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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3390/2021

ATA/36/2022 du 18.01.2022 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3390/2021-FPUBL ATA/36/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 janvier 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Robert Assael, avocat

contre

COMMANDANTE DE LA POLICE



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1985, a été nommé en qualité de gendarme le 1er septembre 2014. Il est devenu appointé de gendarmerie le 1er septembre 2019.

2) Le 10 février 2019, Madame B______ s'est rendue au poste de police C______ afin de dénoncer des menaces de mort proférées à son encontre par son époux, Monsieur D______. Elle était accompagnée de Madame E______, laquelle s'exprimait mieux qu'elle en français.

3) Le 15 mars 2019, Mme B______ a déposé plainte pénale à la suite de son passage au poste de police C______ du 10 février 2019 lors duquel le policier concerné n'avait pas enregistré de plainte pénale ni une quelconque mention de cet événement, ainsi que de la tentative de meurtre dont elle avait été victime de la part de M. D______ le 28 février 2019.

4) Le 14 octobre 2019, l'inspection générale des services (ci-après : IGS) a remis au Ministère public son rapport, annexes comprises.

Il en ressortait notamment qu'alors qu'il se trouvait à l'accueil, M. A______ n'avait pas cherché à comprendre la situation vécue par Mme B______. Il n'avait pas posé de question en lien avec d'éventuelles violences commises par M. D______ à l'encontre de Mme B______ ou le fait que celui-ci lui demandait constamment de l'argent. En posant de telles questions, il aurait pu apprendre que les violences commises par M. D______ à l'encontre de son épouse étaient réitérées et que, de ce fait, elles rentraient dans le cadre de la procédure sur les violences domestiques. M. A______ n'avait fait aucune inscription dans l'application P2K à la suite du passage des deux intéressées. Un extrait des contrôles effectués par M. A______ dans celle-ci pour la période du 28 janvier au 23 avril 2019, ne montrait aucune recherche en lien avec Mme ou M. D______. M. A______ n'avait pas pu présenter les notes qu'il avait prises concernant cette affaire, celles-ci ayant été jetées dans un carton dont le contenu était voué à la destruction. Selon la base de données, il n'y avait pas d'antécédents à propos d'éventuelles violences conjugales concernant ce couple.

5) a. Le 11 novembre 2019, le procureur général a apposé son « n'empêche » à la transmission desdits documents à la commandante de la police en vue de l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre de M. A______.

Dans le cadre de l'enquête conduite par l'IGS, des éléments susceptibles d'avoir des conséquences disciplinaires et/ou administratives à l'encontre de M. A______ avaient été constatés.

b. La commandante de la police en a pris connaissance le 21 novembre 2019.

6) Par ordonnance de non-entrée en matière du 26 juin 2020 (P/1______/2019), le procureur général a retenu que le manquement de M. A______ n'atteignait pas l'intensité et le niveau de gravité, ni ne remplissait le dessein spécial exigé, pour être qualifié d'abus d'autorité. Ladite ordonnance, une fois définitive et exécutoire, serait communiquée à la commandante de la police, compétente pour apprécier le comportement de M. A______ sous l'angle disciplinaire, notamment en tenant compte du fait que l'intéressé avait précisé, lors de son audition par l'IGS, qu'il referait de même si la situation devait se reproduire.

7) Par arrêté du 15 janvier 2021, vu les éléments précités, le conseiller d'État en charge du département de la sécurité, de l’emploi et de la santé, devenu depuis le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : le département), a prononcé l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre de M. A______.

8) Dans le cadre de celle-ci, M. A______ a été entendu le 3 mars 2021.

Il confirmait ses déclarations à l'IGS, en maintenant qu'il n'avait pas compris de ce que lui avait dit Mme E______ que M. D______ exerçait des violences ou contraintes à l'encontre de Mme B______. Il n'avait pas posé de questions pour savoir s'il y avait eu des actes de contrainte ou de violence. Il n'avait pas ressenti qu'il y avait une expression concernant des actes de violence ou de contrainte. Pour lui, il s'agissait d'une simple demande de renseignements, qui ne devait pas être mentionnée dans le journal. Les deux femmes venaient se renseigner afin de savoir quoi faire si M. D______ revenait pour empêcher Mme B______ de travailler ou pour lui demander de l'argent. Il avait compris que M. D______ essayait d'empêcher Mme B______ de travailler de par sa seule présence auprès d'elle. Il lui avait conseillé d'appeler le 117 si M. D______ revenait. Il ne se souvenait pas que Mme D______ lui eût demandé d'enregistrer une déposition. À aucun moment, elle ne lui avait parlé de déposer plainte pénale. Mme B______ n'avait rien manifesté dans ce sens non plus. Il ne leur avait pas non plus demandé si elles voulaient qu'il enregistre une déposition ou si elles souhaitaient déposer une plainte pénale. Il avait relevé l'identité des deux femmes et de M. D______ sur un bloc-notes et effectué une recherche dans l'application P2K, mais n'avait rien trouvé. Il avait ensuite détruit ses notes. Il ne s'expliquait pas pourquoi la recherche n'avait pas pu être établie par l'enquête de l'IGS.

9) Dans ses observations après enquêtes du 12 avril 2021, M. A______ a conclu à la prescription de l'action disciplinaire et contesté certains faits retenus dans l'ordonnance de non-entrée en matière précitée. En outre, il réitérait sa demande de production de la lettre d'accompagnement transmettant à la commandante de la police le rapport de l'IGS du 14 novembre 2019 et le « n'empêche » du 11 novembre 2019, sollicitait l'audition contradictoire de Mmes B______ et D______ ainsi que celle de Monsieur F______, sergent-chef du poste de police C______.

N'ayant jamais eu de problèmes dans son travail, sa bonne foi devait être retenue. Il maintenait avoir effectué des recherches dans l'application P2K, tout en émettant l'hypothèse qu'il avait pu entrer dans le système, non pas un nom, mais l'adresse où exerçait Mme B______ pour vérifier si la police y avait déjà été requise. Il contestait que, compte tenu des explications de Mmes B______ et D______, telles qu'il les avait relatées à l'IGS et lors de l'enquête administrative, il avait l'obligation d'enregistrer la plainte et d'entreprendre des investigations.

10) Dans sa réponse du 16 avril 2021, le département a précisé que l'arrêté d'ouverture d'enquête administrative étant intervenu moins d'un an après l'ordonnance de non entrée en matière du 26 juin 2020, la prescription n'était pas acquise. La suspension de la prescription couvrait la durée entière de la procédure pénale jusqu'à sa clôture, indépendamment du moment de la connaissance des faits de la cause par l'autorité compétente pour prononcer une sanction.

11) Par courrier du 20 avril 2021, M. A______ a persisté dans ses précédents développements.

12) Lors de son audition du 20 mai 2021, M. F______ a notamment déclaré connaître M. A______ depuis sept ou huit ans. En tant que chef de groupe, il vérifiait le travail de chacun et contrôlait les rapports. Il voyait M. A______ chaque jour que celui-ci travaillait. L'intéressé était ponctuel et avait eu de bons résultats dans les entretiens d'évaluation. Il lui avait proposé de devenir maître de stage pour s'occuper des jeunes, ce que M. A______ avait accepté. Il n'avait rien à lui reprocher concernant sa rigueur et son respect de la loi. Les seules remarques qu'il avait eu à lui faire portaient sur les erreurs de forme contenues dans ses rapports. Les demandes de renseignements n'étaient pas notées sur le journal des événements. Si une personne voulait déposer plainte, il en était pris note, sans discussion, à moins que le cas soit incongru ou farfelu. M. A______ était le premier à rendre service ou à se porter volontaire. Son ressenti était que si M. A______ avait entendu le mot « plainte », il l'aurait prise. Si une femme venait parler de menaces subies par son compagnon ou son mari, il était obligé de lui demander si elle voulait déposer plainte. Si la personne le refusait, il fallait établir un rapport de renseignements. Chaque situation était différente, et il leur arrivait d'en parler avec un commissaire qui prenait la décision d'établir une main courante ou de faire un rapport. La menace n'était pas quelque chose de facile à déterminer. S'il voyait une main courante faisant état de menace et qu'il n'y avait rien d'autre, il convoquait le collègue pour en savoir plus.

Mme B______ a été excusée et Mme E______ ne s'est pas présentée. M. A______ a renoncé à ce qu'elles soient à nouveau convoquées.

13) Selon le rapport d'enquête administrative du 28 mai 2021, la prescription n'avait commencé à courir qu'à compter du prononcé de l'ordonnance de non-entrée en matière du 26 juin 2020, de sorte qu'elle n'était pas atteinte lorsque l'arrêté d'ouverture d'enquête avait été rendu le 15 janvier 2021.

Les faits reprochés avaient duré moins de cinq minutes le 10 février 2019. Ceux-ci n'étaient pas en relation de causalité avec les graves événements ultérieurs. Bien qu'il ne pût être considéré comme établi avec suffisamment de certitude que les deux femmes avaient fait une description très précise des menaces proférées envers Mme B______ et que M. A______ en avait compris toute l'importance, il n'en demeurait pas moins qu'il ne s'était pas intéressé à Mme B______ et à sa situation et n'avait procédé à aucune investigation. En tenant compte de la durée de l'entretien et du temps consacré à la lecture du téléphone portable présenté, il n'avait posé aucune question sur les motifs de la présence des deux femmes, alors que leur seule venue aurait dû susciter sa curiosité. Les conseils qu'il avait donnés, pour banals qu'ils étaient, démontraient pourtant l'existence d'une situation conflictuelle dans un couple, de sorte qu'il aurait dû consulter les bases de données informatiques de la police, voire entreprendre des recherches pour localiser M. D______, conserver les informations relatives aux protagonistes du moment et inscrire son intervention dans le journal des événements. Il était difficile d'accorder du crédit à M. A______ lorsqu'il affirmait qu'il aurait effectué des démarches informatiques face au constat de l'IGS qui n'avait rien trouvé à ce sujet.

M. A______ avait commis plusieurs transgressions à ses obligations, dans un laps de temps très court, dont il pouvait être déduit le peu d'intérêt manifesté à ses interlocutrices. Il avait manqué de curiosité, de sensibilité et d'empathie et n'avait pas montré un sens aigu de son devoir de donner en tout temps l'exemple du respect des personnes et de l'écoute que le public était en droit d'attendre de lui. Il ne semblait pas avoir pleinement pris conscience des aspects inappropriés de son comportement puisqu'il persistait à considérer avoir agi correctement.

Au-delà de ces manquements qui, sans être banals, n'atteignaient pas un degré de grande gravité, M. A______ était un fonctionnaire de police exempt de reproches, dès son engagement et pendant plusieurs années, dans une fonction délicate, était apprécié de ses collègues et de sa hiérarchie, avait une influence positive sur ses collègues et n'hésitait pas à se montrer volontaire et à faire profiter les plus jeunes de son expérience. Il devait être mis à son crédit un nombre non négligeable d'actions lui ayant valu des félicitations, à mettre en balance avec un manque de curiosité surprenant le jour des faits et une indolence certaine en regard de ses obligations. Qu'il eût considéré ce 10 février 2019 qu'il avait à faire face à une demande de renseignements ne pouvait constituer une justification des manquements relevés.

En cette seule circonstance, M. A______ avait transgressé ses obligations, sans qu'il puisse être retenu que ce comportement révélerait une quelconque attitude d'irrespect des règles de la profession en général.

14) Par courrier du 11 juin 2021, le département a informé M. A______ de son intention de renvoyer le dossier à la commandante de la police en vue du prononcé de services hors tour. Un délai de trente jours lui était imparti pour faire valoir son droit d'être entendu à cet égard.

15) Dans ses observations du 15 juillet 2021, M. A______ a conclu au classement de la procédure disciplinaire ouverte à son encontre en raison de la prescription de l'action disciplinaire et de l'absence de tout manquement.

L'enquête administrative ayant été ouverte par arrêté du 15 janvier 2021 alors que la transmission du rapport de l'IGS à la commandante de la police avait été autorisée le 11 novembre 2019, cette décision avait été prise après l'échéance du délai de prescription d'un an. Le législateur n'imposait pas que la procédure pénale soit terminée pour que l'enquête administrative soit ouverte. Si une éventuelle responsabilité disciplinaire apparaissait avant que la procédure pénale ne se termine, la prescription d'un an commençait à courir dès ce moment. S'il était impératif d'attendre la fin de la procédure pénale, laquelle pourrait durer, compte tenu des recours, plusieurs années, la décision disciplinaire pourrait n'intervenir que six ou sept ans après les faits, ce qui ne serait pas acceptable, compte tenu en particulier du principe de célérité. La prescription de l'action disciplinaire était donc intervenue avant l'ordonnance de non-entrée en matière, puisque l'éventuelle responsabilité disciplinaire ressortait déjà des plaintes enregistrées par l'État-Major de police, à la suite du rapport de l'IGS.

Ses entretiens d'évaluation étaient très positifs. Ses qualités professionnelles avaient été reconnues par M. F______. En sept ans d'école de police et de service, il n'avait fait l'objet d'aucune investigation interne. Il avait reçu plusieurs félicitations pour son comportement exemplaire.

Il contestait toutes les allégations de Mmes B______ et D______ ainsi que les faits et griefs retenus par l'enquêteur. Il avait toutes les raisons de considérer que Mmes B______ et D______ venaient uniquement pour demander des renseignements. Il avait compris de bonne foi que M. D______ essayait d'empêcher Mme B______ de travailler, comme prostituée, par sa seule présence auprès d'elle. Elles lui avaient dit que M. D______ était parti, ce qui signifiait qu'il était reparti à Lyon. Aucune recherche de localisation n'aurait porté. Le conseil qu'il avait donné d'appeler le 117 s'il revenait était donc judicieux. Les simples demandes de renseignements n'étaient pas mentionnées dans le journal des événements. Il avait fait des recherches dans l'application P2K, mais il était possible qu'il ait entré dans le système une adresse et non pas un nom.

16) Par décision du 31 août 2021, la commandante de la police a infligé à M. A______ dix services hors tour.

La faute de M. A______ revêtait objectivement une certaine gravité, quand bien même il y avait lieu de retenir que celle-ci n'atteignait pas un « degré de grande gravité » et qu'elle n'était pas en relation de causalité avec la tentative d'homicide dont Mme B______ avait été victime le 28 février 2019. Sa prise de conscience des manquements qui lui étaient reprochés était insatisfaisante, ayant persisté à soutenir, tant au cours de l'enquête pénale qu'au cours de l'enquête administrative, avoir agi correctement et qu'il referait de même si la situation devait se représenter. M. A______ n'en demeurait pas moins un collaborateur apprécié de sa hiérarchie et de ses collègues, ayant donné satisfaction depuis son engagement à la police et dont les qualités professionnelles étaient reconnues.

17) Par acte du 4 octobre 2021, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, en concluant à son annulation et à la constatation de la prescription de la responsabilité disciplinaire, sous suite de frais et dépens. Subsidiairement, il demandait qu'il soit constaté qu'il n'avait contrevenu à aucune disposition légale et/ou réglementaire et/ou directive, ni à aucun ordre de service.

Il reprenait ses précédents arguments. La suspension durant la procédure pénale au sens de l'art. 36 al. 3 de la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05) ne durait pas jusqu'au terme de celle-ci, si avant qu'elle ne se termine, l'éventuelle responsabilité disciplinaire apparaissait. La prescription avait couru dès la transmission du rapport de l'IGS à la commandante, de sorte que l'arrêté du 15 janvier 2021 était intervenu après la survenance de la prescription.

La décision querellée faisait abstraction des constatations et des conclusions de l'enquêteur. Il contestait toute inactivité. Il avait consulté les bases de données informatiques, n'avait pas à localiser M. D______, Mme E______ lui ayant dit qu'il était parti, et n'avait pas à inscrire son intervention dans le journal des événements.

18) La commandante de la police a conclu au rejet du recours.

La prescription avait été suspendue durant la procédure pénale (jusqu'au 26 juin 2020), puis pendant l'enquête administrative (du 15 janvier au 28 mai 2021). L'action n'était pas prescrite puisque tant le délai relatif d'un an (à compter de la violation des devoirs de service) que le délai absolu de cinq ans (à compter de la dernière violation) n'étaient pas atteints au 3 septembre 2021.

Concernant la prise en compte des constatations et conclusions du rapport d'enquête, même à retenir l'hypothèse la plus favorable pour M. A______ – soit celle selon laquelle les deux femmes auraient évoqué des menaces de manière peu précise –, il ne pouvait être admis que celui-ci était fondé à considérer qu'il s'agissait d'une simple demande de renseignements, dès lors qu'il n'avait pas cherché à clarifier la situation de Mme B______.

À supposer que le recourant ait réellement cru avoir à faire à une demande de renseignements lorsque Mmes B______ et D______ s'étaient présentées le 10 février 2019, cette conclusion était hâtive et indigne d'un policier expérimenté, dont le devoir était d'être à l'écoute de ses interlocuteurs et dont la devise était de « protéger et servir ». Il ne pouvait pas se contenter de son seul sentiment, sans chercher à déterminer si des violences avaient été commises, alors qu'il avait pourtant bien perçu l'existence d'une situation conflictuelle dans un couple. Les manquements qui lui étaient reprochés avaient été décrits de manière complète, si bien qu'ils pouvaient être aisément rattachés aux normes évoquées, lesquelles étaient précisées.

Étaient notamment joints les divers ordres (ci-après : OS) et directives (ci-après : DS) de service auxquels il était fait référence, à savoir le « code de déontologie de la police genevoise », « discipline », « violences domestiques enquête et intervention de police », et « accès et traitement des données dans l'application P2K », ainsi qu'un extrait des résultats obtenus lors d'une recherche dans le journal des événements de l'application P2K avec l'adresse « rue du Berne 32 » pour la période du 10 août 2018 au 10 février 2019.

19) Dans sa réplique, M. A______ a relevé qu’aucune insécurité juridique ne serait introduite en considérant que la suspension du délai de prescription devait cesser si l'éventuelle responsabilité disciplinaire apparaissait avant la fin de la procédure pénale. La question de savoir quand l'autorité disciplinaire avait eu connaissance de la violation des devoirs de service relevait de toute façon d'une question d'appréciation.

20) Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 30 al. 2 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 - LPAC - B 5 05).

2) Le litige porte sur la conformité au droit de la sanction disciplinaire infligée au recourant, soit dix services hors tour, par décision de l'intimée du 31 août 2021. Le recourant soutient que l'action disciplinaire est prescrite.

a. Depuis le 1er mai 2016, le recourant est soumis à la LPol.

Aux termes de l'art. 36 al. 1 LPol, selon la gravité de la faute, diverses sanctions disciplinaires peuvent être infligées au personnel de la police dont les services hors tour (let. b). Le commandant inflige les services hors tour (art. 37 al. 1 LPol). Le chef du département et le commandant peuvent en tout temps ordonner l’ouverture d’une enquête administrative. La personne intéressée en est immédiatement informée (art. 38 al. 1 LPol).

b. La responsabilité disciplinaire se prescrit par un an après la connaissance de la violation des devoirs de service et en tout cas par cinq ans après la dernière violation. La prescription est suspendue pendant la durée de l’enquête administrative, ou de l’éventuelle procédure pénale portant sur les mêmes faits (art. 36 al. 3 LPol).

L’art. 29 LPAC n’est pas applicable (art. 36 al. 4 LPol). Selon cette disposition, lorsque les faits reprochés à un membre du personnel relèvent également d’une autre autorité disciplinaire administrative, celle-ci est saisie préalablement (al. 1). Lorsque les faits reprochés à un membre du personnel peuvent faire l’objet d’une sanction civile ou pénale, l’autorité disciplinaire administrative applique, dans les meilleurs délais, les dispositions des art. 16, 21 et 27 LPAC, sans préjudice de la décision de l’autorité judiciaire civile ou pénale saisie (al. 2).

S'agissant de l'art. 36 al. 3 LPol, le PL 11'228 du 19 juin 2013 précise à cet égard que « l'alinéa 3 du projet reprend l'art. 37 al. 6 de la loi actuelle en le modifiant. Il mentionne que la prescription de la responsabilité disciplinaire est également suspendue pendant la durée de la procédure pénale. En pratique, certains manquements aux devoirs de service relèvent également souvent du pénal. Les autorités pénales ayant des moyens d'investigation bien plus étendus que les autorités administratives, il apparaît généralement opportun d'attendre que l'instruction au pénal soit avancée avant d'initier une enquête administrative. En effet, il est inutile d'investiguer en parallèle sur des faits analogues. Actuellement, il est d'usage, afin de répondre à un impératif d'économie de procédure et de respecter le secret de l'enquête pénale, d'ouvrir une enquête administrative afin de suspendre le délai de prescription d'une année et de suspendre cette enquête dans l'attente du résultat de la procédure pénale. La modification proposée a pour but de simplifier la pratique actuelle. L'alinéa 4, qui précise que l'art. 29 LPAC ne s'applique pas aux policiers, permet de clarifier la situation » (MGC 2012-2013 X/A 11'936).

c. Concernant le dies a quo du délai de prescription, la chambre de céans a jugé de manière constante, dans des affaires où un fonctionnaire de police avait été sanctionné d'un blâme ou de services hors tours, que l'art. 37 al. 6 aLPol faisait référence à la connaissance des faits par la cheffe de la police – la commandante –compétente, sous l'ancien droit, pour prononcer le blâme et les services hors tour (art. 36 al. 2 aLPol ; ATA/244/2020 du 3 mars 2020 consid. 8c et les arrêts cités).

Le Tribunal fédéral a rappelé qu'il n'est pas insoutenable de considérer que le délai d'une année de l'art. 37 al. 6 aLPol commence à courir à partir seulement du moment où l'autorité compétente pour infliger la peine disciplinaire apprend elle-même l'existence d'une violation des devoirs de service. À la nécessité pour l'administration d'agir sans retard, on peut opposer, de manière défendable, que la prescription d'un an ne peut pas dépendre du seul comportement du supérieur hiérarchique, qui peut commettre une erreur d'appréciation sur la gravité des faits ou qui, pour d'autres motifs, tarderait à informer l'autorité compétente (arrêt du Tribunal fédéral 8C_621/2015 du 13 juin 2016 consid. 2.4, qui confirme l’ATA/652/2015 du 23 juin 2015).

Dans l’ATA/215/2017 du 21 février 2017, la chambre administrative a considéré qu’à teneur de l'art. 16 al. 1 let. c LPAC, dès lors que la compétence de prononcer la révocation d'un fonctionnaire appartenait au Conseil d’État, c'était le moment où celui-ci, en tant qu'autorité disciplinaire, avait eu connaissance de la violation des devoirs de service et qu'il avait pu décider de la suite à donner au dossier que le délai de prescription avait commencé à courir. Elle a ainsi retenu que le Conseil d’État, autorité compétente pour prononcer la révocation, avait eu connaissance au plus tard au jour de la demande de constitution de l'État de Genève en qualité de partie plaignante auprès du Ministère public, des différentes décisions rendues avant cette date et de l’échange de correspondance que le service ou le conseiller d'État en charge du département dont dépendait ce service avait eu avec l’employé (consid. 11e). De même, elle a retenu qu'en cas de révocation ou de transfert dans un autre emploi, prononcé du ressort du Conseil d'État, le dies a quo était la date à laquelle ce dernier et non le conseiller ou la conseillère d'État en charge du département concerné seulement a connaissance des faits (ATA/741/2021 du 13 juillet 2021 consid. 6).

Dans l’ATA/1235/2020 du 8 décembre 2020, la chambre administrative s’est penchée sur la question de la prescription invoquée dans le cadre d’un recours contre un arrêté d’un conseiller d’État ouvrant une enquête administrative à l’encontre d’un fonctionnaire de police. Cet arrêté suivait l’annulation d’une sanction une dégradation par la chambre administrative au motif que ladite enquête, obligatoire, n’avait pas été diligentée. Dans ce cadre, la chambre de céans a relevé que la LPol ne contenait pas d’autres motifs de suspension de la prescription que ceux prévus à l’art. 36 al. 3 LPol, à savoir pendant la durée de l'enquête administrative et de l'éventuelle procédure pénale portant sur les mêmes faits. La prescription n’avait donc pas été suspendue par l’arrêté prononçant la dégradation ni plus tôt lorsque l’autorité avait indiqué son intention de sanctionner. La chambre administrative a également considéré que le délai de prescription d'un an figurant aux art. 36 al. 3 LPol et 27 al. 7 LPAC ne pouvait, avant le prononcé de la sanction, pas être interrompu mais uniquement suspendu.

Plus récemment, dans l'ATA/1301/2021 du 30 novembre 2021, la chambre administrative a examiné la question de la prescription de l'action disciplinaire dans le cas de manquements reprochés à une inspectrice principale adjointe de la police judiciaire. Le Conseil d'État avait, par arrêté du 4 août 2021, ordonné l'ouverture d'une enquête administrative sur la base d'un rapport de l'IGS du 11 avril 2018 et d'une ordonnance de classement du Ministère public du 15 mars 2019. Dès lors que l'intégralité des faits justifiant l'ouverture de l'enquête administrative était évoquée dans ladite ordonnance, laquelle avait été, une fois définitive, communiquée à la commandante de la police, il fallait considérer que cette dernière avait connaissance des faits ayant conduit à l'ouverture de l'enquête administrative au mois d'avril 2019. Le délai de prescription était ainsi largement échu lors de l'ouverture de l'enquête administrative le 4 août 2021.

Par ailleurs, il a déjà été rappelé que, dans le cadre d'une action disciplinaire, le délai de prescription ne court pas pendant la procédure judiciaire (ATA/741/2021 précité consid. 9e).

d. Après l’échéance du délai de prescription, la sanction d’une faute professionnelle n’est plus possible, même lorsqu’elle serait utile à la sauvegarde de l’intérêt général (Gabriel BOINAY, Le droit disciplinaire de la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en Suisse, in RJJ 1998 p. 26).

e. La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Le juge ne se fonde cependant sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 137 IV 180 consid. 3.4). En revanche, lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause, il y a lieu de déroger au sens littéral d’un texte clair (ATF 137 I 257 consid. 4.1) ; il en va de même lorsque le texte conduit à des résultats que le législateur ne peut avoir voulus et qui heurtent le sentiment de la justice et le principe de l’égalité de traitement (ATF 135 IV 113 consid. 2.4.2). De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi (ATF 135 II 78 consid. 2.2). Si le texte n’est ainsi pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1). Le juge ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme (ATF 139 IV 270 consid. 2.2 ; 137 IV 180 consid. 3.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_839/2015 du 26 mai 2016 consid. 3.4.1 ; 1C_584/2015 du 1er mars 2016 consid. 4.1 ; ATA/929/2018 du 11 septembre 2018).

f. En l'espèce, il n'est pas contesté par les parties que la commandante de la police, autorité compétente pour prononcer une sanction consistant en des services hors tour, a eu connaissance, le 21 novembre 2019, du rapport de l'IGS du 14 octobre 2019, transmis à la suite du « n'empêche » du procureur général du 11 novembre 2019.

L'approche de chacune des parties quant au décompte du délai de prescription d'un an de l'art. 36 al. 3 LPol diverge quant à la prise en considération de la durée de la procédure pénale au titre de motif de suspension de la prescription dans le cadre de l'action disciplinaire.

En ces circonstances, il convient d'examiner, voire d'interpréter, l'art. 36 al.  3 LPol au regard des motifs du législateur et de la jurisprudence susrappelés. D'après sa lettre, ladite base légale pose expressément le principe selon lequel il n'existe que deux causes de suspension de la procédure disciplinaire, à savoir « pendant la durée de l'enquête administrative » ou « de l'éventuelle procédure pénale ». La notion d'enquête administrative n'est pas litigieuse. En revanche, se pose la question de savoir si le législateur envisageait une suspension systématique de la prescription de l'action disciplinaire, en cas d'ouverture d'une procédure pénale. La réponse apparaît manifestement affirmative.

D'une part, lors des travaux législatifs visant la modification de la LPol, le législateur a clairement exprimé sa volonté de simplifier la pratique en cours jusqu'alors, afin d'éviter qu'une enquête administrative ne soit ouverte uniquement pour suspendre le délai de prescription dans l'attente du résultat de la procédure pénale. L'exclusion de l'application de l'art. 29 al. 4 LPAC à l'art. 36 al. 4 LPol confirme cette volonté d'attendre le résultat de l'éventuelle procédure pénale diligentée avant l'ouverture d'une enquête administrative. Contrairement à ce que soutient le recourant, le terme « éventuelle » ne signifie pas que la suspension ne court pas jusqu'au terme de la procédure pénale dans l'hypothèse où une cause de responsabilité disciplinaire apparaîtrait avant son terme. Ledit mot fait davantage référence au fait qu'une action disciplinaire n'implique pas nécessairement l'ouverture d'une procédure pénale, dès lors qu'une violation des devoirs de service ne présuppose pas la réalisation d'une infraction pénale (ATA/7112/2021 du 6 juillet 2021 consid. 8c). Par conséquent, selon le législateur, ce n'est que dans le cas où les faits justifiant une sanction disciplinaire font également l'objet d'une procédure pénale, que l'action disciplinaire est suspendue.

In casu, l'ordonnance de non-entrée en matière du 26 juin 2020 porte sur les mêmes faits reprochés au recourant que ceux visés dans le rapport de l'IGS du 14 octobre 2019, soit son comportement lors de la venue de Mmes B______ et D______ au poste de police le 10 février 2019. La mention selon laquelle ladite ordonnance serait communiquée à la commandante de la police, une fois définitive et exécutoire, pour apprécier le comportement du recourant sous l'angle disciplinaire, corrobore ce lien.

Compte tenu du fait qu'une procédure pénale portant sur les mêmes faits reprochés pénalement et disciplinairement au recourant était diligentée, il était conforme à la volonté du législateur d'attendre l'issue de celle-ci pour ouvrir une enquête administrative, l'application de l'art. 29 al. 4 LPA étant désormais expressément exclue en cette hypothèse.

Il découle de ce qui précède que la prescription de l'action disciplinaire a été suspendue du 21 novembre 2019 au 26 juin 2020, puis du 15 janvier au 28 mai 2021. La responsabilité disciplinaire du recourant n'était donc pas prescrite lorsque le conseiller d'État en charge du département a ordonné l'ouverture d'une enquête administrative le 15 janvier 2021. Elle ne l’était pas non plus au moment du prononcé de la sanction, le 31 août 2021, moins d’un an s’étant écoulé, compte tenu des suspensions par les procédures pénales et d’enquête administrative, entre la connaissance des faits reprochés et la décision querellée.

3) Le recourant conteste également le principe de la sanction. Il invoque l'absence de tout manquement lié aux faits survenus le 10 février 2019, contestant toute inactivité de sa part. La décision querellée faisait abstraction des constatations et des conclusions de l'enquêteur.

a. Le personnel de la police est soumis à la LPAC et à ses dispositions d’application, en particulier son règlement d’application du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), sous réserve des dispositions particulières de la LPol (art. 18 al. 1 LPol ; art. 1 al. 1 let. b LPAC).

Les membres du personnel sont tenus au respect de l’intérêt de l’État et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (art. 20 RPAC). Ils se doivent, par leur attitude, notamment d’établir des contacts empreints de compréhension et de tact avec le public (art. 21 let. b RPAC), ainsi que de justifier et de renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l’objet (art. 21 let. c RPAC). Ils se doivent également de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (art. 22 al. 1 RPAC).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un fonctionnaire, pendant et hors de son travail, a l’obligation d’adopter un comportement qui inspire le respect et qui est digne de confiance, et sa position exige qu’il s’abstienne de tout ce qui peut porter atteinte aux intérêts de l’État. Il doit en particulier s’abstenir de tout ce qui peut porter atteinte à la confiance du public dans l’intégrité de l’administration et de ses employés et qui pourrait provoquer une baisse de confiance envers l’employeur. Il est sans importance que le comportement répréhensible ait été connu ou non du public et ait attiré l’attention. Les exigences quant au comportement d’un policier excèdent celles imposées aux autres fonctionnaires. Sous peine de mettre en péril l’autorité de l’État, les fonctionnaires de police, qui sont chargés d’assurer le maintien de la sécurité et de l’ordre publics et exercent à ce titre une part importante de la puissance publique, doivent être eux-mêmes irréprochables (arrêt du Tribunal fédéral 8C_336/2019 du 9 juillet 2020 consid. 3.2.2 et les références citées).

b. Le code de déontologie de la police genevoise (OS DERS I 1.01) vise à arrêter les principes généraux dans lesquels s'inscrit l'action de la police et fixe le contexte éthique de l'activité de la police.

Bras armé de l'État, la police agit, soit en fonction de compétences originelles, soit en concours avec les autorités compétentes de par la loi. En axant son action sur le respect des normes juridiques démocratiquement acceptées, la police contribue à l'affirmation de la souveraineté de l'État et au respect des libertés et droits fondamentaux des citoyens. Par là-même, elle est la gardienne des valeurs intemporelles et universelles de notre culture (art. 1 OS DERS I 1.01).

En qualité de serviteur des lois et de l'État, le policier se doit d'avoir en tout temps et en tout lieu un comportement exemplaire, impartial et digne, respectueux de la personne humaine et des biens (art. 3 al. 1 OS DERS I 1.01).

S'agissant de la discipline, le manque d'activité, de soin, de vigilance ou d'exactitude dans l'accomplissement du service constitue notamment une faute (art. 20 let. c OS DERS.02 [1A1]).

La directive sur « les violences domestiques enquête et intervention de police » a pour objet de définir les procédures d'enquête et d'intervention de police dans les cas de violences domestiques (OS PRS.05.04). Les intervenants doivent notamment informer toute personne faisant état d'actes de violences domestiques des ressources et moyens d'intervention à sa disposition. Tous les éléments doivent apparaître dans l'inscription au journal des événements et dans le rapport établi, le cas échéant. Les questions pertinentes seront posées lors des auditions des personnes concernées (art. 4 OS PRS.05.04).

La directive intitulée « accès et traitement des données dans l'application P2K » a pour objectif de régir les droits d'accès, le traitement des données et les contrôles effectués dans l'application P2K (DS OSI.02.07). Le journal contient l'ensemble de événements signalés à la police et saisis par la Centrale d'engagement, de coordination et d'alarme (ci-après : CECAL). Le journal est également le point d'entrée de toutes les plaintes déposées (art. 2.1.2 al. 1 OS PRS.05.04). Les modifications effectuées par les utilisateurs dans la base de données sont journalisées dans un fichier sécurisé afin d'être imputées à leurs auteurs, en cas de besoin (art. 6.7 al. 1 OS PRS.05.04).

c. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence de faute du fonctionnaire (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7ème éd., 2016, n. 1515 ; Jacques DUBEY/
Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2249). La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/137/2020 du 11 février 2020 ; ATA/808/2015 du 11 août 2015). La faute disciplinaire peut même être commise par méconnaissance d'une règle. Cette méconnaissance doit cependant être fautive (Gabriel BOINAY, op. cit., n. 55).

Tout agissement, manquement ou omission, dès lors qu'il est incompatible avec le comportement que l'on est en droit d'attendre de celui qui occupe une fonction ou qui exerce une activité soumise au droit disciplinaire peut engendrer une sanction. La loi ne peut pas mentionner toutes les violations possibles des devoirs professionnels ou de fonction. Le législateur est contraint de recourir à des clauses générales susceptibles de saisir tous les agissements et les attitudes qui peuvent constituer des violations de ces devoirs (Gabriel BOINAY, op. cit., n. 50). Dans la fonction publique, ces normes de comportement sont contenues non seulement dans les lois, mais encore dans les cahiers des charges, les règlements et circulaires internes, les ordres de service ou même les directives verbales. Bien que nécessairement imprécises, les prescriptions disciplinaires déterminantes doivent être suffisamment claires pour que chacun puisse régler sa conduite sur elles, et puisse être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à résulter d'un acte déterminé (Gabriel BOINAY, op. cit., n. 51).

d. L'autorité qui inflige une sanction disciplinaire doit respecter le principe de la proportionnalité (arrêts du Tribunal fédéral 8C_292/2011 du 9 décembre 2011 consid. 6.2). La nature et la quotité de la sanction doivent être appropriées au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d'intérêt public recherchés. À cet égard, l'autorité doit tenir compte en premier lieu d'éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées pour le bon fonctionnement de la profession en cause et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l'intéressé (ATA/998/2019 du 11 juin 2019 consid. 6b ; ATA/118/2016 du 9 février 2016 consid. 3a ; ATA/94/2013 du 19 février 2013 consid. 15 et la jurisprudence citée).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
(Cst - RS 101) se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public – (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c).

En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre de céans se limite à l'excès ou à l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/118/2016 précité consid. 3a ; ATA/452/2013 du 30 juillet 2013 consid. 16 et les références citées).

e. Dans sa jurisprudence, la chambre de céans s'est notamment prononcée comme suit s'agissant de cas de services hors tour :

- une sanction disciplinaire de quatre services hors tours a été jugée très légère, à l'encontre d'un sous-brigadier, reconnu coupable d'abus d'autorité et de faux dans les titres commis dans l'exercice de fonctions publiques, malgré l'absence d'antécédents. Le recourant avait procédé à une palpation de sécurité sans motif suffisant lors d'un contrôle routier et porté des indications fausses dans le rapport de renseignements y relatif (ATA/435/2018 du 8 mai 2018 consid. 10) ;

- quatre services hors tours ont été considérés comme peu sévères, pour un supérieur hiérarchique de policiers qui avaient porté à la connaissance de leur hiérarchie les faits litigieux, alors qu’il incombait audit supérieur de donner l’exemple. En outre, il s’en était pris à une personne détenue à l’égard de laquelle il se trouvait en position de garant, dans une situation où il n’y avait aucun motif, qu’elle qu’ait été l’état d’agitation de celle-ci, de lui porter les coups incriminés (ATA/652/2015 du 23 juin 2015) ;

- neuf services hors tours avaient été jugés cléments par la chambre de céans dans le cas d’un policier qui avait porté plusieurs coups de pied à un prévenu placé sous sa protection, coups qui avaient laissé des rougeurs et des éraflures. Le policier avait également forcé un joueur de bonneteau à avaler une boulette de papier, le menaçant de la lui faire avaler s’il ne le faisait pas lui-même. Il avait enfin donné de légers coups de pied, puis tiré l’oreille d’un individu qui dormait dans un parc. La sanction était clémente, même si l’intéressé avait connu des moments difficiles, tant sur le plan privé que professionnel, avait reconnu les faits qui lui étaient reprochés, avait pris des mesures pour éviter de les commettre à nouveau, n’avait pas d’antécédents et avait plusieurs fois exprimé des regrets (ATA/267/2013 du 30 avril 2013) ;

- une sanction disciplinaire de quatre services hors tour était clémente à l’encontre d’une gendarme qui, sans avoir enclenché la sirène et sans avoir attaché sa ceinture de sécurité, circulait à une vitesse extrêmement élevée, en pleine ville, de nuit et à proximité d’un hôpital. Elle avait ainsi mis en danger sa vie, et celle de son collègue, mais aussi et surtout celle du prévenu dont ils avaient la garde, de même que celle des personnes se trouvant dans le véhicule venant en sens inverse et de toutes les autres personnes croisées lors de son cheminement. Le simple fait de prendre en chasse un véhicule tout en ayant à bord un prévenu menotté constituait en soi une violation des devoirs de service. La sanction était clémente compte tenu de la gravité des faits, et malgré la prise en compte de certaines circonstances atténuantes, telles que le peu d’expérience de la recourante, la présence de son supérieur qui ne l’avait pas empêchée d’agir de la sorte, l’absence d’antécédent, ainsi que du fait qu’elle avait elle-même été blessée (ATA/94/2013 précité).

f. En l'occurrence, le recourant estime qu'il avait toutes les raisons de considérer que Mmes B______ et D______ étaient venues au poste de police uniquement pour demander des renseignements. Selon lui, il avait compris de bonne foi que M. D______ essayait d'empêcher Mme B______ de travailler comme prostituée, par sa seule présence auprès d'elle, et qu'il était reparti pour Lyon, ce qui rendait vaine toute recherche de localisation.

Ces faits ont été investigués dans le cadre de trois procédures différentes, à savoir la procédure menée par l'IGS ayant abouti au rapport de celle-ci du 14 octobre 2019, la procédure pénale close par l'ordonnance de non-entrée en matière du 26 juin 2020 et l'enquête administrative conclue par le rapport du 28 mai 2021. Il ressort de ces trois investigations que le comportement du recourant a été lacunaire compte tenu des déclarations de Mmes B______ et D______ le 10 février 2019 au poste de police. En particulier, le rapport d'enquête administrative retient que l'enquêteur a procédé à un examen minutieux des images de vidéosurveillance, démontrant que le temps consacré à l'entretien en question était très court, malgré les motifs de la présence de Mmes B______ et D______. Dans le cadre de la procédure par-devant la chambre de céans, le recourant se contente d'opposer sa propre perception aux faits établis par trois autorités différentes, sans apporter d'éléments de preuve nouveaux.

Par ailleurs, le recourant indique également avoir procédé à des recherches dans l'application P2K, en faisant valoir qu'il aurait entré dans le système une adresse et non pas un nom. Tant le rapport de l'IGS du 14 octobre 2019 que l'extrait des résultats obtenus lors d'une recherche dans le journal des événements de l'application P2K avec l'adresse indiquée par le recourant pour la période du 10 août 2018 au 10 février 2019, produit par l'intimée à l'appui de sa réponse, démontrent toutefois que celui-ci n'a effectué aucune recherche dans l'application P2K, à la suite des faits dénoncés par Mmes B______ et D______ le 10 février 2019.

Enfin, le recourant souligne le caractère très positif de ses évaluations, ses qualités professionnelles reconnues, les félicitations qu'il a reçues pour des comportements exemplaires, ainsi que l'absence d'antécédents. Ces éléments, par ailleurs déjà relevés dans le rapport d'enquête administrative, ont cependant dûment été pris en considération dans la décision querellée. Si ceux-ci sont à l'évidence portés au crédit du recourant, ils sont tempérés, dans le cas d'espèce, par l'absence de reconnaissance de la faute commise de sa part, de même que par son positionnement consistant à maintenir qu'il agirait à nouveau de la sorte en de telles circonstances.

Bien que le recourant puisse la ressentir comme sévère, la sanction prononcée demeure compatible avec le large pouvoir d’appréciation dont dispose l'autorité intimée en la matière. Au vu de l’ensemble des circonstances précitées, celle-ci n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation en prononçant la sanction querellée.

Le recours, mal fondé, sera ainsi rejeté.

4) Au vu de l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 octobre 2021 par Monsieur A______ contre la décision de la commandante de la police du 31 août 2021 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert Assaël, avocat du recourant, à la commandante de la police ainsi qu'au département de la sécurité, de la population et de la santé.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Poinsot

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :