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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3229/2022

ATA/21/2023 du 11.01.2023 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3229/2022-PRISON ATA/21/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 janvier 2023

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON



EN FAIT

1) Monsieur A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon en détention avant jugement depuis le 24 août 2022.

2) Il a fait l’objet, le 20 septembre 2022, d’une sanction de 3 jours de cellule forte pour menaces envers le personnel, en récidive.

Selon le rapport d’incident du même jour, il était reproché à M. A______, à cette même date, à 07h42, à l’occasion de la tournée médicale, de s’être levé de son lit, d’avoir interpellé l’agent de détention présent en lui montrant son cou et en le pointant du doigt. Il lui avait dit « le monde est petit, on se retrouvera ». L’agent lui avait demandé si c’était une menace à quoi il avait répondu « oui c’est une menace».

La sanction a été exécutée du 20 septembre 2022 à 09h00 jusqu’au 23 septembre 2022 à la même heure.

3) a. M. A______ a formé recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette sanction par courrier daté du 23 septembre 2022, mis à la poste 3 octobre 2022.

Il avait été provoqué par un agent de détention stagiaire qui n’avait aucune expérience. Il lui avait demandé de se déshabiller, ce qu’il avait fait, puis de se retourner et de lui montrer ses fesses. « Avec tout mon respect je ne suis pas une strip-teaseuse ou une fille de joie ». Il s’agissait d’une humiliation.

b. Dans un second courrier adressé à la chambre administrative, daté du 23 septembre 2022 également, mais reçu le 5 octobre 2022, M. A______ a indiqué vouloir faire recours contre « une sanction » car il n’avait rien fait de mal. Il avait juste parlé avec l’agent pénitentiaire qui l’avait forcé et lui avait touché les fesses avec ses mains, au moment du passage du service médical pour délivrer les médicaments. « Sans faire attention », lui-même s’était levé et avait parlé à l’agent de « l’autre jour à l’hôpital ». Il n’était pas agressif ni l’avait insulté. Il lui avait dit que le monde était petit car il l’avait violé. Il trouvait qu’il n’était pas juste d’avoir « pris » 3 jours de cachot. « [ ]tout le monde ici veut faire le juge et le procureur. Elle est où la liberté d’expression [ ] depuis ce jour-là presque tous les agents sont contre moi, pas tous mais presque la moitié ».

4) La direction de la prison a conclu, le 4 novembre 2022, au rejet du recours.

Les faits étaient clairement établis et ressortaient du rapport d’incident. M. A______ n’amenait aucun élément permettant de s’en écarter.

S’il était vrai que le placement en cellule forte constituait la sanction la plus sévère, les menaces proférées au membre du personnel pénitentiaire devaient être qualifiées d’un manquement grave et constituaient un événement sérieux. Ce comportement belliqueux était inadmissible et pouvait gravement nuire aux conditions d’intégrité d’un établissement pénitentiaire. Par ailleurs, il avait été tenu compte d’une sanction précédente du 27 août 2022, de 8 jours de cellule forte, pour violences physiques exercées sur le personnel, menaces envers le personnel, refus d’obtempérer et attitude incorrecte envers le personnel. Ainsi, M. A______ s’obstinait dans son comportement transgressif et irrespectueux à l’égard du personnel pénitentiaire, comportement qui était inacceptable.

5) M. A______ n’a pas répliqué dans le délai imparti à cet effet.

6) Les parties ont été informées, le 19 décembre 2022, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Lorsque la sanction a déjà été exécutée, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours. Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un tel intérêt lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/1104/2018 du 16 octobre 2018 consid. 2).

b. En l’espèce, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d’un placement en cellule forte doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée. Dans la mesure où rien dans le dossier ne laisse à penser que le détenu ait quitté l’établissement à ce jour, le recours conserve ainsi un intérêt actuel et est en conséquence recevable (ATA/1104/2018 précité ; ATA/1135/2017 du 2 août 2017).

3) a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50). Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP), et n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP). À teneur de l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour 10 jours au plus (let. g). Il peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions pour le placement en cellule forte de 1 à 5 jours à d'autres membres du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

d. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 consid. 5 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018 consid. 6).

4) a. Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101)., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

b. En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limite à l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du 19 septembre 2014 consid. 7b).

c. Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé des sanctions d’arrêts de 2, voire 3 jours de cellule forte pour des menaces d’intensité diverse (voir la casuistique exposée dans l’ATA/136/2019 du 12 février 2019 consid. 9b).

5) En l’espèce, il ressort du rapport d’incident que le recourant s’est montré menaçant avec un agent de détention au moment de la tournée médicale. Il s’est levé de son lit, a montré son cou audit agent puis l’a pointé du doigt. Il a assorti ces deux gestes de la phrase «  le monde est petit, on se retrouvera » et a confirmé à l’agent qu’il s’agissait bien d’une menace.

Il n’existe aucun élément au dossier permettant de remettre en cause les affirmations de cet agent. Les explications du recourant sur cet épisode ne convainquent pas, étant relevé qu’il a admis avoir dit à cet agent que le monde était petit, car celui-ci l’aurait violé. Outre qu’il s’agit là d’accusations extrêmement graves, elles ne trouvent aucune assise dans le dossier et s’ajoutent aux autres explications du détenu, dans son second courrier, selon lesquelles ce même agent lui aurait demandé de se déshabiller, de se retourner et de lui montrer ses fesses, ce qu’il avait trouvé humiliant. Les incohérences entre ces versions ne permettent pas de remettre en cause la version de l’agent de détention, dûment assermenté.

Il est dans ces conditions établi que le recourant a de manière volontaire menacé par le geste et la parole cet agent de détention.

Le recourant a donc bien adopté une attitude non conforme au règlement.

Le principe d’une sanction est donc fondé.

6) Reste à examiner si la sanction consistant en 3 jours de cellule forte était proportionnée.

a. Le placement en cellule forte est la sanction la plus sévère parmi le catalogue des sept sanctions mentionnées par l'art. 47 RRIP (art. 47 al. 3 let. g RRIP). En l'occurrence, la durée de celle infligée au recourant est de 3/10èmes du maximum réglementaire.

b. L'autorité intimée jouit d'un large pouvoir d'appréciation que la chambre de céans ne revoit qu'avec retenue.

La prison doit être suivie lorsqu’elle considère que le comportement adopté par le recourant devait être sanctionné sévèrement, puisque constituant un manquement grave et un événement sérieux. Ce comportement belliqueux est inadmissible et peut effectivement gravement nuire aux conditions d’intégrité d’un établissement pénitentiaire.

La prise en compte, en tant qu’antécédent, de la sanction infligée moins d’un mois plus tôt, de 8 jours de cellule forte, pour des faits de violence à l’encontre du personnel pénitentiaire, soit des comportements du même ordre, justifie d’autant plus la sanction querellée.

Aussi, tant le choix de la sanction, que sa quotité étaient aptes, nécessaires et proportionnés au sens étroit pour garantir la sécurité et la tranquillité de l'établissement et s'avèrent conformes au droit.

Au vu de ce qui précède, le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.

7) Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 octobre 2022 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 20 septembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Meyer

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :