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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3701/2022

ATA/1306/2023 du 05.12.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 22.01.2024, 2C_46/2024, 2C_206/2023
Recours TF déposé le 22.01.2024, 2C_46/2024, 2C_206/2023
Descripteurs : SUSPENSION DE LA PROCÉDURE;PROCÉDURE PÉNALE;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;APPRÉCIATION ANTICIPÉE DES PREUVES;PREUVE ILLICITE;EFFET DÉVOLUTIF;COMPORTEMENT CONTRADICTOIRE;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;LOI FÉDÉRALE SUR LE SERVICE DE L'EMPLOI ET LA LOCATION DE SERVICES;ORDONNANCE SUR LE SERVICE DE L'EMPLOI;PLACEMENT DE PERSONNEL;AUTORISATION D'EXERCER;NATURE JURIDIQUE
Normes : LPA.14.al1; Cst.29.al2; CEDH.6.par1; LPA.61.al1; LPA.41; Cst.9; Cst.5.al3; LSE.1; LSE.19; LSE.22; LSE.12.al1; LSELS.2; OSE.26; OSE.29; OSE.27
Résumé : Confirmation de l’obligation, par la recourante, de présenter une demande d’autorisation de pratiquer la location de services en lien avec son activé, exercée à Genève, de livraison de nourriture par coursiers par le biais d’une plateforme numérique. Même si l'application numérique constitue un outil de travail mis en place par une autre société, celle-ci dispose, à travers celle-ci, d'un pouvoir de direction sur les livreurs employés par la recourante, au moins partiellement. Le critère d'une intégration des coursiers de la recourante dans l'organisation de la société ayant mis en place ladite application apparaît également réalisé. Enfin, le risque commercial de la prestation des livreurs de la recourante n'est pas supporté exclusivement par elle, mais également par l'autre société. Rejet du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3701/2022-EXPLOI ATA/1306/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 décembre 2023

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Mes Sarah HALPÉRIN GOLDSTEIN et Lionel HALPÉRIN, avocats

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI intimé
représenté par Me Stéphanie FULD, avocate



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______) est inscrite au registre du commerce (ci‑après : RC) de Genève depuis le 25 août 2020 et a pour but toutes prestations de conseils et services logistiques, la location de services à des personnes physiques ou morales ainsi que toutes activités liées de près ou de loin à ces domaines.

b. Elle compte sept employés administratifs et environ 400 coursiers à vélo, tous au bénéfice d’un contrat de travail, qui respecte le salaire minimum genevois et la convention collective de travail des coursiers à vélo (ci-après : CCT coursiers).

Son activité principale consiste en la livraison de repas à domicile dans le canton de Genève.

c. La société dispose d'une succursale à Lausanne et de dix livreurs actifs dans cette ville depuis octobre 2022.

B. a. Le 24 septembre 2020, l'office cantonal de l'emploi (ci-après : OCE) a demandé à A______ de décrire ses activités et de lui remettre des documents afin de pouvoir déterminer si ses activités étaient sujettes à autorisation en vertu de la loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services du 6 octobre 1989 (LSE - RS 823.11).

b. Le 6 novembre 2020, A______ a répondu avoir conclu un contrat de services technologiques mis à jour le 31 août 2020 (ci‑après : le contrat de services technologiques) avec B______ (ci-après : B______) afin d’utiliser l’application « C______ ». La société rétribuait B______ par une commission pour l'utilisation de sa plateforme ainsi que pour la gestion des transactions financières. Afin de pouvoir répondre aux demandes d'utilisateurs de la plateforme, A______ avait recruté des coursiers pour leur propre compte.

Des équipes de travail avaient été mises en place. Leurs Team Leaders et Operation Managers étaient les supérieurs hiérarchiques des coursiers. Les repas à livrer étaient préparés par les restaurants qui agissaient, par l'intermédiaire des systèmes B______, comme des fournisseurs de A______. Les restaurateurs n'exerçaient pas de pouvoir de direction sur les coursiers, se limitant à leur remettre les plats commandés. Ils ne choisissaient pas les coursiers et ne leur fournissaient pas de matériel pour l'exécution des livraisons, hormis l'emballage des plats.

Les restaurateurs étaient rémunérés de manière forfaitaire. Ils percevaient un pourcentage du prix par le consommateur au final. La plateforme B______ se chargeait de la transaction financière.

Les coursiers ne travaillaient pas exclusivement avec l'application « C______ ». Bien que les courses liées à l'activité d'« C______ » fussent prépondérantes, A______ avait d'autres clients et ses coursiers effectuaient des courses pour ces derniers également. Les courses ne concernaient pas exclusivement la livraison de repas.

Elle considérait donc qu'elle n'exerçait pas d'activité de location de services. La location de services avait été incluse dans les buts statutaires de la société pour le cas où la situation viendrait à changer.

Un contrat-type de travail pour les coursiers et le contrat de services technologiques étaient annexés à son courrier.

c. Le 26 février 2021, après interpellation de l'OCE, le secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO) a indiqué qu'au vu des liens existants entre « C______ » et A______, cette dernière devait être en possession d'une autorisation de pratiquer la location de services.

d. Le 6 mai 2021, l'OCE a invité A______ à compléter les documents relatifs à l'obtention de l'autorisation de pratiquer les activités de placement privé et/ou de location de services.

e. A______ a contesté exercer une activité de location de service, occupant ses propres employés.

f. Le 17 mai 2021, le SECO a indiqué à l'OCE que dans la mesure où A______ mettait à disposition d'B______ des chauffeurs, lesquels se chargeaient du transport de personnes ou de marchandises, il existait un rapport de location de services, de sorte qu'une autorisation de pratiquer la location de services était nécessaire.

g. Le même jour, l'OCE a informé A______ que dans un rapport de location de services, le bailleur de services employait des travailleurs et en louait ensuite les services à une société locataire de services. Le fait que la société employait elle‑même les livreurs correspondait exactement à la définition de la location de services et une autorisation de pratiquer cette activité était nécessaire.

h. Le 15 juillet 2021, un entretien s'est tenu entre A______, accompagnée de ses mandataires, et D______, directeur de l'OCE.

Il ne ressort pas du dossier qu'un procès-verbal aurait été tenu.

i. Le 31 août 2021, A______ a détaillé son organisation, les liens entretenus avec B______ et son fonctionnement.

La société exerçait de manière effective son pouvoir de direction sur ses livreurs sans que celui-ci soit cédé à B______ ou aux restaurateurs. Elle assumait seule les risques en cas de mauvaise exécution dans la livraison. Les circonstances concrètes liées à son fonctionnement permettaient ainsi d'exclure toute application de la LSE.

Elle a joint à son courrier différentes annexes.

j. Le 16 novembre 2021, l'OCE a informé A______ qu'une réponse lui serait donnée après que le Tribunal fédéral se serait prononcé dans une affaire en lien avec la plateforme « C______ ».

k. Le 1er juillet 2022, le SECO, à la suite des arrêts du Tribunal fédéral dans l'affaire B______/« C______ », a demandé à l'OCE de poursuivre l'instruction en demandant différentes informations aux entreprises qui opéraient via la plateforme B______, et d'examiner si celles-ci exerçaient une activité de location de service soumise à autorisation.

l. Le 13 juillet 2022, un entretien s'est tenu entre les mandataires de A______ et l'OCE dans les locaux de celui-ci.

Un procès-verbal a été tenu à cette occasion.

m. Le même jour, l'OCE a demandé à A______ de lui fournir son organigramme, tous les contrats actuels conclus entre la société et B______, les contrats de travail des livreurs de la société, les modalités d'utilisation de la plateforme et de l'application B______ par les livreurs ainsi que tous les contrats et/ou autorisations signés par lesdits livreurs, ses conditions générales et son système salarial.

n. A______ a transmis notamment son organigramme, le contrat de licence d'exploitation de la plateforme « C______ » et de prestations de services technologiques signé le 27 juillet 2022 avec B______ (ci-après : le contrat de licence, lequel avait annulé et remplacé le contrat de services technologiques), le modèle de contrat de travail utilisé pour engager ses livreurs et un exemple de fiche de salaire.

La société a fourni des explications sur les modalités d'utilisation de la plateforme « C______ », son activité et son système salarial. Elle avait de plus développé une application pour gérer ses livreurs. B______ n'y avait pas accès.

Le modèle d'activité déployé par A______ ne relevait pas de la location de services.

o. Le 3 novembre 2022, A______, après avoir pris connaissance de l'entier de son dossier, a persisté dans ses explications.

B______, avec qui A______ avait passé le contrat de licence, n'instruisait pas les employés de la société et n'avait d'ailleurs aucun contact direct avec eux, hormis la transmission automatisée de commandes par l'algorithme de l'application qu'B______ avait développée. B______ n'exerçait ainsi aucun pouvoir de direction sur ses employés et ne pouvait être considérée comme locataire de ses services.

L'avis du SECO semblait se baser sur un mémorandum établi le 14 mars 2021, lequel analysait la relation juridique précise entre le groupe B______ et une société de droit suisse ; une telle relation n'avait jamais uni B______ et A______ et les conclusions du mémorandum ne pouvaient ainsi pas être appliquées mutatis mutandis à sa situation. Le SECO n'expliquait de plus pas en quoi son activité serait soumise à autorisation. En toute hypothèse, les modèles d'activité d'B______ avec l'ensemble de ses partenaires semblaient avoir évolué depuis la rédaction de ce document, si bien qu'il était devenu obsolète.

p. Par décision du 4 novembre 2022, l'OCE a assujetti A______ à la LSE dans le cadre de son activité de mise à disposition de livreurs à la plateforme dite « C______ » et lui a interdit de pratiquer toute activité jusqu'à l'obtention de l'autorisation de pratiquer la location de services.

Il n'était pas contesté que A______ et les collaborateurs étaient liés par un contrat de travail de durée indéterminée, ce qui n'excluait toutefois pas l'existence de location de services. Il ressortait du contrat de licence produit que A______ mettait à disposition de la plateforme dite « C______ » du personnel pour réaliser des livraisons et qu'en contrepartie de cette mise à disposition de personnel, le client, soit B______, versait à A______ un montant par livraison effectuée, la tarification évaluant selon la livraison concernée, et de mois en mois, selon les conditions du marché.

A______ avait indiqué notamment qu'elle avait conclu un contrat avec B______ afin d'être en droit d'utiliser l'application « C______ », avoir un véritable intérêt à l'utiliser, que l'application était améliorée en continu par les ingénieurs du groupe B______, qu'elle n'était pas en mesure de développer une application propre aussi complète et performante, que l'application « C______ » communiquait à ses livreurs la livraison que l'algorithme lui suggérait d'effectuer, que l'application communiquait au livreur sélectionné les indications relatives au lieu de livraison ainsi que le lieu et l'horaire de réception du plat au restaurant (calcul de l'horaire automatique par l'algorithme) et que donc le livreur recevait les demandes de livraison de commerçants par l'algorithme de l'application « C______ ».

Selon l'art. 1 du contrat de licence, B______ restait seul propriétaire de la plateforme dite « C______ » ainsi que des droits de propriété intellectuelle qui y étaient associés et la licence octroyée à A______ était non-exclusive.

Il était donc manifeste que l'application dite « C______ » était toujours gérée par B______, ce qui était d'ailleurs démontré par le fait qu'elle était améliorée en continu par celle-ci. Il était également avéré qu'B______, qui était le gérant de cette plateforme, recourait aux livreurs de A______, c'est-à-dire aux employés d'une société tierce.

C'était également l'application « C______ » qui attribuait les commandes à ses livreurs et leur transmettait les indications concernant le lieu de livraison, de même que le lieu de réception du plat au restaurant, calculant également l'horaire y relatif.

Les employés de A______ dépendaient de ladite plateforme car chaque livreur y possédait un compte, créé par B______, selon l'art. 1 du contrat de licence, et avaient accès à l'application B______ livreur afin de pouvoir recevoir des demandes de livraison, cette application étant incluse dans la plateforme « C______ » selon l'art. 1 du contrat de licence.

C'était donc l'application qui donnait les instructions aux livreurs de A______. Par conséquent, le pouvoir de direction de ces employés appartenait à B______ en tant que propriétaire de ladite plateforme, cette dernière société étant, ainsi, une société locataire de services.

A______ était complètement dépendante de la plateforme d'B______. Elle reconnaissait qu'elle avait un véritable intérêt à l'utiliser et qu'elle n'était pas en mesure de développer une application propre aussi complète et performante. En outre, elle devait passer, selon entre autres l'art. 1 du contrat de licence, par l'intermédiaire d'B______ si notamment elle souhaitait décider que ses livreurs puissent utiliser l'application B______ livreur. Cette plateforme comprenait également tous les outils numériques et le logiciel de gestion à l'attention de A______, ce qui prouvait que l'intéressée n'avait pas d'autres choix que de passer par ladite plateforme si elle désirait gérer sa flotte.

Ces éléments démontraient que A______ n'avait pas de pouvoir concernant l'utilisation de la plateforme « C______ », outil de travail indispensable de ses employés pour l'accomplissement de leurs missions, à savoir effectuer les livraisons. Il était par conséquent manifeste que ces derniers utilisaient un outil d'B______, soit l'entreprise de mission, pour effectuer leur travail.

En outre, il ressortait de la fiche de salaire de juin 2022 d'un des employés de A______ que le salaire horaire déterminant de CHF 23.27 s'intitulait « Salaire horaire : B______ » et que ce montant se retrouvait dans tous les modèles de contrat de travail de durée indéterminée de la société remis également par celle-ci à l'OCE en juillet 2022, permettant de considérer qu'B______ possédait aussi un pouvoir de contrôle sur cet aspect important qu'était la fixation de la rémunération du travailleur loué, soit en l'occurrence des livreurs. Cette même fiche de salaire mentionnait le versement d'une « Prime de performance » de CHF 50.-, avantage qui n'était prévu dans aucun des contrats de travail transmis par A______ concernant ses employés, alors que ce genre de gratification pouvait dépendre des données des livraisons effectuées et répertoriées sur la plateforme « C______ » ainsi que des informations et signalements reçus par exemple d'un client, soit la personne qui passait commande auprès d'un commerçant, par l'intermédiaire de son application, soit l'« App Client » qui était aussi incluse dans ladite plateforme comme cela était prévu à l'art. 1 du contrat de licence.

Le but statutaire de A______ démontrait la volonté d'exercer une activité de location de service.

Il ne faisait pas de doute que cette activité de location de services était exercée de manière régulière et dans un but commercial au sens de l’ordonnance sur le service de l’emploi et la location de services du 16 janvier 1991 (OSE - RS 823.111) et nécessitait donc une autorisation.

Finalement, A______ avait conclu, le 27 juillet 2022, le contrat de licence avec B______ aux Pays-Bas. Ceci avait pour conséquence qu’elle louait les services de travailleurs à une entreprise locataire de missions à l'étranger, qui réalisait ensuite des missions notamment à Genève, soit en Suisse. A______ devait ainsi être en possession de l'autorisation fédérale de pratiquer la location de services, en sus de l'autorisation cantonale, dans la mesure où les activités étaient transfrontalières.

Par conséquent, l'activité de A______ entrait dans le champ d'application de la LSE et était soumise à autorisation. Ne possédant pas d'autorisation, il était constaté qu'elle pratiquait illégalement la location de services. La décision était exécutoire nonobstant recours.

q. Le 8 novembre 2022, A______ a demandé à l'OCE de reconsidérer le caractère immédiatement exécutoire de sa décision et la restitution de l'effet suspensif.

r. Le même jour, l'OCE a refusé de reconsidérer le caractère immédiatement exécutoire de sa décision.

C. a. Par acte du 9 novembre 2022, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant, à titres superprovisoire et provisoire, à la restitution de l'effet suspensif. Principalement, la décision attaquée devait être annulée et il devait être constaté que la société n’était pas assujettie à la LSE.

Son but social avait été formulé de manière extensive afin de permettre une variété d'activités selon l'évolution de la société, mais elle n'avait aucune volonté d'effectuer de la location de service à court ou moyen terme.

Les restaurateurs n'entretenaient pas de contacts avec les livreurs hormis au moment de la réception de la commande. Le livreur intervenait ainsi auprès du restaurateur comme n'importe quel coursier appelé à livrer un colis à un destinataire spécifique.

Dans ce contexte, A______ avait conclu le contrat de licence avec B______ afin d'être en droit d'utiliser l'application « C______ » pour la mise en relation avec les consommateurs et restaurants, la gestion des commandes et livraisons ainsi que les transactions financières y relatives. A______ reversait une commission à B______ correspondant aux frais de mise en relation au travers de la plateforme « C______ ». Ni B______ ni les restaurateurs n'avaient de pouvoir de direction sur les employés de A______.

b. Le 10 novembre 2022, la juge déléguée a admis les conclusions prises à titre superprovisionnel, aucune urgence ne justifiant, prima facie, la mise en application sans délai de la décision attaquée.

c. Le 8 décembre 2022, A______ a complété son recours, sollicitant l'audition d'E______, son administratrice présidente, d'employés (employés administratifs et ceux occupés à la livraison), d'un responsable technique de l'application « C______ », ainsi que la tenue d'un transport sur place dans ses bureaux, tout en persistant dans ses conclusions principales.

L'OCE appuyait son raisonnement sur des constatations de fait erronées. L'office déduisait du but inscrit au RC une volonté manifeste de la société d'exercer la location de services, élément factuel intégralement contesté. Contrairement à ce que retenait la décision, le contrat conclu avec B______ ne contenait pas la mention de « mise à disposition de personnel », ni les termes « mise à disposition » et « personnel ». Toute mise à disposition du personnel était contestée. Il était faux de retenir que l'application « C______ » calculait l'horaire relatif à la livraison.

Durant la phase d'instruction par-devant l'OCE, elle n'avait pas été en mesure de proposer des moyens de preuve ou de solliciter des actes d'instruction afin de permettre une meilleure appréhension de son modèle d'affaires. L'OCE avait ainsi violé son droit d'être entendue en ne lui permettant pas de se déterminer de manière complète avant la prise de la décision.

Le mémorandum de mars 2018 était obsolète pour les raisons expliquées dans son courrier du 3 novembre 2022. Les conclusions de l'OCE et du SECO avaient évolué au fil des décisions judiciaires. Ils avaient d'abord soutenu qu'B______ était employeur et bailleur de services et les restaurants locataires de services. Désormais, ils soutenaient qu'B______ était l'entreprise de mission faisant appel aux employés d'une entreprise tierce. L'OCE et le SECO semblaient guidés par le résultat recherché, à savoir la qualification d'employeur, respectivement de location de services de toute activité liée à B______, plutôt que par les principes juridiques et la législation applicables. L'OCE, comme le SECO, avait donc adopté un raisonnement à géométrie variable et contradictoire.

En considérant que le contrat conclu entre B______ et A______ prévoyait la mise à disposition de personnel pour réaliser des livraisons, l'OCE considérait qu'B______ était débiteur d'une prestation de livraison, pour laquelle il recourait aux livreurs de A______. Or, B______ ne fournissait pas une prestation de livraison. Sa prestation consistait à lui céder le droit d'utiliser l'application « C______ », incluant un service de mise en relation entre consommateurs et restaurants et de dispatch de commandes. Une seconde prestation d'B______ consistait à collecter les frais de livraison et à émettre les factures y relatives au nom et pour le compte de A______. Ces prestations étaient effectuées contre rémunération. B______ ne jouait donc qu'un rôle d'intermédiaire en fournissant un service technologique par la licence qu'elle lui concédait et lui permettait d'utiliser et maîtriser l'application « C______ » pour la gestion d'une flotte constituée de ses employés. Sa prestation était de fournir des livraisons ce qu'elle faisait par le biais de ses livreurs en utilisant divers outils dont celui cédé par B______.

Elle n'était pas dépendante de la plateforme. D'une part, une activité de livraison était concevable sans une telle application. Celle-ci serait toutefois moins efficiente. D'autre part, si B______ restait seul détenteur des droits liés à la plateforme et de la technologie associée, son intervention se limitait à l’activation d'un compte et son rattachement à une flotte ainsi qu'à la désactivation d'un compte, étant relevé que de telles actions n'étaient entreprises que sur instruction expresse de A______. Elle était en mesure d'exporter de manière indépendante les données issues de l'application concernant ses livreurs afin d’opérer la gestion courante hors de la plateforme. Par ailleurs, afin de gérer sa flotte, A______ disposait d'outils propres tels que son application « A______ » et son portail. Elle était par ailleurs en mesure de proposer une activité de livraison à des partenaires n'utilisant pas la plateforme « C______ » mais par le biais d'autres outils (« F______ » et/ou « G______ »). Pour cette activité, les livreurs n'utilisaient pas la plateforme « C______ ».

L'intérêt de l'application « C______ » résidait dans l'algorithme puissant permettant d'optimiser le transfert des commandes aux livreurs disponibles. Elle ne servait pas à la prestation elle-même fournies par ses livreurs. L'application permettait, de manière automatique, sans analyse humaine, d'attribuer à un livreur une commande spécifique et de lui transmettre pour ce faire les indications basiques telles que le lieu de prise en charge et le lieu de livraison. Ces indications découlaient de la commande effectuée par le consommateur (choix du restaurant, lieu de livraison) et non d'instructions de la part ni d'B______ ni du restaurateur. Il ne s’agissait pas d'instructions au sens du droit du travail. Ses livreurs ne recevaient pas de la part d'B______ ou via l'application « C______ » d'instructions relatives à la disponibilité dont ils devraient faire preuve, au délai dans lequel la livraison devait être exécutée, au mode de transport à utiliser, ni même au matériel de transport nécessaire. Ils ne recevaient pas non plus d'instructions quant à la manière dont ils devaient se présenter ou s'habiller. L'application ne calculait aucun horaire de travail, contrairement à ce qu'avait retenu l'OCE. B______ n'instruisait pas les employés de A______ et n'avait aucun contact direct avec eux, hormis la transmission automatisée de commandes par l'algorithme de l'application « C______ ». Les livreurs ne disposaient pas de matériel remis par B______ et n'étaient d'aucune manière intégrés dans l'organisation de la société exploitant la licence d'utilisation de la plateforme. Au vu de ces éléments, le critère du transfert – même partiel – du pouvoir de direction n'apparaissait pas rempli. B______ n'exerçait ainsi aucun pouvoir de direction sur les employés de A______ et ne pouvait être considérée comme locataire de ses services.

Elle était seule détentrice du pouvoir de direction. La seule automatisation d'aspects « logistiques », à savoir les indications inhérentes aux commandes et dispatch, par le biais d'une application technologique, ne suffisait pas à considérer qu'B______ détiendrait une partie essentielle du pouvoir de direction sur les livreurs. A______ intervenait tout au long de la relation contractuelle avec le livreur : de son engagement et sa formation, à l'établissement de plannings, au suivi des absences, à d'éventuelles promotion en qualité de Team Leader ou Operation Manager, au prononcé de sanctions et jusqu'à la fin des rapports de travail. La société fournissait le matériel nécessaire à la livraison (un sac au logo de A______) et dédommageait les frais professionnels pour l'utilisation d'un moyen de transport et du téléphone privé du livreur. A______ disposait d'un bureau où elle accueillait les livreurs, mettait à leur disposition un atelier de réparation et d'entretien du matériel de livraison ainsi qu'un service de prêt de vélo en cas de besoin. Il n'y avait donc aucun partage de pouvoir de la direction. A______ s'occupait de tous les aspects liés à l'activité de livraison en elle-même ainsi que les aspects résultant de tout rapport de droit du travail avec ses employés. Les livreurs étaient pleinement intégrés à A______, étaient en relation avec les employés administratifs de la société, pouvaient venir dans les locaux, fréquentaient le « A______ café » ou les ateliers de réparation et de services mis à leur disposition.

Elle déterminait seule et librement la rémunération de ses employés, y compris s'agissant d'une éventuelle rémunération variable ou de primes pour lesquelles elle déterminait les critères d'attribution et avait connaissance des données relatives au livreur (performances, absences, etc.). Si le salaire horaire de CHF 23.27 se retrouvait sur tous les modèles de contrat, c'était en raison du salaire minimum obligatoire à Genève en 2022. La mention « Salaire horaire : B______ » n'indiquait que le type d'activité réalisée par le livreur sans que ce montant ne soit fixé par B______. La prime de performance ne dépendait pas uniquement de données générées automatiquement par l'application « C______ » mais également par exemple du taux d'absentéisme, lequel n'était connu que de d'elle.

Le contrat commercial conclu avec B______ prévoyait le paiement d'une commission de 3% du chiffre d'affaires net réalisé par A______, lequel dépendait uniquement des frais de livraison facturés aux restaurants. Or, le prix de livraison payé par le restaurant utilisateur de la plateforme n'était pas corrélé au temps de livraison et donc à la durée de travail de l'employé. Il découlait d'un calcul mensuel du prix moyen par course qu'elle établissait. Le fait que la tarification de la livraison appliquée au restaurant puisse évoluer selon la livraison ou la période concernée selon les conditions de marché n'était pas pertinent. En outre, elle fixait le prix de sa prestation de livraison.

Elle garantissait une prestation de livraison. Elle était ainsi débitrice d'une obligation de résultat, et non uniquement du bon choix d'un employé qui serait mis à disposition d'un tiers. B______ ne répondait en outre pas des dommages causés par un livreur. Seule A______ assumait cette responsabilité. Elle était ainsi régulièrement amenée à dédommager des tiers, directement ou par le biais de son assurance, en cas de sinistres. Sa responsabilité allait ainsi au-delà de celle attendue d'un bailleur de services.

Une location de services des livreurs en faveur d'B______ impliquerait que cette société interagisse de manière consciente et « proactive » avec les employés et gère une partie des aspects importants liés à leur activité de livraison. Or, la seule tâche effectuée par B______ consistait à activer un compte – celui-ci étant créé par l'employé assisté de A______ – et de l'attribuer à la flotte A______, sur instructions expresses de A______. Ce rôle limité ne pouvait pas emporter un partage du pouvoir de direction, ni un rapport de subordination envers les livreurs ou une intégration à la structure d'B______. Si les données générées par l'application « C______ » avaient vraisemblablement une utilité pour le groupe B______, cela était inhérent à toute application numérique et au traitement du big data, à l'image de Google, Linkedin, etc. B______ n'effectuait aucune surveillance de l'activité réalisée par un livreur particulier ni d'analyse de performance individuelle comme le ferait un employeur. B______ s'était d'ailleurs engagée à remettre les données liées à l'activité de ses livreurs, dont elle pouvait disposer de manière autonome pour opérer des vérifications et analyses essentielles au développement de son activité et à la bonne gestion de son équipe.

d. Le 16 décembre 2022, l'OCE a dupliqué sur effet suspensif, persistant dans ses conclusions.

e. Le 9 janvier 2022, A______ s'est déterminée sur la duplique de l'OCE, persistant également dans ses conclusions.

f. Le 17 janvier 2023, A______ a produit un courrier de H______, lequel confirmait son assujettissement et le respect de la CCT coursiers. H______ expliquait que les engagements de la société envers ses travailleurs allaient plus loin que ceux qui découleraient d'une soumission à la convention collective – Location de services (ci-après : CCT location de services).

g. Le 18 janvier 2023, l'OCE a conclu, préalablement, à l'audition de I______, directeur des opérations chez A______ à l'époque, à la production par la société de tout document accepté par ses employés dans le cadre de leur activité avec l'application B______, dont l'accord avec celle-ci, et de la liste de ses livreurs depuis août 2020 (avec leur date d'engagement et la fin de contrat mentionnant la partie qui avait donné le congé) afin de procéder à des auditions. Principalement, l'OCE a conclu à la confirmation de sa décision prise le 4 novembre 2022.

Au vu des documents remis par A______, à savoir le contrat de services technologiques et le contrat de licence, ainsi que selon la charte de la communauté B______ mise à jour le 28 avril 2021 (ci-après : la charte) et la déclaration de confidentialité d'B______ mise à jour le 23 décembre 2022 (ci-après : la déclaration de confidentialité) disponibles sur le site Internet d'B______, cette dernière possédait un pouvoir particulièrement important dans le choix des coursiers de A______, puisque ceux-ci ne pouvaient travailler pour B______ que s'ils remplissaient des critères précis tels qu'avoir au moins 18 ans et posséder une pièce d'identité nationale ou un permis de travail en cours de validité. Les coursiers devaient également transmettre à B______, via l'application, de nombreuses données personnelles les concernant (licence, permis, autorisations, historique de conduite, casier judiciaire, autres noms éventuels, anciennes adresses, etc.). Ces informations et données sensibles pouvaient être transmises par B______, à sa discrétion, à différentes entités privées ou publiques, dont des autorités.

Lorsque les coursiers de A______ étaient connectés à l'application B______, ils étaient exclusivement dédiés au travail à effectuer transmis par celle-ci (nom et adresse du commerçant pour prendre la commande, l'itinéraire, nom et adresse du destinataire de la livraison). Dans le cadre de livraisons, B______ ordonnait aux coursiers de A______ de respecter une liste non-exhaustive d'instructions (s'abstenir de poser des questions personnelles, de faire des commentaires ou des gestes inappropriés, à refuser ou annuler intentionnellement des demandes de courses). B______ exigeait que les coursiers vérifient sur une pièce d'identité l'âge de la personne se faisant livrer de l'alcool.

Le pouvoir de direction d'B______ était corroboré par le fait que les coursiers devaient réaliser personnellement toutes les étapes de livraison. B______ savait, en tout temps, où se trouvaient les livreurs puisque son application les géolocalisait en temps réel, permettant une bonne répartition du travail entre eux en fonction des distances de livraison. Cela permettait également de vérifier leur comportement (excès de vitesse, port du casque, etc.). Les coursiers étaient non seulement surveillés par B______ mais aussi dirigés par celle-ci exactement comme dans un rapport de travail classique avec subordination à un employeur.

B______ utilisait les évaluations des coursiers afin de notamment leur proposer des moyens d'amélioration. Selon des articles de presse, les remarques formulées par les restaurants concernant les coursiers étaient adressées à B______ qui pouvait désactiver leur compte personnel dans l'application sans préavis. La désactivation pouvait aussi avoir lieu si le permis de travail n’était pas renouvelé ou en cas de violation de la charte.

Le Tribunal fédéral avait reconnu l'existence d'un rapport de travail, compte tenu de la subordination à B______ des livreurs utilisant l'application « C______ », au motif notamment que l'application fournissait aux livreurs, dès qu'ils y étaient connectés, les instructions pour effectuer leur travail. Des juridictions européennes avaient tenu le même raisonnement dans des causes similaires. Dans la mesure où les livreurs employés par A______ étaient également liés à B______ par une relation de travail, il existait ainsi une situation de location de services soumise à autorisation, A______ et B______ était respectivement, bailleresse et locataire de services.

B______ était seule propriétaire de la plateforme technologique. Elle recourait ainsi aux travailleurs de A______ pour effectuer les livraisons par l'intermédiaire de son moyen technologique. Les coursiers étaient totalement dépendants de cette plateforme. Ils étaient ainsi complètement intégrés dans l'organisation de travail d'B______. Cet outil de travail était indispensable pour les coursiers. Ils bénéficiaient en outre du soutien des services d'assistance associés à B______. S'ils faisaient face à un quelconque problème ou souhaitaient signaler une information, c'était vers B______, via son application, et non vers A______, qu'ils devaient s'adresser pour obtenir de l'aide. Tant les coursiers que A______ étaient complètement dépendants de la plateforme, puisqu'B______ mettait à leur disposition l'application et les services y relatifs. A______ reconnaissait d'ailleurs qu'elle n'était pas en mesure de développer une telle application aussi complète et performante. L'application de A______ était au mieux un outil de gestion de ses ressources humaines (ci-après : RH) ne permettant pas de diriger leur travail. Le matériel des livreurs n'était pas fourni par A______, contrairement à B______ qui leur ouvrait un compte personnel avec identifiant propre sur son application. Selon le contrat de services technologiques, B______ fixait seule le montant à verser à A______ en lien avec les livraisons effectuées. La prime, récompensant les performances des coursiers, dépendait des données récoltées sur la plateforme propriété d'B______. Les contrats de services technologiques et de licence avaient pour but la mise à disposition en faveur d'B______ de personnel pour réaliser des livraisons. En contrepartie, B______ versait à A______ un montant en lien avec les livraisons effectuées. B______ encaissait la facturation auprès des clients et rétribuait A______ par la suite, en ne sachant pas ce qu'elle devrait payer à la société, puisqu'aucun prix fixe n'était convenu à l'avance entre elles. A______, en tant que bailleresse de services ne facturait pas un prix fixe convenu à l'avance pour une prestation de travail mais des heures de travail.

Compte tenu de ces éléments, les coursiers de A______ étaient parfaitement intégrés au sein d'B______.

B______ exigeait non seulement un travail particulièrement bien effectué de la part des coursiers de A______ mais aussi qu'ils ne portent pas atteinte à sa marque, à sa réputation ou encore à son activité. Si une livraison était mal effectuée, le destinataire s'en plaignait directement auprès d'B______ par l'intermédiaire de la plateforme. Une éventuelle perte d'un utilisateur entraînerait une perte commerciale pour B______ et non pour A______. Ni le commerçant, ni le destinataire de la livraison n'avait de moyens de contacter A______ pour se plaindre d'une éventuelle mauvaise exécution du travail du coursier. A______ n'assumait que le risque du bon choix du collaborateur en sa qualité de bailleresse de services.

h. Le 19 janvier 2023, H______ a spontanément écrit à la chambre de céans afin que l'intérêt des employés de A______ à conserver leurs emplois soit pris en considération dans le cadre de la décision sur effet suspensif à prendre.

i. Le 25 janvier 2023, l'OCE s'est déterminé sur les courriers de H______. Seule la CCT location de services – dont la protection sociale était plus large – était applicable. Ses développements ne pouvaient pas être pris en considération compte tenu du fort ascendant que A______ avait sur H______.

j. Le 7 février 2023, A______ a spontanément produit une nouvelle écriture, sollicitant les auditions de J______, responsable RH et finance, de K______, employé et celle de L______, secrétaire régional de H______. Elle reprenait et développait ses précédents arguments pour la question de la restitution de l'effet suspensif sollicitée.

k. Le 17 février 2023, A______ a répliqué sur le fond, demandant de constater l'inexploitabilité de deux pièces produites par l'OCE (deux articles de presse des 10 et 15 octobre 2022) de les retirer du dossier et d'ignorer tout allégué en lien avec ces pièces, tout en persistant dans ses précédentes conclusions.

Un ancien employé de A______ avait dévoilé à des journalistes certains éléments en violation de clauses contractuelles de confidentialité et de ses obligations d'employé et d'administrateur. Ces éléments étaient illicites et inexploitables. De plus l'un des articles faisait mention d'un courriel adressé par l'avocate de A______ et partant couvert par le secret professionnel. En outre, l'OCE s'était engagé à fonder sa décision indépendamment de l'article de presse ou de documents non transmis officiellement. Quant au second article, une prise de connaissance « comme tout bon lecteur » n'était pas suffisante. La valeur probante faisait défaut, le journaliste rapportant des propos généraux et abstraits d'« C______ » sans autre précision.

Outre le fait que la charte n'était plus en vigueur en Suisse et que celle produite par l'OCE concernait la Belgique, cette charte contenait surtout des recommandations de bon sens, visant la protection des intérêts publics ainsi qu'à assurer une certaine responsabilité sociétale du titulaire de l'application, indépendamment de toute qualification juridique des relations inhérentes à l'utilisation de ladite application. Le seul fait que la charte mentionnât la possibilité pour un utilisateur de signaler un problème ne signifiait pas que ses livreurs l'utilisaient effectivement et qu'B______ intervenait de manière concrète. Une telle option se comprenait en présence de livreurs indépendants et plus généralement pour des problématiques techniques liées à la technologie de la plateforme. À l'inverse, les employés de A______ se retournaient vers la société en cas de problème (incident, accident ou autre problème technique). Quant à la déclaration de confidentialité, le simple fait qu'elle contienne certaines dispositions relatives au traitement de données par B______ en tant que titulaire de l'application ne permettait pas non plus de retenir un pouvoir de direction au sens du droit du travail. En outre, contrairement à ce que soutenait l'OCE, la prime de performance ne dépendait pas uniquement des données de courses effectuées répertoriées sur l'application « C______ ». Elle était fixée par A______ selon ses critères et à sa discrétion. B______ n'interférait pas dans la rémunération due aux livreurs. De plus, les données de géolocalisation étaient transmises en temps réel à A______ qui surveillait seule, de manière effective, l'activité de ses livreurs. L'application suggérait automatiquement et uniquement un itinéraire. A______ fournissait également du matériel aux livreurs (sacs de livraison et du matériel d'entretien, vélos de remplacement). Hormis ce qui était automatisé par l'algorithme de l'application (la transmission des informations utiles aux livraisons par exemple), B______ n'interférait pas dans l'activité des livreurs. En tenant compte de son organisation effective pour la gestion de son activité et des tâches réalisées par ses livreurs, il n'y avait aucune place pour un quelconque pouvoir de direction en mains d'B______, ni même un partage du pouvoir de direction entre B______ et elle-même.

Si par impossible, un pouvoir de direction devait être reconnu à B______, celui-ci devrait être considéré comme étant mineur, l'essentiel du pouvoir de décision sur les livreurs étant détenu par A______. La seule utilisation d'une application développée par B______ ne permettait pas de retenir que celle-ci disposerait de l'essentiel du pouvoir de direction et de compétences essentielles en matière d'instructions sur ses livreurs. La seule automatisation d'aspects « techniques » par le biais d'une application technologique ne suffisait pas à considérer que le détenteur de la plateforme détiendrait une part essentielle du pouvoir de direction sur les employés de tiers l'utilisant. Si tel devait être le cas, la LSE devrait s'appliquer à tout modèle d'affaire faisant intervenir un haut degré de technologie. En outre, ses instructions à ses livreurs prévalaient sur les indications transmises par l'application « C______ », en particulier lors de la mise en place de fonctionnement opérationnel particulier selon les périodes ou les zones concernées.

Depuis l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_575/2020 du 30 mai 2022, dont se prévalait l'OCE, la situation avait évolué. Les livreurs n'étaient plus indépendants mais étaient recrutés, engagés et instruits par A______ns l'influence d'B______. Les obligations des livreurs découlaient de leur contrat de travail avec A______. B______ n'instruisait pas les livreurs quant au délai pour exécuter les livraisons et ne prodiguait aucune recommandation concernant le temps à attendre pour qu'un restaurateur ou destinataire de la marchandise se présente. Les indications des points de ramassage et de dépose des marchandises étaient fournies par le restaurateur et le consommateur. Il ne s'agissait pas d'instructions d'B______, dans la mesure où ces informations étaient transmises automatiquement. Il n'existait plus de système d'évaluation et de notation des livreurs par les restaurateurs et les consommateurs. Leur satisfaction n'était pas contrôlée par B______. Il n'y avait aucune pression d'B______ sur les livreurs. La géolocalisation des coursiers par l'application était inhérente au fonctionnement de celle-ci. B______ n'analysait toutefois pas ni ne suivait les informations de géolocalisation des livreurs. Elle utilisait ces données uniquement pour assurer la qualité du service ou en cas de problème avec un livreur. Ce dernier était libre de prendre l'itinéraire qu'il souhaitait et B______ ne jugeait à aucun moment si cet itinéraire était efficace. Rémunérés en fonction du temps de travail, les employés de A______ ne subissaient aucune incidence sur leur rémunération en cas d'itinéraire « inefficace ». B______ ne donnait aucune instruction aux livreurs dont le non-respect lui permettrait de restreindre ou désactiver les accès au livreur à l'application. Ces prérogatives appartenaient à A______. Il n'y avait par conséquent pas de rapport de subordination des livreurs employés par la société à l'égard d'B______. Il en allait de même lorsque l'OCE se référait à des arrêts français et anglais ayant requalifié en rapport de travail la relation entre un livreur/chauffeur et la plateforme B______/« C______ ».

Enfin, elle s'opposait à l'audition de I______ compte tenu du litige qui les opposait. Aucun document d'B______ n'était transmis aux employés de A______ et signés par eux, en particulier aucun accord dont il était fait référence dans la charte applicable en Belgique. La remise d'une liste d'employés paraissait disproportionnée et contraire à l'obligation de protéger leur personnalité. Elle concluait ainsi au rejet des productions de pièces et autres mesures d'instruction sollicitées par l'OCE.

l. Les éléments suivants ressortent de l’audience, qui s’est tenue le 27 février 2023 devant la chambre administrative :

l.a. E______ a expliqué que le consommateur passait commande sur l'application « C______ » et payait sa consommation sur celle-ci. La plateforme « dispatchait » ensuite la commande aux différents gestionnaires de flottes, dont A______. « C______ » fournissait les informations aux coursiers quant à l'endroit auquel ils devaient aller chercher la nourriture et la livrer. La redevance à « C______ » incluait également la géolocalisation des coursiers. L'application A______ delivery sur laquelle devaient s'inscrire leurs coursiers permettait également de les suivre. « C______ » fournissait également le détail de l'activité des coursiers (durée de connexion et de livraison notamment). A______ pouvait ainsi vérifier que leurs livreurs avaient respecté le planning. Tant les clients que les restaurateurs pouvaient faire part de leurs commentaires sur la plateforme « C______ », lesquels étaient transmis à A______. Cette dernière déterminait les frais de livraison chaque mois. Ils étaient intégrés après communication au gestionnaire de la plateforme « C______ ».

Selon l'administratrice présidente, « C______ » n'était pas habilitée à supprimer l'accès à un des livreurs de A______. La seule possibilité de bloquer le compte d'un des livreurs sur la plateforme était celle où une suspicion d'abus du compte (un partage de celui-ci), détectée par le système. A______ avait souhaité conserver cette possibilité de contrôle et disposait de 24h00 pour déterminer si elle maintenait le blocage.

Pour chaque commande placée sur « C______ », un gestionnaire de flotte différent pouvait se la voir attribuer. Les tarifs de livraison étaient alors pratiqués par le gestionnaire en question. A______ fixait les tarifs chaque mois sur la base des chiffres réalisés le mois précédent. Ces tarifs étaient communiqués à la plateforme « C______ » qui ne pouvait pas les modifier. Pour les frais de service, il s'agissait d'un poste déterminé sur la plateforme sur lequel A______ n'avait pas de prise.

A______ fournissait à B______ les informations permettant d'identifier le livreur. La société paramétrait la fréquence des contrôles d'identités par selfies. Il s'agissait d'une fonctionnalité que A______ avait souhaité reprendre d'B______. En moyenne, elle avait lieu une fois par mois. A______ pouvait l'augmenter en cas de doutes ou besoin, notamment sur la base d'informations transmises par les Team Leaders.

A______ disposait de bureaux et d'un local dans le quartier des Eaux-Vives. Les livreurs pouvaient y charger leurs batteries de vélos et téléphones ainsi que discuter avec leurs sept Team Leaders. Le service opérationnel était disponible sept jours sur sept pour répondre aux différentes demandes des employés (difficulté avec un client/restaurateur, à trouver une adresse, accident, etc.). Le département des RH s'occupait de tous les aspects administratifs (fiches de salaire, rapports d'activité, arrêts accident) et traitait toutes les doléances des employés. Ces derniers s'adressaient à H______ en cas d'insatisfaction. Ils n'avaient aucun contact avec B______.

l.b. L______, secrétaire régional de H______, a indiqué que le partenariat avec A______ était « loyal ». À la suite de négociations, A______ s'était engagée à garantir des heures de travail à ses employés, déterminées en fonction de la moyenne des heures accomplies par chacun les six derniers mois. Cela garantissait un salaire fixe mensuel que les livreurs pouvaient compléter par des heures supplémentaires s'ils le souhaitaient.

H______ soutenait la position de la commission fédérale de la poste (ci-après : PostCom) selon laquelle l'activité de livraison de repas était soumise à la loi sur la poste du 17 décembre 2010 (LPO - RS 783.0), applicable à toutes les prestations de logistique comportant le transport de marchandises d'un point à un autre. Il lui paraissait dès lors curieux de vouloir appliquer la convention collective nationale de travail pour l'hôtellerie-restauration (ci-après : CCNT de l'hôtellerie‑restauration).

l.c. Le conseil de A______ a informé la chambre administrative qu'une plainte avait été déposée contre I______ pour différents actes déloyaux, notamment le vol de documents transmis au département de l'économie et de l'emploi (ci-après : DEE).

m. Le 3 mars 2023, l'OCE s'est opposé à une éventuelle fourniture de sûretés à hauteur de CHF 100'000.- telle qu'évoquée à l'audience du 27 février 2023.

n. Le 7 mars 2023, l'OCE s'est déterminée sur les actes d'instruction à ordonner et a conclu à la production du registre des actionnaires de A______, dans son état au plus tard au jour de l'audience du 27 février 2023, ainsi que du procès-verbal de sa dernière assemblée générale antérieur à ce jour-là. Les écrits relatifs à la demande de A______ auprès d'B______ portant sur sa demande de garder la possibilité de contrôler l'identité de ses livreurs par selfies via l'application « C______ » devaient être produits. Des restaurateurs et des clients devaient être entendus.

o. Par décision du 8 mars 2023, la chambre administrative a restitué l’effet suspensif au recours et réservé le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond, retenant en particulier que l'OCE avait donné des garanties relatives au fait que la décision ne pourrait pas être déclarée immédiatement exécutoire.

Le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours formé par l'OCE contre cette décision par arrêt du 14 juin 2023 (2C_206/2023).

p. Le 10 mars 2023, l'OCE a rappelé que sa décision avait été prise indépendamment des informations parues dans la presse et que les articles de presse, par essence publics, étaient exploitables. La charte s'appliquait en Suisse. L'évaluation des livreurs s'effectuait avec l'attribution de notes via l'application « C______ ». B______ vérifiait la validité du permis de travail des coursiers ainsi que leur renouvellement. Les « indicateurs performance » provenaient de l'application B______. Il était donc impossible pour A______ d'attribuer entre autres une prime aux coursiers sans les données provenant de cette application.

q. Le 27 mars 2023, A______ a produit des captures d'écran du tableau de bord de son application et a fourni des explications quant à son fonctionnement, notamment sur la question de la géolocalisation.

r. Le 14 avril 2023, l'OCE a contesté que les pièces produites par A______ démontraient une géolocalisation des coursiers par son application. Il a réitéré ses demandes d'actes d'instruction et en a demandé de nouveaux, ainsi que la nomination d'un expert indépendant permettant de comprendre le fonctionnement, l'évolution et l'utilisation de la plateforme « C______ » ainsi que ses liens avec l'application de A______.

s. Les témoins suivants ont été entendus lors de l’audience du 17 avril 2023 :

s.a. M______, General manager « C______ » Belgium & Switzerland, a expliqué que l'utilisation de la géolocalisation des coursiers faisait partie des instruments de base mis à disposition par la licence octroyée à A______. « C______ » avait plusieurs prestataires de services, dont A______. Cette dernière décidait du nombre de coursiers qu'elle souhaitait avoir à disposition pendant une période donnée. L'attribution au coursier se faisait à celui qui était le mieux placé (situation géographique, temps de préparation du restaurant). Il n'y avait pas de zone attribuée à un gestionnaire de flotte en particulier. S'il n'y avait pas assez de livreurs, la plateforme s'adaptait en temps réel en regroupant les commandes en restreignant le périmètre de livraison. « C______ » n'intervenait pas directement auprès de leurs prestataires.

Lorsqu'« C______ » constatait que le niveau de commandes baissait sur la plateforme, des actions marketing étaient déployées mais pas du côté de leurs partenaires. Si « C______ » s'était trompée dans ses prévisions de commandes, leur prestataire était informé afin que leur partenaire puisse prendre les dispositions qu'il estimait nécessaire.

Un coursier engagé par A______ devait installer l'application « C______ » avec l'aide de A______. Il lui était uniquement demandé une pièce d'identité et une photo. Cette démarche avait été demandée par A______ afin qu'elle puisse identifier en temps réel ses livreurs. Ils étaient identifiés par les restaurateurs et les clients par les numéros de commandes. Pour A______, le prénom et l'initiale du nom de famille s'affichaient. À sa connaissance, le coursier n'avait pas à accepter de conditions générales ou à adhérer à la charte. L'exigence d'un permis de travail était posée par A______.

En cas de plainte d'un restaurateur ou d'un client sur la plateforme « C______ », celle-ci était transmise à A______. « C______ » n'intervenait pas auprès des livreurs, cette question devant être traitée par A______. Cette dernière portait la responsabilité des personnes qu'elle employait. B______ n'intervenait ni dans l'octroi de primes aux livreurs ni dans leur licenciement. Aucune formation n'était de plus dispensée. B______ ne fournissait pas de matériel et ne surveillait pas les livreurs. Ces derniers choisissaient leur GPS (celle de l'application « C______ » ou un autre GPS). B______ n'intervenait pas non plus en cas de refus de commandes. Elle n'avait pas connaissance des plannings individuels des livreurs et ne faisait pas le suivi d'éventuels accidents. L'incident d'une non-livraison était uniquement signalé à A______, même si souvent elle le savait avant B______. Si la livraison n'était pas effectuée, A______ n'était pas payée. B______ n'intervenait pas sur l'application développée par A______.

Les frais de livraison était définis par B______ et payés par le restaurateur à A______. La productivité d'un coursier en particulier ne présentait pas beaucoup d'intérêt pour B______.

« C______ » fournissait l'adresse du restaurateur et transmettait celle reçue du client (avec le digicode). Le coursier était libre de choisir son itinéraire. L'heure de la prise en charge de la commande était indiquée par la plateforme. Une estimation de temps de trajet était effectuée par l'application en fonction du GPS choisi par le coursier. Cette estimation était transmise au client. Si un livreur se déconnectait de l'application, il était probable qu'un problème soit signalé.

Le contrat de licence reflétait mieux la manière dont B______ collaborait par rapport au contrat de services technologiques.

s.b. K______, coursier, a précisé travailler pour A______ depuis le 15 novembre 2020 et bénéficier d'un planning hebdomadaire d'au minimum 35h. Parfois, il travaillait 40h par semaine. Lors de son engagement, A______ lui avait indiqué qu'il devait télécharger l'application « C______ », considérée comme outil de travail. Au moment de l'installation de l'application, il avait fourni une pièce d'identité, son permis de travail et une photographie de lui-même prise au moyen de l'application. Il n'avait pas dû accepter les conditions générales ou d'autres conditions liées à l'application.

Au préalable, il avait suivi une formation dispensée par A______ lui expliquant comment et à quelles conditions il pouvait se connecter à l'application. Il devait ainsi se rendre sur une des zones définies par A______, telles que par exemple les Eaux-Vives ou Plainpalais.

Une fois une commande arrivée sur son compte, le nom du restaurant, celui du client, le cas échéant le code d'accès à son immeuble, et d'autres informations (livraison de couverts par exemple) lui étaient transmises. Il pouvait refuser une commande, mais devait en informer au préalable un Team Leader. En cours de l'exécution de la commande, il pouvait la refuser (si le consommateur ne répondait pas ou s'il avait endommagé la commande). Quand il ne recevait pas de commande, il avait pour consigne de se déplacer dans une autre zone, il ne devait pas rester statique.

Il bénéficiait d'un salaire horaire de CHF 24.-, indépendamment de la question de savoir s'il avait des livraisons à effectuer ou non. En cas de problème, il s'adressait à son Team Leader. Des objectifs avaient été fixés, il devait dépasser 2.5 livraisons par heure. Il existait un classement mensuel établi par A______ selon différents critères, notamment par rapport au nombre de livraisons acceptées et effectuées, ainsi qu'au comportement. Une prime était allouée en fonction de ce classement. Si le coursier mettait plus de 30 minutes pour la prise en charge d'une commande, une voix demandait si le livreur était proche de sa destination. Le livreur pouvait également s'entretenir avec le client, soit en l'appelant, soit par le chat ouvert sur l'application « C______ ». Si un client faisait une remarque sur la plateforme « C______ », le coursier n'en avait pas connaissance. Les restaurateurs étaient en contact avec les Team Leaders auxquels qui ils faisaient part de leurs éventuelles remarques. Il utilisait le GPS de Google. À sa connaissance, seule l'application d'B______ permettait de le géolocaliser.

Il était également Team Leader. Dans ce cadre, il gérait un groupe Whatsapp. Il accompagnait les livreurs dans leur travail, les formait et organisait des permanences Team Leaders. Il était hiérarchiquement soumis à l'operation‑manager. Cette personne pouvait voir sur son écran où se trouvaient les différents livreurs. Il percevait une prime en tant que Team Leader, majorée lorsqu'il était de permanence.

Les livreurs percevaient des pourboires en espèces ou les clients en prévoyaient sur l'application. Ces montants étaient reversés ensuite sur leur fiche de salaire.

Des restaurants ou sociétés passaient directement par A______ pour de grosses livraisons régulières, sans le concours d'« C______ ».

Il avait également téléchargé l'application de A______ sur son téléphone, laquelle lui était utile pour recevoir son planning, gérer ses absences ou demander un congé. Elle ne fournissait pas d'information quant aux livraisons à effectuer.

s.c. L'OCE a persisté dans sa demande d'auditionner cinq restaurateurs.

t. Le 28 avril 2023, A______ s'est déterminée sur le courrier de l'OCE du 14 avril 2023.

Les pièces qu'elle avait produites le 27 mars 2023 démontraient que ses livreurs étaient visibles sur une carte de Genève en temps réel par les employés opérationnels de la société. Il importait peu que les données soient générées par A______ directement ou plutôt extraites, transférées ou importées de l'application « C______ ». Seul était déterminant qu'en sa qualité de société employeuse, elle accède aux données sur son propre portail et soit effectivement en mesure de gérer son activité de livraison et ses livreurs. Les données de géolocalisation de l'application « C______ » étaient inhérentes au fonctionnement de la plateforme afin de permettre le dispatch de commandes, l'algorithme développé par B______ utilisant notamment la géolocalisation pour attribuer une commande au livreur le mieux situé. Contrairement aux affaires B______ jugées par le Tribunal fédéral, le choix de l'itinéraire n'entraînait aucune conséquence pour les livreurs du côté d'« C______ ».

Elle s'est opposée à la plupart des actes d’instruction sollicités par l’OCE et a demandé que la chambre administrative se détermine sur la question de l'inexploitabilité de certaines pièces produites par l'OCE.

u. Le 21 juin 2023, l'OCE a informé la chambre administrative que le DEE, par l'entremise de son ancienne magistrate, avait dénoncé M______ auprès du Ministère public, le 30 mai 2023, pour faux témoignage dans la mesure où les propos tenus à l'audience du 17 avril 2023 entraient en contradiction avec des documents confidentiels en mains du DEE.

Il a persisté dans ses réquisitions de preuves, sollicitant également que la chambre de céans demande au DEE la production des documents précités pour une appréciation exclusive.

v. Le 23 juin 2023, A______ a invité la chambre administrative à rejeter les demandes de l'OCE.

Elle était stupéfaite du comportement déloyal de l'OCE. Les documents auxquels ce dernier faisait référence avaient été volés par un ancien employé de A______ au mois d'octobre 2022. Ce même employé avait envoyé certaines informations à la presse, donnant lieu à deux articles. Ce vol de documents avait fait l'objet d'une plainte pénale et les éléments qui en ressortaient étaient inexploitables.

w. Il ressort les éléments suivants de l’audience du 28 juin 2023 :

w.a. L'avocate de l'OCE a précisé qu'elle n'était pas en possession de la dénonciation pénale à l'encontre de M______.

w.b. A______ s'est opposée à l'apport de la dénonciation pénale et des pièces y relatives.

w.c. N______, ancien manager du restaurant à l'enseigne « O______ » à Genève, a expliqué qu'ils utilisaient l'application « C______ » pour recevoir les commandes destinées à la livraison. Le restaurant recevait le nom du client à qui le repas devait être livré ainsi que le nom, prénom et numéro de téléphone du livreur. Il n'était pas précisé s'il s'agissait d'un livreur travaillant pour A______. En cas de problème, le restaurant pouvait contacter soit la plateforme « C______ » soit le livreur. Le seul moyen de savoir pour qui travaillait le livreur était de le lui demander. Il ressortait des échanges avec les coursiers que ces derniers utilisaient le GPS figurant sur l'application « C______ » pour déterminer l'itinéraire qu'ils allaient suivre.

L'application permettait au restaurant de savoir le temps que le livreur allait mettre pour venir chercher la livraison ainsi que le temps estimé pour la livrer au consommateur. En cas de préoccupation relative à une commande ou à une livraison à effectuer par un livreur de A______, il n'hésitait pas à prendre contact directement avec le responsable auprès de A______. Il ne l'avait toutefois jamais appelé dans la mesure où il n'avait jamais rencontré de problème avec ses livreurs. Il n'avait jamais formulé de plainte sur la plateforme « C______ » à leur sujet. En cas de problème, il cherchait à savoir qui était le responsable du livreur. Il envoyait ainsi un message au responsable des livreurs de A______ pour savoir s'il s'agissait d'un de leurs livreurs. S'il répondait par la négative, il contactait téléphoniquement « C______ ».

Il n'était pas possible d'identifier l'employeur des livreurs sur la seule base du sac des coursiers. Le nom de l'employeur n'y figurait en effet pas toujours.

Il était arrivé que le restaurant offre la livraison à ses clients. N______ ne connaissait toutefois pas les conditions ou les détails d'éventuels arrangements avec « C______ ».

En cas de problème technique avec l'application, il utilisait le même numéro que celui en cas de problème avec un livreur, soit celui relatif à la plateforme « C______ ». En moyenne, il appelait ce numéro une fois par semaine. Il avait un échange avec le responsable des livreurs de A______ une fois par semaine et uniquement lorsqu'un problème survenait.

x. Le 7 juillet 2023, A______ s'est une nouvelle fois déterminée sur la question de l'apport à la procédure de la dénonciation et sur les mesures d'instructions sollicitées par l'OCE, reprenant ses anciennes conclusions.

Elle a également repris et développé sa précédente argumentation mettant en exergue l'état de fait obsolète sur lequel s'était basé l'OCE pour rendre sa décision et sa pleine collaboration à l'instruction menée par la chambre administrative.

y. Le 9 août 2023, l'OCE a répondu au courrier de A______, persistant dans ses conclusions.

z. Le 11 septembre 2023, la chambre administrative a rejeté la requête d’apport de la dénonciation au Ministère public du canton de Genève (ci-après : MP) faite le 30 mai 2023 par l'ancienne magistrate du DEE pour faux témoignage de M______ et réservé le sort des frais avec l’arrêt à rendre au fond.

Le MP serait toutefois interpellé afin de savoir s’il avait été saisi d'une telle dénonciation alléguée et, si tel était le cas, quelle suite il y avait donnée. En fonction des éléments obtenus, la chambre de céans se réservait la possibilité de procéder à d’autres actes d’instruction en lien avec l’allégation – grave – de faux témoignage.

z.a. Le 9 octobre 2023, la juge déléguée a à nouveau tenu une audience de comparution personnelle et d'enquêtes.

z.a.a. P______, gérant du restaurant à l'enseigne « Q______ », a expliqué qu'il travaillait avec les plateformes « C______ », « R______ » et « S______ ». À sa connaissance, le restaurant n'avait jamais affaire à des coursiers de A______, étant relevé qu'il ne prêtait pas attention aux sacs utilisés par les livreurs car ils ne permettaient pas d'identifier les coursiers de telles plateformes.

Ce qui était déterminant pour le restaurant était le numéro de commande. Il voyait uniquement si un livreur était adressé par l'une des trois plateformes. Le restaurant demandait aux coursiers s'ils travaillaient pour B______ ou S______. Les livreurs répondaient l'un ou l'autre et le restaurant vérifiait ensuite le numéro de commande.

P______ ignorait comment les coursiers travaillant pour B______ étaient organisés dans leurs relations avec B______. Il avait appelé B______ pour se plaindre qu'un coursier n'avait pas acheminé une commande au client. B______ lui avait répondu qu'il allait de toute manière être payé.

B______ informait le restaurant du temps que le livreur allait mettre à arriver jusqu'au restaurant. Une photographie du livreur – si elle était disponible – ainsi que son numéro de téléphone ou celui d'B______ étaient transmis. Lorsque le livreur arrivait et prenait en charge la commande, celui-ci devait formellement accepter la commande sur son téléphone. L'itinéraire qu'il devait suivre s'affichait alors sur son téléphone. Le restaurant ne pouvait toutefois pas voir à quel moment il arrivait ni le suivre sur l'application. Dès que le coursier avait récupéré le plat, son nom disparaissait de l'écran. Le restaurant conservait toutefois le numéro de commande. Il ne savait toutefois pas si la livraison était effectuée.

Il arrivait qu'il n'y ait pas assez de coursiers. Le restaurant appelait alors B______ qui lui demandait de patienter. Il ignorait quelle démarche effectuait B______ à la suite d'un tel signalement. P______ n'avait jamais demandé à B______ de ne plus avoir affaire à un coursier en particulier.

B______ encaissait le montant versé par les clients et percevait à titre de commission 30 % de ce montant, le solde étant versé au restaurant. Le paiement se faisait chaque semaine.

z.a.b. T______, fondateur d'une entreprise exploitant notamment le restaurant à l'enseigne « U______», a précisé que son restaurant travaillait avec « C______ », « S______ » « R______ » et « V______ » mais pas avec A______ qu'il ne connaissait pas.

Il ignorait pour qui les livreurs travaillaient. Il partait de l'idée qu'ils travaillaient pour la plateforme qui avait été utilisée pour la commande en question. La plupart du temps, les sacs utilisés par les livreurs correspondaient aux noms des plateformes.

Les plateformes informaient le restaurant des conditions applicables. Il n'y avait pas énormément matière à négocier. Les taux, calculés en fonction du volume des commandes, ne changeaient pas beaucoup. Il avait également l'impression que les collaborateurs desdites plateformes ne disposaient pas d'une grande marge de manœuvre.

Le client versait le montant de la commande à la plateforme utilisée qui prélevait sa commission et reversait le solde au restaurant. La commission variait selon la plateforme entre 25 et 35% du montant total de la commande. La livraison de repas constituait environ 5% du chiffre d'affaires. « C______ » et « S______ » étaient leurs plus grands pourvoyeurs de commandes.

En cas de problème, le restaurant le signalait via la plateforme ou il la contactait téléphoniquement. Le système sur les plateformes était très ludique et facile d'utilisation ; il était automatisé. Il ignorait comment se passaient les promotions proposées par « C______ » et les répercussions sur son restaurant. La plateforme « C______ » avait été intégrée à son système d'exploitation de façon à ce que la commande passe directement à la cuisine.

z.a.c. A______ a maintenu ses demandes d'actes d'instruction, notamment le transport sur place. Son audition à l'issue des actes d'instruction diligentés paraissait également importante.

L'OCE a également maintenu ses demandes d'actes d'instruction. Il demandait d'entendre l'associé de T______ qui s'occupait des négociations avec les plateformes, et de reconvoquer le livreur employé au moins quatre heures par semaine lequel ne s'était pas présenté ce jour-là.

z.b. En réponse à un courrier du 13 septembre 2023 de la juge déléguée, le MP a répondu, le 17 octobre 2023, avoir reçu, en date du 31 mai 2023, une dénonciation pénale émanant du DEE et visant M______. Aucune suite n'avait, pour l'heure, été donnée à cette dénonciation enregistrée sous la procédure 1______.

z.c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 38 al. 1, al. 2 let. a et al. 3 LSE).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision de l'autorité intimée prononçant l'assujettissement de la recourante à la LSE dans le cadre de son activité de livraison de repas à domicile.

3.             La recourante sollicite la suspension de la procédure en cas d'audition de I______ et en cas d’apport de la dénonciation au MP faite le 30 mai 2023 par le DEE à l'encontre de M______.

3.1 Selon l’art. 14 al. 1 LPA lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions.

Cette disposition est une norme potestative et son texte clair ne prévoit pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu'une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie (ATA/444/2023 du 26 avril 2023 consid. 3.1).

3.2 En l'espèce, comme il le sera vu ci-dessous, il n'est pas nécessaire de procéder à l'audition de I______, ancien employé de la recourante. La chambre de céans a décidé de ne pas ordonner l'apport de la dénonciation pénale visant M______, employé par B______. Les deux conditions formulées par la recourante à l'appui de sa demande de suspension ne sont donc pas réalisées. En toute hypothèse, le sort de la présente procédure ne dépend pas de celle pendante devant le MP. En effet, il ressort du dossier que l'OCE a donné des garanties que les pièces, qui lui auraient été transmises par I______, n'avaient pas été utilisées pour la prise de décision concernant la recourante. Par ailleurs, les éléments du dossier, pris dans leur ensemble, suffisent à statuer en toute connaissance de cause comme il sera vu ci-dessous.

Il ne sera en conséquence pas donné suite à la demande de suspension de la procédure, étant rappelé la formulation potestative de l’art. 14 LPA.

4.             Les parties ont demandé des actes d'instruction complémentaires. La recourante sollicite notamment l'audition d'employés administratifs (J______, responsable RH et finance), d'un responsable technique d'« C______ » et la tenue d'un transport sur place dans ses bureaux. L'autorité intimée demande notamment les auditions de I______, de 20 livreurs, de dix clients, de restaurateurs, et la production de tout document accepté par les employés de la recourante dans le cadre de leur activité avec l'application B______ dont l'accord avec celle-ci, le registre des actionnaires de la société (état au plus tard au 27 février 2023), le procès-verbal de sa dernière assemblée générale, tous les écrits relatifs à la demande de la recourante auprès d'B______ portant sur la possibilité de contrôler l'identité de ses livreurs par selfies via l'application « C______ », une liste de tous les livreurs de la recourante bénéficiant de contrats de travail garantissant 20h et plus de travail hebdomadaire avec la date d'engagement, une même liste pour des livreurs bénéficiant de contrats de travail garantissant 4h et plus, une liste des livreurs depuis août 2020 (avec la date de leur engagement et de fin contrat, le cas échéant, avec la précision de la partie qui a donné le congé), toutes les plaintes des coursiers/restaurateurs/clients à B______ et transmises par M______ ou la recourante avec les courriels d'accompagnement depuis août 2020, toutes les plaintes adressées directement à la recourante avec les courriels d'accompagnement depuis août 2020, toutes les communications entre M______ et la recourante en relation avec l'établissement du « TPH » applicable aux coursiers en vue de l'entrée en vigueur du salaire minimum de CHF 23.- en novembre 2020, 50 factures de clients, ainsi que la mise en œuvre d'une expertise judiciaire.

4.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

4.2 En l'occurrence, les parties ont été entendues lors des audiences des 27 février, 17 avril, 28 juin et 9 octobre 2023, principalement lors de la première. Des témoins ont également été entendus, dont notamment un coursier de la recourante et des restaurateurs. Les parties ont par ailleurs eu l’occasion, lors des échanges d’écritures, de se déterminer sur les prises de position de leur partie adverse et ont joint à leurs mémoires de nombreuses pièces. La chambre de céans dispose ainsi d’un dossier complet qui lui permet de rendre son arrêt en toute connaissance de cause.

Il ne sera donc pas procédé à d’autres actes d’instruction.

5.             La recourante demande de constater l'inexploitabilité de deux pièces produites par l'intimé (deux articles de presse des 10 et 15 octobre 2022), de les retirer du dossier et d'ignorer tout allégué en lien avec celles-ci.

5.1 La LPA ne règle pas le sort des preuves obtenues illégalement. Pour la doctrine, la problématique doit être traitée en relation avec le principe du procès équitable inscrit à l’art. 29 al. 1 Cst. et 6 § 1 la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). Selon certains auteurs, les preuves obtenues par des moyens illégaux ne peuvent être utilisées que si elles auraient pu être recueillies d’une façon légale ou si un intérêt public important le justifie (Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2e éd., 2015, p. 239 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 297 ; ATA/583/2022 du 31 mai 2022 consid. 4a ; ATA/576/2014 du 29 juillet 2014 consid. 6a). D’autres précisent que les moyens de preuve obtenus sans respecter des prescriptions d’ordre doivent faire l’objet d’une pesée d’intérêts pour être exploités : il s’agit de mettre en balance, d’une part, l’intérêt public à la manifestation de la vérité et, d’autre part, l’intérêt de la personne concernée à ce que le moyen de preuve ne soit pas exploité (Christoph AUER, Kommentar zum Bundesgesetz über das Verwaltungsverfahren, 2008, ad art. 12 PA). D’autres, enfin, plaident pour une application analogique des règles très détaillées contenues à l’art. 141 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), lesquelles seraient l’expression du procès équitable selon l’art. 29 al. 1 Cst. (voir les références doctrinales citées au consid. 3.1 de l’ATF 139 II 95). En procédure civile, le législateur n’a pas renvoyé au système prévu pour la procédure pénale, mais a opté pour une formulation laissant au juge un large pouvoir d’appréciation. À teneur de l’art. 152 al. 2 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272), le tribunal ne prend en considération les moyens de preuve obtenus de manière illicite que si l’intérêt à la manifestation de la vérité est prépondérant (ATA/1138/2022 du 10 novembre 2022 consid. 5a).

5.2 Le Tribunal fédéral déduit du droit à un procès équitable l’interdiction de principe d’utiliser des preuves acquises illicitement (ATF 139 II 7 résumé in SJ 2013 I 179 ; ATF 136 V 117 consid. 4.2.2). L’exclusion de tels moyens n’est toutefois pas absolue, le juge devant opérer une pesée des intérêts en présence (ATF 131 I 272 consid. 4). Ces règles sont également applicables aux procédures régies par la maxime inquisitoire, telle la présente procédure (art. 19 LPA, qui parle à tort de maxime d'office ; ATA/1138/2022 précité consid. 5a et les références citées). L’utilisation de moyens de preuves acquis en violation de la sphère privée ne doit en outre être admise qu’avec une grande réserve (ATF 139 II 7, résumé in SJ 2013 I 179 ; ATF 120 V 435 consid. 3b ; ATA/684/2022 du 28 juin 2022 consid. 6b).

5.3 S’agissant de la portée de l’illicéité d’une preuve (effet en cascade), sous l’ancien droit de procédure pénale, le Tribunal fédéral avait déjà abordé la question de la théorie des fruits de l’arbre empoisonné (fruits of the poisonous tree ; arrêt du Tribunal fédéral 6P.91/2003 du 19 janvier 2004 consid. 3), mais laissé la question ouverte. Il avait par la suite jugé que l’éventuelle illicéité d’une écoute téléphonique n’étendait pas ses effets au verdict de culpabilité dès lors que celui-ci aurait presque certainement été obtenu sans elle puisque l’observation des agissements de la prévenue aurait également conduit à son arrestation et à sa confrontation aux accusations d’un autre protagoniste (ATF 133 IV 329 consid. 4.6). L’art. 141 al. 4 CPP, entré en vigueur le 1er janvier 2011, prévoit que si un moyen de preuve est recueilli grâce à une preuve non exploitable, il n’est pas exploitable lorsqu’il n’aurait pas pu être recueilli sans l’administration de la première preuve. Selon les travaux préparatoires, la preuve supplémentaire n’est inexploitable que si elle n’avait pas pu être administrée sans l’administration préalable de la preuve obtenue illégalement, ou en d’autres termes si « la première preuve était la condition sine qua non pour obtenir la seconde ». Ainsi donc, par exemple, serait exploitable la déposition d’un témoin qui a été trouvé grâce à une déposition du prévenu, laquelle n’est pourtant pas exploitable parce que l’autorité pénale a omis de l’informer de ses droits. En effet, ce témoin aurait pu être trouvé, même en l’absence de la déposition inexploitable du prévenu. Serait, en revanche, inexploitable un rapport d’expertise fondé sur des déclarations inexploitables du prévenu (FF 2006 1163). La doctrine a proposé d’atténuer l’exigence de preuve de l’impossibilité (Jérôme BÉNÉDICT/Jean TRECCANI, in André KUHN/Yvan JEANNERET [éd.], Code de procédure pénale suisse - Commentaire romand, 2011, ad art. 141 n. 38). Selon le Tribunal fédéral, la seconde preuve n’est pas inexploitable lorsqu’elle aurait aussi pu être obtenue sans la première preuve illicite, avec une grande vraisemblance, compte tenu d'un déroulement hypothétique des investigations. Les circonstances concrètes sont déterminantes. La simple possibilité théorique d'obtenir la preuve de manière licite ne suffit pas (arrêt du Tribunal fédéral 6B_640/2012 du 10 mai 2013 consid. 2.1 ; ATF 138 IV 169 consid. 3.3.3). Dans une affaire de circulation routière, le Tribunal fédéral a jugé que le rapport de police et les auditions ne pouvaient être qualifiés de preuves dérivées, dans la mesure où elles ne découlaient pas de l'enregistrement vidéo (lui-même considéré comme une preuve illicite) et avaient été recueillies indépendamment de celui-ci. S'il n'y avait pas lieu de les écarter en tant que telles, il convenait de faire abstraction des passages discutant l'enregistrement vidéo litigieux (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1282/2019 du 13 novembre 2020 consid. 6b publié aux 147 IV 16).

5.4 En l'espèce, l'intimé a assuré par deux fois, les 25 et 27 octobre 2022, que les articles de presse en question ne faisaient pas partie du dossier et que sa décision serait prise indépendamment de ceux-ci.

La chambre de céans constate à la lecture de la décision attaquée que celle-ci ne cite effectivement pas ces articles ou leur contenu ni dans la partie en fait ni dans la partie en droit. L'intimé n’a donc pas fondé la décision querellée sur ces pièces, ce qui correspond bien aux assurances données préalablement.

Dans son mémoire de réponse, l'intimé y fait néanmoins référence et a produit les deux articles en question. Toutefois, force est de constater que ces articles sont librement accessibles au public, sur les sites Internet de presse. L'intimé n'a de plus produit aucune pièce relative au contenu de ces articles, par exemple les échanges de courriels entre la recourante et B______ dont il est question dans l'article du 15 octobre 2022, et pour lesquels la question du caractère inexploitable de ceux‑ci aurait pu se poser. En outre, les informations figurant dans la presse ou dans tout autre document accessible au public ne peuvent, selon la jurisprudence, être considérées comme étant notoires (arrêt du Tribunal fédéral 9C_753/2020 du 23 novembre 2021 consid. 6.1). Le juge est donc habilité à remettre en doute leur existence et leur véracité. Enfin, comme il sera vu ci-dessous, l'examen d'une location de services s'effectue en s’appuyant principalement sur le contenu du contrat liant les protagonistes, la description du poste et la situation du travail concrète dans l’entreprise de mission.

La requête sera écartée.

6.             La recourante soutient que le raisonnement de l'intimé reposerait sur des constatations de fait erronées. À plusieurs reprises, l'intimé s'éloignerait de ceux résumés dans sa partie en fait pour les retenir d'une façon différente au stade de la subsomption.

6.1 Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), non réalisée en l'espèce.

6.2 En l'espèce, la recourante critique la déduction de l'autorité intimée à propos de son but social, le fait qu'elle a, au vu du contrat de licence, retenu une mise à disposition de son personnel en faveur d'B______ et que le calcul de l'horaire relatif à la livraison effectuée par le livreur était effectué par l'application pour arriver à la conclusion qu'B______ était locataire des services de la recourante.

Ce faisant, la recourante se plaint en réalité de l’appréciation des faits effectuée par l’autorité intimée, et non de leur constatation inexacte, ce qui relève du fond du litige.

Le grief sera dès lors écarté.

7.             La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue aux motifs que l'autorité intimée ne lui aurait pas permis de se déterminer de manière complète avant la prise de décision et qu'elle ne lui aurait pas fait part de son analyse juridique et des éléments sur lesquels celle-ci reposait avant la prise de décision.

7.1 Le droit d'être entendu, comme mentionné supra, est garanti par les art. 29 al. 2 Cst. et 41 LPA, et sert non seulement à établir correctement les faits, mais constitue également un droit indissociable de la personnalité garantissant à un particulier de participer à la prise d'une décision qui touche sa position juridique (ATF 135 I 279 consid. 3.2 ; 132 II 485 consid. 3.2 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_37/2020 du 7 septembre 2020 consid. 3.1). L'étendue du droit de s'exprimer ne peut pas être déterminée de manière générale, mais doit être définie au regard des intérêts concrètement en jeu ; l'idée maîtresse est qu'il faut permettre à une partie de pouvoir mettre en évidence son point de vue de manière efficace (ATF 144 I 11 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Il comprend notamment le droit pour l'intéressé d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées).

L’autorité n’a pas à attirer spécialement l’attention des parties sur les faits décisifs qui leur sont connus et qui fonderont la décision, ni sur l’argumentation juridique future de cette décision ou sur son appréciation juridique des faits allégués (Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2015, p. 269-270).

7.2 Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle‑ci dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit qui implique la possibilité de guérir une violation du droit d'être entendu, même si l'autorité de recours n'a pas la compétence d'apprécier l'opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_257/2019 du 12 mai 2020 consid. 2.5 ; ATA/1190/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3b et les références citées).

7.3 En l'occurrence, la recourante ne conteste pas que des échanges entre elle et l'autorité intimée ont eu lieu préalablement à la prise de décision. Au cours de ceux‑ci et comme le démontre le dossier, elle a pu amplement présenter son modèle d'affaires et produire toutes pièces qu'elle jugeait pertinentes pour l'examen de la situation à l'aune de la législation sur la location de services.

Il ne peut donc pas être retenu que la recourante a été privée de la possibilité de s'exprimer avant la prise de décision du 4 novembre 2022.

Il est toutefois vrai qu'il ressort des courriers adressés par la recourante à l'autorité intimée les 31 août 2021 et 27 juillet 2022 qu'elle a demandé à cette dernière de lui faire part de son analyse juridique, éléments à l'appui, si celle-ci ne partageait pas sa position. Néanmoins et comme l'indique la doctrine précitée, l'autorité intimée n'avait pas à transmettre à la recourante ni l’argumentation juridique future ni les faits décisifs sur lesquels se fonderait sa décision, étant rappelé que l'intéressée avait pu faire faire valoir ses arguments dans ses différentes écritures.

En toute hypothèse, compte tenu de l'effet dévolutif complet du recours, une éventuelle violation du droit d'être entendue de la recourante serait réparée dans le cadre de la présente procédure de recours.

Le grief est mal fondé.

8.             La recourante semble se plaindre que l'OCE aurait adapté sa position au fil des décisions judiciaires concernant le groupe B______ et aurait adopté un raisonnement contradictoire.

8.1 Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l’une et l’autre se comportent réciproquement de manière loyale (arrêts du Tribunal fédéral 6B_266/2020 du 27 mai 2020 ; 1C_173/2017 du 31 mars 2017 consid. 2.3 ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. 2, 2018, p. 642 n. 3454). Ce principe est l'émanation d'un principe plus général, celui de la confiance, lequel suppose que les rapports juridiques se fondent et s'organisent sur une base de loyauté et sur le respect de la parole donnée. Le principe de la loyauté impose aux organes de l'État ainsi qu'aux particuliers d'agir conformément aux règles de la bonne foi ; cela implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; ATA/555/2022 du 24 mai 2022 consid. 9).

8.2 En l'espèce, outre le fait qu'il ne ressort pas du dossier que l'autorité intimée aurait formulé des promesses à la recourante portant sur le traitement administratif de son activité, le document du SECO auquel fait référence la recourante concerne spécifiquement d'autres sociétés. Par ailleurs, les allégations de la recourante sur le fait que le raisonnement de l'autorité intimée aurait évolué et serait guidé par le résultat recherché, à savoir la qualification d'employeur, respectivement de location de services de toute activité liée à B______ n'emportent pas conviction. En effet, dans le cas d'espèce, l'intimé ne soutient pas qu'B______ serait l'employeur des coursiers de la recourante. Les livreurs sont d'ailleurs au bénéfice d'un contrat de travail conclu non pas avec le groupe B______ mais avec la recourante. De même, comme il sera vu ci-dessous, le Tribunal fédéral s'est déterminé uniquement sur la question de la relation entre B______ et les restaurateurs (arrêt du Tribunal fédéral 2C_575/2020 du 30 mai 2022 publié en partie aux ATF 148 II 426) mais pas lorsqu'une société gérant une plateforme numérique recourt à des prestataires employés par des entreprises tierces.

Le grief est mal fondé.

9.             La recourante conteste son assujettissement à la LSE pour son activité dans le cadre de son activité de livraison de repas.

9.1 À teneur de l’art. 1 LSE, cette loi vise à régir le placement privé de personnel et la location de services (let. a), à assurer un service public de l’emploi qui contribue à créer et à maintenir un marché du travail équilibré (let. b) et à protéger les travailleurs qui recourent au placement privé, au service public de l’emploi ou à la location de services (let. c).

La location de services désigne des relations tripartites entre un employeur (bailleur), une entreprise locataire et un travailleur (ATF 148 II 203 consid. 3.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_132/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.3.2 ; message concernant la révision de la loi fédérale sur le service de l'emploi et la location de services, FF 1985 III 524 p. 533 s.). La location de services implique ainsi deux contrats : d'une part un contrat de travail au sens des art. 319 ss de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220) entre le bailleur de services et le travailleur (art. 19 LSE ; ATF 145 III 63 consid. 2.2.1; 119 V 357 consid. 2a) et, d'autre part, un contrat de location de services entre le bailleur et le locataire de services (art. 22 LSE ; ATF 137 V 114 consid. 4.2.1 ; Romain FÉLIX, Location de services versus autres contrats de prestations : critères de distinction, in Rémy WYLER [éd.], Panorama III en droit du travail, 2017, p. 779 ss, p. 782 ; Fabian LOOSER, Der Personalverleih, thèse 2015, p. 116 n. 350, 118 n. 355). L'existence d'un contrat de travail est ainsi une condition préalable à toute situation de location de services au sens de la LSE.

9.2 La LSE impose des exigences spécifiques aux bailleurs de services. Elle les soumet à un régime d'autorisation obligatoire (art. 12 ss LSE), les astreint à fournir des sûretés (art. 14 LSE) et leur impose une obligation de renseigner (art. 17 LSE). La publication d'offres d'emploi (art. 18 LSE), la forme et le contenu du contrat de travail conclu entre le bailleur de services et le travailleur (art. 19 LSE), ainsi que ceux du contrat de location de services entre le bailleur et l'entreprise locataire (art. 22 LSE) sont en outre réglementés strictement (148 II 426 consid. 5.2).

9.3 Selon l’art. 12 al. 1 LSE, les employeurs (bailleurs de services) qui font commerce de céder à des tiers (entreprises locataires de services) les services de travailleurs doivent avoir obtenu une autorisation de l’office cantonal du travail (al. 1), soit à Genève l'OCE (art. 2 de la loi sur le service de l’emploi et la location de services du 18 septembre 1992 - LSELS - J 2 05 et 1 du règlement d’exécution de la loi sur le service de l’emploi et la location de services du 14 décembre 1992 - RSELS - J 2 05.01).

La définition de l’art. 12 al. 1 LSE est large afin d’éviter que la finalité de la loi ne soit détournée, la caractéristique principale de la location de services étant la cession à des fins lucratives, c’est-à-dire régulière et contre rémunération, de travailleurs à d’autres employeurs. Elle implique que la loi est également applicable aux entreprises dont les travailleurs exécutent des travaux pour des tiers qui s’en chargent habituellement eux-mêmes, c’est-à-dire qui sont spécifiques à la branche (FF 1985 III 524, p. 581 ss).

9.4 L’art. 26 OSE précise l’activité de location de services. Est réputé bailleur de services celui qui loue les services d’un travailleur à une entreprise locataire en abandonnant à celle-ci l’essentiel de ses pouvoirs de direction à l’égard du travailleur (al. 1). On peut également conclure à une activité de location de services, notamment lorsque le travailleur est impliqué dans l’organisation de travail de l’entreprise locataire sur le plan personnel, organisationnel, matériel et temporel (let. a) ; le travailleur réalise les travaux avec les outils, le matériel ou les appareils de l’entreprise locataire (let. b) ; l’entreprise locataire supporte elle-même le risque en cas de mauvaise exécution du contrat (let. c ; al. 2). Fait commerce de location de services celui qui loue les services de travailleurs à des entreprises locataires de manière régulière et dans l’intention de réaliser un profit ou qui réalise par son activité de location de services un chiffre d’affaires annuel de CHF 100'000.- au moins (art. 29 al. 1 OSE). Exerce régulièrement celui qui conclut avec les entreprises locataires, en l’espace de douze mois, plus de dix contrats de locations de services portant sur l’engagement ininterrompu d’un travailleur individuel ou d’un groupe de travailleurs (art. 29 al. 2 OSE).

9.5 Le pouvoir de donner des instructions ne doit pas être entièrement détenu par le tiers ; pour qu'il y ait location de services, il suffit que le tiers se voie confier des compétences essentielles en matière d'instructions ; le droit de donner des instructions entre l'employeur légal (bailleur de services) et l'entreprise locataire de services est scindé (arrêts du Tribunal fédéral 2C_543/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.1 ; 2C_356/2012 du 11 février 2013 consid. 3.1).

Dans le cadre du contrat de location de services, le bailleur de services ne s'engage donc pas à fournir une prestation de travail déterminée qu'il fait exécuter par des auxiliaires, mais plutôt à choisir soigneusement les travailleurs correspondants et à les remettre à l'entreprise locataire de services contre rémunération, en leur octroyant un pouvoir d'instruction essentiel. La différence essentielle entre la location de services et un contrat de mandat réside dans le fait que, dans le cas du mandat, il n'existe pas de rapport de subordination au sens du droit du travail entre le prestataire de services et le destinataire de la prestation (art. 321d CO) : le mandataire recherche et acquiert ses missions pour lui-même et travaille simultanément pour différents mandants, sans être dépendant d'un seul mandant sur le plan économique ou organisationnel. En revanche, le travailleur détaché dans le cadre d'une location de services est soumis aux directives du tiers ou de l'entreprise locataire de services : il est intégré dans l'organisation de l'entreprise d'un tiers, ce dernier ayant ainsi la possibilité d'employer des personnes comme des salariés, sans conclure avec elles un rapport de travail ; le rapport de travail avec le bailleur de services subsiste (arrêts du Tribunal fédéral 2C_543/2014 précité consid. 2.2 ; 2C_356/2012 précité consid. 3.2).

La distinction entre les contrats de mise à disposition de travailleurs et ceux qui visent l’offre d’une prestation de nature différente à effectuer auprès d’un tiers n’est pas aisée, le nom que les parties donnent au contrat n’étant pas déterminant. En particulier, la distinction doit se faire dans chaque cas d’espèce, en s’appuyant sur le contenu du contrat, la description du poste et la situation du travail concrète dans l’entreprise de mission (arrêts du Tribunal fédéral 4A_500/2018 du 11 avril 2019 consid. 4.1 ; 2C_543/2014 précité consid. 2.4 ; 2C_356/2012 précité consid. 3.5).

9.6 Comme critères auxiliaires pour les questions de délimitation, la jurisprudence s'inspire également des directives et commentaires relatifs à la LSE du SECO (arrêts du Tribunal fédéral 2C_132/2018 précité consid. 4.1 ; 2C_543/2014 précité consid. 2.4 ; 2C_356/2012 précité consid. 3.5).

Celles-ci définissent différents critères, non exhaustifs, permettant de conclure à la fourniture d’une prestation de travail sous la forme de la location de services. Il en va ainsi du rapport de subordination, dans le cadre duquel le pouvoir de direction et de contrôle, caractéristique essentielle de la fourniture d’une prestation de travail, appartient à l’entreprise de mission, notamment s’agissant de la compétence de donner des instructions concernant la manière d’exécuter le travail et le choix des moyens auxiliaires. Cette condition peut déjà être remplie lorsque le bailleur de services et l'entreprise de mission se partagent le pouvoir de direction. Il en va de même de l’intégration du travailleur dans l’entreprise de mission au niveau du personnel, de l’organisation et des horaires : il travaille avec les outils, le matériel, les instruments de l'entreprise de mission, principalement au siège de celle-ci et selon ses horaires. Tel est également le cas de l’obligation d’établir le décompte des heures effectuées, le bailleur de services ne facturant pas un prix fixe convenu d’avance pour la prestation de travail. Par ailleurs, le risque commercial de la prestation de travail est supporté par l’entreprise de mission, le bailleur de services assumant le seul risque du bon choix du travailleur ; il ne garantit pas aucun résultat contractuel (quant à la qualité ou à l'achèvement du produit jusqu'à une date donnée). Si l'objectif n'est pas atteint, il ne fait pas de rabais sur le prix convenu ni ne fournit pas exemple des prestations réparatoires gratuites. Finalement, le bailleur de services ne répond pas non plus des dommages que son travailleur est susceptible de causer par négligence ou intentionnellement à l'entreprise de mission ou à des tiers dans le cadre de son activité pour l'entreprise de mission (SECO, Directives et commentaires relatifs à la LSE, 2003, p. 65-66). La durée de la mission et la nature du travail ne jouent aucun rôle dans l’identification du rapport de location de services (SECO, op. cit., p. 66).

Dans ce sens, il n’y a pas de contrat de location de services lorsque l’entreprise n’a pas le pouvoir de direction, que le travailleur ne se sert pas des outils, du matériel et des instruments de l’entreprise de mission, que le travailleur ne travaille pas exclusivement au siège selon les horaires de travail de l’entreprise de mission, que le contrat conclu entre l’entrepreneur et l’entreprise de mission n’a pas pour objet primordial la facturation d’heures de travail mais la réalisation d’un objectif clairement défini contre une certaine rémunération, qu’en cas de non-réalisation de cet objectif, l’entrepreneur garantit à l’entreprise de mission des prestations réparatoires gratuites ou des réductions des honoraires (SECO, op. cit., p. 66). Le fait que les personnes mises à disposition se qualifient elles-mêmes d’indépendantes ou sont dites telles par le bailleur de services n’est pas déterminant, une activité étant qualifiée d’indépendante sur la base de la manière dont elle est exécutée et non pas de la nature juridique du contrat liant les parties (SECO, op. cit., p. 63, p. 67).

9.7 La location de services peut prendre différentes formes.

Selon l’art. 27 OSE, elle comprend le travail temporaire, la mise à disposition de travailleurs à titre principal (travail en régie) et la mise à disposition occasionnelle de travailleurs (al. 1). Il y a travail temporaire lorsque le but et la durée du contrat de travail conclu entre le bailleur de services et le travailleur sont limités à une seule mission dans une entreprise (al. 2). Il y a mise à disposition de travailleurs à titre principal (travail en régie) lorsque le but du contrat de travail conclu entre l’employeur et le travailleur consiste principalement à louer les services du travailleur à des entreprises locataires et que la durée du contrat de travail est en principe indépendante des missions effectuées dans les entreprises locataires (al. 3 let. a et b). Il y a mise à disposition occasionnelle de travailleurs (al. 4) lorsque le but du contrat de travail conclu entre l’employeur et le travailleur consiste à placer le travailleur principalement sous les ordres de l’employeur (let. a), que les services du travailleur ne sont loués qu’exceptionnellement à une entreprise locataire (let. b) et que la durée du contrat de travail est indépendante d’éventuelles missions effectuées dans des entreprises locataires (let. c).

9.8 Dans une affaire genevoise concernant B______ et « C______ », le Tribunal fédéral a eu l'occasion de se statuer sur la question de savoir si la relation entre B______ et les restaurateurs était susceptible de relever de la location de services au sens de la LSE (arrêt du Tribunal fédéral 2C_575/2020 du 30 mai 2022 publié en partie aux ATF 148 II 426).

Après avoir retenu l'existence d'un rapport de subordination propre à la relation de travail entre B______ et ses livreurs, le Tribunal fédéral a considéré que la relation entre B______ et les restaurateurs ne relevait pas de la location de services.

La question de la location de services en lien avec les plateformes numériques de travail peut se poser d'une autre façon. Il peut s'agir en effet de savoir si la société gérant la plateforme peut recourir à des prestataires employés par des entreprises tierces, auquel cas il convient de se demander si elle-même est une locataire de services.

C'est ce cas de figure dont il est question en l'espèce s'agissant de la relation entre B______ et la recourante.

9.9 En l'espèce, il est vrai que la recourante a pour but social notamment « la location de services à des personnes physiques ou morales ». La recourante rétorque néanmoins que son but a été rédigé de manière extensive afin de permettre une variété d'activités selon l'évolution de la société et que la location de services n'est pas souhaitée à court ou moyen terme. Outre le fait que la relation de la recourante avec B______ doit s'examiner à l'aune des circonstances concrètes, la portée générale de la formulation telle qu'inscrite au RC ne permet pas à elle seule de déduire que sa relation avec B______ relèverait de la location de services au sens de la législation.

Il convient dès lors d'examiner concrètement les relations entre la recourante et B______.

Selon les documents figurant au dossier, les différents contrats-types de travail liant les coursiers à la recourante ne contiennent aucune référence à B______ ou à son application « C______ ». Il en va toutefois différemment du contrat de licence.

En effet, selon le contrat de licence, lequel a annulé et remplacé le contrat de services technologiques, B______ est un prestataire de services technologiques, qui fournit des services pour mettre en relation une société de livraison, ou les livreurs de ladite société, et des commerçants par l'utilisation de la plateforme « C______ » implémentée dans le domaine de la livraison de repas. La plateforme « C______ » permet aux livreurs employés par la recourante de recevoir et satisfaire des demandes de livraison de la part d'un commerçant « C______ » (Préambule du contrat de licence).

Les diverses enquêtes menées par la chambre de céans ont permis d'expliciter le fonctionnement de l'application « C______ ». Les livreurs de la recourante doivent ainsi télécharger l'application « C______ » et transmettre à B______ diverses données personnelles (leur pièce d'identité et une photographie prise au moyen de l'application). Une fois connectés à ladite application, les livreurs de la recourante reçoivent des demandes de livraison dispatchées par la plateforme numérique. Une fois la demande acceptée, les services d'B______ communiquent le nom du restaurant, celui du client, son adresse avec le code d'accès de l'immeuble. Une estimation de temps de trajet est effectuée par l'application en fonction du GPS choisi par le coursier (celui fourni par l'application ou un autre choisi par le collaborateur de la recourante). Cette estimation est transmise au restaurateur et au client. Si le coursier met plus de 30 minutes pour prendre en charge la commande, une voix automatique lui demande s'il est en train d'approcher. De plus, et en cas de problème avec une commande et/ou un livreur, le restaurant peut contacter un Team leader de la recourante ou les services d'B______.

Quand bien même il appert que l'application « C______ » constitue un outil de travail mis en place par les services d'B______, cette dernière dispose, à travers son application, d'un pouvoir de direction sur les livreurs employés par la recourante.

En effet, comme vu ci-dessus, l'application donne des instructions quant à la mission de livraison en elle-même et la manière de l'exécuter. Les livreurs doivent ainsi se rendre au restaurant indiqué par l'application dans un certain délai. Au-delà de celui-ci, une voix – qui ne peut provenir que de l'application d'B______ et non pas de celle de la recourante au vu des pièces du dossier – leur demande de se hâter. Il en est de même s'agissant de la livraison auprès du client/consommateur. C'est également à travers l'application d'B______ que le coursier peut s'entretenir avec le client à travers le chat. La question du GPS utilisé par les livreurs n'est en soi pas décisive dans la mesure où seul compte pour la recourante et B______ le fait que la commande soit bien prise en charge et livrée dans les temps. B______ dispose également d'un certain pouvoir de direction par rapport à la question du lieu de travail des livreurs et de leur nombre. En effet, un des restaurateurs a déclaré qu'en cas de manque de livreurs, il contactait les services d'B______ qui lui demandaient de patienter. M______, employé d'B______, a également précisé que la plateforme s'adaptait en temps réel en regroupant les commandes et en restreignant le périmètre de livraison. Cela va dans le sens d'une répartition géographique des coursiers en zones délimitant ainsi le périmètre de travail des livreurs de la recourante. S'il est vrai que la recourante fournit le matériel nécessaire aux livreurs pour l'accomplissement de leur activité, conformément à l'art. 1.6 du contrat de licence, il ne peut être retenu que la société décide seule des instructions à donner aux livreurs quant aux livraisons qu'ils peuvent accepter, refuser ou ignorer et quant à la manière de procéder à ces livraisons. La disposition topique du contrat de licence (art. 1.6 du contrat de licence) se heurte ainsi à la situation concrète qui se dégage de l'utilisation de l'application « C______ », objet dudit contrat, telle que présentée ci-dessus. Il doit toutefois être retenu que comme expliqué par M______, en cas de plainte d'un restaurateur ou d'un client sur la plateforme « C______ », la recourante est seule responsable de ses collaborateurs, liés à elle par un contrat de travail.

Compte tenu de ces éléments, le critère du transfert du pouvoir de direction au sens de l'art. 26 al. 1 OSE en faveur d'B______ apparaît rempli, au moins partiellement.

L'activité du livreur consiste à aller chercher un plat chez le restaurateur, puis à le livrer au destinataire final sur la base des instructions données par l'application « C______ » détenue par B______. Bien que la recourante le conteste, cette activité implique une forme d'intégration des livreurs dans l'organisation d'B______. En effet, même si le matériel (sac, vélo ou téléphone) n'est pas remis par B______ aux coursiers de la recourante, le contrat de licence indique que c'est B______ qui reste seule propriétaire de l'application « C______ » et des droits de propriété intellectuelle qui y sont associés (art. 1.2 du contrat de licence). Cet outil est indispensable pour les coursiers qui leur permet de déployer leur activité. La recourante reconnaît d'ailleurs qu'elle n'est pas en mesure de développer une application propre aussi complète et performante que celle détenue par le groupe B______.

De plus, les enquêtes ont établi que les livreurs doivent fournir aux services d'B______ leurs données personnelles pour pouvoir bénéficier de l'application. Cet indice va aussi dans le sens d'une intégration des livreurs dans l'entreprise de mission. En outre, c'est toujours B______ qui reçoit tout signalement ou réclamation à l'encontre d'un livreur (art. 1.8 du contrat de licence). Il est vrai que ces éventuelles plaintes doivent être transmises à la recourante pour que cette dernière puisse prendre les mesures adéquates, ce qui constitue d'ailleurs un nouvel indice d'un partage du pouvoir de direction entre le groupe B______ et la recourante. Néanmoins il ressort des enquêtes que c'est B______ qui délimite la zone géographique dans laquelle interviennent les coursiers de la recourante. B______ a également une influence directe sur le nombre de coursiers déployés sur ladite zone comme vu ci-dessus. B______ doit ainsi disposer d'un planning de service ou d'un outil permettant de savoir qui est disponible pour renforcer un secteur donné.

Au vu de ces éléments, le critère d'une intégration des coursiers de la recourante dans l'organisation d'B______ apparaît réalisé.

Il est établi que la rémunération des livreurs est fixée par la recourante selon un contrat de travail qui la lie à ses coursiers. La recourante oublie toutefois que le contrat de licence qu'elle a conclu avec le groupe B______ prévoit différentes clauses qui concernent notamment la tarification du service de livraison, la collecte des frais de livraison, la facturation ainsi que la commission en faveur d'B______.

Ainsi, le contrat de licence prévoit que la recourante facture au restaurant, pour chaque commande, son service de livraison (art. 2.1). La recourante et B______ fixent d'entente, chaque mois, le montant qui revient à la recourante par livraison effectuée. Cette tarification évoluera selon la livraison concernée et, de mois en mois, selon les conditions du marché. À défaut d'accord, le prix du mois précédent s'applique (art. 2.2). B______ s'engage à verser à la recourante, de manière hebdomadaire, le chiffre d'affaires net réalisé, après déduction de sa commission (art. 2.3). La recourante mandate B______ pour procéder à l'émission des factures et/ou des notes de crédit (« Factures ») relatives aux services de livraison fournis aux restaurants au nom et pour le compte de la recourante (art. 3.2). B______ s'engage à émettre au nom et pour le compte de la recourante et à destination du restaurant ou d'autres commerçants, les factures. Les factures seront générées de manière automatique par le biais de l'application « C______ » et incluront la TVA en cas d'assujettissement (art. 3.3). La recourante s'acquittera en faveur d'B______, sur une base hebdomadaire, d'un montant à titre de commission en contrepartie des services électroniques fournis par l'intermédiaire d'une plateforme technologique numérique (art. 4.1).

Même s'il n'y a pas de décompte des heures facturées par la recourante à proprement parler, le mécanisme mis en place par celle-ci et B______ implique que la rémunération de la recourante dépend du volume de livraison effectuée et du tarif de livraison (art. 2.2 et 2.3 du contrat de licence). Ainsi, le décompte d'heures est remplacé par un décompte des livraisons lequel détermine, in fine, la rémunération de la recourante, après la déduction de la commission par B______ (art. 2.3 et 4.3 du contrat de licence). En fin de compte, que l'on parle du nombre d'heures effectuées ou du nombre de livraisons effectuées, cela revient au même résultat, puisque ce nombre déterminera la rémunération de la recourante. Il n'y a donc pas un prix fixe convenu d'avance pour le travail de livraison effectué par les coursiers de la recourante. L'application développée par la recourante elle-même permet d'ailleurs de gérer la performance, notamment d'obtenir des statistiques des commandes livrées par heure et ainsi de projeter, d'établir et de contrôler sa future rémunération. Le fait que ce soit B______ qui encaisse d'abord les frais de livraisons auprès du client est irrelevant dans la mesure où le contrat de licence prévoit que cela est fait au nom et pour le compte de la recourante (art. 3 du contrat de licence).

Au vu de ce mécanisme, il apparaît qu'un nouveau critère distinctif par rapport à la question d'une location de services en faveur d'B______ est réalisé.

La recourante peut être suivie lorsqu'elle soutient qu'elle a une obligation de résultat par rapport à son activité dans la mesure où elle a également un intérêt à ce que les livraisons soient correctement effectuées comme analysé supra. Toutefois, le risque commercial de la prestation de ses livreurs n'est pas supporté uniquement par elle. En effet, en cas de mauvaise exécution de la livraison par un livreur de la recourante, B______ s'expose à ce que le client ayant procédé à la commande et/ou le restaurateur n'utilise plus l'application « C______ » et fasse appel à une autre entreprise telles que S______ ou R______ par exemple, lesquelles disposent de leur propre plateforme numérique ainsi que de leur propre flotte de coursiers. Ainsi, tant la recourante que le groupe B______ supportent le risque commercial d'une mauvaise exécution de la livraison effectuée par les coursiers de la recourante. Quant à la question des dommages causés par les livreurs dans le cadre de leurs activités, la prise en charge de ceux-ci par la recourante découle en réalité d'une clause contractuelle prévoyant une exonération de toute responsabilité découlant de ou liée à la violation par la recourante de ses engagements, garanties ou obligations, y compris lorsqu'un commerçant ou un client émet une prétention directe liée à la violation par la recourante de ses obligations de fourniture de services de livraison (art. 9 du contrat de licence). En toute hypothèse, cette seule clause ne permettrait pas d'exclure une location de services au vu des autres éléments plaidant pour une telle relation comme examinés ci-dessus, étant relevé que la question d'un abus de droit pourrait se poser. En effet, il ressort expressément de cette clause l'obligation par A______ de fournir des services de livraison, ce qui renforce la conclusion d'une location de services en faveur d'B______.

Les éléments qui précèdent, pris dans leur ensemble, conduisent à retenir que la recourante doit être considérée, au sens des dispositions et de la jurisprudence précitées, comme une bailleresse de services et le groupe B______ comme une locataire de services. C’est ainsi conformément au droit que l’intimé a prononcé son assujettissement à la LSE, considérant que l'activité de la recourante était soumise à autorisation au sens de la LSE.

Enfin, il n'appartient pas à la chambre de céans de déterminer dans le cadre du présent litige toutes les conséquences du constat d'une location de services au bénéfice d'B______ par rapport notamment à la problématique des différentes conventions de travail qui seraient applicables en la matière.

Compte tenu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

10.         Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 4'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à l’autorité intimée qui, bien que plaidant par une avocate, dispose d’un service juridique (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/543/2023 du 23 mai 2023 consid. 5).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 novembre 2022 par A______ la décision de l'office cantonal de l'emploi du 4 novembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 4'000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Mes Sarah HALPÉRIN GOLDSTEIN et Lionel HALPÉRIN, avocats de la recourante, ainsi qu'à Me Stéphanie FULD, avocate de l'intimé.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Valérie LAUBER, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFFELI BASTIANELLI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :