Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3788/2022

ATA/1044/2023 du 26.09.2023 ( FPUBL ) , REJETE

Recours TF déposé le 03.11.2023, 1C_594/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3788/2022-FPUBL ATA/1044/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 septembre 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Romain JORDAN, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé

_________



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1962, a été engagé le 1er février 1987 en qualité de maître suppléant d’enseignement général ou technique dans l’enseignement secondaire. Fonctionnaire dès le 1er septembre 1995, il a été nommé comme doyen le 1er septembre 2008, puis à la direction générale de l’office médico-pédagogique le 1er février 2011. Le 4 juillet 2016, il a été promu en qualité de directeur d’établissement secondaire I au collège ______ (ci-après : CO), auprès de la direction générale de l’enseignement obligatoire (ci-après : DGEO).

b. Par courrier du 28 avril 2021, le département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : le département ou DIP) a convoqué A______ à un entretien de service dans le but de l’entendre au sujet d’une situation délétère au sein du conseil de direction du CO, en lien avec des propos et attitudes inadéquats de sa part, des dénigrements et des pressions qu’il aurait exercées.

c. Lors de l’entretien de service du 30 juin 2021, A______ a contesté les faits reprochés.

d. Par courrier du 16 septembre 2021, la conseillère d’État en charge du DIP a sollicité du Groupe de confiance (ci-après : GdC) l’ouverture d’une investigation.

e. Le 9 mai 2022, le GdC a rendu son rapport, aux termes duquel il a constaté l’existence d’un harcèlement sexuel sous la forme d’un climat hostile imposé par A______ à l’encontre de B______.

B. a. Par décision du 7 juillet 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, la conseillère d’État en charge du DIP a constaté l’existence d’un harcèlement sexuel sous la forme d’un climat de travail hostile imposé par A______ à l’encontre de B______, en faisant siens les motifs développés par le GdC. Elle invitait le Conseil d’État à examiner la question d’une éventuelle libération de l’obligation de travailler de A______, en réservant la suite de la procédure administrative intentée avant l’ouverture de la procédure d’investigation.

b. Par arrêt du 14 mars 2023, la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) a rejeté le recours interjeté par A______ contre cette décision (ATA/242/2023).

c. La cause est pendante devant le Tribunal fédéral.

C. a. Par arrêté du conseil d’État du 24 août 2022, A______ a été libéré de son obligation de travailler, sans influence sur son traitement.

Le recours interjeté par A______ contre cette décision a été déclaré sans objet par arrêt de la chambre administrative du 25 avril 2023 (ATA/421/2023).

b. Le 30 août 2022 a eu lieu un second entretien de service de A______, portant sur la sanction disciplinaire envisagée par le département, assortie d’un changement d’affectation, en lieu et place d’une résiliation, compte tenu de son ancienneté et de ses états de service.

c. Par décision du 12 octobre 2022, la conseillère d’État en charge du DIP a sanctionné A______ par la réduction de son traitement de cinq annuités à l’intérieur de sa classe de traitement : à compter du 1er novembre 2022, son traitement passerait de la classe 26 annuité 22 à la classe 26 annuité 17, soit une baisse effective mensuelle de salaire de CHF 530.75.

Par ailleurs, au vu des conclusions du GdC, il n’était pas souhaitable qu’il poursuive son activité professionnelle dans le même établissement. Il était en conséquence affecté au collège des ______ et la libération de son obligation de travailler était levée.

La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

D. a. Par acte du 15 novembre 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre cette décision. Il a conclu à son annulation et au constat que sa responsabilité disciplinaire était prescrite. Préalablement, sa comparution personnelle et l’ouverture d’enquêtes, notamment l’audition de B______, devait être ordonnée ainsi que la production par l’autorité intimée de son dossier intégral, comportant notamment tous les échanges entretenus par la conseillère d’État en charge du DIP en lien avec les faits dénoncés à son encontre.

Dix griefs étaient énoncés, qui seront repris dans la partie en droit du présent arrêt.

b. Le DIP s’en est rapporté à justice sur la recevabilité du recours et a conclu à son rejet.

c. Dans sa réplique, A______ a persisté dans ses conclusions et répondu aux arguments du DIP sur chacun des dix griefs.

d. Dans une duplique, le département a persisté dans ses conclusions.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

 

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). 

La question du respect du délai (art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) souffrira de rester indécise, le numéro de suivi du recours produit par le recourant ne correspondant pas à celui parvenu à la chambre de céans et aucune attestation de la poste ne prouvant la corrélation entre les deux (ATA/836/2022 du 23 août 2022 consid. 2b), le recours devant en tous les cas être rejeté conformément à ce qui suit.

2.             Le litige ne porte que sur la sanction de réduction du traitement à l’intérieur de la classe et de changement d’affectation, non sur la levée de la libération de l’obligation de travailler.

3.             Le recourant conclut préalablement à ce qu’il soit ordonné à l’autorité intimée de produire le dossier intégral de la cause, comportant notamment tous les échanges entretenus par la conseillère d’État en lien avec les faits dénoncés à l’encontre du recourant, ainsi qu’à l’ouverture d’enquêtes, à la comparution personnelle des parties et de témoins, dont B______.

3.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

3.2 Le recours ne contient aucune motivation de la conclusion en production des échanges entretenus par la conseillère d’État. Dans sa réplique, le recourant expose que dite production serait indispensable pour examiner le grief relatif à la prescription de l’action disciplinaire.

Conformément aux considérants qui suivent en lien avec ledit grief, ces échanges ne sont pas pertinents. Pour le surplus, il ressort du dossier que l’intéressé a déjà reçu à plusieurs reprises copie de son dossier.

Le recourant a eu l’occasion de se positionner devant l’autorité intimée par écrit à plusieurs reprises, puis devant la chambre de céans et de produire toute pièce qu’il jugeait utile. La chambre administrative s’est par ailleurs prononcée, par arrêt du 14 mars 2023, depuis la décision querellée du 12 octobre 2022 et a confirmé l’existence d’un harcèlement sexuel et donc d’un comportement fautif de l’intéressé. La présente procédure ne portant que sur le choix et la quotité de la sanction ainsi que sur le transfert du fonctionnaire, la chambre de céans dispose d'un dossier complet lui permettant de trancher le litige en toute connaissance de cause, de sorte que ni l'audition de témoins ni celle du recourant n'apparaissent nécessaires. Aussi, par appréciation anticipée et vu ce qui suit, il ne sera pas donné suite à ces offres de preuves.

Les requêtes préalables seront en conséquence écartées.

4.             Dans un premier grief de nature formelle qu'il convient d'examiner en premier lieu, le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu, l’autorité intimée ayant refusé de prolonger le délai pour faire valoir ses observations sur le procès‑verbal de l’entretien de service. Les art. 5, 9 et 29 al. 1 et 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) ainsi que 16 al. 2 LPA auraient été violés.

4.1 La jurisprudence a tiré de l'art. 29 al. 1 Cst., et de l'obligation d'agir de bonne foi à l'égard des justiciables (art. 5 et 9 Cst.), le principe de l'interdiction du déni de justice formel qui comprend la prohibition de tout formalisme excessif. Un tel formalisme existe lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique sans raison objective la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 142 V 152 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_254/2016 du 9 mai 2016 consid. 5.2). L'excès de formalisme peut résider soit dans la règle de comportement imposée au justiciable, soit dans la sanction qui lui est attachée (ATF 132 I 249 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_382/2015 du 21 mai 2015 consid. 5.1). Ainsi en va-t-il lorsque la violation d'une règle de forme de peu d'importance entraîne une sanction grave et disproportionnée, telle par exemple une décision d'irrecevabilité (ATF 133 V 402 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_328/2014 du 8 mai 2014 consid. 4.1).

Le délai imparti par l’autorité peut être prolongé pour des motifs fondés si la partie en fait la demande avant son expiration (art. 16 al. 2 LPA).

4.2 En l’espèce, un délai de quatorze jours a été fixé, par courrier recommandé du 7 septembre 2022, réceptionné le 12 septembre 2022, au recourant pour faire valoir ses observations. Le délai est arrivé à échéance le 26 septembre 2022 sans que le recourant ne produise d’écritures ni ne sollicite la prolongation du délai. Le délai a toutefois été prolongé ultérieurement, à bien plaire, de quatre jours, pour échoir le 10 octobre 2022. Le recourant en a alors sollicité la prolongation par courriel du
10 octobre à 23h57. Aucun délai supplémentaire ne lui a été accordé.

Conformément à la jurisprudence constante de la chambre administrative, en sollicitant une prolongation le dernier jour d’un délai, le justiciable prend le risque de se la voir refuser (ATA/262/2023 du 14 mars 2023, consid. 5 ; ATA/1226/2021 du 16 novembre 2021 consid. 6b ; ATA/452/2020 du 7 mai 2020 consid. 7c).

L’intéressé invoque des discussions transactionnelles jusqu’au 6 octobre 2022. Cet élément est sans pertinence au vu de la chronologie qui précède et du délai de près d’un mois dont il a bénéficié pour se prononcer. L’audition du témoin, proposée dans la réplique, est dès lors sans pertinence. Elle l’est d’autant moins que, même à considérer l’existence d’une violation du droit d’être entendu, elle aurait été réparée dans le cadre de la procédure de recours.

Le grief est infondé voire téméraire.

5.             Dans un deuxième grief relatif au droit d’être entendu, le recourant se plaint d’un défaut de motivation de la décision querellée. D’une part, l’autorité intimée ne prendrait pas position sur les nombreux griefs qu’il avait émis contre la conclusion du GdC. D’autre part, la motivation du choix de la sanction tiendrait en une
demi-phrase.

5.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu comprend le droit d'obtenir une décision motivée (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 129 I 232 consid. 3.). Il suffit, de ce point de vue, que les parties puissent se rendre compte de la portée de la décision prise à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 136 I 184 consid. 2.2.1). Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 142 III 433 consid. 4.3.2 ; 141 III 28 consid. 3.2.4).

5.2 En l’espèce, la décision querellée fait état des observations du recourant du 7 juin 2022 et les résume. L’autorité intimée a analysé le rapport du GdC, lequel avait tenu compte des points de vue de toutes les parties impliquées. Le fait que le département ait été convaincu par les conclusions du rapport du GdC et ait décidé de ne pas tenir compte des griefs formulés à l’encontre du travail de ladite entité n’implique pas forcément une violation du droit d’être entendu du recourant. Certes, la décision du 12 octobre 2022 n’évoque pas la problématique des faits périmés et du degré de la preuve requis. Toutefois, d’une part, il ressort de la décision que les arguments du recourant ont été implicitement écartés par l’autorité intimée. D’autre part, ces arguments ont été discutés dans la décision du département, de huit pages, du 7 juillet 2022, laquelle a fait l’objet de l’arrêt de la chambre de céans du 14 mars 2023. Le recourant ne peut ainsi être suivi lorsqu’il soutient que le raisonnement de l’autorité intimée ne saurait valoir par analogie dans la décision du 12 octobre 2022 : non seulement la deuxième décision était la conséquence de la première, mais le recourant connaissait la détermination de l’autorité intimée sur cette problématique.

En tous les cas, il a pu se rendre compte de la portée de la décision prise à son égard et recourir en toute connaissance de cause.

Infondé le grief sera rejeté.

6.             Le recourant invoque la prescription de l’action disciplinaire. L’art. 27 al. 7 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997
(LPAC - B 5 05) aurait été violé. L’autorité intimée aurait eu une connaissance intégrale des faits dès le 16 septembre 2021, jour de l’envoi de sa demande d’ouverture d’investigation détaillée au GdC, accompagné d’un bordereau de 27 pièces. La prescription aurait été en conséquence acquise, en l’absence de toute interruption, le jour du prononcé de la décision le 12 octobre 2022. Le principe de la célérité n’aurait pas autorisé l’autorité intimée à attendre le résultat de l’investigation du GdC.

6.1 La responsabilité disciplinaire des membres du personnel se prescrit par un an après la découverte de la violation des devoirs de service et en tout cas par cinq ans après la dernière violation. La prescription est suspendue, le cas échéant, pendant la durée de l'enquête administrative (art. 27 al. 7 LPAC).

S’agissant du dies a quo du délai d’un an, une abondante et constante jurisprudence de la chambre de céans rappelle qu’il court à compter de la connaissance des faits par l’autorité décisionnaire (ATA/36/2022 du 18 janvier 2022 considérant 2c et les références citées).

6.2 La procédure d'investigation a pour but d'établir les faits et de déterminer si les éléments constitutifs d'une atteinte à la personnalité sont réalisés ou non.

Dans les 30 jours qui suivent la réception des déterminations des parties, le GdC établit un rapport contenant l'exposé des faits, donne son appréciation sur l'existence ou non d'une atteinte à la personnalité et indique l'identité de l’auteur identifié. Sont annexées au rapport les déterminations des parties (art. 29 al. 2 règlement relatif à la protection de la personnalité à l'Etat de Genève du 12 décembre 2012 - RPPers - B 5 05.10).

6.3 En l’espèce, le recourant considère que l’autorité intimée connaissait les faits à la base de la sanction au moment où elle a sollicité le GdC.

Or, conformément aux deux dispositions précitées, il appartient précisément au GdC d’établir les faits. L’autorité intimée peut être suivie lorsqu’elle indique que le 16 septembre 2021, jour de la demande d’ouverture d’investigation, la conseillère d’État avait connaissance de faits allégués par trois collaborateurs, sur des périodes différentes sans éléments de preuve, même si les faits allégués présentaient des similitudes. Elle avait également pris connaissance des dénégations, contestations et mention d’une « cabale » menée contre lui par le directeur incriminé. Au vu des faits, tels que présentés à cette date, l’existence d’une violation des devoirs de service n’était pas avérée. Le GdC a d’ailleurs dû procéder à l’établissement de faits, à 18 auditions, incluant le recourant et les trois plaignants, ainsi que quatorze témoins. Il a également procédé à une analyse de la jurisprudence de la chambre administrative et du Tribunal fédéral avant de se prononcer et de conclure à l’existence d’un harcèlement sexuel sous la forme d’un climat de travail hostile tout en écartant l’existence d’un harcèlement sexuel à l’encontre de certains plaignants et d’un harcèlement psychologique. Les nuances de son rapport attestent du fait qu’un travail important a été nécessaire pour établir à satisfaction les faits et déterminer s’il y avait eu une violation des devoirs de service et, dans une telle hypothèse, laquelle et quand. Ce n’est en conséquence qu’à la remise du rapport du GdC que le délai de prescription de l’action disciplinaire a commencé à courir.

Cette conclusion est conforme, par analogie, avec le principe de la suspension dudit délai pendant une enquête administrative. À défaut, soit l’autorité intimée serait contrainte d’ouvrir, en parallèle, une enquête administrative quitte à la suspendre immédiatement dans l’attente du rapport du GdC, soit l’écoulement du temps et, par conséquent, du délai de prescription, contraindrait le GdC à devoir bâcler son travail, sans peine de laisser prescrire l’éventuelle responsabilité disciplinaire du mis en cause, deux solutions contraires aux buts poursuivi par le RPPers.

Enfin, cette conclusion est conforme au texte légal de l’art. 27 al. 7 LPAC qui évoque le délai d’un an après la découverte de la violation des devoirs de service, ainsi qu’à la jurisprudence de la chambre de céans (ATA/36/2022 précité du 18 janvier 2022 consid. 2c ; ATA/1301/2022 du 20 novembre 2021 ; ATA/215/2017 du 21 février 2017). Le Tribunal fédéral a d’ailleurs résumé de cette façon la jurisprudence de la chambre de céans (arrêt du Tribunal fédéral
8D_39/2022 du 30 mai 2023 consid. 4.2.1).

L’arrêt du Tribunal fédéral du 5 septembre 2022 mentionné par le recourant ne lui est d’aucun secours (arrêt du Tribunal fédéral 8D_7/2021 consid. 3.4). D’une part, la violation des devoirs de service était établie par une ordonnance pénale, ce qui a justifié que le Tribunal fédéral retienne que le dies a quo était le 2 août 2019, date de la prise de connaissance par l’autorité intimée de cette ordonnance et non la date de réception du dossier par celle-ci, un mois plus tard. D’autre part, l’aboutissement de la procédure devant le GdC ne dépend pas de la conseillère d’État et ne lui permet en conséquence pas de repousser à sa guise le dies a quo de la prescription de l’action disciplinaire, contrairement au cas précité.

En conséquence, la sanction du 13 octobre 2022 est intervenue avant l’échéance du délai de prescription, le 10 mai 2023. Le grief sera rejeté.

7.             Le recourant se plaint d’une violation de l’art. 16 al. 1 let. b LPAC. Une des conditions nécessaires faisant défaut la décision devrait être annulée, l’office du personnel de l’État (ci-après : OPE) n’ayant pas donné son accord avec la sanction.

7.1 Les fonctionnaires qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement, soit par négligence, peuvent faire l'objet, selon la gravité de la violation, des sanctions suivantes : prononcées, au sein de l'administration cantonale, par le chef du département, d'entente avec l’OPE, notamment la réduction de traitement à l'intérieur de la classe (art. 16 al. 1 let. b ch. 3 LPAC).

7.2 L’OPE a confirmé que la sanction était prise d’entente avec leur service. La condition de l’art. 16 al. 1 let. b LPAC est donc respectée.

8.             Le recourant se plaint d’une violation de l’art. 6 § 3 let. d de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et des art. 29 al. 2 et 32 al. 2 Cst. La procédure devant le GdC ne lui aurait pas permis d’être confronté aux témoins. L’autorité intimée n’avait pas remédié à ce vice.

8.1 Selon l'art. 6 § 1 CEDH, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Aux termes de l'art. 29 Cst., toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable (al. 1) ; les parties ont le droit d'être entendues (al. 2).

Une autorité judiciaire au sens de l'art. 6 § 1 CEDH est une autorité décisionnaire indépendante, instituée par la loi, qui tranche définitivement un litige en se fondant sur le droit applicable et selon des règles de procédure prévues par la loi (ATF 138 I 154 consid. 2.6).

8.2 Aux termes de l'art. 6 § 3 let. d CEDH, tout accusé a le droit notamment d'interroger et de faire interroger les témoins à charge. L'art. 6 § 3 CEDH énumère de manière non exhaustive des aspects de la notion de procès équitable en matière pénale. Les principes énoncés à l'art. 6 § 3 let. d CEDH valent cependant mutatis mutandis pour les procédures disciplinaires que régit l'art. 6 § 1 CEDH, de manière analogue au cas d'une personne accusée d'une infraction pénale. Toutefois, les États contractants jouissent d'une latitude plus grande dans sa mise en œuvre dans le domaine du contentieux civil que pour les poursuites pénales (arrêt du Tribunal fédéral 2C_804/2022 du 20 juin 2023 consid. 10. 1 et les nombreuses références citées).

Cette disposition n'empêche de toute façon pas l'autorité de recourir à une appréciation anticipée des preuves (arrêts du Tribunal fédéral 2C_804/2022 précité consid. 10.2 ; 2C_396/2022 du 7 décembre 2022 consid. 4.4).

8.3 Le GdC travaille en toute indépendance. Il est rattaché administrativement à la Chancellerie d’État (art. 7 RPPers). Il n’a aucun pouvoir décisionnel et ne répond en conséquence pas à la définition de l’autorité administrative de l’art. 5 LPA (ATA/280/2023 du 21 mars 2023 consid. 4d et les références citées).

La chambre administrative a déjà été amenée dans sa jurisprudence à écarter le grief d'un recourant qui se plaignait que la procédure devant le GdC n'avait pas été menée de manière contradictoire, constatant que celle-ci avait été effectuée de manière conforme aux dispositions applicables et n'était pas entachée d'un vice (ATA/443/2020 du 7 mai 2020 consid. 3 ; ATA/674/2017 du 20 juin 2017 consid. 7b)

8.4 En conséquence, si la Cour de justice représente une autorité judiciaire devant laquelle les garanties procédurales de l'art. 6 § 1 CEDH s'appliquent pleinement, tel n'est le cas ni du GdC ni de la conseillère d’État.

Par ailleurs, dans la procédure A/2351/2022, le recourant avait pu solliciter une confrontation avec les témoins, ce qu’il avait fait. La chambre de céans avait toutefois écarté cette requête, rappelant que l’intéressé avait eu accès à leurs dépositions et eu l’occasion de mettre les témoignages en doute. La même conclusion s’impose dans la présente procédure, laquelle ne porte que sur le choix et la quotité de la sanction, l’existence d’une faute ayant été établie dans la précédente procédure.

Le grief sera écarté.

9.             Le recourant se plaint d’une violation du droit à un recours effectif (art. 13 CEDH et 29A Cst.) et du principe de coordination (art. 12 LPA), l’autorité intimée l’ayant sanctionné sans attendre l’issue de la procédure A/2351/2022.

9.1 L’art. 12A LPA prévoit que lorsque plusieurs législations ayant entre elles un lien matériel étroit sont applicables à un projet, les procédures doivent être coordonnées. Il a été introduit par le législateur genevois pour concrétiser la jurisprudence fédérale en matière de projets de construction (ATF 114 Ib 125 consid. 4). Il vise les projets, en particulier de construction, et n'apparaît clairement pas applicable à un litige entre un employeur public et un employé de la fonction publique (arrêt du Tribunal fédéral 8C_532/2022 du 17 mai 2023 consid. 5.2).

9.2 Au vu de la jurisprudence précitée, le grief est infondé, l’art. 12A LPA n’étant pas applicable dans le présent litige. Pour le surplus, la chambre de céans ayant statué dans la cause A/2351/2022, le grief est sans objet.

10.         Le recourant se plaint d’une violation de l’art. 20 al. 2 let. c RPPers.

10.1 La demande d'ouverture d'investigation peut être présentée en tout temps, mais au plus tard, sous peine de péremption, 60 jours après réception de la communication écrite mettant fin à la démarche informelle (let. a), 90 jours après la cessation des rapports de travail (let. b) et deux ans après la cessation des évènements dont se plaint la personne requérante (let. c ; art. 20 al. 2 RPPers.

10.2 Le recourant ne mentionne aucune date ni aucun fait en lien avec ce grief. La motivation se limite à reprocher à l’autorité intimée de « s’être fondée sur des faits pourtant reconnus comme périmés ».

Selon le rapport du GdC, celui-ci a écarté les accusations de harcèlement psychologique ainsi que celles de harcèlement sexuel à l’encontre de C______ et D______, précisément au motif qu’elles étaient périmées, preuve de l’attention portée à la problématique. En revanche, les exemples nombreux et précis rapportés par plusieurs collaborateurs qui avaient été directement ou indirectement témoins de propos ou d’actes sexistes ou à caractère sexuel par A______ avaient emporté sa conviction quant à l’existence d’un harcèlement sexuel à l’encontre de B______ sous forme d’un climat de travail hostile. Les auditions avaient permis de confirmer que le recourant pouvait faire des plaisanteries lourdes ou grivoises, même s’il n’en faisait pas de manière systématique en séance. B______ n’avait pas pu exprimer ouvertement son désaccord, compte tenu de son lien de subordination avec le recourant. Le GdC l’a mentionné sous « comportements récents » et a relevé que les agissements de l’intéressé étaient répétés et avaient duré plusieurs années. Il a précisé avoir acquis la conviction que des propos sexistes ou à caractère sexuel avaient été tenus de manière répétée durant plusieurs mois, du moins jusqu’à ce que la relation entre les deux intéressés ne se détériore sérieusement.

En conséquence en l’absence de précision du recourant et au vu de la motivation du GdC, le grief n’est pas fondé.

11.         Le recourant se plaint d’une violation du principe ne bis in idem. Sa réaffectation constituerait au mieux une sanction déguisée, si ce n’était une sanction directe, s’ajoutant, en violation du principe précité, à la diminution de traitement.

11.1 Selon la jurisprudence constante de la chambre de céans, un changement d'affectation d'un fonctionnaire relève en principe de la gestion interne de l'administration. Les conditions pour admettre une sanction déguisée sont strictes. En principe, en l'absence de modification de traitement et en présence d'un poste concernant les sphères de compétences du fonctionnaire, il ne s'agit pas d'une sanction déguisée (ATA/575/2014 du 29 juillet 2014 consid. 9 et 10 et 11 ; ATA/221/2009 du 5 mai 2009 consid. 4, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 8D_4/2009 du 3 mars 2010), même si la mesure en cause est comprise comme une sanction par l'intéressé (ATA/69/2016 du 26 janvier 2016). Dans un cas où la réorganisation répondait aux besoins du service, principalement au motif que la fonction de juriste en charge des mesures de contrainte n'avait jamais fait l'objet d'une évaluation préalable, qu’elle se fondait sur une analyse détaillée, que le poste entrait dans les sphères de compétences du fonctionnaire, la chambre de céans a retenu que le « transfert » n'était pas une sanction déguisée, même avec une diminution du traitement (ATA/1572/2019 du 29 octobre 2019 consid. 7e).

11.2 En l’espèce, si la diminution de traitement a été voulue par l’autorité intimée comme sanction disciplinaire, le déplacement est un acte d’organisation interne. Le traitement de l’intéressé de base, avant sanction, n’a pas été modifié et le poste confié reste dans les sphères de compétence du recourant. Il est par ailleurs justifié par des raisons objectives, la faute portant sur un problème relationnel avec un subordonné. Le transfert ne constitue pas une sanction disciplinaire déguisée qui serait susceptible, au regard du fait qu'une sanction disciplinaire a par ailleurs été prononcée, de violer le principe ne bis in idem (arrêts du Tribunal fédéral 8C_532/2022 consid. 8.2 ; 2C_226/2018 du 9 juillet 2018 consid. 5).

12.         Le recourant se plaint d’un excès et d’un abus du pouvoir d’appréciation, d’une appréciation arbitraire des preuves et d’une violation des art. 32 al. 1 Cst et
3 RPPers.

12.1 Toute personne est présumée innocente jusqu’à ce qu’elle fasse l’objet d’une condamnation entrée en force. (art. 32 al. 1 Cst., sous le titre « procédure pénale »).

Le harcèlement est une forme aiguë d'atteinte à la personnalité (art. 3
al. 4 RPPers).

12.2 La présomption d’innocence ne prévaut pas en droit disciplinaire, qui ne connait pas de disposition analogue à l’art. 10 al. 1 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0) (arrêt du Tribunal fédéral 8C_630/2021 du 1er décembre 2022 consid. 6.5).

12.3 En l’espèce, par arrêt du 14 mars 2023, la chambre de céans a confirmé la décision de la conseillère d’État considérant que le recourant avait harcelé sexuellement un collègue par la création d’un climat de travail hostile. Il n’y a pas lieu d’y revenir.

Le grief du recourant portant sur l’existence de la faute doit être rejeté et il est renvoyé à l’arrêt du 14 mars 2023 pour les considérants.

13.         Le recourant se plaint d’une violation du principe de la proportionnalité et critique la quotité de la sanction. Il relève qu’il s’agit de la troisième sanction la plus grave qui le pénaliserait pour le reste de sa carrière, soit 35 ans, alors qu’il n’avait aucun antécédent et était soutenu par d’innombrables collègues. Enfin, l’immense majorité des faits en cause, même à les supposer établis, seraient anciens au point d’être atteints par la prescription. La sanction ne serait ni apte ni nécessaire ni proportionnée au sens strict.

13.1 Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst. se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; ATF 136 IV 97 consid. 5.2.2).

13.2 En l’espèce, la décision du département du 7 juillet 2022 retient, à la suite du GdC, l’existence d’un harcèlement sexuel, forme aiguë d’atteinte à la personnalité, sous la forme d’un climat de travail hostile qui s’est répété sur la durée. Cette décision a été confirmée par la chambre de céans dans un arrêt du 14 mars 2023. La faute est en conséquence établie et le principe d’une sanction acquis.

Le département indique avoir tenu compte des 35 années au service de l’État et de l’absence d’antécédents, mais aussi de la gravité de la faute. Ainsi, les sanctions les moins sévères, soit le blâme et la suspension de l’augmentation de traitement pour une durée déterminée, apparaissaient trop clémentes, alors que, à l’inverse, la fin des rapports de service aurait été trop sévère. Le choix de l’autorité intimée d’une sanction médiane est ainsi fondé sur des éléments objectifs et pertinents, et ne relève pas d’un abus de son pouvoir d’appréciation. La sanction est apte à atteindre le but d’intérêt public au respect des droits des membres du personnel de la fonction publique, notamment avec des subordonnés. Le choix de la sanction est nécessaire pour l’atteindre, étant relevé que le recourant continue à nier les faits et à les relativiser, sans réelle prise de conscience de l’impact de son comportement. Elle respecte le principe de la proportionnalité au sens étroit en ne portant que sur cinq annuités, soit une différence annuelle d’un peu moins de
CHF 7'000.- sur un salaire total, avant sanction de plus de CHF 190'000.-
(CHF 191'099.- en 2023). Il n’indique enfin pas que cette diminution de traitement induirait d’importantes difficultés financières.

En tous points infondé, le recours sera rejeté.

14.         Le présent arrêt rend sans objet la requête en restitution de l’effet suspensif.

15.         Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2'000.-, sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 2 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87
al. 1 LPA).

16.         Compte tenu des conclusions du recours et vu l’échelle des traitements de l’intimée, la valeur litigieuse est supérieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 novembre 2022 par A______ contre la décision du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 12 octobre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14 par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat du recourant, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, Claudio MASCOTTO, juges.

 

 


 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :