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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/850/2022

ATA/868/2022 du 30.08.2022 ( PROC ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : RÉVISION(DÉCISION);VENTE;LOGEMENT;AUTORISATION OU APPROBATION(EN GÉNÉRAL);QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION;INTÉRÊT ACTUEL
Normes : LPA.60.al1.leta; LPA.60.al1.letb; LDTR.39.al1; LDTR.39.al2; LDTR.39.al3; LDTR.39.al4; RDTR.12.al1; RDTR.12.al2; RDTR.15
Résumé : Demande de révision de l'ATA/266/2013 du 30 avril 2013 confirmant deux autorisation d'aliéner délivrées par le département en novembre 2011 et février 2012 sur la base de l'art. 39 al. 4 LDTR. Durant une procédure civile intentée parallèlement à son encontre, suite à l'arrêt litigieux, ASLOCA a estimé que l'autorisation d'aliéner de février 2012 était viciée. L'autorisation d'aliéner dont la validité était l'objet du litige de l'ATA/266/2013 n'a jamais été utilisée, est devenue caduque et n'a pas d'effets juridiques. Demande de révision déclarée irrecevable à cause d'un manque d'intérêt direct, actuel et pratique à l'admission de la demande de révision. L'existence d'une procédure civile à son encontre, sur laquelle l'ASLOCA base son intérêt à agir est exorbitante à l'objet du litige et peut tout au plus causer une atteinte « par ricochet ».
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/850/2022-PROC ATA/868/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 août 2022

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Romolo Molo, avocat

contre

 

 

Hoirie de feu Monsieur B______, soit pour elle,
Madame C______ et Madame D______

 

Hoirie de feu Monsieur E______, soit pour elle,

Monsieur F______ et Monsieur G______

Hoirie de feu Monsieur H______, soit pour elle,

Madame et Monsieur I______



J______

K______

L______
représentés par Me François Bellanger, avocat

et

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE – OFFICE CANTONAL DU LOGEMENT ET LA PLANIFICATION FONCIÈRE

et

COUR DE JUSTICE – CHAMBRE ADMINISTRATIVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

EN FAIT

1) Par arrêt du 30 avril 2013 (ATA/266/2013), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a rejeté le recours de A______ (ci-après : A______) contre le jugement du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) confirmant deux arrêtés du 14 novembre 2011 (VA 1______) et du 6 février 2012 (VA 2______) rendus par l'ancien département des constructions et des technologies de l’information devenu le département du territoire (ci-après : le département).

Ces arrêtés avaient pour objet l'aliénation de deux appartements (n° 3______ et 4______), de 97 m2 chacun, comportant quatre pièces et un balcon, situés dans l'immeuble sis à l'angle du chemin ______et avenue ______ en Ville de Genève. Les appartements étaient soumis au régime de la propriété par étages (ci-après: PPE) depuis juin 1996. L'appartement n° 3______ avait été loué à Monsieur M______ entre le 1er décembre 1996 et le 30 juin 2011. L'appartement n° 4______ avait été loué à Madame et Monsieur N______ du 1er décembre 1996 au 30 novembre 2012.

Les deux appartements appartenaient depuis 2002, sous la forme d'une société simple, à K______ (ci-après : K______), J______ (ci-après : J______) et Messieurs E______, H______et B______ (ci-après : les propriétaires).

Par l'arrêté du 14 novembre 2011 précité, le département avait autorisé l'aliénation de l'appartement n° 3______ au profit de Madame O______pour le prix de CHF 1'500'000.-.

Par l'arrêté du 6 février 2012 précité, le département avait autorisé l'aliénation de l'appartement n° 4______ au profit de P______ (ci-après : P______) pour le prix de CHF 1'400'000.-. L'acquéreur s'était engagé à reprendre les droits et obligations découlant du contrat de bail de Mme et M. N______.

Considérant que les appartements nos 3______ et 4______ avaient été construits en PPE selon les extraits du registre foncier (ci-après : RF) et le cahier de répartition déposé au service du cadastre en juin 1996, figurant au dossier, et appartenaient depuis 2002 aux cinq membres de la société simple, la chambre administrative avait jugé que la condition prévue à l'art. 39 al. 4 let. a de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) était remplie et que partant le département était tenu de délivrer les autorisations d'aliéner sollicitées pour les deux appartements en cause.

La chambre de céans avait partant rejeté le recours de A______ contre les deux arrêtés du département des 14 novembre 2011 et 6 février 2012. Son arrêt du 30 avril 2013, notifié à A______ le 7 mai 2013, n'a pas été contesté et est entré en force en juin 2013.

2) a. Le 15 mars 2022, A______ a demandé à la chambre de céans la révision de l'ATA/266/2013 précité, en concluant à son annulation en ce qu'il rejetait le recours visant l'autorisation VA 2______ du 6 février 2012, au remboursement de plusieurs frais mis à sa charge dans la procédure administrative ayant abouti à l'arrêt litigieux, et à ce que les intimés soient condamnés aux frais d'instance et à une participation équitable aux honoraires d'avocats.

Durant la procédure devant la chambre administrative, soit en juin 2012, J______ avait cédé l'ensemble de ses actifs et passifs à L______ (ci-après : L______). Les propriétaires nouvellement constitués n'avaient cependant pas informé la chambre de céans qui avait rendu l'ATA précité au profit de J______.

L'ATA était vicié car l'arrêté VA 2______ avait été obtenu de manière frauduleuse par les intimés. Elle avait découvert ce vice dans le cadre d'une action civile en dommages-intérêts (C/5______/2015 – 19) formée à son encontre par les propriétaires en 2015 et encore pendante, d'une valeur litigieuse de CHF 369'980.86, en raison des recours qu'elle avait interjetés devant la juridiction administrative contre les autorisations d'aliéner.

À l'issue de la procédure de recours, l'appartement n° 4______ n'avait pas été acquis par P______ mais par les époux Q______, pour un prix de CHF 1'200'000.- à la suite de l'obtention d'une deuxième autorisation d'aliéner (VA 6______) le 11 mars 2014. Dans leur action en dommages-intérêts, les propriétaires lui réclamaient à titre de dommage, non pas la différence entre le prix de vente de l'appartement aux époux Q______ et le prix de vente figurant dans le VA 2______, mais la différence entre le prix de vente aux époux Q______ et celui de CHF 1'440'000.- qu'ils auraient espéré obtenir d'une tierce personne, Madame R______ qui, d'après les allégués des propriétaires, s'était intéressée à l'acquisition de l'appartement en août 2012. A______ avait été surprise d'apprendre au cours de la procédure civile que P______ s'était désistée de l'acquisition de l'appartement litigieux en novembre 2012, sans que cela soit signalé à la chambre administrative, ce qui aurait conduit au déboutement des propriétaires s'agissant de la procédure en lien avec le VA 2______.

Entendue en tant que représentante de K______ dans une audience de débats principaux du 7 mars 2022 devant le Tribunal civil de première instance (ci-après : TPI ; C/5______/2015 – 19), Mme S______ avait déclaré que : « la société P______, c'[était] nous. C'[était] une manière d'obtenir l'autorisation sans attendre de trouver un acquéreur ( ) l'identité de l'acheteur n'était pas une condition relevante pour la délivrance de l'autorisation. ( ) il n'était pas nécessaire d'obtenir une seconde autorisation de vente au bénéfice de Mme R______. ( ). Cela se faisait beaucoup à l'époque pour éviter de perdre des acheteurs à cause d'une procédure trop longue. Souvent [ils] demand[aient] des autorisations de vendre juste après la résiliation du bail par le locataire pour éviter de laisser l'appartement vide. P______ n'avait pas l'intention d'acheter l'appartement [n° 4______]. Il s'agissait pour les vendeurs d'obtenir une autorisation de vente. ( ) P______ ne s'[était] pas particulièrement désistée de l'acquisition, c'[était] Madame R______ qui s'[était] désistée ».

Lors de la même audience, M. T______, représentant J______, avait indiqué : « une fois que l'autorisation [avait] été délivrée, il n'[était] plus nécessaire de demander une nouvelle autorisation pour le même appartement ( ) c'[était] une autorisation de vente et non pas d'achat. Le couple Q______ n'[avait] donc pas eu besoin d'une autorisation d'achat ».

Les déclarations de Mme S______ et M. T______ constituaient des moyens de preuve nouveaux et démontraient que l'autorisation d'aliéner octroyée par l'arrêté VA 2______ avait été simulée au vu de l'absence d'intention de P______ d'acquérir l'appartement. De plus, l'identité des organes entre P______ et plusieurs des propriétaires indiquait que la simulation était concertée entre les vendeurs et l'acquéreur. Quant à l'intention de vendre l'appartement à Mme R______, cet acte dissimulé n'avait jamais satisfait aux conditions de forme d'une autorisation d'aliéner et était nul. Si ces faits avaient été connus au moment de la procédure de recours, la chambre administrative n'aurait pas validé l'arrêté VA 2______.

b. Elle produisait entre autres plusieurs extraits du Registre du commerce (ci-après : RC) concernant P______, J______, L______ et K______, ainsi que le procès-verbal de l'audience de débats principaux du 7 mars 2022 dans la procédure C/5______/2015 – 19.

Il ressort de ces extraits du RC (pièces 4bis, 4ter, 4quater et 4 quinquies), que P______ comptait parmi ses administrateurs M. T______ et Mme S______. M. T______ était également associé indéfiniment responsable de J______ et administrateur de L______. Mme S______ était administratrice-présidente de K______.

3) Le 25 avril 2022, le département, soit pour lui l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) a conclu à l'irrecevabilité de la demande de révision.

L'autorisation d'aliéner VA 2______ était devenue caduque de plein droit en janvier 2014, faute d'avoir été utilisée par P______ dans le délai de validité de six mois depuis son entrée en force en juin 2013. Cela rendait la demande de révision sans objet. L'argument de A______ selon lequel les déclarations de Mme S______ et M. T______ devaient être qualifiés de faits nouveaux importants ne pouvait ainsi être suivi. L'arrêt litigieux portait uniquement sur le bien-fondé de l'arrêté VA 2______ délivré dans le respect des conditions prévues par la loi, ce que la chambre administrative avait confirmé. En mettant en cause l'intention de P______, la demanderesse perdait de vue que cette dernière avait, à la suite de la délivrance de l'autorisation d'aliéner, la possibilité et non pas l'obligation de devenir propriétaire de l'appartement n°4______, possibilité dont elle n'avait, au final, pas fait usage. Le seul élément potentiellement nouveau était lié à la procédure civile intentée contre elle par les anciens propriétaires de l'appartement. Cette action était étrangère à la procédure en révision au point qu'elle était susceptible d'en constituer un emploi abusif.

4) a. Dans leur réponse du 16 mai 2022, les propriétaires ont conclu à l'irrecevabilité de la demande en révision et à ce que A______ soit condamnée en tous les frais et dépens.

L'unique élément nouveau soulevé par la demanderesse était le procès-verbal d'audition du 7 mars 2022 devant le TPI. Lors de son audition à cette occasion, Mme S______ avait fait état d'une pratique ancienne qui consistait à demander une autorisation au nom d'un vendeur au moment du départ d'un locataire pour obtenir une autorisation, puis de changer d'acquéreur par un avenant à l'autorisation, si les conditions étaient restées identiques. Quant aux déclarations de M. T______, sa mémoire avait été défaillante au sujet de l'absence d'autorisation pour la vente aux époux Q______, puisque ladite autorisation avait été expressément demandée et obtenue. Ces deux auditions n'étaient que des souvenirs de deux représentants des parties demanderesses, dix ans après les faits.

L'argument de la demanderesse selon lequel P______ n'avait jamais eu l'intention d'acquérir l'appartement était faux. P______ était intervenue comme acquéreuse potentielle et ne s'était pas désistée durant toute la procédure. Le dépôt de la requête d'autorisation d'aliéner au nom de P______ ne signifiait pas qu'un acte de vente avait été signé avec celle-ci. La conclusion d'un contrat de vente préalablement à la requête n'était pas une condition nécessaire pour l'obtention de l'autorisation. Le formulaire de requête d'autorisation nécessitait en effet uniquement le projet de contrat de vente avec le futur acquéreur. En réalité, aucune vente n'avait été conclue entre les propriétaires et P______ avant l'obtention de l'arrêté VA 2______ et cette absence d'acte juridique rendait impossible une quelconque simulation. L'identité des administrateurs de P______ était par ailleurs de notoriété publique, de sorte que A______ ne pouvait plus soulever cette question dans le cadre de sa demande en révision alors qu'elle ne l'avait pas fait durant la procédure en 2012. Les prétendues intentions de P______ ne constituaient ainsi pas un fait nouveau. La demanderesse savait depuis 2014 que P______ n'avait pas acheté l'appartement et était ce nonobstant restée inactive. Elle ne pouvait donc invoquer ces faits huit ans après la fin de la procédure en se basant sur de vagues déclarations de Mme S______ et M. T______.

La question de l'identité de l'acquéreur était sans pertinence, l'arrêt litigieux tranchant uniquement un point de droit sur la portée de l'art. 39 al. 4 let. a LDTR. A______ aurait dû recourir au Tribunal fédéral contre l'ATA/266/2013 si elle contestait le rôle de P______.

b. Ils ont notamment produit, à l'appui de leur écriture, le formulaire de requête en autorisation d'aliéner un appartement du 16 janvier 2014, pour la vente de l'appartement n° 4______ aux époux Q______, l'arrêté du département du 11 mars 2014, octroyant cette autorisation d'aliéner et un formulaire vierge de requête en autorisation d'aliéner mentionnant les documents à joindre.

5) Dans sa réplique du 16 juin 2022, A______ a relevé que les déclarations de Mme S______ lors de l'audience du 7 mars 2022 révélaient un fait antérieur dont la preuve était habituellement impossible à apporter. L'information selon laquelle P______ n'avait jamais eu l'intention d'acheter l'appartement, constituait ainsi un fait nouveau important. P______ avait en réalité renoncé ab initio et rétroactivement à l'achat, ce qui ressortait du témoignage de Mme S______ qui était assorti d'une valeur probante élevée. L'autorisation d'aliéner litigieuse était un acte juridique simulé et le fait d'admettre de telles pratiques avait le potentiel de devenir encore plus grave, à la lumière du nouvel art. 12A du règlement d’application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 29 avril 1996 (RDTR - L 5 20.01), et de rendre vain tout contrôle des conditions réelles des autorisations d'aliéner. Lorsque tant le vendeur que l'acheteur étaient certains de ne pas vouloir aliéner l'appartement, tel le cas d'espèce, la requête en autorisation était un acte nul à moins d'estimer qu'il était possible d'indiquer « n'importe quel contenu » dans une requête administrative, ce qui reviendrait à laisser le nom de l'acquéreur en blanc en violation de la loi.

La question de la caducité de l'autorisation d'aliéner soulevée par l'OCLPF était liée au bien-fondé de la requête de révision et non pas à sa recevabilité. Le département soulevait en réalité la question de l'intérêt à agir de la demanderesse. Cet intérêt était non seulement factuel, mais aussi juridique. La demande de réduction des dépens et frais de la cause n'était possible qu'au moyen de la révision de l'arrêt litigieux. De plus, l'action civile intentée à l'encontre de A______ reposait sur la validation de la VA 2______, même caduque. Si l'autorisation était déclarée nulle ou annulée, les prétentions en dommages-intérêts des propriétaires seraient réduites d'un montant supérieur à CHF 200'000.-. La caducité de l'autorisation était en outre sans importance car, en statuant sur rescisoire, la chambre administrative se baserait sur un état de fait comprenant une autorisation encore en force au 30 avril 2013.

A______ n'avait pas pu recourir contre l'arrêt litigieux car elle n'avait pas la qualité pour le faire au Tribunal fédéral contre les arrêts en matière de LDTR.

6) Les propriétaires ont dupliqué le 20 juillet 2022. Ils ont persisté globalement dans leurs conclusions.

Mme S______ avait été entendue lors de l'audience du 7 mars 2022 en tant que représentante de K______ et non pas comme témoin. Elle ne pouvait s'exprimer au nom de P______, celle-ci n'étant pas partie à la procédure civile. Ses déclarations concernaient uniquement K______ et ne pouvaient être imputées à P______. Elles ne modifiaient pas l'état de fait ayant conduit à l'adoption de l'arrêt litigieux.

7) Par courrier du 27 juillet 2022, A______ a fait valoir son droit inconditionnel à la réplique.

Les parties entendues en audience étaient soumises aux mêmes exigences de dire la vérité que les témoins. Les avocats étaient tenus à une exigence de probité accrue. Il était curieux de prétendre qu'une seule et même personne physique, organe de deux personnes morales différentes, pourrait de ce fait se permettre de faire des déclarations en justice contradictoires pour l'une ou l'autre de ces personnes morales. Les déclarations faites sous serment par une personne physique, organe des deux sociétés, liaient ces deux personnes morales de la même manière. L'identité des organes de P______ et K______ n'entraînait pas ipso facto une simulation, cependant celle-ci résultait de l'absence initiale avérée et avouée de toute intention d'acheter de P______, et de toute intention de vendre des défendeurs. A______ ne pouvait pas savoir avant le 7 mars 2022 que P______ n'avait eu aucune intention d'acheter déjà au moment du dépôt de la demande d'autorisation d'aliéner.

8) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Il convient de se poser en premier lieu la question de savoir si A______ a la qualité pour agir en révision.

a. La qualité pour demander la révision se détermine selon les règles applicables à la qualité pour recourir dans la procédure antérieure (ATF 138 V 161 consid. 2.5.2). Aux termes de l'art. 60 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), ont qualité pour recourir les parties à la procédure ayant abouti à la décision attaquée (let. a), ainsi que toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b). Les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle. Ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/1392/2021 du 21 décembre 2021 consid. 2a).

b. Pour disposer d'un intérêt digne de protection, le recourant doit avoir un intérêt actuel et pratique à l'admission du recours (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 134 II 120 consid. 2; arrêt TF 2F_21/2016 du 6 juillet 2018 consid. 3.1). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1) ; s'il s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 ; 118 Ib 1 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3). Ainsi, dans un souci d'économie de procédure, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non pas de prendre des décisions à caractère théorique (ATF 136 I 274 ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2ème éd., 2015, p. 483).

L'intérêt digne de protection consiste dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait. Il implique que le recourant soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grande que la généralité des administrés et se trouve, avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; 137 II 40 consid. 2.3 ; 133 II 468 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_837/2013 du 11 avril 2014 consid. 1.1). Le recourant doit démontrer que sa situation factuelle et/ou juridique peut être avantageusement influencée par l'issue du recours (ATA/14/2022 du 11 février 2022 consid. 5c). Tel n'est pas le cas de celui qui n'est atteint que de manière indirecte, médiate, ou encore « par ricochet » (ATA/1821/2019 du 17 décembre 2019 ; ATA/552/2006 du 17 octobre 2006). Un intérêt seulement indirect à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée n'est pas suffisant (ATF 138 V 292 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 1C_665/2013 du 24 mars 2014 consid. 3.1). L’intérêt public à une application correcte et uniforme du droit ne suffit pas pour conférer aux autorités la qualité pour recourir (ATF 141 II 161).

c. Dans une affaire similaire, A______ s'était opposée à la vente d'appartements autorisée sur la base d'un acte notarié attestant que l'immeuble avait été soumis à un régime analogue à la PPE. La société propriétaire avait intenté une action civile en dommages-intérêts pour le retard causé dans ces transactions. Il avait été découvert par la suite que l'acte notarié était vicié et que les ventes n'auraient pas dû être autorisées. A______ avait fait une demande de révision (ATA/725/2020 du 4 août 2020) et déposé plainte pénale sur cette base. Dans cette dernière procédure pénale, le Tribunal fédéral a cependant nié sa qualité de partie, considérant que le préjudice qui pouvait être causé à A______ en raison de l'usage de l'acte notarié à l'appui de démarches ultérieures, telle une procédure civile, ne constituait pas un intérêt direct (arrêt du Tribunal fédéral du 1B_446/2020 du 27 avril 2021).

d. L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/467/2017 du 25 avril 2017 consid. 3b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/1060/2018 du 9 octobre 2018 consid. 3a et les références citées).

2) Il convient de relever certains éléments au sujet de l'autorisation d'aliéner au sens de la LDTR afin de procéder à l'examen détaillé de la qualité pour agir de la demanderesse.

3) a. La LDTR a pour but de préserver l’habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l’habitat (art. 1 al. 1 LDTR) dans les zones et pour les types d’habitation énoncés à l’art. 2 LDTR. À cette fin, cette loi prévoit, en particulier, tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d’appartements, des restrictions quant à l’aliénation des logements destinés à la location (art. 1 al. 2 let. a LDTR).

b. L’aliénation, sous quelque forme que ce soit, d’appartements visés par l’application de la loi est ainsi soumise à autorisation délivrée par le département (art. 39 al. 1 LDTR), s’il n’existe pas de motif de refus (art. 39 al. 2 et 3 LDTR) ou lorsqu’il existe des motifs d’autorisation (art. 39 al. 4 LDTR). Le département autorise l'aliénation d'un appartement si celui-ci a été dès sa construction soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue (art. 39 al. 4 let. a LDTR). Les autres motifs d'autorisation prévus par cet article ne trouvent pas application in casu.

En cas de réalisation de l'une des hypothèses de l'art. 39 al. 4 LDTR, le département est tenu de délivrer l'autorisation d'aliéner. Il n'y a donc, le cas échéant, pas de place pour une pesée des intérêts au sens de l'art. 39 al. 2 LDTR (ATA/1359/2021 du 14 décembre 2021 consid. 3).

c. Au sens de l'art. 12 al. 1 RDTR, en cas d'aliénation, le cédant afin d'obtenir l'autorisation prévue à l'art. 39 al. 1 LDTR, adresse, à l'aide du formulaire ad hoc et avant la conclusion de l'aliénation, une requête au département. Le formulaire ad hoc a pour but notamment de localiser l'appartement mis en vente, de connaître son statut, la désignation du propriétaire, de l'acquéreur, du locataire éventuel, le descriptif de l'appartement et ses conditions de vente (art. 12 al. 2 RDTR). L'autorisation est caduque si l'aliénation envisagée n'est pas conclue dans un délai de six mois à compter de son entrée en force (art. 15 RDTR).

Selon la doctrine, il faut procéder aux démarches nécessaires auprès du département avant de signer le contrat de vente chez le notaire. Si l'autorisation n'est pas octroyée et si le contrat est déjà signé, la vente reste valable du point de vue civil. Cela signifie que l'acquéreur a droit envers le vendeur à l'exécution de la vente pour devenir propriétaire, mais celle-ci ne peut pas être inscrite au RF vu l'absence d'autorisation administrative, ce qui empêche l'acquéreur de devenir propriétaire. Dans ce cas, ce dernier peut réclamer une indemnité au vendeur pour non-exécution du contrat (art. 97 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse [CO, Code des obligations - RS 220]). C'est pourquoi il est impératif de veiller à obtenir l'autorisation d'aliéner, celle-ci devant être en force, avant de conclure la vente (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation : immeubles de logement et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, pp.450-451 et les références citées).

4) a. En l'espèce, l'objet du litige de l'ATA/266/2013 était la validité et le bien-fondé de l'arrêté VA 2______ au regard des conditions prévues par la LDTR. À la suite de l'entrée en vigueur de l'arrêt de la chambre administrative, cette autorisation d'aliéner est devenue définitive en juin 2013. Il ressort du dossier que l'arrêté VA 2______ n'a pas été utilisé dans le cadre de la vente de l'appartement n° 4______ dans les six mois de validité prévus par la loi. Les intimés ont obtenu une deuxième autorisation d'aliéner (VA 6______) le 11 mars 2014 pour la vente de l'appartement aux époux Q______. La demanderesse n'a pas recouru contre ce deuxième arrêté.

L'autorisation VA 2______, dont la validité est précisément et exclusivement l'objet du litige de l'ATA/266/2013, est ainsi devenue caduque de plein droit en janvier 2014 et n'a pas d'effets juridiques depuis.

b. La demanderesse soutient que les propos de Mme S______ et M. T______ à l'audience du 7 mars 2022 devant le TPI seraient des faits nouveaux et importants mettant en lumière un vice de l'arrêté VA 2______, dû à une absence de volonté réelle de P______ d'acheter l'appartement n° 4______ à l'époque. Elle perd cependant de vue le fait que, au sens des dispositions de la LDTR et du RDTR, la conclusion d'un contrat de vente n'est pas une condition à l'obtention d'une autorisation d'aliéner. En effet, la loi va jusqu'à interdire la conclusion d'un contrat de vente avant l'obtention de l'autorisation d'aliéner, notamment à cause des lourds effets juridiques pour les parties si la vente devait être conclue sans que le département n'octroie finalement l'autorisation d'aliéner. La conclusion d'un contrat de vente dans le cadre de la procédure d'obtention d'une autorisation d'aliéner selon la LDTR est par conséquent une possibilité à la disposition des parties et non une obligation. Cela est encore illustré par le fait que le formulaire ad hoc de requête d'autorisation prévoit que soit uniquement fourni un projet de contrat de vente.

II n'apparaît pas, au vu des éléments du dossier, que les intimés aient effectivement conclu un contrat de vente avec P______ avant l'obtention de l'arrêté VA 2______, que celle-ci se soit désistée durant la procédure ou encore que l'arrêté litigieux ait été entaché d'un quelconque vice. P______ était libre de conclure ou non un contrat de vente de l'appartement en cause avec les propriétaires.

Toutefois, le fait que les propriétaires et P______ n'auraient d'emblée, au moment de solliciter l'autorisation querellée, pas eu l'intention de conclure un contrat de vente peut apparaître critiquable, dans la mesure où cela reviendrait à tromper l'autorité. Ce point n'a toutefois pas besoin d'être instruit plus avant et la question souffrira de demeurer indécise vu ce qui suit.

c. Il apparaît en effet que la demanderesse ne peut pas se prévaloir en l'espèce d'un intérêt actuel et direct à la révision de l'arrêté litigieux, devenu caduque en 2014 et n'ayant pas déployé d'effets juridiques.

Elle n'a pas non plus d'intérêt pratique à l'admission de sa demande en révision. L'existence même de la procédure civile dans laquelle il lui est demandé des dommages-intérêts est en effet exorbitante à l'objet du litige et est tout au plus susceptible de lui causer une atteinte « par ricochet ». La demanderesse ne démontre ainsi pas de quelle manière sa situation serait effectivement et directement influencée par la révision de l'arrêt de la chambre administrative.

Au surplus, son argument selon lequel l'action en dommages-intérêts intentée devant le TPI par les intimés à son encontre lui causerait un préjudice de nature économique ne peut être suivi, la procédure civile étant encore pendante, de sorte qu'en l'état elle n'est nullement condamnée au paiement d'une quelconque somme.

La demanderesse n'a en conclusion pas la qualité pour agir en révision de l'arrêt litigieux de sorte qu'il ne convient pas de procéder plus avant à l'analyse des autres conditions de recevabilité de la demande en révision.

La demande en révision de A______ est en conséquence irrecevable.

Au surplus, il sera rappelé que la demanderesse n'a pas interjeté un recours contre la nouvelle autorisation d'aliéner obtenue dans le cadre de la vente de l'appartement en cause aux époux Q______, alors qu'elle était au courant des démarches entreprises par les intimés dans ce sens. Or, les deux arrêtés du département concernant ce même appartement ont été octroyés sur la base de l'art. 39 al. 4 let. a LDTR, dans la mesure où cet objet était d'emblée soumis au régime de la PPE.

5) Vu l’irrecevabilité de la demande de révision, la problématique de la qualité pour défendre des propriétaires n'a pas besoin d'être examinée plus avant.

6) Compte tenu de l'issue de la procédure, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la demanderesse (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée aux propriétaires intimés qui y ont conclu et procédé par avocat. Elle sera mise à la charge de la demanderesse (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable la demande en révision formée le 15 mars 2022 par A______ contre l'arrêt ATA/266/2013 du 30 avril 2013 de la chambre administrative ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à l'hoirie de Monsieur B______, soit pour elle, Madame C______ et Madame D______, de l'hoirie de Monsieur E______, soit pour elle, Monsieur F______ et Monsieur G______, de l'hoirie de feu Monsieur H______, soit pour elle, Madame et Monsieur I______, de J______ et de K______, de L______, à la charge de A______ ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romolo Molo, avocat de A______, ainsi qu'à Me François Bellanger, avocat de l'hoirie de Monsieur B______, soit pour elle, Madame C______ et Madame D______, de l'hoirie de Monsieur E______, soit pour elle, Monsieur F______ et Monsieur G______, de l'hoirie de feu Monsieur H______, soit pour elle, Madame et Monsieur I______, de J______ et de K______, de L______, ainsi qu'à l'office cantonal du logement et de la planification foncière.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen, Lauber et Michon Rieben, juges

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Marmy

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :