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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3280/2022

ATA/1138/2022 du 10.11.2022 sur JTAPI/1113/2022 ( MC ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3280/2022-MC ATA/1138/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 novembre 2022

en section

 

dans la cause

 

COMMISSAIRE DE POLICE

contre

Monsieur A______
représenté par Me Pierre Ochsner, avocat

_________


 

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 octobre 2022 (JTAPI/1113/2022)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1970, est ressortissant français et vit à Annemasse, à la frontière avec la Suisse.

2) Il ressort de son casier judiciaire qu'il a été condamné en Suisse à sept reprises depuis le 23 août 2016, soit :

- par ordonnance pénale prononcée le 23 août 2016 par le Ministère public du canton de Genève (ci-après : MP), notamment pour conduite d'un véhicule automobile malgré un refus, retrait ou interdiction de l'usage du permis ;

- par ordonnance pénale prononcée le 16 décembre 2016 par le MP, pour conduite d'un véhicule automobile malgré un refus, retrait ou interdiction de l'usage du permis et pour délit ainsi que contravention à loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) ;

- par jugement prononcé le 19 février 2018 par le Tribunal de police de Genève (ci-après : TP) pour délit et contravention contre la LStup ;

- par ordonnance pénale prononcée le 14 juin 2019 par le MP pour délit et contravention à infractions à la LStup ;

- par jugement prononcé le 19 septembre 2019 par le TP pour délit à la LStup ;

- par jugement prononcé le 23 septembre 2020 par le TP pour contravention contre la loi fédérale sur les stupéfiants et non-respect d'une assignation d'un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée au sens de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration ;

- par ordonnance pénale prononcée le 9 février 2021 par le Ministère public fédéral pour opposition aux actes de l'autorité.

3) Le 14 juin 2019, le commissaire de police lui a fait interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois après qu'il avait été contrôlé la veille par la police en possession de 71 g d'héroïne.

4) Le 28 septembre 2022, une patrouille de police a observé une transaction entre l'intéressé et un passant devant l'entrée principale de la gare des Eaux-Vives. Le passant a été contrôlé par la police et a remis une dose d'héroïne d'un poids total de 0,2 g, qu'il a déclaré avoir achetée peu de temps avant à M. A______. Cette personne a également déclaré avoir acheté depuis cinq mois à M. A______ 12 g de cette drogue.

5) Entendu dans les locaux de la police, M. A______ a reconnu se livrer au trafic d'héroïne sur le territoire cantonal. Il résidait en France et n'avait pas de liens particuliers avec la Suisse.

6) Le 29 septembre 2022, M. A______ a été condamné par ordonnance pénale du MP pour les infractions en lien avec son arrestation de la veille, puis a été remis en mains des services de police.

7) Le 29 septembre 2022 à 14h40, en application de l'art. 74 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au canton de Genève) pour une durée de dix-huit mois.

8) Par courrier du 5 octobre 2022, M. A______ a formé opposition contre cette décision devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

Lors de l'audience, M. A______ a déclaré qu'il avait à Genève deux relations qui lui importaient, à savoir une avec sa petite amie actuelle, dont il avait fait la connaissance six mois auparavant et qui habitait dans le quartier de la Servette et l'autre avec son ex-petite amie qui habitait à la place du Cirque et qui avait la garde d'un chien qu'il voyait tous les jours lorsqu'ils étaient ensemble, même s'ils n'avaient pas le même logement. Cela lui ferait de la peine de ne plus voir ce chien et il savait que son ex-amie n’amènerait pas ce dernier en France. Il avait fait beaucoup d'efforts ces dernières années pour se sortir de son addiction à l'héroïne. De temps en temps, soit très occasionnellement, il en consommait malgré tout. Son traitement habituel à la méthadone lui était dispensé à Annemasse. Il a produit diverses attestations faisant notamment état des soins suivis auprès du centre Apreto, s'agissant d'un traitement visant l'abstinence au tabac. À ce sujet, il a précisé qu'il était à 29 % de sa capacité respiratoire. Quant à son addiction à l'héroïne, il avait des rendez-vous mensuels, des analyses d'urine, un soutien psychothérapeutique et il prenait de la méthadone. Il a produit également l'attestation de Mme B______, domiciliée à l'adresse, rue C______, qui faisait état de leur relation actuelle et du fait qu'une séparation lui serait très difficile à vivre et mettrait en péril leur couple. Il a précisé que sa relation avec son ex petite amie avait commencé vers 2010 ou 2012 et s'était terminée environ trois ou quatre ans auparavant. S'agissant de la précédente interdiction prononcée à son encontre en 2019, il ne se souvenait plus pourquoi il l'avait enfreinte.

L'intéressé, par l'intermédiaire de son conseil, a conclu principalement à l’annulation de l'interdiction de pénétrer sur l'ensemble du territoire genevois prise à son encontre, subsidiairement à ce que sa durée soit réduite au minimum possible.

9) Par jugement du 20 octobre 2022, le TAPI a partiellement admis le recours et confirmé la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée pour une durée de dix-huit mois, précisant que M. A______ était autorisé à se trouver :

- à bord du train Léman-Express entre Annemasse et l'arrêt Lancy-Bachet-Gare, dans les deux directions ;

- sur le chemin entre l'arrêt Lancy-Bachet-Gare du train Léman-Express et l'arrêt Lancy-Bachet-Gare du tramway de la ligne n° 18, dans les deux directions ;

- à bord du tramway de la ligne n° 18 entre l'arrêt Lancy-Bachet-Gare et l'arrêt Poterie, dans les deux directions ;

- à l'intérieur du quadrilatère formé par la rue C______, la rue Antoine-Carteret, la rue Liotard et l'avenue Wendt/rue Hoffmann.

M. A______ avait rendu très vraisemblable la relation qu'il entretenait avec son amie, Mme B______, laquelle avait indiqué par attestation écrite que la mesure d'éloignement incriminée serait vécue par elle comme une épreuve susceptible de mettre le couple en péril. Quand bien même son lien sentimental avec Mme B______ n'était pas d'assez longue durée pour bénéficier de la protection de la vie privée prévue par l'art. 8 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), le TAPI n'était pas insensible, de manière globale, aux difficultés et à la précarité des conditions d'existence de M. A______, pour qui cette relation sentimentale constituait certainement un élément stabilisateur très positif.

Le respect du principe de proportionnalité impliquait de rechercher la solution ménageant au mieux les intérêts publics et privés en présence. Cette solution consistait en une exception aménagée dans l'interdiction territoriale, exception qui devait lui permettre de se rendre en transports publics depuis Annemasse jusqu'à proximité immédiate du domicile de Mme B______, sans avoir à passer à pied par les endroits où se déroulait généralement le trafic de drogue. L'attention de M. A______ était expressément attirée sur le fait qu'il lui était strictement interdit de descendre, que ce soit à l’aller ou au retour, des deux lignes de transport susmentionnées à d'autres arrêts que ceux qui étaient désignés. Par ailleurs, dans le quartier de la Servette, afin de l'autoriser à mener avec Mme B______ un minimum de vie sociale, il était autorisé à circuler à l'intérieur du quadrilatère précité.

L'attention de M. A______ était également attirée sur le fait que se trouver sur le territoire du canton de Genève à d'autres endroits que ceux qui venaient d'être désignés constituerait une violation de la décision d'interdiction territoriale, susceptible non seulement d'entraîner le prononcé d'une sanction pénale, mais également l'aggravation de la mesure d'interdiction.

Quant au lien que M. A______ souhaitait pouvoir maintenir avec le chien de son ancienne amie, il lui appartiendra de s'organiser avec elle, ou avec son amie actuelle, pour pouvoir le voir à l'intérieur du périmètre du quartier de la Servette précité, ou en dehors du territoire genevois.

10) Par acte du 3 novembre 2022, le commissaire de police a recouru par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) à l’encontre de ce jugement, concluant à son annulation.

Le TAPI avait abusé de son pouvoir d’appréciation en ne tenant pas compte des circonstances pertinentes du cas d’espèce.

Il était constant que M. A______ était un toxicomane dépendant de l’héroïne depuis ses 18 ans et un dealer multirécidiviste, puisqu’il avait été condamné à de réitérées reprises pour infractions à LStup. Il n’avait pas respecté l’interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois prononcée le 14 juin 2019 en raison du trafic d’héroïne auquel il s’était adonné à Chêne-Bougeries. Son amie actuelle avait confirmé qu’ils ne faisaient pas ménage commun et ne se connaissaient que depuis quelques mois. Rien ne s’opposait au surplus à ce qu’elle se rende en France pour y voir M. A______.

Enfin, le périmètre dans lequel le TAPI avait autorisé M. A______ à se rendre se situait à peine à quelques centaines de mètres du « Quai 9 », soit un des hauts lieux du trafic de drogues en tous genres du canton de Genève.

Le jugement attaqué était profondément choquant et privait la population genevoise d’une protection de sa sécurité.

À l’appui de son recours, il a produit un extrait du registre Calvin concernant Mme B______, un courriel de la Brigade Migration et Retour (ci-après : BMR) du 3 novembre 2022, ainsi qu’un extrait de son casier judiciaire.

11) Par réponse du 8 novembre 2022, M. A______ a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

Le simple fait d’avoir été désavoué « partiellement » en première instance ne justifiait pas de recourir contre le jugement du TAPI.

Les pièces produites par le commissaire de police étaient inexploitables. Le commissaire de police avait révélé des informations concernant Mme B______ alors qu’elle n’était pas concernée par la procédure. Ces informations étaient des données sensibles relatives à sa sphère privée. Leur usage était de surcroît attentatoire à son honneur et dénigrait son image auprès de tiers. Ces informations avaient été révélées en violation de l’art. 1A de la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et mœurs du 29 septembre 1977 (LCBVM – F 1 25), 35 de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08) et 320 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP – RS 311.0). Il n’y avait, au demeurant, aucun lien de causalité objectif entre son propre comportement et celui de sa compagne.

Le jugement entrepris respectait en outre le principe de proportionnalité. La restriction limitée à un quartier spécifique avait pour but de responsabiliser l’étranger en lui permettant de maintenir une vie sociale. Il n’avait au demeurant jamais indiqué se rendre au Quai 9 et avait « horreur de ce lieu ».

12) Par réplique du 10 novembre 2022, le commissaire de police a persisté dans ses conclusions et produit des nouvelles pièces, dont certaines concernent Mme B______.

13) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers, du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2) Reste à examiner la qualité pour recourir du commissaire de police, contestée par l’intimé.

a. Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée-

Lorsque la loi prévoit plus d’une instance cantonale de recours, l’autorité administrative a qualité pour recourir devant la juridiction administrative supérieure (art. 60 al. 2 LPA).

Sont réputées autorités administratives au sens de l’art. 1 LPA les personnes, institutions et organismes investis du pouvoir de décision par le droit fédéral ou cantonal (art. 5 let. g LPA).

b. L’intérêt général à la juste application de la loi ne fonde pas en tant que tel la qualité pour recourir de l’autorité, ni le seul fait que celle-ci ait été désavouée en première instance (ATF 134 II 124 consid. 2.1). Il faut que l’intérêt public en cause soit concrètement menacé (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, ad art. 60 LPA n. 730 ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, volume II, 2011, p. 768 et les références citées). Un officier de police recourant qui s’en prend pour une grande part à une pratique générale du Tribunal administratif de première instance qu’il juge laxiste et contraire au droit fédéral ne respecte pas cette exigence faute de concrètement mettre en évidence la violation de l’intérêt public invoqué (ATA/707/2015 du 3 juillet 2015 consid. 4).

c. En l’occurrence, en tant qu’il est investi de la compétence d’ordonner l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 74 LEI), le commissaire de police est une autorité administrative au sens des art. 60 al. 2 et 5 let. g LPA. Sa décision ayant fait l’objet de la procédure devant le TAPI, il a qualité pour recourir devant la chambre de céans conformément à l’art. 60 al. 2 LPA. Contrairement à ce que prétend l’intimé, le commissaire de police se prévaut d’un intérêt public important, soit la protection de l’ordre et de la sécurité publics, pour conclure à l’admission du recours. La présente situation diffère ainsi de celle ayant conduit à l’ATA/707/2015 cité par l’intimé et dans lequel le commissaire fondait sa qualité pour recourir uniquement sur l’intérêt général à la juste application de la loi.

Le recours est partant recevable.

3) Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 4 novembre 2022 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

4) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision par laquelle l’instance précédente a confirmé l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée pour une durée de dix-huit mois, mais a autorisé l’intimé à se rendre dans une partie du quartier de la Servette où réside sa compagne.

5) L’intimé conteste en premier lieu l’exploitabilité des preuves produites par le recourant.

a. La LPA ne règle pas le sort des preuves obtenues illégalement. Pour la doctrine, la problématique doit être traitée en relation avec le principe du procès équitable inscrit à l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101). et 6 § 1 la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). Selon certains auteurs, les preuves obtenues par des moyens illégaux ne peuvent être utilisées que si elles auraient pu être recueillies d’une façon légale ou si un intérêt public important le justifie (Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2ème éd., 2015, p. 239 ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 297 ; ATA/583/2022 du 31 mai 2022 consid. 4a ; ATA/576/2014 du 29 juillet 2014 consid. 6a). D’autres précisent que les moyens de preuve obtenus sans respecter des prescriptions d’ordre doivent faire l’objet d’une pesée d’intérêts pour être exploités : il s’agit de mettre en balance, d’une part, l’intérêt public à la manifestation de la vérité et, d’autre part, l’intérêt de la personne concernée à ce que le moyen de preuve ne soit pas exploité (Christoph AUER, Kommentar zum Bundesgesetz über das Verwaltungsverfahren, 2008, ad art. 12 PA). D’autres, enfin, plaident pour une application analogique des règles très détaillées contenues à l’art. 141 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), lesquelles seraient l’expression du procès équitable selon l’art. 29 al. 1 Cst. (voir les références doctrinales citées au consid. 3.1 de l’ATF 139 II 95). En procédure civile, le législateur n’a pas renvoyé au système prévu pour la procédure pénale, mais a opté pour une formulation laissant au juge un large pouvoir d’appréciation. À teneur de l’art. 152 al. 2 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272), le tribunal ne prend en considération les moyens de preuve obtenus de manière illicite que si l’intérêt à la manifestation de la vérité est prépondérant.

S’agissant du Tribunal fédéral, il déduit du droit à un procès équitable l’interdiction de principe d’utiliser des preuves acquises illicitement (ATF 139 II 7 résumé in SJ 2013 I 179 ; ATF 136 V 117 consid. 4.2.2). L’exclusion de tels moyens n’est toutefois pas absolue, le juge devant opérer une pesée des intérêts en présence (ATF 131 I 272 consid. 4). Ces règles sont également applicables aux procédures régies par la maxime inquisitoire, telle la présente procédure (art. 19 LPA, qui parle à tort de maxime d'office). L’utilisation de moyens de preuves acquis en violation de la sphère privée ne doit en outre être admise qu’avec une grande réserve (ATF 139 II 7, résumé in SJ 2013 I 179 ; ATF 120 V 435 consid. 3b ; ATA/576/2014 précité consid. 6b).

b. Selon l’art. 35 LIPAD, les institutions publiques ne peuvent traiter des données personnelles que si, et dans la mesure où, l'accomplissement de leurs tâches légales le rend nécessaire (al. 1). Des données personnelles sensibles ne peuvent être traités que si une loi définit clairement la tâche considérée et si le traitement en question est absolument indispensable à l’accomplissement de cette tâche ou s’il est nécessaire et intervient avec le consentement explicite, libre et éclairé de la personne concernée (al. 2).

Selon l’art. 4 let. b LIPAD, par données personnelles sensibles, on entend les données personnelles sur la sphère intime (ch. 2) et des poursuites ou sanctions pénales ou administratives (ch. 4).

Toute personne physique ou morale de droit privé peut, à propos des données la concernant, exiger des institutions publiques qu’elles s’abstiennent de procéder à un traitement illicite (art. 47 al. 1 let. a LIPAD).

c. Selon l’art. 1A LCBVM, les dossiers de police sont rigoureusement secrets. Aucun renseignement contenu dans les dossiers ou fichiers de police ne peut être communiqué à des tiers, à l’exception des autorités désignées par les art. 2, 4 et 6 (art. 320 CP).

d. En l’occurrence, le recourant a produit plusieurs documents contenant des données concernant la personne de Mme B______, qui affirme être la compagne actuelle de l’intimé, dont un extrait de son casier judiciaire. Or, conformément à l’art. 4 let. b LIPAD, il s’agit de données personnelles sensibles concernant une personne qui n’est pas partie à la présente procédure et qui ne peuvent être traitées qu’aux conditions de l’art. 35 al. 2 LIPAD. Il ne ressort pas du dossier que l’intéressée ait donné son consentement explicite à la communication de ces données. Par ailleurs, et ainsi que le soulève l’intimé, le commissaire de police n’était pas fondé à communiquer de telles données sur la base de l’art. 1A LCBVM, la chambre administrative ne figurant pas parmi les autorités désignées par cette disposition. La question de savoir si les données litigieuses ont été obtenues en violation des dispositions précitées et, cas échéant, si l’intérêt public à la manifestation de la vérité justifie leur exploitation peut toutefois rester ouverte. Même en ne tenant pas compte de ces pièces, le recours se révèle bien-fondé pour les motifs qui suivent.

6) a. À teneur dudit art. 10 LaLEtr, la chambre de céans est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (al. 2 2ème phr.).

b. Au terme de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants.

c. L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 CEDH et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

d. Sous réserve de circonstances particulières, les fiancés ou les concubins ne sont en principe pas habilités à invoquer l'art. 8 CEDH (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1035/2012 du 21 décembre 2012 consid. 5.1 ; 2C_207/2012 du 31 mai 2012 consid. 3.3 ; Mareva MALZACHER, Droit des étrangers : les effets de la dissolution de la famille, in Plaidoyer 5/13 du 23 septembre 2013, p. 46). Il faut que les relations entre les concubins puissent, par leur nature et leur stabilité, être assimilées à une véritable union conjugale pour bénéficier de la protection de l'art. 8 § 1 CEDH (Peter UEBERSAX, Die EMRK und das Migrationsrecht aus der Sicht der Schweiz, in Bernhard EHRENZELLER/Stephan BREITENMOSER [éd.], La CEDH et la Suisse, 2010, p. 203 ss et p. 219 ss ; Patrice HILT, Le couple et la Convention européenne des droits de l'homme, 2004, n. 667; ATA/171/2016 du 25 février 2016 consid. 11e).

e. La mesure doit en outre respecter le principe de la proportionnalité. Tel que garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), il exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

Appliqué à la problématique de l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l’art. 74 LEI, le principe de proportionnalité implique de prendre en compte en particulier la délimitation géographique d’une telle mesure ainsi que sa durée. Il convient de vérifier, dans chaque cas d’espèce, que l’objectif visé par l’autorité justifie véritablement l’interdiction de périmètre prononcée, c’est-à-dire qu’il existe un rapport raisonnable entre cet objectif et les moyens mis en œuvre pour l’atteindre (cf. ATF 142 II 1 consid. 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 du 5 août 2021 consid.3.4.2 ; 2C_796/2018 du 4 février 2019 consid. 4.2).

L'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

f. La chambre de céans a confirmé une interdiction territoriale étendue à tout le canton de Genève pour une durée de dix-huit mois notifiée à un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, plusieurs fois condamné pour infractions à la LStup, objet de décisions de renvoi et traité sans succès pour une dépendance aux stupéfiants (ATA/411/2022 du 14 avril 2022 ; cf. aussi ATA/536/2022 du 20 mai 2022).

Elle a également confirmé une interdiction territoriale étendue à tout le canton pour une durée de douze mois prononcée contre un étranger qui avait des projets de mariage avec une ressortissante suisse. La chambre de céans a notamment considéré que la poursuite de sa relation de couple pouvait se faire à l'extérieur du canton, au demeurant exigu, voire depuis et dans le pays d'origine du recourant, via les moyens de communication modernes ou à l'occasion d'une visite de sa compagne (ATA/481/2022 du 5 mai 2022).

Enfin, la chambre administrative a confirmé une interdiction de pénétrer dans l’ensemble du territoire genevois pour une durée de douze mois d’un étranger formant depuis trois ans une communauté de vie avec son amie à Genève. La chambre de céans a notamment relevé que son amie pourrait le rencontrer dans un autre canton (ATA/1236/2021 du 16 novembre 2021).

7) En l'espèce, s'agissant de la première condition de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, l’intimé, qui est de nationalité française, n'est pas au bénéfice d'une autorisation de courte durée (art. 32 LEI), de séjour (art. 33 LEI) ou d'établissement en Suisse (art. 34 LEI), ce qu’il ne conteste pas. Sa nationalité française n'empêche par ailleurs pas le prononcé d'une interdiction de périmètre conformément à l'art. 74 al. 1 LEI (art. 5 al. 1 Annexe I ALCP ; 2 al. 2 LEI ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_762 du 13 avril 2022 consid. 4 ; ATA/1294/2021 du 25 novembre 2021 consid. 6 et les références citées).

S'agissant de la seconde condition, l’intimé a été condamné pour des infractions à la LStup à six reprises, la dernière fois le 29 septembre 2022. Il a admis, lors de son audition par la police, s’adonner au trafic d’héroïne et en consommer. Les conditions d'une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, au sens de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, sont donc réalisées, ce qui n’est pas non plus contesté.

Devant la chambre de céans, le recourant soutient que le TAPI aurait dû maintenir le périmètre de l'interdiction à l'ensemble du canton de Genève.

En l’occurrence, le but visé par la mesure est de préserver l’ordre et la sécurité publics sur le territoire cantonal, pour lesquels l’intimé présente une menace. Malgré ses nombreuses condamnations, étendues sur une période de cinq ans, il n’a jamais cessé ses activités délictuelles dans le milieu de la drogue. Il a admis être consommateur d’héroïne depuis ses 18 ans, même s’il qualifie sa consommation actuelle d’« occasionnelle » et indique être suivi pour son addiction. Il est par ailleurs constant que l’intimé s’est adonné au trafic d’héroïne dans l’ensemble du canton.

Malgré ces éléments, l’autorité précédente a relevé qu’elle n’était pas insensible aux difficultés et à la précarité de ses conditions d’existence, pour qui sa relation sentimentale constituait certainement un élément stabilisateur très positif. Or, force est de constater qu’entendu par la police le 28 septembre 2022, l’intimé a indiqué qu’il n’avait pas d’adresse en Suisse. Ce n’est que dans son recours devant le TAPI que l’intéressé a mentionné l’existence de sa relation avec sa compagne actuelle. Il ressort toutefois de ses propres déclarations devant le TAPI qu’il n’avait fait sa connaissance que six mois avant son interpellation en septembre 2022. Il ne prétend du reste pas que le couple aurait fait ménage commun, de sorte qu’il ne saurait se prévaloir de l’art. 8 CEDH. Sa compagne a certes attesté qu’une interdiction de se rendre à Genève serait « très difficile à vivre, et mettrait [leur] couple en péril ». Elle n’indique toutefois pas qu’elle ne pourrait se rendre à Annemasse pour entretenir sa relation de couple. Quant à la relation que l’intimé souhaite maintenir avec son ancienne compagne, en particulier avec le chien de celle-ci, elle ne saurait être qualifiée d’attache sérieuse justifiant une délimitation du territoire faisant l’objet de l’interdiction de pénétrer. L’intimé a du reste lui-même admis que son ancienne compagne « ne prendrait pas la route pour qu’il puisse voir [le chien] en France », ce qui tend à relativiser l’intensité de cette relation.

S’agissant de l’intérêt public à la protection de l’ordre et la sécurité publique, force est de relever que l’intimé a déjà montré par le passé qu’il n’était pas capable de respecter les ordres des autorités puisqu’il a non seulement été condamné en 2021 pour opposition aux actes de l'autorité, mais a également violé une interdiction de périmètre de douze mois prononcée en 2019. D’ailleurs, questionné sur ce dernier point par le TAPI, l’intimé n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi il l’avait enfreinte. S’ajoute à cela que l’intéressé a encore récemment été condamné pour trafic d'héroïne sur le territoire cantonal, alors qu’il faisait déjà l’objet de cinq condamnations pour des faits spécifiques. Il n’est, enfin, pas contesté qu’il a été interpellé par les services de police dans différents lieux du territoire genevois, dont le boulevard James-Fazy, la place du Cirque, la rue Rousseau, la rue de la Pépinière, la rue de la Servette, à Chêne-Bougerie et aux Eaux-Vives, de sorte que le trafic s’étend sur toute le canton.

Ainsi, tenant compte de l’ensemble de ces éléments, en particulier de la répétition des infractions pénales, notamment pour trafic de drogue, sur tout le territoire de Genève, de la persistance à ne pas respecter les ordres des autorités, de la durée limitée de sa relation avec sa compagne et de la proximité géographique de son lieu de résidence en France avec Genève, il n’apparait pas conforme au principe de proportionnalité de limiter l’étendue géographique de la mesure prononcée par le commissaire de police en autorisant l’intimé à se rendre dans le quartier de résidence de sa compagne actuelle, étant d’ailleurs rappelé qu’il a déjà été interpellé à la rue de la Servette en 2018 à la suite de quoi il a été condamné pour infraction à la LStup. Il n’est enfin pas inutile de préciser, comme l’a fait le recourant, que ce quartier est situé à quelques centaines de mètres de l’un des plus hauts lieux du trafic de drogue du canton. Une telle délimitation de l’interdiction de périmètre n’apparait ainsi pas apte à préserver l’ordre et la sécurité publics sur le territoire cantonal. Il suit des éléments qui précèdent que, contrairement à ce qu’a retenu le juge précédent, une interdiction de pénétrer sur tout le territoire du canton de Genève, sans exception, n’était pas excessive compte tenu de la pesée des intérêts en présence. La poursuite de la relation de couple de l’intéressé pourra en effet se faire à l'extérieur du canton, à son domicile, situé à la frontière genevoise. Ainsi, en limitant l’étendue territoriale de la mesure prononcée par le commissaire de police, l’instance précédente a contrevenu au principe de la proportionnalité.

S’agissant enfin de la durée de la mesure, soit dix-huit mois, elle n’est ni contestée ni contestable, de sorte qu’elle sera confirmée.

Partant, le recours sera admis et le jugement entrepris annulé en tant qu’il limite l’étendue territoriale de l’interdiction de périmètre, étant confirmé pour le surplus. Le périmètre de l'interdiction est ainsi maintenu à l'ensemble du territoire du canton de Genève.

8) La procédure est gratuite et vu son issue, il n’y a pas lieu à l’allocation d’une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 novembre 2022 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 octobre 2022 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement précité en tant qu’il limite l’étendue territoriale de l’interdiction de périmètre ;

le confirme pour le surplus ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au commissaire de police, à Me Pierre Ochsner, avocat de l’intimé, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Lauber, présidente, Mmes McGregor et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. Lauber

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :