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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1031/2023

ATA/452/2023 du 02.05.2023 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1031/2023-FPUBL ATA/452/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 2 mai 2023

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Thomas Barth, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT

 



Attendu, en fait, que :

A. a. Madame A______ a été engagée le 1er novembre 2018 en qualité de directrice générale de B______ (ci-après : B______) au sein du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP). Elle a été nommée fonctionnaire le 1er novembre 2020.

b. Dès la fin du mois de septembre 2021, plusieurs articles de presse ont fait état de graves dysfonctionnements dans le Foyer C______, notamment des faits de maltraitance sur des enfants accueillis dans ce foyer.

c. Par courrier du 3 décembre 2021, le DIP a convoqué Mme A______ à un entretien de service dans le but de l’entendre au sujet d’une éventuelle insuffisance des prestations fournies et d’une inaptitude à remplir les exigences du poste.

Il lui était notamment reproché de n’avoir pas été en mesure d’analyser les causes des problèmes rencontrés par B______, de définir et de planifier les actions réalistes pour y remédier, de n’avoir pas conclu des liens de collaboration avec les partenaires internes, de n’avoir pas réalisé les objectifs fixés par le DIP dans le cadre de sa lettre de mission, de n’avoir pas su gérer adéquatement la crise au Foyer C______, d’avoir continué à solliciter des travaux auprès de la direction générale pour agrandir et rénover ce foyer, de n’avoir pas tenu son budget pour préparer la rentrée 2021-2022, de n’être pas parvenue à apaiser les tensions et à nouer un dialogue constructif avec les collaborateurs et de n’avoir pas pris en compte les difficultés exprimées. Le DIP avait également relevé un manque de distance émotionnelle et d’analyse stratégique et politique.

S’ils étaient avérés, ces faits étaient susceptibles de constituer une violation de l’art. 20 du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01).

Mme A______ était libérée provisoirement de l’obligation de travailler jusqu’à la prise d’une décision sujette à recours.

d. Par courrier du 10 janvier 2022, Mme A______ a contesté l’intégralité des faits reprochés par le DIP dans son courrier du 3 décembre 2021.

e. L’entretien de service a eu lieu le 26 janvier 2022.

Mme A______ a notamment précisé entretenir de très bonnes relations tant avec ses collègues qu’avec les entités subventionnées et les associations de parents. Elle avait même contribué à améliorer la qualité de la relation entre B______ et l’ensemble des partenaires. La collaboration avec le mandataire externe avait été très problématique en raison de son comportement inadéquat. Les missions de l’office avaient été validées. La crise sanitaire et l’organisation de la rentrée 2021-2022 ne lui avaient pas permis d’avancer sur les travaux relatifs à la vision de l’B______ avant l’automne 2021.

f. Le 25 février 2022, les experts mandatés par le DIP ont rendu une analyse externe sur les dysfonctionnements et la maltraitance au Foyer C______. Il ressort notamment de ce rapport que, s’agissant des allégations de maltraitance sur des enfants accueillis dans le foyer, « les responsabilités étaient engagées, tant au niveau de la direction du foyer que de celle de B______, en particulier concernant les faits [de maltraitance physique imputables à un collaborateur du corps médical] signalés en avril 2019. Ceux-ci avaient été sous-estimés et n’avaient pas fait l’objet d’un traitement conforme aux pratiques de gestion en vigueur dans l’administration cantonale ».

B. a. Par décision du 13 juin 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, la conseillère d’État a ouvert une procédure de reclassement à l’endroit de Mme A______.

Mme A______ a recouru contre cette décision par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

Par arrêt du 27 mars 2023, la chambre administrative a rayé la cause du rôle, le recours étant devenu sans objet (ATA/302/2023).

b. Par arrêté du 15 juin 2022, déclaré exécutoire nonobstant recours, le Conseil d’État a libéré Mme A______ de son obligation de travailler à compter de la réception de celui-ci.

Le recours formé le 27 juin 2022 contre cet arrêté a été déclaré irrecevable par arrêt de la chambre administrative du 22 novembre 2022 (ATA/1169/2022).

c. Par arrêté du 15 février 2023, déclaré exécutoire nonobstant recours, le Conseil d’État a pris acte de la récusation de Mme D______ et résilié les rapports de service de Mme A______ avec effet au 31 mai 2023.

Les faits mis en exergue lors de l’entretien de service du 3 décembre 2021, avérés, n’étaient pas en adéquation avec les prestations attendues de la part d’un haut cadre de la fonction publique. De manière générale, Mme A______ avait adopté une posture trop opérationnelle par rapport aux missions inhérentes à sa fonction de directrice générale. Cette attitude avait eu pour conséquence un défaut de vision stratégique pour B______. Sa première note de service du 17 septembre 2020 devait être qualifiée de lacunaire. Elle n’avait pas rempli son cahier des charges, à teneur duquel il était prévu qu’elle élabore une stratégie en définissant les priorités et les axes de développement de B______ auprès des autorités de son département. Le message adressé à tous les membres du personnel de B______ le 22 octobre 2021 ne s’inscrivait pas dans la ligne stratégique alors transmise par la conseillère d’État en charge du DIP. Compte tenu du contexte sensible propre à B______, il aurait été à tout le moins attendu de sa part qu’elle sollicite sa hiérarchie en amont de l’envoi du message. L’absence d’utilisation des documents institutionnels de gestion de projet suite à la lettre de mission qui lui avait été adressée le 20 décembre 2019 devait être déplorée. L’organisation de la rentrée scolaire 2021-2022 démontrait son incapacité à gérer B______. Sa difficulté à être force de proposition s’était également manifestée dans le cadre de la problématique liée à la gestion horaire des éducatrices et éducateurs. Elle n’avait jamais été en mesure de proposer des solutions satisfaisantes et réalistes pour régler cette question complexe. Ses prestations étaient également insuffisantes s’agissant de la collaboration avec les partenaires internes et externes de B______. S’agissant des prestations en lien avec le foyer C______, il était attendu de sa part qu’elle remonte à sa hiérarchie des informations circonstanciées bien avant sa note du 29 mars 2021. Quant aux faits nouveaux relevés lors de l’entretien de service, elle aurait dû savoir que le casier judiciaire de Monsieur E______ était clairement incompatible avec un travail au sein du DIP. Elle aurait également dû faire preuve de plus de diligence dans le suivi du dossier d’une collaboratrice souffrant d’un problème d’alcool. Au vu de l’importance des différents manquements relevés dans l’exercice de sa fonction, force était de constater que ses prestations étaient insuffisantes.

C. a. Par acte du 31 août 2022, Mme A______ a recouru par-devant la chambre administrative contre cet arrêté, concluant à son annulation et à la restitution de l’effet suspensif.

La décision ne contenait pas la moindre motivation s’agissant du caractère exécutoire de la décision. Or, le prononcé exécutoire devait demeurer l’exception, et non la règle. La décision la privait de tout revenu à compter du 31 mai 2023 et portait gravement atteinte à son avenir professionnel et à sa personnalité, alors même que la réalité des griefs élevés à son encontre n’était nullement établie.

b. Le 6 avril 2023, le DIP a conclu au rejet de la requête en restitution de l’effet suspensif.

Accorder l’effet suspensif, soit réintégrer la recourante dans son poste de directrice générale de B______, reviendrait à lui accorder ses conclusions au fond, avant même qu’un jugement au fond soit prononcé, ce qui était prohibé. Il ressortait de la décision entreprise et des pièces au dossier que la recourante, en sa qualité de directrice générale, n’avait pas su régler la transformation nécessaire de B______. Les différents griefs exposés dans l’arrêté entrepris étaient exemplatifs du niveau insuffisant de ses prestations. À compter de la libération de son obligation de travailler, les directions générales ad interim successives de B______ avaient permis d’initier les restructurations nécessaires de l’office. L’intérêt privé de la recourante à reprendre son activité professionnelle devait céder le pas à l’intérêt public de pouvoir mener à bien les mesures d’ores et déjà mises en place à B______ ainsi que celles à venir. Le préjudice financier invoqué par la recourante n’était démontré par aucune pièce. Elle ne soutenait pas avoir entrepris des démarches pour faire valoir ses droits à des indemnités de chômage.

c. Le 21 avril 2021, la recourante a persisté dans ses conclusions sur effet suspensif. L’ensemble des paramètres du dossier, de même que les nombreuses pièces et explications détaillées produites, permettaient de parvenir à la conclusion que l’intérêt privé de la recourante à réintégrer son poste était prépondérant.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1.             Le recours est interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Les décisions sur effet suspensif et mesures provisionnelles sont prises par le président, respectivement par le vice-président, ou en cas d’empêchement de ceux-ci, par un juge (art. 21 al. 2 LPA ; 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

2.1 Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3 ; ATA/997/2015 du 25 septembre 2015 consid. 3).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 
253-420, p. 265).

L’octroi de mesures provisionnelles, dont fait partie la restitution et le retrait de l’effet suspensif, présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405 ; du 18 septembre 2018).

Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

2.2 Selon l’art 21 al. 3 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), l'autorité compétente peut résilier les rapports de service du fonctionnaire pour un motif fondé. Elle motive sa décision. Elle est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnels et de rechercher si un autre poste au sein de l'administration cantonale correspond aux capacités de l'intéressé. Les modalités sont fixées à l’art. 46A RPAC.

Selon l’art. 22 LPAC, il y a motif fondé lorsque la continuation des rapports de service n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration, soit notamment en raison de : l'insuffisance des prestations (let. a), l'inaptitude à remplir les exigences du poste (let. b) et la disparition durable d'un motif d'engagement (let. c).

Si la chambre administrative de la Cour de justice retient que la résiliation des rapports de service ne repose pas sur un motif fondé, elle ordonne à l’autorité compétente la réintégration (art. 31 al. 2 LPAC).

2.3 En l'espèce, si la recourante devait obtenir gain de cause sur la question de l'existence d'un motif fondé de licenciement, sa réintégration serait obligatoirement ordonnée par la chambre de céans (art. 31 al. 2 LPAC ; ATA/348/2019 du 2 avril 2019 consid. 7).

Devant la chambre de céans, la recourante se plaint de ce que l’autorité intimée s’est contentée de prononcer, sans aucune motivation, le caractère exécutoire de la décision, alors qu’en principe les décisions ont effet suspensif. Il ressort toutefois de la décision entreprise que le retrait de l’effet suspensif est motivé par l’intérêt public prépondérant à son exécution immédiate. L’intimé a ainsi appliqué la jurisprudence constante de la chambre administrative, rendue en matière de résiliation des rapports de service, selon laquelle l'intérêt public à la préservation des finances de l’État est important et prime l’intérêt financier du recourant à percevoir son salaire durant la procédure (ATA/227/2023 du 7 mars 2023 ; ATA/466/2021 du 28 avril 2021 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020 ; ATA/1559/2019 du 21 octobre 2019).

La recourante se plaint de ce que la décision la prive de tout revenu à compter du 31 mai 2023. Elle se limite toutefois à invoquer ce point, sans démontrer en quoi la décision entreprise lui causerait un dommage difficile à réparer. Elle ne prétend en particulier pas qu’elle n’aurait pas droit aux indemnités de chômage. La chambre de céans relève au demeurant que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un employé rétabli dans son statut de fonctionnaire a droit au paiement du salaire qui aurait été dû si les rapports de service n'avaient jamais cessé (arrêts du Tribunal fédéral 8C_635/2021 du 13 janvier 2022 consid. 6.3 ; 8C_546/2020 du 25 janvier 2021 consid. 6).

Quant à l'atteinte à sa réputation et à son avenir professionnel, force est de rappeler la jurisprudence de la chambre de céans, selon laquelle un dommage psychologique ou d'image résultant du fait de la libération de travailler, de la suspension provisoire ou de la résiliation des rapports de service ne saurait à lui seul justifier la réintégration à titre provisoire (ATA/663/2018 du 26 juin 2018 consid.4b ; ATA/443/2016 du 26 mai 2016 consid. 6 ; ATA/1383/2015 du 23 décembre 2015 consid. 2). L’argumentation, toute générale, selon laquelle « l’ensemble des paramètres du dossier » permettrait de retenir que l’intérêt privé de la recourante à réintégrer son poste serait prépondérant, ne suffit pas à justifier une réintégration immédiate.

Enfin, et sans préjudice de l’examen au fond, les chances de succès du recours ne paraissent pas à ce point manifestes qu’elles justifieraient à elles seules la restitution de l’effet suspensif.

La requête de restitution de l’effet suspensif sera, partant, rejetée.

3.             Les frais de la procédure seront réservés jusqu'à droit jugé au fond.

 

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

communique la présente décision à Me Thomas Barth, avocat de la recourante ainsi qu'au Conseil d'État.

 

 

La présidente :

 

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :