier principe (notamment encore récemment ATA/30/2023 du 17 janvier 2023 consid. 4f in fine et ATA/508/2022 du 17 mai 2022 consid. 9c in fine).

2.10 Aux termes de l'art. 36 al. 3 LPol en vigueur depuis le 1er mai 2016, qui ne vaut lui aussi directement que pour la police cantonale, la responsabilité disciplinaire se prescrit par un an après la connaissance de la violation des devoirs de service et en tout cas par cinq ans après la dernière violation. La prescription est suspendue pendant la durée de l’enquête administrative, ou de l’éventuelle procédure pénale portant sur les mêmes faits. L’art. 29 LPAC n’est pas applicable (art. 36 al. 4 cum 18 al. 1 LPol).

2.11 S’agissant du dies a quo du délai d’un an, une abondante et constante jurisprudence de la chambre de céans rappelle qu’il court à compter de la connaissance des faits par l’autorité décisionnaire (ATA/175/2023 du 28 février 2023 consid. 5a ; ATA/508/2022 du 17 mai 2022 ; ATA/36/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2c et les références citées).

La chambre de céans a jugé de manière constante, dans des affaires où un fonctionnaire de police avait été sanctionné d'un blâme ou de services hors tours, que l'art. 37 al. 6 aLPol faisait référence à la connaissance des faits par la cheffe de la police – la commandante – compétente, sous l'ancien droit, pour prononcer chacune de ces sanctions (art. 36 al. 2 aLPol ; ATA/244/2020 du 3 mars 2020 consid. 8c et les arrêts cités).

Le Tribunal fédéral a rappelé qu'il n'est pas insoutenable de considérer que le délai d'une année de l'art. 37 al. 6 aLPol commence à courir à partir seulement du moment où l'autorité compétente pour infliger la peine disciplinaire apprend elle‑même l'existence d'une violation des devoirs de service. À la nécessité pour l'administration d'agir sans retard, on peut opposer, de manière défendable, que la prescription d'un an ne peut pas dépendre du seul comportement du supérieur hiérarchique, qui peut commettre une erreur d'appréciation sur la gravité des faits ou qui, pour d'autres motifs, tarderait à informer l'autorité compétente (arrêt du Tribunal fédéral 8C_621/2015 du 13 juin 2016 consid. 2.4, qui confirme l’ATA/652/2015 du 23 juin 2015). Dans un arrêt, le Tribunal fédéral a en revanche précisé qu’il était insoutenable de considérer que le délai de prescription de l’action disciplinaire ne commencerait à courir que lorsque l’autorité compétente pour le prononcé de la sanction, qui avait connaissance de la violation des devoirs de service et des motifs d’une condamnation pénale, se ferait envoyer le dossier complet de l’intéressé. En effet, ces démarches dépendaient d’elle seule et cela lui permettrait de repousser à sa guise le dies a quo de la prescription de l’action disciplinaire (arrêt du Tribunal fédéral 8D_7/2021 du 5 septembre 2022 consid. 3.4).

2.12 Dans un arrêt récent traitant de la prescription d'un avertissement prononcé à un agent de sécurité municipal rattaché à la fonction de caporal au SPM, la chambre de céans a laissé indécise la question du délai de prescription maximum de la responsabilité disciplinaire eu égard au mutisme du statut et du REGAP sur cette question. Était en revanche déterminante la question de savoir si l'autorité habilitée à prononcer la sanction avait laissé sans motif objectif le recourant dans l'incertitude sur sa situation entre la prise de connaissance des faits et le prononcé de la sanction. En l'occurrence, il a été admis que le fait de renoncer à statuer sur le plan disciplinaire pendant 21 mois en l'absence d'une enquête administrative était contraire aux principes du droit disciplinaire (ATA/1140/2023 du 17 octobre 2023 consid. 3).

2.13 Le principe de la légalité, consacré à l'art. 5 al. 1 Cst., exige que les autorités n'agissent que dans le cadre fixé par la loi.

La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; 135 II 416 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 135 II 243 consid. 4).

L'interprétation de la loi peut conduire à la constatation d'une lacune. Une lacune authentique (ou proprement dite) suppose que le législateur s'est abstenu de régler un point alors qu'il aurait dû le faire et qu'aucune solution ne se dégage du texte ou de l'interprétation de la loi. En revanche, si le législateur a renoncé volontairement à codifier une situation qui n'appelait pas nécessairement une intervention de sa part, son inaction équivaut à un silence qualifié. Quant à la lacune improprement dite, elle se caractérise par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que celle‑ci est insatisfaisante ou objectivement insoutenable (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 440). D'après la jurisprudence, seule l'existence d'une lacune proprement dite appelle l'intervention du juge, tandis qu'il lui est en principe interdit, selon la conception traditionnelle qui découle notamment du principe de la séparation des pouvoirs, de corriger les silences qualifiés et les lacunes improprement dites, à moins que le fait d'invoquer le sens réputé déterminant de la norme ne soit constitutif d'un abus de droit, voire d'une violation de la Constitution (ATF 139 I 57 consid. 5.2 ; 138 II 1 consid. 4.2). Lorsqu'il apparaît que c'est à dessein que la loi ne réglemente pas une situation donnée, ce silence qualifié doit en principe être respecté. Il n'y a alors pas de place pour un quelconque comblement de lacune (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 441).

3.             En l'occurrence, ni le statut ni le REGAP ne prévoient expressément de règles relatives à la prescription des sanctions disciplinaires. Le CO, applicable à titre de droit supplétif, ne contient pas non plus de règles applicables à la prescription des sanctions. Face à cette lacune, les parties divergent sur les règles applicables.

L'autorité intimée en conclut que le recours doit être rejeté en se référant, d'une part, à l'ATA/984/2018 du 25 septembre 2018 dans lequel la chambre de céans avait déterminé le délai de prescription d'une sanction disciplinaire en s'inspirant des principes généraux du droit pénal. Estimant que les conditions de punissabilité de l'infraction de « discrimination et incitation à la haine » (art. 261bis CPS) seraient réalisées, elle considère qu'il faut retenir la prescription décennale, de sorte que le droit de sanctionner ne serait pas, in casu, prescrit. Dans le cas contraire, tout délai de prescription devait être, selon elle, quelles que soient les dispositions légales pertinentes, suspendu ou interrompu notamment pendant la procédure du licenciement avec effet immédiat du recourant jusqu'à l'arrêt du Tribunal fédéral et pendant l'enquête administrative qui a précédé le prononcé du blâme. Le recourant soutient qu'il faut plutôt s'appuyer sur les lois régissant les cas analogues, à l'instar de la LPol et la LPAC, pour combler la lacune de la réglementation municipale et retenir la prescription annale qui serait ainsi acquise.

Au vu de ce qui précède, il y a une lacune authentique dans le statut et contrairement au cas de figure ayant donné lieu à l'arrêt ATA/1140/2023 du 17 octobre 2023, celui d'espèce nécessite de la combler. Il ressort de la légalisation cantonale que les règles applicables à la prescription des sanctions disciplinaires obéissent au principe de célérité. Ainsi, tant l'art. 36 al. 3 LPol que 27 al. 7 LPAC prévoient expressément un délai de prescription annal. Au-delà de la nécessité pour l'autorité compétente d'agir sans délai, il s'agit d'éliminer sans retard des situations contraires à l'ordre ou à l'exercice correct de l'activité de l'administration, sous peine de nuire à l'intégrité de celle-ci (arrêt du Tribunal fédéral 8C_621/2015 du 13 juin 2016 consid. 2.4 et les références citées).

Dans ces conditions, la chambre de céans considère qu'en l'absence de dispositions statutaires pertinentes, le délai de prescription des sanctions disciplinaires prévues par le statut de la ville peut être fixé à une année, en référence à la LPAC et à la LPol. On ne peut toutefois, à la lumière de l'articulation des sanctions disciplinaires et des mesures prévues par le statut, pas transposer intégralement le régime de prescription issu de ces lois cantonales et les principes jurisprudentiels s'y rapportant dans la présente procédure. En effet, contrairement à la LPAC et à la LPol qui réservent l'enquête administrative à la seule voie disciplinaire, le statut confère au CA un large pouvoir d'appréciation en la matière, hormis en cas de licenciement pour motif fondé. Cela explique, au moins en partie, pourquoi aucun délai n'encadre l'enquête administrative diligentée par le CA. Dans un tel contexte, il n'y a aucun sens, compte tenu du fait que l'autorité municipale ne pouvait raisonnablement s'y attendre, à retenir que celle-ci pouvait ordonner une enquête administrative parallèlement au licenciement avec effet immédiat – lequel n'est pas non plus prévu par la LPol et la LPAC. Le délai de prescription annal applicable aux sanctions disciplinaires prévues par le statut doit ainsi être suspendu pendant la procédure de licenciement avec effet immédiat – y compris pendant les procédures de recours – ainsi que pendant l'enquête administrative. Toute autre solution conduirait l'intimée à entreprendre systématiquement l'ouverture d'une enquête administrative pour permettre la suspension de la poursuite disciplinaire, à l'instar de la LPol ou la LPAC, ce qui serait contraire au système instauré par le statut. En revanche, il y a lieu d'admettre, comme le prévoient tant l'art. 27 al. 7 2e phr. LPAC que l'art. 36 al. 3 2e phr. LPol, que la prescription est également interrompue pendant toute la durée l'enquête administrative.

En l'espèce, les faits ayant motivé la sanction du recourant ont été portés à la connaissance du DSSP le 21 juin 2018, soit plus d'un an après leur survenance. Retenant la gravité des faits reprochés et à la demande du DSSP, le CA a réagi immédiatement en procédant à la suspension et à la résiliation immédiate des rapports de service du recourant pour justes motifs avec effet au 27 juin 2018. Or, cette mesure administrative excluait ipso facto la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire.

Le recourant a contesté avec succès la décision de résiliation immédiate puisqu'il a obtenu, le 9 juillet 2020, son annulation judiciaire définitive. Au vu de la constatation des manquements graves établie par la chambre de céans et le Tribunal fédéral, l'intimée a décidé, plus de deux mois plus tard, soit le 16 septembre 2020, d'ouvrir une enquête administrative à l'effet de déterminer s'ils étaient susceptibles de justifier la résiliation de ses rapports de service pour motif objectivement fondé comme le requiert l'art. 99 al. 1 du statut ou une sanction disciplinaire, tels qu'évoqués par la chambre de céans et le Tribunal fédéral.

Le rapport d'enquête administrative a été remis à l'autorité intimée le 8 mars 2022, étant relevé que le statut ne contient pas de règles encadrant l'enquête administrative ni de délai de remise du rapport y relatif. Le délai de 18 mois entre la décision d'ouverture de l'enquête administrative le 16 septembre 2020 et la remise du rapport peut se justifier par le recours interjeté auprès de la chambre administrative par le recourant contre la décision d'ouverture de l'enquête administrative et les contingences inhérentes à celle-ci.

Le 9 mars 2022, le CA a annoncé au recourant envisager une résiliation de ses rapports de service pour motif fondé, en raison de ses manquements graves et/ou répétés aux devoirs de service. Les observations de celui-ci ont toutefois conduit l'intimée à revoir sa position. Lors de l'entretien du 9 juin 2022, le CA a en effet indiqué qu'il était disposé, à titre exceptionnel, à lui proposer une mesure moins incisive, soit un transfert dans un poste sans responsabilité, ce qu'il a matérialisé par décision de changement d'affectation d'office du 30 juin 2022. On relèvera que la chambre de céans a rappelé à plusieurs occasions que cette mesure administrative pouvait aller de pair avec une sanction disciplinaire comme le blâme (ATA/492/2021 du 11 mai 2021 consid. 4b ; ATA/114/2021 du 2 février 2021 consid. 3b ; ATA/808/2015 du 11 août 2015 consid. 7 et 8).

La direction du DSSP a infligé le 3 février 2023 un blâme au recourant, soit onze mois après la remise du rapport d'enquête administrative.

Conformément au raisonnement retenu plus haut, le délai de prescription a été suspendu entre le 27 juin 2018 et le 9 juillet 2020 en raison de la décision de licenciement immédiat suivie de la procédure judiciaire qui s'est close par l'arrêt du Tribunal fédéral, puis, de nouveau, pendant l'enquête administrative entre le 16 septembre 2020 et le 8 mars 2023. L'addition des périodes non interrompues donne toutefois un total supérieur à une année, si bien que la prescription de la sanction disciplinaire était atteinte au moment de son prononcé.

C'est dès lors à juste titre que le recourant a soulevé le grief de prescription. Bien fondé, le recours sera admis, et la décision prononçant le blâme, prise le 3 février 2023 par la direction du DSSP et confirmée le 26 avril 2023 par le CA, annulée.

4.             Nonobstant l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument vu la qualité de l’intimée (art. 87 al. 1 2ème phr. LPA). Vu ladite issue, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant, à la charge de l’intimée (art. 87 al. 2 LPA).

Le présent litige est dénué de valeur litigieuse (art. 85 al. 1 let. b et 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 mai 2023 par A______ contre la décision du Conseil administratif de la Ville de Genève du 26 avril 2023 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du Conseil administratif de la Ville de Genève du 26 avril 2023;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à A______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral :

- par la voie du recours en matière de droit public, si la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, avenue du Tribunal-Fédéral 29, 1005 Lausanne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert ASSAEL, avocat du recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges, Louis PEILA, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :