Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1317/2023

ATA/714/2023 du 29.06.2023 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1317/2023-PRISON ATA/714/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 juin 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée



EN FAIT

A. a. A______ est en détention avant jugement à la prison de Champ-Dollon depuis le 29 novembre 2022.

b. Il a fait l’objet d’une sanction disciplinaire le 3 décembre 2022 pour refus d’obtempérer, consistant en cinq jours de suppression des promenades collectives.

c. Le 16 mars 2023, il a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de trois jours de cellule forte pour violence physique exercée sur un détenu.

Selon le rapport d’incident du même jour, lors de la promenade, à 14h12, un détenu (ci-après : détenu 1) avait envoyé le ballon de football dans le visage de A______ « sans mauvaise intention ». Ce dernier s’était dirigé vers le détenu 1 et lui avait asséné deux coups de poing. Le détenu 1 n’avait pas réagi. Des codétenus les avaient séparés. Appelés par un agent de détention aux fins de s’expliquer, ils s’étaient mutuellement excusés. Avisé, le gardien-chef avait décidé d’une mise en cellule forte de A______ de trois jours.

Entendu à 16h35, celui-ci a reconnu les faits. La sanction a été notifiée à 16h40.

d. La sanction a été exécutée du 16 mars 2023 à 15h45 au 19 mars 2023 à la même heure.

B. a. Le 17 avril 2023, A______ a recouru devant de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction précitée, concluant à son annulation. Il avait des « stress problèmes de santé ». Il était en prison depuis cinq mois alors qu’il était innocent. Il avait eu un petit problème avec un détenu. « C’était express ». Il avait été mis en cellule forte, alors que le détenu 1 l’avait « frappé fort avec le ballon ».

b. Par réponse du 5 mai 2023, la direction de la prison a conclu au rejet du recours et produit les images de vidéosurveillance.

c. Le recourant n’ayant pas réagi dans le délai qui lui avait été imparti pour une éventuelle réplique, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

d. Il ressort des images de vidéosurveillance que le détenu 1 tire un ballon, avec force, qui frappe le recourant au visage, lequel ne participe pas au jeu, mais se promène sur le bord du terrain, regarde à droite et ne voit pas arriver le projectile. Le détenu 1 passe à côté du recourant et lui pose brièvement une main sur l’épaule. Le recourant se retourne, le menace du doigt, puis se rapproche du détenu 1, lui inflige deux coups de poing au visage et le pousse violemment, sur plusieurs mètres, pour l’asseoir sur un banc en continuant à le rouer de coups. Le détenu 1 s’étant recroquevillé sur lui-même et subissant les coups, d’autres détenus interviennent pour arrêter le recourant.

EN DROIT

1.             La question de la recevabilité du recours s’examine d’office.

1.1 Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

1.2 Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Lorsque la sanction a déjà été exécutée, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours. Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un tel intérêt lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/1104/2018 du 16 octobre 2018 consid. 2).

1.3 En l’espèce, bien que la sanction ait déjà été exécutée, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la décision. La légalité du placement en cellule forte doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle, nonobstant l’absence d’intérêt actuel. Il pourrait en effet être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire.

Le recours conserve ainsi un intérêt actuel et est en conséquence recevable.

2.             Le recourant se plaint du caractère illégal de la sanction et de l’établissement erroné des faits.

2.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

2.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50). Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP), et n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP). À teneur de l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Il peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions pour le placement en cellule forte d’un à cinq jours à d'autres membres du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

2.3 La chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 consid. 5 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018 consid. 6).

Selon la jurisprudence de la chambre administrative, il n’est pas besoin de déterminer qui porte la responsabilité d’une altercation opposant des codétenus ni si la violence physique reprochée en particulier au recourant, dans le cas jugé, avait consisté en des griffures ou en un coup de poing. En effet, toute forme de violence physique sur un détenu contrevient aux obligations d’adopter une attitude correcte à l’égard des autres personnes incarcérées et de ne pas troubler l’ordre et la tranquillité de la prison, étant relevé que le recourant ne soutenait dans le cas en cause pas qu’il aurait agi en légitime défense. L’exercice de violence physique sur un codétenu peut être qualifié d’un manquement grave (ATA/220/2019 du 5 mars 2019).

Dans un arrêt ultérieur, la chambre administrative a de même retenu que les bagarres entre détenus constituaient une violation grave des règles de coexistence pacifique devant prévaloir dans un établissement de détention. Outre les dangers d’atteintes sérieuses à l’intégrité physique et psychique qu’elles comportent, s’agissant d’un milieu confiné, elles créent le risque de déborder et de susciter des affrontements plus larges, et menacent sérieusement l’ordre et la tranquillité devant régner dans un établissement de détention. Le déclenchement de la bagarre n’était in casu pas reproché au recourant, ni à son codétenu, et était sans pertinence. Seule leur participation à la bagarre leur avait valu une sanction, d’ailleurs identique, étant précisé qu’il n’appartenait pas à la chambre administrative de se prononcer sur la sanction infligée au codétenu (ATA/1072/2021 du 12 octobre 2021).

2.4 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

2.5 Le placement en cellule forte est la sanction la plus sévère parmi le catalogue des sept sanctions mentionnées par l'art. 47 RRIP (art. 47 al. 3 let. g RRIP).

La chambre de céans a confirmé des sanctions d’arrêts de deux, voire trois jours de cellule forte pour des menaces d’intensité diverse (voir la casuistique exposée dans l’ATA/136/2019 du 12 février 2019 consid. 9b).

S’agissant de violences physiques entre détenus, la chambre de céans a confirmé des sanctions de trois jours de cellule forte lors de bagarres, et cela quand bien même les détenus n’avaient pas d’antécédents (ATA/295/2023 du 23 mars 2023 ; ATA/1072/2021 du 12 octobre 2021 ; ATA/220/2019 du 5 mars 2019).

En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limite à l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du septembre 2014 consid. 7b).

2.6 En l’espèce, le visionnage des images de vidéosurveillance, combiné à la lecture du rapport d’incident, établi par un agent assermenté et dont aucun élément ne permet de remettre en cause le contenu, confirment que l’envoi du ballon sur le visage du recourant est dû à une inadvertance et non à un geste délibéré. Il est toutefois vrai que le ballon est tiré avec force et surprend le recourant qui a le visage tourné au moment du choc.

Le détenu 1 met brièvement sa main, au passage, sur l’épaule du recourant, en signe d’excuses. Celui-ci a toutefois réagi en frappant le détenu 1, à plusieurs reprises, puis en le poussant sur un banc avant de continuer à lui asséner des coups. Il est dès lors établi que le recourant a adopté une attitude non conforme au règlement. Le principe d’une sanction est donc fondé.

Reste à examiner si la sanction consistant en trois jours de cellule forte était proportionnée.

En l'occurrence, comme déjà retenu par la chambre de céans dans des situations de bagarres ou comme en l’espèce d’agression, outre les dangers d’atteintes sérieuses à l’intégrité physique et psychique qu’elles comportent, d’autant plus s’agissant d’un milieu confiné, elles créent le risque de déborder et de susciter des affrontements plus larges, et menacent sérieusement l’ordre et la tranquillité devant régner dans un établissement de détention. La sanction doit en tenir compte.

Alors que le recourant aurait dû ne pas se montrer violent avec le détenu 1 qui, a priori a cherché à s’excuser, il a au contraire choisi de venir à sa rencontre, de lui asséner deux coups de poings, puis de le pousser sur un banc en continuant à le frapper, ce qu’il n’a pas contesté lors de son audition. Cette attitude ne peut être tolérée et constitue une violation grave des règles disciplinaires.

La sanction prononcée à son encontre par l’autorité intimée dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation s’avère conforme à la jurisprudence, voire clémente, et tient équitablement compte de l’antécédent disciplinaire du détenu, mais aussi des excuses faites ultérieurement par le recourant au détenu 1.

Aussi, tant le choix de la sanction, que sa quotité étaient aptes, nécessaires et proportionnés au sens étroit pour garantir la sécurité et la tranquillité de l'établissement et s'avèrent conformes au droit.

3.             Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 avril 2023 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 16 mars 2023 ;

 

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Valérie LAUBER, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

P. HUGI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :