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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2219/2006

ATA/552/2006 du 17.10.2006 ( CE ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : ; QUALITÉ POUR RECOURIR ; DÉCISION ; INTÉRÊT DE FAIT ; INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION
Normes : LPA.4 ; LPA.60.letb
Parties : RI REALIM / CONSEIL D'ETAT
Résumé : Qualité pour recourir déniée à une société qui se prétend touchée par un courrier du Conseil d'Etat adressé à une société tierce qui, suite à cette correspondance, met fin à des négociations visant la conclusion d'un bail avec la société recourante. Qualité déniée au motif que la recourante n'est pas touchée directement par ledit courrier, mais uniquement par ricochet.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2219/2006-CE ATA/552/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 17 octobre 2006

dans la cause

 

RI RéALIM S.A.
représentée par Me Jacques Gautier, avocat

contre

CONSEIL D'éTAT
représenté par Me Olivier Carrard, avocat


 


1. Ri Réalim S.A. (ci après : Ri Réalim ou la société) est une société anonyme de droit suisse inscrite au registre du commerce de la République et canton de Genève depuis le 9 mai 1995.

2. A teneur de ses statuts, elle a pour but l'achat, la vente et la mise en valeur de biens et de droits immobiliers.

3. Cette société est propriétaire de plusieurs immeubles construits ou à construire sur le site de Blandonnet, à Vernier, où est prévue l'implantation d'un hôtel et de plusieurs bâtiments administratifs, conformément au plan localisé de quartier (ci-après : PLQ) n° 27770 - 540, adopté le 2 juin 1986 par le Conseil d'Etat.

4. En 2004, la société Zschokke Entreprise Générale S.A. (ci-après : l'entreprise Zschokke), propriétaire de la parcelle n° 155 de la commune du Grand-Lancy, située en zone 5, développement industriel et artisanal (nos 1 à 5 de l'avenue des Morgines), a requis du département de l’aménagement, de l’équipement et du logement (dont les compétences ont été transférées au département des constructions et des technologies de l'information) une autorisation de construire un immeuble sur sa parcelle.

5. Par arrêté du 21 janvier 2004, le Conseil d'Etat a autorisé l'application des normes de la zone de développement industriel et artisanal au bâtiment à construire, en se référant au PLQ n° 29'234A-543 approuvé par lui-même le 5 mars 2003.

6. D'après ce plan, le bâtiment visé est dévolu à des activités industrielles et artisanales.

7. En janvier 2004, dite autorisation a été accordée.

8. En décembre 2004, la société Procter & Gamble International Operations S.A. (ci-après : Procter & Gamble), établie à Genève au 47, route de St-Georges, est entrée en pourparlers avec Ri Réalim pour implanter son centre administratif dans l'un des immeubles à construire sur le site de Blandonnet.

9. Les autorisations de construire n'étant pas délivrées à la date prévue, Procter & Gamble s'est tournée vers un autre lieu d'implantation. Elle est entrée en pourparlers avec l'entreprise Zschokke pour transférer ses activités dans l'immeuble situé aux nos 1 à 5 de l'avenue des Morgines, actuellement en cours de construction.

10. Les parties étant tombées d'accord, l'entreprise Zschokke a déposé, en vue de cette installation, une demande d'autorisation de construire complémentaire n° 98541/2.

11. A la même période, Procter & Gamble est entrée en contact avec le Conseil d'Etat au sujet de son implantation.

12. Suite aux échanges qui ont eu lieu à cette occasion, le 23 novembre 2005, le Conseil d'Etat a adressé à Monsieur John Tracey, directeur de Procter & Gamble, un courrier dont la teneur était la suivante :

" Monsieur le Directeur,

Nous nous référons aux divers entretiens et correspondances que vous avez eus avec nos services concernant le souhait de Procter & Gamble de s'implanter dans l'immeuble de Lancy HUB sis à l'avenue des Morgines.

Nous vous confirmons que le Conseil d'Etat, compte tenu des éléments complémentaires que vous avez fournis, estime l'implantation de la société Procter & Gamble dans ce nouvel immeuble compatible avec les dispositions légales et réglementaires régissant le zone industrielle.

(…)".

13. En décembre 2005, l'entreprise Zschokke a vendu à la Fondation Swisscanto Anlagestiftung l'immeuble dans lequel Procter & Gamble envisageait de s'installer.

14. Le 30 janvier 2006, la demande d'autorisation complémentaire n° 98541/2 a été délivrée par le département.

15. Le 6 mars 2006, la fédération des associations de quartiers et d'habitants (ci-après : FAQH) a interjeté un recours auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions contre cette décision, ainsi que contre le courrier du Conseil d'Etat du 23 novembre 2005. Elle a conclu à leur annulation.

16. Le 5 mai 2006, Ri Réalim a déposé une demande d'intervention dans ladite procédure.

17. Le 17 mai 2006, en consultant les pièces déposées par la FAQH à l'appui de son recours, Ri Réalim a pris connaissance du courrier adressé par le Conseil d'Etat à Procter & Gamble le 23 novembre 2005.

18. Le 16 juin 2006, elle a recouru contre ce courrier auprès du tribunal de céans en concluant à son annulation.

Le courrier attaqué devait être considéré comme une décision contre laquelle un recours était ouvert.

Cette décision ayant détourné définitivement Procter & Gamble de son projet initial de s'installer sur le site de Blandonnet, dans l'un de ses immeubles, elle causait à la recourante un important dommage financier. Ce dommage allait encore s'accroître, car la société Gillette S.A., rachetée par Procter & Gamble et locataire actuelle de l'une de ses surfaces sur le site de Blandonnet, partirait également, Procter & Gamble ayant décidé, à terme, de regrouper les deux sociétés à l'avenue des Morgines. Touchée plus que quiconque par cette décision, elle disposait de la qualité pour recourir contre elle.

Sur le fond, cette décision violait les normes régissant la zone industrielle et artisanale, car l'activité de Procter & Gamble, essentiellement administrative, n'était pas compatible avec la zone. Elle était également contraire à l'affectation prévue par le PLQ qui avait été récemment adopté.

19. Le Conseil d'Etat s'est déterminé le 1er septembre 2006.

Le courrier attaqué n'était pas une décision. Il ne statuait pas sur les droits et les obligations de Procter & Gamble mais donnait l'avis du Conseil d'Etat sur la compatibilité à la zone de l'activité envisagée.

Même si l'on devait considérer ledit courrier comme une décision, la recourante n'avait pas la qualité pour recourir contre elle, car elle n'était pas touchée directement dans un intérêt digne de protection.

20. Le 1er septembre 2006, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur la recevabilité sur recours.

Les parties se querellent sur la nature juridique du courrier objet du recours, adressé par le Conseil d'Etat à la société Procter & Gamble le 23 novembre 2005. Selon la société recourante, ce courrier constitue une décision contre lequel un recours auprès du tribunal de céans est ouvert, ce que conteste l'autorité intimée.

Il n'est pas nécessaire d'entrer en matière sur cette question, car même si le courrier attaqué devait être considéré comme une décision, Ri Réalim S.A. ne disposerait de toute façon pas de la qualité pour recourir contre cette dernière.

a. En effet, selon l’article 60 lettre b LPA, a qualité pour recourir toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée.

b. L’intérêt à obtenir un jugement favorable doit être personnel, direct, immédiat et actuel (ATA/438/2005 du 21 juin 2005 et les références citées).

c. Bien que la rédaction de l’article 60 lettre b LPA diffère légèrement de celle de l’article 103 let. a OJF, dont l’application s’impose également à la juridiction cantonale en vertu de l’article 98a al. 3 OJ, il est admis qu’il confère la qualité pour recourir aux mêmes conditions (ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 ; ATA/35/2002 du 15 janvier 2002, confirmé par ATF 1A.47/2002 du 16 avril 2002, consid. 3 et les références citées).

3. De manière générale, le recourant doit être touché dans une mesure et une intensité plus grande que la généralité des administrés, et l’intérêt invoqué - qui n’est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait – doit se trouver, avec l’objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d’être pris en considération. Il faut donc que le recourant ait un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage direct, de nature économique, matérielle ou idéale. Le recours d’un particulier formé dans l’intérêt de la loi ou d’un tiers est en revanche irrecevable (ATF 121 II 359 pp. 361 et 362 ; 121 II 39 consid. 2c/aa p. 43 ; 120 Ib 48 et les arrêts cités ; ATA/35/2002 du 15 janvier 2002, confirmé par ATF 1A.47/2002 du 16 avril 2002, consid. 3 ; ATA/696/2000 du 14 novembre 2000).

La situation de la société recourante n'est pas directement affectée par le sort du recours. Il est possible que la perspective d'une implantation à l'avenue des Morgines a définitivement détourné Procter & Gamble de son projet initial de s'implanter dans l'immeuble de la recourante, mais le dommage subi par cette dernière, à supposer qu'il y en ait un, ne serait de toute façon intervenu que par ricochet. La prise de position du Conseil d'Etat a certes ouvert à Procter & Gamble le champ des possibilités qu'elle avait pour réaliser son projet d'implantation, mais cette société demeurait parfaitement libre, au moment de l'échec des négociations avec la société recourante, de contracter avec la personne de son choix, de se tourner ailleurs, voire de renoncer à son projet. La recourante est d'ailleurs malvenue de prétendre qu'il existerait un lien direct entre la position du Conseil d'Etat et le dommage qu'elle aurait subi, dès lors qu'elle admet elle-même, dans son acte de recours, que l'échec des négociations au sujet de cette implantation a été partiellement causé par le fait que le permis de construire relatif à son bâtiment n'était pas accordé à la date prévue. Quoi qu'il en soit, la recourante ne saurait tirer aucun avantage direct de l'admission de son recours, de sorte que ce dernier doit être déclaré irrecevable, faute de qualité pour recourir de l'intéressée.

4. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 LPA). L’Etat de Genève n’a pas droit à une indemnité, cette collectivité publique étant d’une taille suffisante pour disposer de ses propres juristes.

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

déclare irrecevable le recours interjeté le 16 juin 2006 par Ri Réalim S.A. contre le courrier du Conseil d'Etat du 23 novembre 2005 ;

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Gautier, avocat de la recourante ainsi qu'à Me Olivier Carrard, avocat du Conseil d'Etat.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :