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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3741/2022

ATA/504/2023 du 16.05.2023 ( LIPAD ) , ADMIS

Descripteurs : FORME ET CONTENU;OBJET DU LITIGE;LIBERTÉ PERSONNELLE;DONNÉES PERSONNELLES;FICHIER DE DONNÉES;SUPPRESSION(EN GÉNÉRAL)
Normes : LPA.65; LPA.69.al1; Cst.10.al2; Cst.13.al2; Cst-GE.21; LCBVM.2; LIPAD.36.al1.leta; LIPAD.35.al2; LCBVM.1.al3; LIPAD.4.alb.ch4; LCBVM.3A.al1; LIPAD.47.al2.leta; LCBVM.3A.al2
Résumé : Refus de supprimer du dossier de police de la recourante un rapport de renseignements et ses annexes. Déjà condamnée, il n'y avait pas lieu de prendre en compte l'aspect de répression des infractions. Condamnée pour voies de faits : contravention qui ne rentre pas dans le but de prévention des crimes et délits prévu par la LCBVM. Examen de l'ensemble des circonstances (ordonnance pénale et de non-entrée en matière partielle ne figure pas dans les dossiers de police et n'y est pas mentionnée ; condamnation pour une contravention, absence d'antécédents, absence de gravité comme la criminalité organisée ou les crimes et délits contre l'intégrité physique et sexuelle, moins d'un an depuis le rapport de renseignements et la condamnation). Absence d'intérêt à la conservation des documents litigieux. Recours admis et radiation du document ordonnée.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3741/2022-LIPAD ATA/504/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 mai 2023

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Virginie MORO, avocate

contre

COMMANDANTE DE LA POLICE intimée


EN FAIT

A. a. Le 27 septembre 2021, Madame A______ a fait l'objet d'un rapport de renseignements de la police en raison d'un conflit avec son époux, qui s'était déroulé le 20 septembre 2021 et à la suite duquel tous deux avaient porté plainte. Les faits reprochés à Mme A______ étaient d'avoir pénétré dans l'appartement de son époux, dont elle était alors séparée, sans son accord, de l'avoir agrippé au niveau de son cou, lui avoir effectué une clé de cou et l'avoir fait chuter au sol. Ce rapport de renseignements et ses annexes figurent au dossier de police de Mme A______.

Pour ces faits, le Ministère public a rendu une ordonnance pénale et de non-entrée en matière partielle le 30 septembre 2021. Il n'était pas entré en matière sur les faits pouvant être qualifiés de violation de domicile. Mme A______ était déclarée coupable de voies de fait et condamnée à une amende de CHF 300.-.

b. Le divorce de Mme A______ et son ex-époux, parents de deux enfants mineurs, a été prononcé par jugement du Tribunal civil de première instance du 22 juin 2022.

c. L'ex-époux de Mme A______ fait l'objet d'une décision de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) du 18 août 2022 lui refusant l'octroi d'une autorisation de séjour et prononçant son renvoi de Suisse, avec délai au 30 septembre 2022 pour quitter le territoire.

B. a. Le 22 août 2022, Mme A______ a sollicité auprès de la cheffe de la police la radiation de toutes les mentions figurant dans son dossier auprès des services de la police genevoise.

Elle souhaitait postuler pour devenir policière à Genève mais sa candidature ne correspondait pas aux critères impératifs requis. Elle était connue des services de la police cantonale genevoise pour des faits liés aux conflits avec son ex-époux et sa voisine. Son casier judiciaire était vierge et son certificat de bonne vie et mœurs attestait qu'elle répondait à toutes les exigences d'honorabilité et de bonne réputation.

b. Par décision du 10 octobre 2022, notifiée le surlendemain, la commandante de la police a informé Mme A______ qu’elle procédait à la radiation de trois documents de son dossier de police, mais refusait de procéder à celle d'un quatrième document (document no 3 de l'inventaire au 29 août 2022), comportant le rapport de renseignements du 27 septembre 2021.

La conservation de ce document demeurait proportionnelle et constitutionnelle et sa radiation ne pouvait être admise en l'état. Elle pourrait solliciter à nouveau la radiation au plus tôt au mois de septembre 2024 et une nouvelle analyse interviendrait.

C. a. Par acte du 11 novembre 2022, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, affirmant qu'il était disproportionné de maintenir le document no 3 dans son dossier de police.

Les faits avaient, pour une partie, fait l'objet d'une ordonnance de classement, ce qui signifiait qu'ils devaient être radiés de son dossier et avaient, pour l'autre partie, mené à sa condamnation pour voies de fait, soit une contravention. L'argumentaire sur la proportionnalité à maintenir les données pour la prévention des crimes et délits tombait. Il en allait de même s'agissant de l'investigation, puisque la procédure était close, et de la répression, puisqu'elle s'était acquittée de l'amende. Concernant la prévention de la récidive, elle ne faisait l'objet d'aucune autre procédure ou plainte pour voies de fait. L'ordonnance pénale s'inscrivait dans le contexte de violences conjugales. Son ex-mari avait commencé à être violent au moment où elle avait souhaité déposer une requête de mesures de protection de l'union conjugale. Celui-ci avait été condamné pour ces faits, l'OCPM avait refusé de renouveler son autorisation de séjour et il avait été exclu du territoire suisse. Ils n'étaient plus en contact. La récidive en lien avec son ex-mari n'était pas possible et elle n'était plus connue des services de police depuis septembre 2021. La conservation des données lui causait un préjudice considérable sur le plan professionnel, en l'empêchant de postuler pour le métier de policière qui la passionnait mais également pour beaucoup d'autres. Cela lui causait également un préjudice sur le plan privé, car elle devait pouvoir trouver un travail pour subvenir aux besoins des deux enfants, dont elle avait la charge et aux siens.

b. La commandante de police a conclu au rejet du recours.

Le document no 3 contenait une condamnation qui devait être conservée au dossier de police, dans la mesure où seuls onze mois s'étaient écoulés entre celle-ci et la requête de Mme A______. Même s'il s'agissait d'une contravention, elle avait été condamnée pour une atteinte physique à un tiers. La conservation des données relatives à ce document pour une durée de trois ans au moins se justifiait du point de vue de la prévention notamment. La profession de policière requérait un haut niveau d'intégrité et d'honnêteté, ce qui plaidait d'autant plus en faveur de la conservation des documents figurant au dossier de police.

La commandante de police a versé à la procédure un rapport de renseignements de la police du 22 novembre 2022, qui avait été dans l'intervalle ajouté au dossier de police de Mme A______ (document no 1 de l'inventaire au 6 décembre 2022). Il faisait suite au dépôt d'une plainte à l'encontre de Mme A______ le 13 septembre 2021 pour faux dans les titres en relation avec une annonce de départ définitif de son ex-époux à l'OCPM pour laquelle cette dernière aurait imité sa signature.

c. Dans sa réplique, Mme A______ a persisté dans ses conclusions et a conclu à la radiation du document no 1 de l'inventaire du 6 décembre 2022 de son dossier de police, les faits y relatifs étant non fondés et ayant fait l'objet d'une ordonnance de non-entrée en matière le 13 décembre 2022, annexée.

Contrairement à la jurisprudence citée par la commandante de police, elle contestait les infractions, qui avaient fait l'objet de deux ordonnances de non-entrée en matière. Il n'y avait pas d'atteinte physique à un tiers, puisque les voies de fait devaient précisément ne pas avoir causé de lésion corporelle ou d'atteinte à la santé.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 3C al. 1 de la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et mœurs du 29 septembre 1977 - LCBVM - F 1 25 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante n'a pas pris de conclusions formelles dans son acte de recours.

2.1 Selon l’art. 65 LPA, l’acte de recours contient sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). En outre, il doit contenir l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve. Les pièces dont dispose le recourant doivent être jointes. À défaut, un bref délai pour satisfaire à ces exigences est fixé au recourant, sous peine d’irrecevabilité (al. 2).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas en soi un motif d’irrecevabilité, pourvu que le tribunal et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/477/2021 du 4 mai 2021 consid. 2c ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, p. 215 n. 808). Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision, ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/447/2021 du 27 avril 2021 consid. 2b et l'arrêt cité).

2.2 En l'espèce, il est clair, à la lecture de l'acte de recours, que la recourante demande l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle refuse la radiation du document no 3 de l'inventaire au 29 août 2022 et qu'elle sollicite ladite radiation.

Le recours est par conséquent recevable.

3.             Dans sa réplique, la recourante a demandé la radiation de son dossier de police du document no 1 de l'inventaire au 6 décembre 2022.

3.1 La juridiction administrative applique le droit d'office et ne peut aller au-delà des conclusions des parties, sans pour autant être liée par les motifs invoqués (art. 69 al. 1 LPA).

3.2 L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/1261/2022 du 13 décembre 2022 consid. 2b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/1261/2022 précité consid. 2b).

3.3 En l'espèce, le document no 1 de l'inventaire au 6 décembre 2022 ne figurait pas au dossier de police de la recourante au moment de sa requête le 22 août 2022, ni au moment de la décision litigieuse le 10 octobre 2022. Il correspond d'ailleurs au rapport de renseignements du 22 novembre 2022, postérieur à ces deux éléments.

La demande de radiation du document no 1, qui n'a pas été soumise à l'autorité intimée et a été formulée pour la première fois devant la chambre administrative, est dès lors exorbitante au litige, lequel porte exclusivement sur la conformité au droit du refus de radiation du document no 3 de l'inventaire au 20 août 2022, soit le rapport de renseignements du 27 septembre 2021 et ses annexes.

Le chef de conclusions de la recourante en radiation du document no 1 de l'inventaire au 6 décembre 2022 sera, partant, déclaré irrecevable.

4.             La recourante affirme que le refus de radiation serait disproportionné.

4.1 Selon la jurisprudence, la personne au sujet de laquelle des informations ont été recueillies a en principe le droit de consulter les pièces consignant ces renseignements afin de pouvoir réclamer leur suppression ou leur modification s'il y a lieu ; ce droit découle de l'art. 10 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), qui garantit la liberté personnelle, et plus spécifiquement de l'art. 13 al. 2 Cst. qui protège le citoyen contre l'emploi abusif de données personnelles. La conservation de renseignements dans les dossiers de police porte en effet une atteinte au moins virtuelle à la personnalité de l'intéressé car ces renseignements peuvent être utilisés ou consultés par les agents de la police, être pris en considération lors de demandes d'informations présentées par certaines autorités, voire être transmis à ces dernières (ATF 137 I 167 consid. 3.2 ; 126 I 7 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_580/2019 du 12 juin 2020 consid. 2). Pour être admissible, cette atteinte doit reposer sur une base légale, être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et être proportionnée au but visé (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_580/2019 précité consid. 2).

Les garanties de l'art. 13 al. 2 Cst. sont reprises à l'art. 21 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00).

4.2 À Genève, la protection des particuliers en matière de dossiers et fichiers de police est assurée par les dispositions de la LCBVM et de la loi sur l'information du public et l'accès aux documents du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08).

La police organise et gère les dossiers et fichiers en rapport avec l'exécution de ses tâches (art. 1 al. 1 LCBVM). Les dossiers et fichiers de police ne peuvent contenir des données personnelles qu'en conformité avec la LIPAD (art. 1 al. 2 LCBVM). Les institutions publiques veillent, lors de leur traitement, à ce que ces dernières soient pertinentes et nécessaires à l'accomplissement de leurs tâches légales (art. 36 al. 1 let. a LIPAD).

Des données personnelles sensibles ou des profils de la personnalité ne peuvent être traités que si une loi définit clairement la tâche considérée et si le traitement en question est absolument indispensable à l'accomplissement de cette tâche ou s’il est nécessaire et intervient avec le consentement explicite, libre et éclairé de la personne concernée (art. 35 al. 2 LIPAD). La police peut traiter des données personnelles sensibles et établir des profils de personnalité dans la mesure où la prévention des crimes et délits ou la répression des infractions l’imposent (art. 1 al. 3 LCBVM). Sont notamment des données personnelles sensibles, les données personnelles sur des poursuites ou sanctions pénales ou administratives (art. 4 let. b ch. 4 LIPAD).

Sauf disposition légale contraire, toute personne concernée par des données personnelles se voit conférer le droit d'accès à celles-ci et aux autres prétentions prévues par la LIPAD (art. 3A al. 1 LCBVM). Elle est en droit d'obtenir des institutions publiques, à propos des données la concernant, qu'elles détruisent celles qui ne sont pas pertinentes ou nécessaires (art. 47 al. 2 let. a LIPAD). Les droits et prétentions visés à l'art. 3A al. 1 peuvent être limités, suspendus ou refusés si un intérêt prépondérant public ou privé l’exige, en particulier l’exécution d’une peine, la prévention efficace des crimes et délits ou la sauvegarde d’intérêts légitimes de tiers (art. 3A al. 2 LCBVM).

4.3 La conservation des données personnelles dans les dossiers de police judiciaire tient à leur utilité potentielle pour la prévention, l'investigation et la répression des infractions pénales (arrêt du Tribunal fédéral 1C_363/2014 du 13 novembre 2014 consid. 2 = SJ 2015 I p. 128 ss). Elle poursuit ainsi des buts légitimes liés à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales (ACEDH Khelili c. Suisse du 18 octobre 2011, req. no 16188/07, § 59 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_363/2014 précité consid. 2).

Selon la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après : CourEDH), en matière de radiation de données personnelles dans les dossiers de police, le droit interne des États parties doit assurer que les données à caractère personnel sont pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu'elles sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire auxdites finalités (ACEDH Khelili précité, § 62 ; S. et Marper c. Royaume-Uni du 4 décembre 2008, req. no 30562/04, § 103).

Conformément aux exigences découlant des art. 10 al. 2 et 13 al. 2 Cst., dès le moment où des renseignements perdent toute utilité, leur conservation et l'atteinte que celle-ci porte à la personnalité ne se justifient plus ; ils doivent être éliminés (arrêts du Tribunal fédéral 1P.713/2006 du 19 décembre 2006 consid. 2 ; 1P.436/1989 du 12 janvier 1990 consid. 2b in SJ 1990 p. 564 ; ATA/1063/2020 du 27 octobre 2020 consid. 5c).

La conservation au dossier de police judiciaire des données relatives à la vie privée d'une personne condamnée au motif que cette dernière pourrait récidiver est en principe conforme au principe de la proportionnalité (ACEDH Khelili précité, § 66 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_363/2014 précité consid. 2). En revanche, tel n'est pas le cas en principe de la conservation de données personnelles ayant trait à une procédure pénale close par un non-lieu définitif pour des motifs de droit, un acquittement ou encore un retrait de plainte (arrêt du Tribunal fédéral 1C_363/2014 précité consid. 2).

La question de savoir si les documents et autres pièces litigieuses présentent une utilité pour la prévention ou la répression des infractions et si elles peuvent être conservées au dossier de police judiciaire du recourant doit être résolue au regard de toutes les circonstances déterminantes du cas d'espèce (ATF 138 I 256 consid. 5.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_51/2008 du 30 septembre 2008 consid. 4.2 in ZBl 110/2009 p. 389). Dans la pesée des intérêts en présence, il convient de prendre en considération la gravité de l'atteinte portée aux droits fondamentaux du requérant par le maintien des inscriptions litigieuses à son dossier de police, les intérêts des victimes et des tiers à l'élucidation des éléments de fait non encore résolus, le cercle des personnes autorisées à accéder au dossier de police et les intérêts de la police à pouvoir mener à bien les tâches qui lui sont dévolues (ATF 138 I 256 consid. 5.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_307/2015 du 26 novembre 2015 consid. 2).

4.4 Les caractéristiques d'une personne évoluent et les autorités ne doivent pas se référer à des images figées. Des faits peu importants perdent progressivement toute signification et la police ne peut plus en tirer aucune information utilisable pour le maintien de l'ordre et de la tranquillité publics. Le principe de la proportionnalité exige donc qu'à terme, ils soient éliminés des fichiers et des dossiers de la police (arrêt du Tribunal fédéral 1P.713/2006 précité consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.436/1989 précité in SJ 1990 p. 565).

Le législateur a renoncé à fixer un délai maximal régissant la garde de données personnelles ; la durée de conservation des données personnelles recueillies dans le dossier de police doit s'apprécier au regard de l'utilité potentielle des informations pour la prévention ou la répression des crimes et délits (arrêt du Tribunal fédéral 1P.713/2006 précité consid. 3.1 ; Mémorial des séances du Grand Conseil, séance du 16 décembre 1988, p. 7274/7275). Il n'y a pas lieu de se montrer trop sévère dans l'examen de cette question, car il se peut qu'une donnée a priori anodine prenne par la suite une importance que l'on ne pouvait soupçonner à l'origine (arrêts du Tribunal fédéral 1P.713/2006 précité consid. 3.1 ; 1P.3/2001 du 28 mars 2001 consid. 3a).

4.5 Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a jugé qu'en deçà d'une durée de cinq ans, qui semblait raisonnable au regard des intérêts en présence (principes de la liberté personnelle et de la proportionnalité), la conservation des renseignements ne devait pas être considérée comme inconstitutionnelle. Dans l'affaire en question, une personne sollicitait la radiation du rapport de police rédigé après que cette dernière eut dû lui ordonner de partir d'un établissement qu'elle refusait de quitter d'elle-même (arrêt du Tribunal fédéral 1P.3/2001 précité)

Dans une autre affaire, une personne sollicitait la radiation des dossiers de police de deux plaintes formées à son égard, lesquelles avaient été finalement classées faute d'avoir pu l'entendre sur les faits en question. Une troisième plainte avait été formée contre elle postérieurement, pour des faits similaires, laquelle avait abouti à sa condamnation à une peine de vingt jours d'emprisonnement avec sursis pendant cinq ans. Le Tribunal fédéral a alors confirmé le refus de l'autorité de radier des dossiers de police des plaintes ayant été classées, celles-ci n'ayant pas perdu tout intérêt pour la prévention et la répression des infractions, tout en précisant que la demande pourrait être réexaminée à l'issue du délai d'épreuve de cinq ans assorti à sa condamnation (arrêt du Tribunal fédéral 1P.713/2006 précité).

Le Tribunal fédéral a donné raison à un recourant qui avait sollicité en 2014 la radiation de son dossier de police de documents datant de 2012 se rapportant notamment à une procédure pénale ouverte à son encontre pour escroquerie et faux dans les titres. Cette procédure avait abouti à une ordonnance de classement, laquelle ne figurait toutefois pas au dossier de police et n'y était pas mentionnée, omission qui contrevenait à l'exigence de complétude des données collectées et de nature à porter gravement préjudice au recourant en pouvant laisser croire que la procédure était toujours pendante voire que le recourant pourrait être coupable des faits qui lui étaient reprochés dans la plainte. Le recourant n'avait jamais été condamné ou poursuivi pénalement avant les faits qui avaient donné lieu à la procédure pénale litigieuse, de sorte que la conservation de ces données ne se justifiait pas dans la perspective d'une éventuelle récidive. Les faits dénoncés n'étaient pas comparables quant à leur gravité à des causes relevant de la criminalité organisée ni à des infractions contre l'intégrité physique ou sexuelle, pour lesquelles la jurisprudence admettait que l'on puisse se montrer plus sévère pour déterminer si et dans quelle mesure les données devaient être conservées au dossier de police de l'intéressé dans l'intérêt des victimes potentielles. La probabilité que ces données puissent servir aux investigations ultérieures de la police ou à la prévention d'autres infractions était purement théorique. L'intérêt du recourant à voir ces données radiées de son dossier de police pour ne pas compromettre les chances de succès d'une nouvelle candidature à un poste au sein de la police genevoise l'emportait sur l'intérêt public à leur conservation. Le fait que la demande de radiation avait été présentée deux mois à peine après le classement de la procédure pénale n'y changeait rien (arrêt du Tribunal fédéral 1C_307/2015 précité).

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a relevé qu'une partie des pièces dont le recourant demandait la radiation (procès-verbaux d'audition en tant que prévenu et rapports de renseignement et de dénonciation) se rapportaient à des infractions non contestées, relevant de la petite délinquance et remontant à plus de dix ans, le recourant étant alors âgé de 23 ans, venant d'arriver en Suisse avec un statut provisoire de requérant d'asile et n'ayant ni travail ni revenu. Le recourant avait depuis entrepris une formation professionnelle dans le domaine juridique et il ne ressortait pas du dossier qu'il avait commis des infractions de même nature. Ces pièces avaient perdu toute utilité pour la prévention des infractions pénales ou d'une éventuelle récidive et leur maintien au dossier de police judiciaire du recourant ne s'imposait pas. D'autres pièces dont la radiation avait été demandée en 2019 (deux rapports de police de 2016 avec leurs annexes) concernaient des faits pour lesquels le recourant avait été reconnu coupable de contravention et condamné à une amende de CHF 2'500.-. Ces pièces, relativement récentes, présentaient encore une utilité pour la prévention des infractions pénales, nonobstant le retrait de plainte dans la mesure où celui-ci était intervenu à la suite d'une conciliation au terme de laquelle le recourant avait reconnu le bien-fondé de ladite plainte et s'était engagé à ne pas réitérer ses agissements répréhensibles, engagement dont il importait de s'assurer du respect en en conservant la trace dans son dossier de police judiciaire. Finalement, les extraits du journal des évènements de police en lien avec des interventions de police n'ayant débouché sur aucune poursuite pénale remontaient à une dizaine d'années environ et ne présentaient plus aucune utilité pour la prévention ou la répression criminelle (arrêt du Tribunal fédéral 1C_580/2019 précité consid. 3 à 5).

4.6 La chambre administrative a considéré que le refus de radier des fichiers de la police des condamnations datant de près dix ans pour des vols à réitérées reprises sur plusieurs années de trottinettes, de vélos, de vélomoteurs et de pièces détachées de scooters, ainsi qu'un incendie intentionnel sur le toit d'un cycle d'orientation, était conforme au droit, même si les faits avaient été commis lorsque le recourant était encore mineur et que la conservation de ces données dans les dossiers de police l'empêchait d'obtenir un poste au sein de la police cantonale genevoise (ATA/636/2016 du 26 juillet 2016).

La chambre administrative a plus récemment confirmé le refus de radier des dossiers de police du recourant, qui souhaitait exercer la profession d'agent de sécurité, un rapport d'arrestation faisant suite à des plaintes pour menaces, injures et infraction à la législation sur les armes datant d'environ cinq ans auparavant, qui n'apparaissait pas disproportionné au regard des faits en cause (notamment menaces de mort et de torture à l'égard de deux étudiantes durant plusieurs mois et menaces auprès d'une tierce personne concernant les deux jeunes femmes) dans un but de prévention, ayant par ailleurs relevé qu'il était logique que les autorités ne se montrent pas plus clémentes en termes de radiation d'antécédents judiciaires lorsque la personne concernée souhaitait faire carrière dans une branche nécessitant une intégrité et une honnêteté sans faille (ATA/839/2019 du 30 avril 2019 consid. 9).

La chambre administrative a été amenée à réexaminer la même affaire, 18 mois plus tard. Elle a alors constaté que la jurisprudence récente du Tribunal fédéral paraissait confirmer la jurisprudence selon laquelle la conservation des données dans le dossier de police s'imposait, en règle générale, pendant une durée de cinq ans au moins, et qu'elle ne se justifiait plus au-delà d'une durée de dix ans, sauf circonstances particulières. L'examen des circonstances concrètes de la situation litigieuse était d'autant plus important entre ces deux limites temporelles. Dans le cas d'espèce, les faits ne relevaient pas de la criminalité organisée ou d'infractions contre l'intégrité physique ou sexuelle et remontaient désormais à plus de sept ans. Le recourant s'était soumis à un suivi psychiatrique ambulatoire, avait entrepris plusieurs formations scolaires et professionnelles et n'avait à teneur du dossier pas commis de nouvelles infractions. Même si cette question n'était en soi pas déterminante, la condamnation figurait encore dans le casier judiciaire consultable par les autorités. La chambre administrative a ainsi admis la radiation des données en cause (ATA/1063/2020 du 27 octobre 2020 consid. 9).

4.7 En l'espèce, le document dont l'autorité intimée a refusé la radiation du dossier de police de la recourante est un rapport de renseignement du 27 septembre 2021 accompagné de ses annexes, lesquels concernent un conflit survenu entre la recourante et son ex-époux.

Ces faits ont fait l'objet d'une ordonnance de non-entrée en matière partielle s'agissant de la violation de domicile et la recourante a été condamnée à une amende de CHF 300.- pour voies de fait. Il n'y a donc pas lieu de prendre en considération l'aspect de répression des infractions pénales dans l'utilité potentielle des données conservées.

Reste à analyser, selon les circonstances concrètes du cas d'espèce, la prévention, soit le risque de récidive et la durée maximale de conservation des données de police selon l'importance des infractions, au regard du principe de la proportionnalité.

L’infraction de voies de fait constitue, comme le souligne à juste titre la recourante, une contravention (art. 103 CP), ce qui ne rentre pas dans le but de prévention des crimes et délits tel que prévu par l'art. 1 al. 3 et 3A al. 2 LCBVM.

À teneur du dossier en main de la chambre administrative, l'ordonnance pénale et de non-entrée en matière partielle ne figure pas dans les dossiers de police et n'y est pas mentionnée. Cela contrevient, conformément à la jurisprudence susmentionnée, à l'exigence de complétude des données collectées et est de nature à porter atteinte aux intérêts de la recourante, pouvant laisser croire qu'elle pourrait être coupable de lésions corporelles simples, selon la qualification juridique contenue dans le rapport de renseignements, et pour violation de domicile, selon la version des faits de son ex-époux figurant dans les documents en cause, alors même que seule une condamnation pour voies de fait a été prononcée, la violation de domicile ayant fait l'objet d'une non-entrée en matière. La recourante n'a par ailleurs, à teneur du dossier, aucun antécédent et les infractions en cause, dont seule celle de voies de fait a fait l'objet d'une condamnation, ne revêtent pas la gravité de la criminalité organisée ou de crimes et délits contre l'intégrité physique ou sexuelle.

En définitive et même si la commission de l'infraction, le rapport de renseignements et la condamnation remontaient à moins d'un an au moment de la requête de radiation et datent désormais d'à peine plus d'un an et demi, le rapport de renseignements et ses annexes ne présentent pas d'utilité pour la prévention des crimes et délits telle que prévue par la LCBVM. Il n'existe dès lors pas d'intérêt à la conservation des documents litigieux au dossier de police de la recourante. L'autorité intimée a, partant, abusé de son pouvoir d'appréciation en refusant de radier le document n3.

Dans ces circonstances, le recours sera admis, la décision de l'autorité intimée sera annulée et la radiation du document no 3 du dossier de police de la recourante selon l'inventaire au 29 août 2022 sera ordonnée.

5.             Vu l'issue du litige et la recourante plaidant au bénéfice de l'assistance juridique, aucun émolument ne sera mis à sa charge (art. 87 al. 1 LPA et 13 al. 1 RFPA). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée, la recourante n'ayant pas pris de conclusions en ce sens (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 11 novembre 2022 par Madame A______ contre la décision de la commandante de la police du 10 octobre 2022 ;

annule la décision de la commandante de la police du 10 octobre 2022 ;

ordonne la radiation du dossier de police de Madame A______ du document no 3 de l'inventaire au 29 août 2022 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Virginie MORO, avocate de la recourante, à la commandante de la police ainsi qu'au préposé cantonal à la protection des données et à la transparence.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Valérie LAUBER et Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :