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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2523/2012

ATA/195/2014 du 01.04.2014 ( FPUBL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 02.06.2014, rendu le 17.08.2015, PARTIELMNT ADMIS, 8C_417/2014
Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE ; FONCTIONNAIRE ; RÉSILIATION ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Normes : LPAC.31.al3
Résumé : Violation du droit d'être entendu lors de la résiliation des rapports de service pour suppression de poste, le fonctionnaire n'ayant pas pu s'exprimer avant que soit prise la décision de le licencier. Le licenciement étant contraire au droit, il est annulé. Aucune solution de reclassement n'a été envisagée par l'employeur, ce qui permet de retenir qu'il n'a aucune intention de le réintégrer. Contrairement aux dernières jurisprudences de la chambre administrative, le versement d'une indemnité au sens de l'art. 31 al. 3 LPAC n'est pas limité au cas où la réintégration peut encore intervenir. Revirement de jurisprudence. Dans la fixation de l'indemnité précitée il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce et de les apprécier sans donner une portée automatiquement prépondérante à certains aspects comme le fait d'avoir retrouvé ou non un emploi en cours de procédure. En l'occurrence indemnité arrêtée à dix-huit mois du dernier traitement brut du recourant, sans intérêts moratoires en l'absence de conclusions sur ce point.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2523/2012-FPUBL ATA/195/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er avril 2014

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Marcel Bersier, avocat

contre

COMMUNE DE CHÊNE-BOUGERIES
représentée par Me Thomas Barth, avocat



EN FAIT

1) Monsieur A______, né en 1959, a été engagé le ______ 2000 en qualité de comptable au service financier de la commune de Chêne-Bougeries (ci-après : la commune), avec le statut de fonctionnaire en période probatoire de trois ans. Le 16 décembre 2003, il a été nommé fonctionnaire à titre définitif, avec effet au 1er janvier 2004. Le 1er novembre 2004, il est devenu chef du service comptabilité, puis, dès octobre 2008, il a assumé la responsabilité du service finances et comptabilité de la commune.

2) Le 22 juin 2012, le conseil administratif de la commune a adressé à M. A______ un courrier l'informant qu'il avait pris la décision de supprimer son poste de travail. Dans la mesure où il était impossible de l'affecter à un autre poste correspondant à ses aptitudes professionnelles, le conseil administratif avait décidé de mettre un terme à son engagement en qualité de responsable du service finances et comptabilité, avec effet au 30 septembre 2012. Son dernier salaire serait triplé, conformément aux dispositions statutaires communales applicables. Il était immédiatement libéré de son obligation de travailler. Des mesures d'accompagnement seraient mises en œuvre pour qu'il puisse se réinsérer professionnellement.

Ce courrier, qui ne comportait aucune mention des voies et délais de recours, a été remis en mains propres à l'intéressé par le conseiller administratif alors maire de la commune, à l'issue d'une séance hebdomadaire de travail que M. A______ tenait avec le secrétaire général et trois autres chefs de service, dont deux ont reçu en même temps que lui un courrier les informant de la suppression de leur poste.

3) Entre le 30 juin et le 20 juillet 2012, un échange de correspondance est intervenu entre M. A______ et la commune, le premier faisant part de son opposition à son licenciement, contestant la validité de celui-ci et offrant ses services à son employeur, la seconde persistant dans sa position.

4) Dès le 30 juillet 2012, M. A______ a été en incapacité médicale de travail pour une durée indéterminée.

5) Par acte du 20 août 2012, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le licenciement du 22 juin 2012, concluant préalablement à ce que la chambre administrative constate l'irrégularité de celui-ci et, principalement, l'annule, ordonne à la commune de le réintégrer à la tête de son service ou, à défaut, condamne la commune à lui verser une indemnité égale à vingt-quatre mois de son traitement brut, soit CHF 346'786.40.

Le courrier du 22 juin 2012 était une décision dont la notification était viciée, de sorte que le recours était recevable. Dite décision, à laquelle il ne pouvait s'attendre, avait été prise en violation de son droit d'être entendu, car il n'avait pas été interpellé pour faire valoir son point de vue. Aucun motif objectif de supprimer son poste n'était évoqué et aucune discussion en vue de son reclassement n'avait eu lieu.

6) Le 21 septembre 2012, la commune a conclu principalement à l'irrecevabilité du recours. La réglementation communale applicable n'ouvrait en effet pas la possibilité de recourir contre les décisions de suppression de poste. Subsidiairement, le recours devait être rejeté. La décision était régulière. Il n'y avait pas de poste idoine pour M. A______ au sein de l'administration communale. Ce dernier avait été dûment entendu le 22 juin 2012 par le maire avant que la lettre de licenciement ne lui soit remise. Les motifs pour lesquels son poste était supprimé lui avaient été fournis à cette occasion. Il avait contresigné la lettre. En outre, le jour même, après cet entretien, la maire avait annoncé au personnel communal, réuni en séance extraordinaire, les raisons pour lesquelles le conseil administratif avait pris la décision de se séparer de trois de ses collaborateurs dont M. A______.

7) Le 18 octobre 2012, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

a. La commune, représentée par son secrétaire général, a maintenu sa décision. Entre juin 2011 et juin 2012, les conseillers administratifs avaient mené une réflexion relative au fonctionnement de l'administration communale. Cette réflexion n'avait pas été portée à la connaissance de tiers. Les conseillers administratifs avaient acquis l'intime conviction qu'en vue d'optimiser le fonctionnement de l'administration municipale et de faire des économies, il était nécessaire de supprimer trois postes dont celui du recourant. Un extrait de procès-verbal faisait état de cette décision. Il n'y avait pas d'autre raison que la restructuration à l'origine du licenciement de M. A______, avec lequel il n'y avait pas eu de problème disciplinaire, de capacité ou de compétence. Le conseil administratif a estimé qu'il n'y avait aucune possibilité de reclassement de l'intéressé au sein de l'administration municipale, sans évoquer cette question avec lui. Les activités de son service avaient pour l'essentiel été externalisées.

L'entretien du 22 juin 2012 avait duré 35 à 40 minutes, à l'issue desquelles le maire avait invité ses interlocuteurs à faire part de leurs commentaires.

En cas d'issue favorable du recours, la commune n'envisagerait pas une indemnisation différente de celle prévue en cas de suppression de poste, soit le triplement de son dernier salaire.

b. M. A______ a persisté dans son recours. Lors de l'entretien du 22 juin 2012, le maire avait annoncé les suppressions de postes, demandé au secrétaire général de remettre les lettres aux personnes concernées et demandé s'ils avaient des commentaires. Il avait signé le courrier qui lui était destiné dans une ambiance de contrainte.

8) Entre novembre 2012 et avril 2013, le juge délégué et les parties ont eu un échange de correspondance au sujet de l'effet sur le cours de la procédure d'un audit mené par la Cour des comptes au sein de l'administration de la commune et couvrant les principaux processus de gestion en matière de ressources humaines. A l'issue de cet échange, il n'a pas été donné suite à la demande de la commune de suspendre l'instruction de la procédure.

La Cour des comptes a rendu public en août 2013 son rapport d'audit de la gestion des ressources humaines de la commune. La fin des rapports de service de de M. A______ n'apparaît pas y être évoquée.

9) Ayant recouvré partiellement sa capacité de travail dès février 2013 et pleinement dès avril 2013, M. A______ a offert ses services à la commune, qui les a refusés.

10) Le 17 septembre 2013, le juge délégué a tenu une seconde audience de comparution personnelle des parties. A sa demande, la commune était représentée par le conseiller administratif maire en juin 2012, en sus du secrétaire général.

Le conseiller administratif avait mené avec ses deux collègues la réflexion relative à l'amélioration de l'efficience de l'administration communale. Ils avaient privilégié la voie de l'externalisation de certaines tâches. A la suite de cette réflexion, il avait rencontré le 22 juin 2012 les personnes dont les postes étaient supprimés et leur avait communiqué cette décision. Compte tenu des changements drastiques qui devaient intervenir dans l'organisation administrative, le conseil administratif n'avait pas associé les membres du personnel au processus de restructuration, par crainte d'éventuelles réactions. Il avait été déterminé que les intéressés devaient être entendus juste avant la communication de la décision les concernant. Dans le cas de M. A______, ce qu'il avait dit au moment de l'annonce de son licenciement n'avait pas été de nature à remettre en cause celui-ci.

Quant à la réaffectation de M. A______, les conseillers administratifs avaient, sans longues réflexions, conclu qu'il n'y avait pas de poste équivalent à lui proposer, compte tenu de sa formation et de sa qualification.

A l'heure actuelle, deux sociétés fiduciaires remplissaient les charges qui avaient été celles de M. A______.

11) Dans leurs observations finales du 16 octobre 2013, tant M. A______ que la commune ont persisté dans leur argumentation et leurs conclusions respectives.

12) Le 25 octobre 2013, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) a. La chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). Elle statue sur les recours formés contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. d et 57 LPA,  sauf exceptions prévues par la loi (art. 132 al. 2 LOJ).

b. A teneur de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions au sens de l’art. 1 LPA, les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b) et de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c). Sont notamment réputées autorités administratives au sens de l’art. 1 LPA, les autorités communales, les services et les institutions qui en dépendent (art. 5 let. f LPA).

En l'espèce, le courrier du 22 juin 2012 met fin aux rapports de service entre la commune et le recourant au 30 septembre 2012 et indique les conséquences financières particulières que cela emporte. Sa teneur répond clairement à la définition susmentionnée de sorte qu'il doit être qualifié de décision, ce que l'intimée ne conteste pas.

2) L’art. 46 al. 1 LPA prévoit que les décisions doivent être désignées comme telles, motivées et signées, et indiquer les voies ordinaires et les délais de recours. L’art. 47 LPA précise qu’une notification irrégulière ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties.

La décision querellée ne comporte aucune indication des voies et délais de recours.

L'intimée soutient que cela est conforme à l'art. 76 du statut du personnel de la commune de Chêne-Bougeries du 15 avril 1975 (ci-après : le statut) qui ne prévoit pas la possibilité de recourir en cas licenciement pour suppression de poste, de sorte que le recours serait irrecevable.

Elle ne saurait être suivie sur ce point. Une disposition statutaire communale n'est pas une disposition légale au sens de l'art. 132 LOJ et par ailleurs, aucune loi ne soustrait ce type de décision au droit de recours ou à la compétence de la chambre de céans. En outre, l’art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et l’art. 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) imposent qu’une possibilité soit ouverte de contester une décision de ce type par-devant une instance judiciaire puisqu’il s’agit clairement d’une contestation sur des droits de nature civile au sens de cette dernière disposition.

Le délai n’a ainsi pas commencé à courir (ATA/9/2010 du 12 janvier 2010). Déposé au greffe de la juridiction compétente le 20 août 2012, soit en tout état dans le délai ordinaire de recours de trente jours en tenant compte de la suspension des délais du 15 juillet au 15 août prévue à l'époque par l'art. 17A LPA, le recours est recevable (art. 62 al. 1 let. a LPA).

3) Collaborateur de la commune depuis novembre 2000 et fonctionnaire communal depuis décembre 2003, le recourant est soumis au statut (art. 1 et ss statut).

Il résulte de l'art. 76 du statut que le conseil administratif peut licencier tout fonctionnaire lorsque son poste est supprimé et qu'il est impossible de l'affecter à un autre emploi correspondant à ses aptitudes professionnelles. Dans ce cas, l'intéressé reçoit son dernier traitement mensuel triplé. Le délai de résiliation est de trois mois.

Par ailleurs, le conseil administratif peut, pour un motif objectivement fondé, mettre fin aux rapports de service d'un fonctionnaire, après une enquête administrative, en respectant un délai de résiliation de trois mois (art. 77 al. 1 et 3 statut).

En l'espèce, le recourant a été licencié au motif que son poste était supprimé et qu'il n'était pas possible de lui en proposer un autre au sein de l'administration communale.

4) Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu, faute d'avoir pu s'exprimer avant que ne soit prise la décision de le licencier.

Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l'autorité de recours n'est pas possible, l'annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 133 III 235 consid. 5.3 p. 250 ; Arrêts du Tribunal fédéral 5A.12/2006 du 23 août 2006 consid. 3.1 et les arrêts cités ; 1P.179/2002 du 2 septembre 2002 consid. 2.2 ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004 consid. 5b). Sa portée est déterminée en premier lieu par le droit cantonal (art. 41 ss LPA) et le droit administratif spécial (ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51 et les arrêts cités ; Arrêt du Tribunal fédéral 2P.39/2006 du 3 juillet 2006 consid. 3.2). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Cst. qui s’appliquent (art. 29 al. 2 Cst. ; Arrêt du Tribunal fédéral 2P.39/2006 du 3 juillet 2006 consid. 3.2 et les arrêts cités ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Berne 2006, Vol. 2, 2e éd., p. 603, n. 1315 ss ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 198). Quant à l'art. 6 § 1 CEDH, il n'accorde pas au justiciable de garanties plus étendues que celles découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. (Arrêt du Tribunal fédéral 4P.206/2005 du 11 novembre 2005 consid. 2.1 et arrêts cités).

Tel qu’il est garanti par cette dernière disposition, le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 132 II 485 consid. 3.2 p. 494 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C.573/2007 du 23 janvier 2008 consid. 2.3 et les arrêts cités ; ATA/415/2008 du 26 août 2008 consid. 6a et les arrêts cités).

En l'occurrence, il ressort du dossier que la commune a pris la décision de mettre fin aux rapports de service la liant au recourant à la suite d'une réflexion non documentée menée par les conseillers administratifs sur le fonctionnement de l'administration municipale et ayant abouti à leur intime conviction qu'il était nécessaire de supprimer le poste du recourant. Ce dernier n'a délibérément pas été associé à cette réflexion, le conseil administratif estimant qu'il était préférable d'agir ainsi car, dans un contexte de réorganisation administrative, il craignait que la voie de concertation n'entraîne des réactions de la part des membres de l'administration communale. La décision de licenciement a été communiquée au recourant le 22 juin 2012 de manière impromptue, à l'issue d'une réunion de travail qui avait un autre objet. En pareilles circonstances, le fait que le maire ait pu lui donner oralement quelques explications juste avant de lui notifier la décision et lui demander sa détermination, ne peut en aucune manière être considéré comme la mise en œuvre du droit d'être entendu, mais tout au plus comme un simulacre maladroit de celle-ci. Le recourant n'a ainsi jamais eu l'occasion de s'exprimer sur son licenciement avant que celui-ci ne soit décidé.

On relèvera encore qu'il n'existe aucune pièce démontrant que la commune ait procédé à une évaluation en bonne et due forme des modifications à apporter dans l'organisation de son administration ni recherché de solution de reclassement des personnes dont il serait apparu à la suite d'une analyse pertinente que le poste devait être supprimé. Le conseil administratif a simplement estimé, « sans longues réflexions », qu'il n'y avait pas d'opportunité au sein de l'administration municipale pour le recourant, sans offrir à celui-ci la moindre possibilité de se déterminer.

Il est ainsi établi que la commune a porté une atteinte grave au droit d'être entendu du recourant.

5) Une décision entreprise pour violation du droit d’être entendu n’est en principe pas nulle, mais annulable (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.207/2001 du 12 novembre 2001 consid. 5a et les arrêts cités ; ATA/32/2010 du 11 mai 2010 et les références citées ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, Genève 2011 ch. 916, p. 312).

a. La décision nulle est censée n’avoir jamais existé. Une décision nulle n’a que l’apparence de la décision. La possibilité de la nullité d’une décision crée une grande insécurité juridique. La nullité ne peut donc être admise qu’exceptionnellement. Elle n’est reconnue que si le vice dont la décision est entachée est particulièrement grave, s’il est manifeste ou du moins facilement décelable, et si en outre, la constatation de la nullité ne met pas sérieusement en danger la sécurité du droit (ATF 132 II 21 consid. 3.1. ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C_34/2013 du 21 janvier 2013 consid. 6.3). Ces conditions sont cumulatives et elles ont pour conséquence que la nullité n’est que très rarement admise (Thierry TANQUEREL, op. cit. p. 312).

b. La réparation d’un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d’être entendu, est possible lorsque l’autorité dispose du même pouvoir d’examen que l’autorité inférieure (ATA/452/2008 du 2 septembre 2008 consid. 2b ; ATA/430/2008 du 27 août 2008 consid. 2 ; Pierre MOOR, Droit administratif, Les actes administratifs et leur contrôle, vol. 2, 2ème éd., Berne 2002, ch. 2.2.7.4 p. 283). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/452/2008 précité).

Dans le cas particulier, la violation du droit d'être entendu est particulièrement grave et ce vice devait être manifestement décelé, compte tenu du caractère essentiel notoire du respect de cette garantie procédurale par les autorités administratives dans le cadre de leurs rapports avec les administrés. En revanche, dans le cas d'espèce, la constatation de la nullité mettrait en danger la sécurité du droit, dès lors que, dans le cadre de ses compétences organisationnelles, la commune a pris des dispositions la liant à des tiers pour remplacer le recourant et que la situation juridique de ce dernier a évolué depuis la décision litigieuse.

Par ailleurs, la chambre de céans ne peut revoir l’opportunité d’une décision de licenciement et substituer, dans ce cadre, sa propre appréciation à celle de l’autorité intimée (ATA/525/2011 du 30 août 2011).

Il s’ensuit que la décision de licenciement du recourant n’est pas nulle de plein droit.

6) L'art. 76 du statut ne prévoit pas les conséquences de l'illégalité de la décision de licenciement, vu la portée erronée donnée à cette disposition. Dans la mesure où il s'agit d'un cas particulier de résiliation des rapports de service il y a lieu d'appliquer les conséquences d'une résiliation injustifiée prévues par l'art. 77 du statut.

7) Selon l’art. 77 al. 8 du statut, si la chambre administrative retient que la résiliation des rapports de service est contraire au droit, elle peut proposer à l’autorité compétente la réintégration. En cas de décision négative de l’autorité compétente, elle fixe une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à un mois et supérieur à vingt-quatre mois du dernier traitement brut à l’exclusion de tout autre élément de rémunération.

Cette formulation, identique à celle de l'art. 31 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), ne permet pas à la chambre de céans d'annuler formellement la décision querellée et d'imposer la réintégration du recourant mais uniquement de proposer celle-ci. Si l'autorité refuse la réintégration, alors la voie de l'indemnisation est ouverte. En l'espèce la commune n'entendant pas réintégrer le recourant, il y a lieu de procéder à la fixation de l’indemnité à laquelle il a droit, à la lumière de la jurisprudence dégagée pour l’application de l’art. 31 al. 3 LPAC.

8) Dans ses derniers arrêts en matière de licenciement d’agents publics cantonaux, la chambre administrative a régulièrement rappelé que l’indemnité prévue à l’art. 31 al. 3 LPAC n’avait pas pour but de réparer un éventuel tort moral ou de sanctionner un licenciement abusif, mais de pallier le refus de l’employeur de réintégrer une personne licenciée à tort. Il n’y avait dès lors pas lieu d’entrer en matière sur le paiement d’une telle indemnité que si la réintégration du collaborateur licencié pouvait encore intervenir.

C’est ainsi que la chambre de céans n’est entrée en matière sur l’indemnisation d’une fonctionnaire licenciée en violation de son droit d’être entendu qu’en rapport avec les deux mois durant lesquels celle-ci n’avait pas retrouvé de travail (ATA/525/2011 du 30 août 2011) et qu’elle a appliqué le même principe dans des arrêts ultérieurs relatifs à la fixation d’une indemnité consécutive à un licenciement contraire au droit (ATA/787/2012 du 20 novembre 2012 ; ATA/161/2013 du 20 mars 2013) et qu’elle a refusé toute indemnité dans deux autres arrêts portant sur un licenciement pour suppression de poste parce que les recourants avaient retrouvé immédiatement du travail (ATA/335/2012 et 336/2012 du 5 juin 2012). L’ATA/525/2011 précité est en fait consécutif à un arrêt de la chambre de céans portant sur le licenciement d’un fonctionnaire communal dans lequel les mêmes principes ont été appliqués après constat que le statut du personnel communal ne prévoyait le versement d’une indemnité que pour « pallier la possibilité de réintégrer la personne licenciée à tort » (ATA/413/2011 du 28 juin 2011).

9) Le principe de l’indemnisation de l’agent public licencié à tort en cas de refus par la collectivité publique de le réintégrer n’est pas nouveau. Il était déjà énoncé à l’art. 30 de la loi relative au personnel de l’administration cantonale et des établissements publics médicaux du 15 octobre 1987 (ci-après : l’ancienne loi) remplacée depuis le 1er mars 1998 par la LPAC, le texte de l’ancienne disposition légale précitée ne différant pas dans son principe de celui de l’art. 31 al. 3 LPAC.

Dans les arrêts rendus depuis l’entrée en vigueur de la LPAC par la juridiction de céans jusqu’à l’ATA/525/2011, les restrictions jurisprudentielles actuelles à l’indemnisation d’un agent public n’apparaissent pas, ou ne sont pas prises en considération (ATA/78/2011 du 8 février 2011 ; ATA/793/2010 du 16 novembre 2010 ; ATA/569/2008 du 4 novembre 2008 ; ATA/676/2001 du 30 octobre 2001 ; ATA/256/2000 du 18 avril 2000). De même ne sont-elles pas prises en compte dans un arrêt postérieur (ATA/604/2012 du 11 septembre 2012).

10) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le juge est, en principe, lié par un texte légal clair et sans équivoque. Ce principe n’est cependant pas absolu. En effet, il est possible que la lettre d’une norme ne corresponde pas à son sens véritable. Ainsi, l’autorité qui applique le droit ne peut s’en écarter que s’il existe des motifs sérieux de penser que le texte ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée. De tels motifs peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, ainsi que de sa relation avec d’autres dispositions (ATF 138 II 557 consid. 7.1 p. 565-566; 138 V 445 consid. 5.1 p. 451; 131 I 394 consid. 3.2 p. 396 ; 131 II 13 consid. 7.1 p. 31 ; 130 V 479 consid. 5.2 p. 484 ; 130 V 472 consid. 6.5.1 p. 475).

Dans le cas de l’art. 31 al. 3 LPAC ou de la disposition antérieure, les travaux préparatoires n’apportent pas d’information permettant de mieux appréhender le but poursuivi par cette indemnité. En revanche, il ressort clairement des débats parlementaires la volonté de prévoir des procédures de résiliation des rapports de service qui protègent les agents publics contre l’arbitraire, en échange d’un certain assouplissement du droit du licenciement (MGC 1997 IX 9641).

11) Par ailleurs, une application trop stricte de la jurisprudence récemment développée par la chambre de céans au sujet du lien entre droit à une indemnité et absence d’emploi reviendrait à écarter l'aspect sanctionnateur, rappelé par le Tribunal fédéral dans un arrêt concernant le canton de Genève du 28 novembre 2006 dans la cause 2P.181/2006, de ce moyen d'obtenir réparation du caractère infondé d’un licenciement. Une telle restriction dans l’application du droit à l’indemnité pourrait par trop conduire l’employeur étatique à ne pas respecter ses obligations légales lorsqu’il entend licencier un fonctionnaire dès lors que le risque d’avoir à payer des indemnités n’existe plus si son collaborateur a retrouvé du travail ou n’est plus « réintégrable » pour un autre motif. Elle peut même être susceptible de diminuer la volonté de la personne licenciée de retrouver un emploi le plus rapidement possible, même moins bien rémunéré, puisque cela aurait un effet négatif sur l'indemnisation en cas de succès du recours, voire sur la recevabilité même de son recours.

C'est le lieu de relever également que la jurisprudence de la chambre de céans selon laquelle l'absence d'interruption entre la fin des rapports de service résiliés et un nouvel emploi entraînait la perte de l'intérêt au recours et, partant, son irrecevabilité, ne peut plus être appliquée sans nuance, au vu de l'évolution de la jurisprudence du Tribunal fédéral qui a, par exemple, admis, dans une espèce genevoise, qu'un fonctionnaire révoqué conservait un intérêt au contrôle de la légalité de la sanction qui lui avait été infligée indépendamment du fait qu'il ait retrouvé ou non un emploi en cours de procédure (arrêt du Tribunal fédéral 8C_897/2012 du 2 avril 2013).

12) Ainsi, dans la fixation de l'indemnité fondée sur le modèle de la LPAC, il y a lieu désormais de tenir compte de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, et de les apprécier sans donner une portée automatiquement prépondérante à certains aspects, comme le fait d'avoir ou non retrouvé un emploi en cours de procédure.

13) Dans le cas particulier, au vu de l'ensemble des circonstances, notamment de la durée des rapports de service, du parcours professionnel sans reproches de l'intéressé, de la gravité particulière de l'atteinte portée par la commune aux droits du recourant, du fait que la commune n'a pas entendu réintégrer le recourant jusqu'à la clôture de l'instruction alors que ce dernier était disponible, l'indemnité sera fixée à dix-huit mois du dernier traitement brut, à l'exclusion de tout autre élément de rémunération, perçu par le recourant, sous déduction de tout montant versé par la commune en application de l'art. 76 al. 2 du statut.

14) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement. La décision querellée sera déclarée contraire au droit.

L'indemnité pour refus de réintégration sera fixée à dix-huit mois du dernier traitement brut de Monsieur A______, à l'exclusion de toute autre rémunération 

Aucun émolument ne sera mis à la charge de la commune, ni du recourant, qui obtient l'essentiel de ses conclusions (art. 87 LPA).

Une indemnité de procédure de CHF 3'000.- sera allouée au recourant, à la charge de la commune.

Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la commune, qui succombe et ne peut du reste, en tant que collectivité publique de plus de 10'000 habitants et conformément à la jurisprudence constante de la chambre de céans, s'en voir allouer (ATA/511/2013 du 27 août 2013 consid. 13 et les arrêts cités).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 août 2012 par Monsieur A______ contre la décision de la commune de Chêne-Bougeries du 22 juin 2012 ;

 

au fond :

l'admet partiellement ;

dit que la résiliation des rapports de service de Monsieur A______ est contraire au droit ;

constate que la commune a refusé la réintégration de Monsieur A______ ;

fixe l'indemnité pour refus de réintégration à dix-huit mois du dernier traitement brut de Monsieur A______, à l'exclusion de toute autre rémunération ;

condamne en tant que de besoin la commune de Chêne-Bougeries à payer à Monsieur A______ l'indemnité correspondant à dix-huit mois de son dernier traitement brut, sous déduction de tout montant que la commune de Chêne-Bougeries lui aurait déjà versé en application de l'art. 76 al. 2 du statut du personnel de la commune de Chêne-Bougeries du 15 avril 1975 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 3'000.-, à la charge de la commune de Chêne-Bougeries ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure à la commune de Chêne-Bougeries ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Marcel Bersier, avocat du recourant ainsi qu'à Me Thomas Barth, avocat de la commune de Chêne-Bougeries.

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :