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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2341/2014

ATA/757/2015 du 28.07.2015 ( FPUBL ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE ; RÉSILIATION ; FONCTIONNAIRE ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Normes : Cst.29; LPAC.31
Résumé : Violation du droit d'être entendu lors de la résiliation des rapports de service après onze années d'arrêt de travail pour cause de maladie, le fonctionnaire n'ayant pas pu s'exprimer avant que soit prise la décision de le licencier. Le licenciement étant contraire au droit, il est annulé. Nonobstant l'impossibilité de réintégrer le recourant, aucune indemnité au sens de l'art. 31 LPAC ne lui sera accordée, compte tenu de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, en particulier de l'absence de versement de salaire depuis dix ans.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2341/2014-FPUBL ATA/757/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 juillet 2015

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Karin Baertschi, avocate

contre

B______
représentés par Me Pierre Martin-Achard, avocat



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1967, a été engagé par C______, devenu en 1995, les B______ (ci-après : B______), en qualité d'employé de cuisine à 100 % en classe 4 de l'échelle des traitements à partir du 1er juillet 1989.

2) Le 1er octobre 1989, M. A______ a bénéficié d'un contrat de durée indéterminée pour le même poste.

3) Dès le 1er octobre 1992, M. A______ a été nommé fonctionnaire en qualité d'employé de cuisine. Son salaire mensuel brut s'élevait à CHF 3'937.85.

4) Le 18 février 1994 et le 31 janvier 1997, il a fait l'objet de deux entretiens d'évaluation satisfaisants. Il a été décrit dans les comptes rendu d'entretien comme un employé ayant de bonnes connaissances de son travail, accomplissant ses tâches avec sérieux et agréable dans ses rapports avec ses collègues et sa hiérarchie.

5) Par courriers des 4 décembre 1998 et 16 juillet 1999, les B______ lui ont indiqué que la classification de sa fonction avait été réexaminée, son poste avait été colloqué en classe 4 (classe maximale) avec 8 annuités et son salaire mensuel brut s'élevait à CHF 4’408.70.

6) Le 9 mars 2001, les B______ ont informé M. A______ qu'il bénéficierait d'une classe salariale supplémentaire. Son poste a été colloqué en classe 5 avec 10 annuités et avec effet rétroactif au 1er février 2001, son salaire mensuel brut s'élèverait à CHF 4'851.75.

7) Le 28 février 2002, M.A______ a fait l'objet d'une nouvelle évaluation qui s'est avérée bonne.

8) Du 12 mars au 7 avril 2002, M. A______ s'est retrouvé dans l'incapacité de travailler suite à un accident. Il a fourni à cet effet deux certificats médicaux datés des 12 et 27 mars 2002.

9) Par pli du 27 mars 2002, les B______ ont rappelé à M. A______ son devoir d'informer régulièrement sa hiérarchie sur l'évolution de son état de santé.

10) Entre 2002 et 2003, M. A______ a suivi différentes formations au sein du département d'exploitation des B______.

11) Dès le 19 avril 2003, M. A______ s'est retrouvé en incapacité totale de travailler suite à un accident de voiture, puis, à partir du 1er décembre 2003, pour cause de maladie.

En arrêt pour cause d'accident, du 19 avril au 6 juillet 2003, M. A______ a repris son travail à 50 % le 7 juillet 2003. Depuis le 9 juillet 2003, ce dernier ne s'était plus présenté à son lieu de travail et n'avait pas contacté sa hiérarchie.

12) Par courrier du 15 juillet 2003, les B______ ont demandé à M. A______ de les informer sur l'évolution de son état de santé et de leur fournir les certificats médicaux justifiant ses absences.

13) En 2004, M. A______ a été examiné par le Docteur D______, spécialiste FMH en médecine interne et par la Doctoresse E______, spécialiste FMH en psychiatrie, tous deux médecins conseils des B______.

Le 16 janvier 2004, le Dr D______ a informé la direction de ressources humaines des B______ qu'il avait examiné M. A______ et qu'il avait pris contact avec ses médecins traitants, à savoir le Docteur F______, spécialiste en médecine interne, et le Docteur G______, psychiatre des B______. Selon leur diagnostic, M. A______ présentait un syndrome de stress post-traumatique avec état dépressif majeur lié à son accident de voiture du 19 avril 2003. Par ailleurs, il n'avait pas d'antécédents et ceci était confirmé par le Dr F______, son médecin traitant depuis 1995.

14) Par pli du 24 février 2004, le Dr D______ a informé les B______ des résultats du rapport de la Dresse E______.

L'évolution de l'état de santé de M. A______ était préoccupante et le Dr D______ a ajouté que le pronostic lui paraissait incertain.

15) Au vu de ces rapports, tant M. A______ que les B______ se sont opposés à la position de la H______ Assurances, qui estimait - en sa qualité d'assurance-accident - que l'arrêt de travail de M. A______ au-delà du 1er décembre 2003 n'était plus en lien avec l'accident du 19 avril 2003 et ne donnait dès lors plus droit à une indemnisation de sa part.

La Winterthur Assurances considérait que l'accident de circulation dont M. A______ avait été victime, devait être classé dans la catégorie des accidents légers ou tout au plus de gravité moyenne et qu'il y avait lieu de faire abstraction de la manière dont l'assuré avait vécu et assumé l'accident. Elle a ainsi exclu d'emblée toute causalité entre les troubles psychiques et l'évènement invoqué.

16) Par courrier du 18 février 2004, les B______ se sont opposés sans succès à la décision de la Winterthur Assurances.

Ils ont rappelé que M. A______ avait subi un examen approfondi auprès de leurs médecins conseils, dont il ressortait un lien de causalité directe entre l'accident du 19 avril 2003 et les troubles psychiques et qu'il n'existait aucun état antérieur.

17) Le 14 avril 2004, M. A______ a déposé une demande de prestations auprès de l'assurance-invalidité, qui ne lui ont pas été accordées.

18) Par pli du 9 novembre 2004, les B______ ont informé M. A______ que son droit aux prestations en cas de maladie et d'accident prendrait fin à partir du 13 avril 2005 et que dès le lendemain il ne percevrait plus de rémunération de leur part.

19) L'incapacité de travailler de M. A______ a perduré. Par ailleurs, ce dernier était régulièrement suivi par une infirmière en santé du personnel des B______ avec laquelle il s'était entretenu à plusieurs reprises.

20) Le 23 mars 2005, le Dr F______ a une nouvelle fois attesté de l'incapacité totale de travail de M. A______.

21) Selon les B______, dès le 15 avril 2005, soit depuis la fin de son droit aux prestations pour cause de maladie et accident, M. A______ n'avait ni repris son travail, ni remis de certificat médical. Il n'avait pas non plus offert ses services.

22) Par décision du 17 janvier 2006, dont les B______ ont reçu copie, l'office cantonal de l'assurance-invalidité (ci-après : OCAI) a rejeté la demande de prestations de M. A______.

Il ressortait de cette décision que suite à une expertise médicale du 17 juin 2005, l'incapacité de travailler de M. A______ se situait entre 20 et 30 % en tant qu'employé de cuisine ou dans une quelconque activité adaptée, que tout degré d'invalidité inférieur à 40 % ne donnait pas droit à une rente d'invalidité et que ses facultés d'adaptation étaient préservées mais sa motivation à retrouver un emploi était faible, de sorte que des mesures de réadaptation paraissaient d'emblée compromises.

23) En date du 31 juillet 2008 et selon le certificat médical établi par le Docteur I______, chef de clinique au sein du département de psychiatrie des B______, son incapacité de travail était estimée à 100 %.

M. A______ présentait un épisode dépressif résistant au traitement, d'intensité sévère, il était maintenu sous traitement antidépresseur et la reprise de travail semblait improbable voire difficilement réalisable. La prise en charge thérapeutique s'articulait principalement autour d'un suivi bi-hebdomadaire.

 

24) Le 27 mars 2009 le Dr I______ a établi un deuxième certificat médical.

M. A______ présentait une mauvaise évolution, malgré plusieurs traitements spécialisés prodigués depuis cinq ans de manière ininterrompue, son incapacité de travail était de 100 % et une reprise du travail était incompatible avec son état de santé.

25) Par décision du 20 juin 2014, les B______ ont mis un terme aux rapports de service les liant à M. A______ en raison de son invalidité, avec effet au 30 septembre 2014.

Depuis le 13 avril 2005, M. A______ avait épuisé ses droits aux prestations pour cause de maladie ou accident et avait atteint l'échéance de son droit au salaire. Il n'avait pas été possible de lui trouver une nouvelle affectation au sein des B______. La décision était exécutoire nonobstant recours.

26) Le 19 juillet 2014, le Dr I______ a établi un troisième certificat médical en faveur de M. A______.

M. A______ était en traitement pour ses troubles psychiques « dépression » dans son cabinet depuis le 1er juillet 2011. Le diagnostic faisait état d'un épisode dépressif modéré sans symptômes psychotiques et compte tenu de sa bonne évolution les douze dernières semaines, il pouvait réintégrer son poste à 40 % et graduellement augmenter sa capacité de travail. Le pronostic était favorable au vu de la volonté de M. A______ de reprendre son travail et de se remettre de sa maladie.

27) Par acte du 8 août 2014, M. A______ a formé recours contre la décision du 20 juin 2014 des B______ auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), en concluant, « sous suite de frais et dépens », à son annulation, à sa réintégration au sein des B______ et à une indemnisation pour résiliation abusive.

Les B______ ne lui avaient jamais proposé de reprendre son travail ou un autre poste correspondant à sa capacité de travail, son droit d'être entendu avait été violé et son incapacité totale de travail, telle que mentionnée dans la décision de licenciement, n'avait jamais été constatée par un médecin conseil contrairement ce que prévoyait la procédure de licenciement.

28) Dans leurs observations du 29 septembre 2014, les B______ ont conclu, « sous suite de frais et dépens », à l'irrecevabilité du recours, faute de motivation suffisante, subsidiairement, à son rejet. Les arguments des B______ seront repris dans la partie en droit.

29) Par décision du 16 septembre 2014, la présidence du Tribunal civil a admis la demande d'assistance juridique de M. A______ avec effet au 16 septembre 2014 et limité à la première instance.

30) Le 5 février 2015, le juge délégué a entendu les parties en audience de comparution personnelle.

M. A______ a confirmé son recours. Il avait été régulièrement suivi et assisté dans ses démarches pour son état de santé par « Madame J______ », infirmière de santé du personnel des B______. Son employeur ne lui avait jamais offert de reprendre une activité à temps partiel et il n'avait pas donné de nouvelles pensant que les B______ se manifesteraient. Son état de santé s'étant amélioré, il souhaitait reprendre une activité au sein des B______ à 40 %. Par ailleurs, ses revenus provenaient essentiellement de l'Hospice général.

Les B______ ont confirmé leur décision du 20 juin 2014 de résiliation des rapports de service, qui n’était selon eux, qu'une formalisation du licenciement. Depuis l'information sur la fin de ses droits (2004-2005) et son licenciement (2014), M. A______ n'avait jamais donné signe de vie. Si le licenciement formel n'était pas intervenu avant, c'était parce que l'intéressé n'apparaissait pas dans la liste des cas à soumettre au conseil d'administration. Selon les B______, il n'y avait plus de postes vacants et une éventuelle réintégration n'était pas souhaitée.

Mme J______ ne travaillait plus aux B______ depuis deux ou trois ans et ces derniers n'avaient pas tenté de prendre contact avec M. A______ au sujet d'une éventuelle reprise car le cas était initialement suivi par l'infirmière du service de santé du personnel et ils n'avaient jamais eu d'information quant à une capacité partielle de travail permettant une reprise.

31) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26  septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Aux termes de l’art. 65 al. 1 LPA, l’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant.

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant (ATA/401/2013 du 25 juin 2013 consid. 2b). Le fait que les conclusions ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas, en soi, un motif d’irrecevabilité, pourvu que l’autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/427/2014 du 12 juin 2014 ; ATA/350/2014 du 13 mai 2014 ; ATA/818/2013 du 18 décembre 2013 ; ATA/844/2012 du 18 décembre 2012 ; ATA/681/2010 du 5 octobre 2010).

À teneur de l’art. 65 al. 2 LPA, l’acte de recours contient également l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve ; les pièces dont dispose le recourant doivent être jointes ; à défaut, la juridiction saisie impartit un bref délai au recourant pour satisfaire à ces exigences, sous peine d’irrecevabilité.

L’exigence de motivation de cet alinéa a pour but de permettre à la juridiction administrative de déterminer l’objet du litige qui lui est soumis et de donner l’occasion à la partie intimée de répondre aux griefs formulés à son encontre. Elle signifie que le recourant doit expliquer en quoi et pourquoi il s’en prend à la décision litigieuse (ATF 130 I 312 rendu à propos de l’ancien art. 108 al. 2 de la loi fédérale d’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 - OJ - RS 173.110 ; ATA/102/2012 du 21 février 2012 consid. 3).

b. En l’occurrence, le recourant a conclu formellement à l’annulation de la décision des B______ du 20 juin 2014, à sa réintégration au sein des B______ et à une indemnité pour licenciement abusif.

Sa motivation est certes très sommaire, mais on comprend qu’il sollicite la reprise de son activité à 40 % et se plaint du non-respect de la procédure de licenciement. Elle est ainsi suffisante, la question de savoir si ses griefs ou arguments sont pertinents ou non ne relevant pas de la recevabilité de l’acte de recours, mais de l’examen au fond.

Le recours est dès lors recevable.

3) Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de licenciement du 20 juin 2014 rendue par les B______ à l'encontre de M. A______.

4) a. En tant que membre du personnel des B______, le recourant est soumis au statut du personnel des B______, adopté par le Conseil d’administration le 16 décembre 1999 et approuvé par le Conseil d’État le 12 janvier 2000 (ci-après : le statut) en application de l’art. 1er al. 1 let. e de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) et de l’art. 7 al. 2 let. k de la loi sur les établissements publics médicaux du 19 septembre 1980 (LEPM - K 2 05), au règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), ainsi qu’à la loi concernant le traitement et les diverses prestations alloués aux membres du personnel de l’État, du pouvoir judiciaire et des établissements hospitaliers du 21 décembre 1973 (LTrait - B 5 15).

b. Dans le cas présent, le recourant s'est retrouvé en incapacité totale de travail dès le 19 avril 2003, suite à un accident de voiture, puis, à partir du 1er décembre 2003, pour cause de maladie. Il se trouvait donc, au moment de la résiliation de ses rapports de service le 20 juin 2014, dans la situation du fonctionnaire visée par l’art. 26 al. 1 LPAC.

5) Le recourant se plaint de la violation de son droit d’être entendu par les B______, faute d’avoir pu s’exprimer avant que ne soit prise la décision de le licencier.

Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l’autorité de recours n’est pas possible, l’annulation de la décision attaquée, sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 133 III 235 consid. 5.3 p. 250 ; arrêts du Tribunal fédéral 5A.12/2006 du 23 août 2006 consid. 3.1 ; 1P.179/2002 du 2 septembre 2002 consid. 2.2 ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004 et les arrêts cités). Sa portée est déterminée en premier lieu par le droit cantonal (art. 41 ss LPA) et le droit administratif spécial (ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51 ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.39/2006 du 3 juillet 2006 consid. 3.2 et les arrêts cités). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) qui s’appliquent (art. 29 al. 2 Cst. ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.39/2006 du 3 juillet 2006 consid. 3.2 et les arrêts cités ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 2006, vol. 2, 2ème éd., p. 603 n. 1315 ss ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2000,
p. 198). Quant à l’art. 6 § 1 CEDH, il n’accorde pas au justiciable de garanties plus étendues que celles découlant de l’art. 29 al. 2 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 4P.206/2005 du 11 novembre 2005 consid. 2.1 et les arrêts cités).

L’étendue du droit de s’exprimer ne peut pas être déterminée de manière générale mais doit être définie au regard des intérêts concrètement en jeu. L’idée maîtresse est qu’il faut permettre à une partie de pouvoir mettre en évidence son point de vue de manière efficace (ATF 111 Ia 273 consid. 2b p. 274 ; 105 Ia 193 consid. 2b/cc p. 197).

En matière de rapports de travail de droit public, des occasions relativement informelles de s’exprimer avant le licenciement peuvent remplir les exigences du droit constitutionnel d’être entendu, pour autant que la personne concernée ait compris qu’une telle mesure pouvait entrer en ligne de compte à son encontre (arrêts du Tribunal fédéral 1C_560/2008 du 6 avril 2009 et 1C_103/2007 du
7 décembre 2007 consid. 5.3). La personne concernée ne doit pas seulement connaître les faits qui lui sont reprochés, mais doit également savoir qu’une décision allant dans une certaine direction est envisagée à son égard (consid. 5.2 non publié aux ATF 136 I 39 de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_158/2009 du 2 septembre 2009 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_643/2011 du 21 juin 2011
consid. 4.3 et les arrêts cités).

6) En l'espèce, l'incapacité totale de travailler du recourant a été formellement constatée par deux médecins conseils des B______, après contact avec les médecins traitants, à la suite d'un examen médical pratiqué en 2004.

Le 17 janvier 2006, l'OCAI refusait d'octroyer une rente AI au recourant au motif que son incapacité de travailler se situait entre 20 et 30 % en tant qu'employé de cuisine ou dans une quelconque activité adaptée. Ayant reçu copie de cette décision, les intimés n'avaient pourtant pas pris contact avec le recourant que ce soit pour lui proposer de reprendre son poste à un taux d'activité réduit ou pour entreprendre les démarches en vue d'un reclassement.

Il résulte de la procédure que les B______ ont totalement méconnu la situation personnelle de l'intéressé au moment où ils ont décidé de le licencier le 20 juin 2014, soit après onze années d'arrêt de travail. Par ailleurs, il ressort des éléments du dossier que Mme J______, l'infirmière initialement en charge de son suivi, n'exerçait plus aux B______ depuis deux ou trois ans, que les B______ n'ont pas tenté de reprendre contact avec M. A______ pour faire le point sur sa situation même après le départ de Mme J______ et ont attendu onze années avant de le licencier car son nom n'apparaissait pas dans la liste des cas à soumettre au conseil d'administration.

Les intimés n'ont pas permis au recourant de se prononcer sur la formalisation de son licenciement. Vu le nombre d'années écoulées et étant donné que l'infirmière qui était chargée de le suivre ne le suivait plus depuis deux ou trois ans, les B______ auraient pu prendre contact avec le recourant ne serait-ce que pour l'informer qu'une décision de licenciement pouvait être prononcée à son encontre.

Par ailleurs, le cas très singulier de l'intéressé exigeait une attention particulière des B______. Les intimés ont ainsi clairement violé le droit d'être entendu du recourant puisqu'il n’a jamais eu l’occasion de se prononcer sur un éventuel licenciement. En outre, l'évolution de l'état de santé du recourant avait été jugée préoccupante par les médecins conseils des B______ eux-mêmes en 2004. Les certificats médicaux de 2007 et 2008 versés au dossier faisaient état d'un épisode dépressif majeur qui se manifestait notamment par un sentiment d'incapacité et de dévalorisation depuis 2003, précisant également, qu'en dépit des efforts du patient et des soins spécialisés, sa maladie résistait en le maintenant dans une souffrance permanente. Les B______ savaient que le recourant était une personne très fragile. Dès lors, il leur appartenait d'intégrer cet élément de fait et de prendre les mesures nécessaires.

L’argumentation des intimés selon laquelle le recourant aurait renoncé à exercer son droit d’être entendu ne résiste pas à l’examen. En effet, ce dernier ne pouvait pas renoncer à ce droit, dès lors que l’éventualité d’un licenciement n’avait même pas été évoquée. Bien que l'on puisse comprendre la voie choisie par les intimés, elle ne se justifiait pas dans le cas d'une personne aussi fragilisée que M. A______ et la particularité de ce cas ne laissait pas de place à un licenciement de fait étant donné qu'il ne remplissait pas les conditions.

Partant, la violation du droit d'être entendu doit être retenue dans le cas d'espèce.

Il sied toutefois de préciser que la situation du recourant se distingue de celle de la recourante dans l'arrêt ATA/275/2015 du 17 mars 2015, qui était au bénéfice d'une rente AI et avait épuisé son droit au traitement en 2011 puis été licenciée en 2014. Dans son cas, l'infirmière de santé du personnel avait assuré le suivi de la recourante pendant tout ce laps de temps. Aussi, il ressortait de l'état de fait qu'il n'avait pas été possible de lui trouver une nouvelle affectation au sein de l'établissement après l'échéance de son droit au salaire de sorte qu'elle ne pouvait pas prétendre que la situation n'allait pas aboutir à une résiliation des rapports de services. Tandis que dans le cas présent, les intimés ont laissé perdurer cette situation pour le recourant et prononcé son licenciement au bout de neuf années sans même avoir procédé à une réactualisation de son dossier.

7) a. La réparation d’un vice de procédure en instance de recours et notamment, du droit d’être entendu, n’est possible que lorsque l’autorité dispose du même pouvoir d’examen que l’autorité inférieure (ATA/452/2008 du 2 septembre 2008 consid. 2b ; ATA/430/2008 du 27 août 2008 consid. 2 ; Pierre MOOR, Droit administratif, Les actes administratifs et leur contrôle, vol. 2, 2ème éd., 2002, ch. 2.2.7.4 p. 283). Tel n’est pas le cas en l’espèce, la chambre de céans ne pouvant revoir l’opportunité d’une décision de licenciement et substituer, dans ce cadre, sa propre appréciation à celle de l’autorité intimée (ATA/525/2011 du 30 août 2011).

b. Une décision entreprise pour violation du droit d’être entendu n’est en principe pas nulle, mais annulable (arrêt du Tribunal fédéral 2P.207/2001 du 12 novembre 2001 consid. 5a. et les arrêts cités ; ATA/32/2010 du 11 mai 2010 et les références citées ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, ch. 916 p. 312). D’après la jurisprudence, la nullité n’est reconnue que si le vice dont la décision est entachée est particulièrement grave, s’il est manifeste ou du moins facilement décelable et si, en outre, la constatation de la nullité ne met pas sérieusement en danger la sécurité du droit (ATA/386/2011 du 21 juin 2011 et les références citées ; Thierry TANQUEREL, op.cit., ch. 910 p. 310).

c. Le recourant n'a ainsi jamais eu l'occasion de s'exprimer sur son licenciement avant que celui-ci ne soit décidé. Toutefois, il ressort du dossier que les deux parties n’avaient pas réussi à communiquer d’une manière à éviter certains malentendus relatifs à la réalité de l’état de santé du recourant et à l'éventuelle reprise de son activité. En outre, il est nécessaire de tenir compte du fait que les uns et l'autre se sont accommodés de la situation d'une absence de travail, respectivement, d'une absence de traitement durant plusieurs années avec les dispositions que cela implique.

La chambre administrative ne disposant pas du même pouvoir de cognition que l'autorité inférieure, la méconnaissance du droit d'être entendu ne peut pas être réparée par le biais de la présente procédure.

Au vu de ce qui précède, la violation du droit d'être entendu du recourant même grave ne peut entraîner la nullité de la résiliation des rapports de service mais uniquement le constat que le licenciement est contraire au droit et son annulation.

8) a. Selon l’art. 31 al. 1 LPAC, tout membre du personnel dont les rapports de services ont été résiliés peut recourir à la chambre administrative pour violation de la loi. Si la chambre administrative retient que le licenciement est contraire au droit, elle peut proposer à l’employeur la réintégration (art. 31 al. 2 LPAC). En cas de décision négative de celui-ci, elle fixe une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à un mois du dernier traitement brut, ni supérieur à six mois pour les employés, respectivement vingt-quatre mois pour les fonctionnaires (art. 31 al. 3 LPAC).

b. Dans ses derniers arrêts en matière de licenciement d’agents publics, la chambre administrative a procédé à une analyse détaillée de l’évolution de sa jurisprudence pour arriver à la conclusion que le moyen d’obtenir réparation du caractère infondé du licenciement était de ne pas faire dépendre complètement le droit à une indemnité, ainsi que la quotité de celle-ci de la possibilité d’une réintégration. Il y a lieu désormais de tenir compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce et de les apprécier sans donner une portée automatiquement prépondérante à certains aspects, comme le fait d’avoir ou non retrouvé un emploi en cours de procédure (ATA/744/2014 du 23 septembre 2014 consid. 4b ; ATA/258/2014 du 15 avril 2014 consid. 8 ; ATA/196/2014 du 1er avril 2014 consid. 12 ; ATA/195/2014 du 1er avril 2014 consid. 12 ; ATA/194/2014 du 1er avril 2014 consid. 14 ; ATA/193/2014 du 1er avril 2014 consid. 16).

9) En l'espèce, le recourant a cessé de travailler pour cause de maladie dès le 1er décembre 2003, il a épuisé son droit au traitement le 13 avril 2005 et a été licencié par les B______ le 20 juin 2014. Ainsi, lorsqu'il a été formellement licencié, il ne recevait plus de rémunération de la part des B______ depuis neuf ans.

Comme précédemment mentionné, l'incapacité totale de travailler du recourant pouvait être remise en question par les intimés suite à la décision de l'OCAI de 2006. Toutefois, ce manquement apparaît ne pas avoir induit des conséquences dans les circonstances particulières du présent cas et ne saurait, partant, remettre en tant que tel en cause le fait que les rapports de travail se sont éteints avec les années, de sorte qu'il est compréhensible qu'une réintégration ne soit pas envisageable selon les B______.

Par ailleurs, même après le départ de l'infirmière du personnel qui le suivait initialement, le recourant n'avait pas tenté d'entrer en contact avec les intimés ne serait-ce pour les informer de l'amélioration de son état de santé. En effet, pendant deux ou trois années, il s'était accommodé de ne pas avoir de nouvelles de son employeur et de ne plus être suivi par une infirmière du personnel. Au demeurant, il ressort du certificat médical établi le 19 juillet 2014 que l'état de santé du recourant s'était amélioré dans les douze dernières semaines et cette amélioration était telle, qu'il était passé d'une incapacité totale de travailler à une capacité de travail de 40 %. En d'autres termes, avant d'être formellement licencié, l'état de santé du recourant s'était déjà amélioré. Pourtant ce dernier n'avait toujours pas jugé nécessaire d'en faire part aux B______. Toutefois, en dépit de sa maladie, il a été en mesure de réagir suite à son licenciement et d'entreprendre toutes les démarches utiles afin de s'y opposer. Il lui restait donc une capacité résiduelle de réaction, de sorte que la passivité dont il avait preuve ne saurait être pleinement justifiée.

En outre, il ressort des certificats médicaux de 2008 et 2009, que son incapacité de travail était de 100% et qu'une reprise de travail aurait été incompatible avec son état de santé. De surcroît, c'est seulement en juillet 2014, soit après la résiliation formelle des rapports de travail, que son médecin traitant a admis la possibilité d'une réinsertion professionnelle et une capacité de travail à 40% sans toutefois préciser clairement à partir de quelle date cette reprise pourrait être effective.

Vu l'écoulement de neuf années entre la fin de son droit au traitement et la résiliation formelle des rapports de services, on ne voit pas de quelle manière la décision de licenciement du 20 juin 2014 a concrètement modifié la situation du recourant dans la mesure où il n'était plus rémunéré depuis 2005.

En tenant compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, en particulier de l’absence de versement de salaire depuis dix ans, la chambre de céans ne peut que constater le caractère illicite du licenciement, sans qu'il soit donné suite à une indemnité au sens de l'art. 31 LPA.

10) Le recours sera donc admis. Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge des B______, sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 LPA).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 août 2014 par Monsieur A______ contre la décision des Hôpitaux universitaires de Genève du 20 juin 2014 ;

au fond :

l'admet ;

constate le caractère illicite du licenciement de Monsieur A______ ;

constate que la réintégration de Monsieur A______ n’est pas possible ;

dit qu'aucune indemnité au sens de l'art. 31 al. 3 LPAC ne sera octroyée ;

dit qu’il n’est pas perçu d'émolument ;

alloue au recourant une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la charge des B______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

 

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

 

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Karin Baertschi, avocate du recourant ainsi qu'à Me Pierre Martin-Achard, avocat des Hôpitaux universitaires de Genève.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, MM. Dumartheray, Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :