Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1642/2021

ATA/654/2022 du 23.06.2022 sur JTAPI/179/2022 ( LDTR ) , REJETE

Descripteurs : PROPRIÉTÉ PAR ÉTAGES;VENTE;AUTORISATION OU APPROBATION(EN GÉNÉRAL);INTERDICTION D'ALIÉNER;PESÉE DES INTÉRÊTS;INTÉRÊT PRIVÉ;INTÉRÊT PUBLIC;LOGEMENT;MARCHÉ LOCATIF;GARANTIE DE LA PROPRIÉTÉ;LIBERTÉ ÉCONOMIQUE
Normes : LPA.19; LPA.20; LPA.22; Cst.29.al2; LDTR.39; RDTR.13; Cst.26; Cst.36; Cst.27
Résumé : Le TAPI était en droit d'annuler l'autorisation délivrée au recourant de vendre son appartement à une société anonyme dont il est l'administrateur unique et seul actionnaire. Son intérêt privé est de pure convenance et ne saurait primer l'intérêt public à la préservation du parc locatif genevois. Pas de violation de la garantie de la propriété ni de la liberté économique. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1642/2021-LDTR ATA/654/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 juin 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Cyril Aellen, avocat

contre

 

ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES (ASLOCA)

représentée par Mes Romolo Molo et Maurice Utz

 

et

OFFICE CANTONAL DU LOGEMENT ET DE LA PLANIFICATION FONCIÈRE
_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 février 2022 (JTAPI/179/2022)


EN FAIT

1) L’immeuble sis______, sur la parcelle n° 2'842, feuille 1______ de la Commune de B______, qui comprend des habitations ainsi que des locaux destinés à des activités au rez-de-chaussée, appartient, à teneur du registre foncier, à Madame C______ et à Messieurs D______ et A______.

2) Il ressort d’un extrait de publications foncières (n° 2______) versé au dossier que cet immeuble avait été vendu, le 5 février 2007, par Madame et Monsieur E______ à la société F______ (ci-après : F______), pour un montant de CHF 2'100'000.-. 

3) Par acte notarié du 17 avril 2007, la copropriété de cet immeuble avait été acquise, à raison de 250/2100èmes par M. D______, de 745/2100èmes par M. A______ et de 580/2100èmes par la société G______ (ci-après : G______), pour un montant total de CHF 1'575'000.-, dont le paiement a été réparti entre les précités, le solde des parts restant acquises à F______.

4) À teneur de l’acte notarié du 15 octobre 2007 intitulé « Propriété par étages Cahier de répartition des locaux », les quatre copropriétaires précités de l’immeuble avaient soumis celui-ci au régime de la propriété par étages (ci-après : PPE).

5) Le 15 octobre 2007 également, ils avaient procédé par acte notarié à un « partage-attribution » des locaux de cet immeuble.

M. A______ s’était vu attribuer la pleine propriété des droits de copropriété de l'un des quatre appartements de l'immeuble, soit le n° 4.02 de trois pièces au 2ème étage (feuillet n° 5, correspondant à 102/1000èmes), du local n° 1.01 et du local commercial n° 2.01 (feuillet n° 2, correspondant respectivement à 97/1000èmes et 196/1000èmes), moyennant une « valeur globale » de CHF 745'000.-.

6) Selon les publications foncières nos 3______ et 4______ du 29 janvier 2008, Mme C______ s’était vu céder par G______ 250/2100èmes, correspondant à l’appartement n° 3.01, pour un montant de CHF 650'000.- et, par F______, 180/1000èmes, correspondant à l’appartement n° 5.01, pour ce même montant.

7) Par requête du 18 mars 2021, M. A______ a sollicité l’autorisation d’aliéner l’appartement n° 4.02 à la société H______ (ci-après : H______), inscrite au registre du commerce genevois depuis le 12 avril 2018, ayant pour but toutes transactions et activités immobilières et dont M. A______ est administrateur unique avec signature individuelle.

Cet appartement, qui avait déjà été loué par le passé et l'était encore, avait été acquis au prix de CHF 745'000.-. Il ne l'avait jamais occupé et n'en possédait aucun autre dans l’immeuble. Le motif de la vente, qui était également le but de l’achat, était « restructuration du patrimoine privé » et les droits et obligations du contrat de bail en cours étaient repris. « Le vendeur [était] aussi l’actionnaire de l’acquéreur ». Le prix de vente se montait à CHF 1'000'000.-.

Plusieurs documents étaient joints à cette requête, notamment, le contrat de bail à loyer conclu le 1er octobre 2015, pour la période du 15 octobre 2015 au 31 octobre 2020 et le projet d’acte notarié de vente des feuillets nos 5______ et 6______ par M. A______ à H______. Le point E de ce projet prévoit que le notaire était chargé par l’acquéreur de requérir au registre foncier la mention prévue par l’art. 12A du règlement d’application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 29 avril 1996 (RDTR - L 5 20.01).

8) Par arrêté VA 14'362 du 31 mars 2021 publié dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (FAO) du même jour, l'office cantonal du logement et de la planification foncière, soit pour lui le département du territoire (ci-après : le département), se référant aux art. 39 al. 2 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et 13 al. 1 RDTR, a autorisé l'aliénation de l’appartement n° 4.02 en faveur de H______.

Comme il s’agissait « notamment » d’une restructuration d’un patrimoine privé, qu’il n’y avait pas de changement de propriétaire économique, dans la mesure où M. A______ cédait l’appartement à la société qu’il détenait en qualité d’actionnaire unique et d’administrateur et que H______ reprenait les droits et obligations du bail en cours, l’intérêt public à la préservation du parc locatif n’était pas mis en péril. Afin de protéger le caractère locatif de l’appartement, cette autorisation ne saurait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation en application des art. 39 al. 4 let. d LDTR et/ou de l’art. 12A RDTR.

9) Par acte du 10 mai 2021, l'Association genevoise des locataires (ASLOCA) (ci-après : ASLOCA) a recouru contre cet arrêté auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI). Elle a conclu à l'annulation dudit arrêté.

Le « partage-attribution » du 15 octobre 2007 était intervenu sous l’empire de l’ancienne pratique du département, manifestement contraire à la LDTR, selon laquelle un tel partage n’était soumis à aucune autorisation d’aliéner. Le 29 janvier 2008, F______ avait revendu – avec un bénéfice – deux des appartements de l’immeuble concerné pour un montant de CHF 1'300'000.-. Les raisons pour lesquelles le département avait autorisé « ce début de vente à la découpe », contraire à la LDTR, n’étaient pas connues. M. D______ avait reçu l'autorisation en 2016 de vendre un des appartements de cet immeuble, autorisation qui avait toutefois été révoquée par le département, à la suite d'un recours de l’ASLOCA.

L’allégation du département selon laquelle la vente autorisée n’impliquerait pas de changement de propriétaire économique n’était pas démontrée par pièces. Le changement d’actionnaires d’une société anonyme permettait « d’éluder la LDTR beaucoup plus facilement qu’une vente par un propriétaire en nom ». La précision du département selon laquelle l’autorisation querellée ne saurait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation de celui-ci était en contradiction avec le point E de l'acte de vente.

Même dans l’hypothèse où un immeuble avait fait l’objet d’une « fraude caractérisée à la LDTR » constatée par les tribunaux, notamment dans l'arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) ATA/81/2015 du 20 janvier 2015, le département ne parvenait pas à empêcher une vente à la découpe. Dans le cas d'espèce, dont il rappelait les détails, même si le département avait infligé une amende – d’un montant dérisoire en comparaison des « immenses » bénéfices réalisés – au propriétaire économique des nombreuses sociétés immobilières d'actionnaires-locataires (SIAL) frauduleuses en cause, le démantèlement du parc locatif genevois se poursuivait grâce au « laxisme » du département.

Cette situation allait « immanquablement » se réaliser dans le présent cas, étant relevé que le département omettait de mentionner le « partage-attribution » réalisé en violation de la loi. Le transfert des actions de H______ serait beaucoup plus difficile à contrôler que la présente vente, dès lors qu’un tel transfert d’actions n’était pas publié et que l’acquéreur de ces dernières invoquerait – avec succès – sa bonne foi auprès du département. Le « caractère spéculatif » de l'opération était manifeste. M. A______ avait acquis 421/1000èmes de l’immeuble en 2007 pour une valeur de CHF 745'000.- et revendait désormais – « certes prétendument à lui-même » – 102/1000èmes pour un montant de CHF 1'000'000.-, avec la précision qu’il pourrait ultérieurement revendre les actions au même montant et réaliser économiquement le bénéfice susmentionné, l’opération n’étant, pour le surplus, pas dénuée d’intérêt sur le plan fiscal.

Il n’existait aucun motif d’autorisation selon l’art. 39 al. 4 LDTR. La décision litigieuse, qui validait une pratique illégale, découlait d'une pesée des intérêts qui revenait à vider la loi de sa substance. En effet, l’allégation du département selon laquelle l’intérêt public était sauvegardé, dans la mesure où l’acquéreur avait attesté reprendre le bail à loyer en cours, n’emportait pas conviction, puisque la vente de cet appartement le sortirait définitivement du parc locatif, la cession des actions étant quasiment impossible à surveiller.

10) H______ a fait savoir au TAPI, par pli du 11 juin 2021, ne pas souhaiter participer à la procédure de recours. Elle approuvait et soutenait la position de M. A______.

11) M. A______ a conclu le 21 juin 2021, préalablement, au retrait de l’effet suspensif au recours et, principalement, à son rejet.

Le procédé de fraude mis en lumière par la jurisprudence à laquelle se référait l'ASLOCA n’était in casu pas réalisé et il n’avait aucune intention de soustraire l’appartement concerné au parc locatif. Le contrat de bail actuel, après sa durée initiale de cinq ans, était renouvelable tacitement d'année en année. Les conditions contractuelles du précédent contrat de bail demeuraient inchangées, notamment le montant du loyer. H______ s’était engagée à reprendre les droits et obligations découlant du contrat de bail et n’avait aucune intention de mettre fin à ce contrat ou d’augmenter le loyer, qui n’avait pas été modifié depuis novembre 2007, à teneur de l’avis de fixation du loyer du 1er octobre 2015 produit. Rien ne laissait penser qu’il souhaitait transformer H______ en société d’actionnaires-locataires, ce type de sociétés n’existant quasiment plus ou, du moins, ne se créant plus en Suisse. Dès lors qu’il était propriétaire d’un seul appartement dans l’immeuble, aucun partage ultérieur n’était possible.

Il serait contraire à la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) d’empêcher la vente d’immeubles locatifs par un propriétaire en nom à une société anonyme, par crainte de transformation en SIAL ou d’un changement d’actionnaires. Retenir le contraire reviendrait à le contraindre à rester indéfiniment propriétaire, portant atteinte à son droit à la propriété, alors qu’a contrario, la situation du parc locatif ne changerait pas à la suite de la vente contestée.

Un éventuel changement d’actionnaire de H______ – nullement prévu – ne permettrait pas d’éluder la LDTR, dans la mesure où le contrat de bail était repris par H______ et non par les actionnaires. Au contraire, la vente de l’appartement à H______ mettrait le locataire, et donc également le parc locatif genevois, dans une situation plus sûre que s'il le détenait, en supprimant le risque qu'il résilie le bail en se prévalant d’un besoin urgent pour lui-même ou ses proches.

Il contestait un caractère spéculatif à la vente. Le montant de CHF 1'000'000.- concernait tant l’appartement que le local commercial.

Dans la mesure où l’aliénation avait été autorisée à condition que cette autorisation ne puisse être invoquée ultérieurement, si H______ souhaitait un jour vendre cet appartement, elle devrait en faire la demande au département, selon l’art. 39 LDTR.

12) Le TAPI a, par décision incidente du 6 août 2021, rejeté la requête de retrait de l’effet suspensif au recours.

13) Le département a conclu le 12 août 2021 au rejet du recours.

Le « partage-attribution » d'octobre 2007 n’était pas soumis à autorisation. Il ne l’avait été qu’à compter de mai 2008, lorsque des irrégularités avaient été constatées, ce qui ressortait de son courrier au registre foncier du 16 mai 2008, ainsi que de la circulaire du 16 mai 2008 à l’attention des notaires.

Aucun des cas de figure envisagés par l’art. 39 al. 4 LDTR n’était réalisé en l'espèce. Toutefois, comme M. A______ ne possédait qu’un seul appartement dans l’immeuble concerné, que l’opération intervenait dans le cadre de la restructuration de son patrimoine, que H______ le destinait à la location, et que les droits et obligations du contrat de bail étaient repris, une pesée des intérêts en présence et l’application du principe de proportionnalité avaient permis de délivrer l’autorisation querellée, sur la base des art. 39 al. 2 LDTR a contrario et 13 al. 1 RDTR. Pour le surplus, il s’était assuré que l’appartement ne pourrait sortir du parc locatif sans son aval, moyennant la précision que l’autorisation délivrée ne saurait être invoquée ultérieurement pour en justifier l'aliénation. La jurisprudence citée par l'ASLOCA n’était nullement similaire au cas d’espèce, l’acquisition par M. A______ ne résultant pas d’une fraude à la loi.

14) Par pli du 31 août 2021, M. A______ a indiqué au TAPI qu’il abondait dans le sens des observations du département.

15) Par réplique du 2 septembre 2021, l'ASLOCA a relevé que le « partage-attribution » par la société simple formée par M. D______, M. A______, G______ et F______ à ses membres avait bel et bien abouti à une fraude à la loi. L’ensemble de l’immeuble, construit avant 1919 et dont le caractère locatif n’était pas contesté, appartenait à Mme E______ en 2007. Cette dernière l’avait vendu à F______ qui, immédiatement après son acquisition, en avait apparemment transféré la propriété à la société simple précitée, dont elle était l’une des associées. Peu de temps après, cette société simple avait procédé au « partage-attribution » et deux appartements avaient, depuis lors, été individualisés et vendus. Il était « ahurissant » de prétendre que cette « vente à la découpe » ne constituait pas une fraude à la loi, puisque c’était précisément en raison du caractère frauduleux de cette opération que le département avait révoqué l’autorisation précédemment accordée à M. D______. Il était « consternant » de constater que le département, confronté à la même situation cinq ans plus tard, permette à cette fraude d’arriver à son terme.

16) Par duplique du 15 septembre 2021, M. A______ a relevé que la problématique relative aux tentatives de contournement de la LDTR était connue des autorités depuis de nombreuses années et des mesures strictes avaient été prises. La jurisprudence citée par la recourante n’était pas applicable au présent cas, dans la mesure où l’acquisition ne résultait pas d’une fraude à la loi.

17) Par duplique du 23 septembre 2021, le département a précisé que l’autorisation de vente précédemment accordée à M. D______ avait été révoquée, sur demande du TAPI, dans la cause A/3272/2016, dans la mesure où M. D______ avait informé cette juridiction de sa renonciation à la vente de l’appartement concerné.

18) Par écriture du 1er octobre 2021, l'ASLOCA a précisé que ce n’était que lorsqu’elle avait elle-même « découvert la supercherie » que M. D______ avait retiré sa demande d’autorisation de vente. Toutefois, « nul doute que les instances judiciaires auraient fini par rejeter cette autorisation ».

19) Par pli du 11 octobre 2021, M. A______ a relevé ne rien connaître des cas auxquels se référait l'ASLOCA, dont le comportement relevait d’un combat politique qui ne le concernait en rien.

20) Le 19 octobre 2021, le TAPI a imparti au département et à M. A______ un délai pour indiquer les mécanismes juridiques qui permettraient au premier de refuser l’application de l’art. 39 al. 4 let. d LDTR à une vente ultérieure du logement concerné.

21) Le département a en réponse indiqué le 4 novembre 2021 que l’intérêt public à la préservation du parc locatif n’était in casu pas mis en péril, dans la mesure où l’acquéreur s’était engagé à reprendre les droits et obligations découlant du contrat de bail en cours. En outre, au vu de la précision, dans l’arrêté querellé, que cette autorisation ne saurait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation de cet appartement, en cas de revente par H______, il procéderait à nouveau à une pesée des intérêts, afin de préserver l’affectation locative de l’appartement. Il faisait usage de cette « restriction » depuis de nombreuses années dans le cadre d’aliénation d’appartements ne remplissant pas les conditions de l’art. 39 al. 4 LDTR et le registre foncier veillait « scrupuleusement » à son application. À ce jour, aucun propriétaire n’avait contesté cette « restriction », qui permettait d’aliéner un appartement sous l’angle du principe de la proportionnalité, tout en préservant son affectation locative sur le long terme.

22) M. A______ s'est rallié, le 9 novembre 2021, à la position du département, selon laquelle le fait d’évoquer, de manière générale, la nécessité de maintenir le logement dans le régime locatif aurait pour conséquence que la délivrance d’une autorisation d’aliéner ne serait pratiquement jamais possible en dehors des cas prévus à l’art. 39 al. 4 LDTR et que le propriétaire serait contraint de le rester indéfiniment, ce qui porterait atteinte au droit de la propriété et au principe de la proportionnalité.

23) L'ASLOCA a relevé par écriture spontanée du 19 novembre 2021 que le département – qui n’avait « manifestement pas saisi le sens » de l’interrogation du TAPI – était resté muet quant aux éventuels mécanismes qui lui permettraient de contrôler une vente des actions de H______ à un tiers, pour la « bonne raison » qu’un tel mécanisme n’existait pas. Il en irait autrement, éventuellement, si la « restriction » était inscrite au registre foncier, ce qui n’était pas le cas. Le transfert de propriété entre deux entités économiquement identiques ne servait qu’à faciliter ultérieurement une fraude à la loi.

24) Par jugement du 22 février 2022, le TAPI a admis le recours et annulé l'arrêté litigieux.

Il ressortait des explications du département, corroborées par son courrier au registre foncier et sa circulaire aux notaires du 16 mai 2008, que la pratique du registre foncier en lien avec les opérations de « partage-attribution », telles que celle à l’issue de laquelle M. A______ s’était vu attribuer la propriété de l’appartement litigieux, consistait, en octobre 2007, à ne pas soumettre de telles opérations à autorisation. Ce transfert de propriété était intervenu en parallèle du « partage-attribution », par inscription au registre foncier, laquelle n'avait nullement été contestée à l’époque. Partant, il ne serait en tout état pas envisageable de revenir sur l’inscription effectuée en 2007 en faveur de M. A______, sauf à violer le principe de la sécurité du droit. Par conséquent, le « partage-attribution » ne découlait d’aucune violation légale ou réglementaire, eu égard à la pratique applicable au moment des faits.

Les cas de « fraude caractérisée à la LDTR » constatés par la jurisprudence selon l'ASLOCA ne conduiraient pas à une autre conclusion. Certes, la succession, dans un délai relativement court, des opérations ayant conduit au final à l’acquisition de l’immeuble par M. D______, M. A______ et Mme C______ était de nature à interpeller quant au but réel et ultime de cet enchaînement. La cession en janvier 2008 par F______ et G______ à Mme C______ de leurs parts correspondant à deux appartements allait dans le même sens. S'y ajoutait l'autorisation d'aliéner en faveur de M. D______, avant qu'il ne retire cette demande durant la procédure de recours – interjeté par l’ASLOCA – devant le TAPI, d'où sa révocation. Toutefois, dans les cas de fraude cités par l'ASLOCA, le TAPI avait constaté l'existence d'opérations qui non seulement se surajoutaient à celles qui avaient eu lieu comme dans la situation présente, mais qui en outre, sur le plan juridique, ne pouvaient avoir d'autre sens que de parvenir à contourner la LDTR. Il s'agissait spécifiquement de l'étape consistant, après avoir constitué l'immeuble en PPE, le cas dans la présente cause, à modifier les statuts de la société propriétaire pour la transformer en SIAL, alors que, sur le plan des institutions juridiques, la SIAL avait précédé la PPE, laquelle l'avait peu à peu complètement remplacée, en distribuant aux actionnaires de la société précédente les certificats d'actions correspondants de la SIAL, et enfin à liquider cette dernière, ce qui aboutissait à rendre chaque ancien actionnaire-locataire propriétaire de son appartement avec inscription au registre foncier. Ici, il n’était nullement question de la création d’une SIAL puis de sa liquidation. La revente en 2008 par F______ de deux autres appartements avec une importante plus-value, moins d'une année après l'achat de l'immeuble, et le fait que M. D______ avait tenté de vendre sans succès l’un des autres appartements huit ans plus tard, étaient certes des circonstances troublantes quant à la finalité des opérations qui avaient eu lieu en 2007, ce d'autant que les quelques appartements que comptait l'immeuble étaient désormais tous en mains de personnes différentes. Néanmoins, on ne saurait aller jusqu'à retenir un cas de fraude à la loi. De plus, la pratique du département avait depuis lors évolué, notamment au niveau des opérations pouvant avoir lieu auprès du registre foncier, ce qui signifiait que de telles opérations ne devraient plus pouvoir avoir lieu hors du contrôle de l'État.

Il n'était pas contesté qu'aucune des hypothèses prévues à l’art. 39 al. 4 LDTR n’était remplie. C’était par conséquent à juste titre que le département avait procédé à la pesée des intérêts prévue par l’art. 39 al. 2 LDTR. M. A______ s’était toutefois contenté d’indiquer comme motif de l'aliénation une « restructuration du patrimoine privé », sans préciser les raisons, la nécessité et les modalités d’une telle restructuration. Le vendeur et l'acheteuse se prévalaient de leurs propres intérêts privés, sans toutefois en avoir démontré la portée et le bien-fondé. Or, afin de permettre au département de procéder à la pesée des intérêts prévue par loi, les requérants devaient d’emblée produire l’ensemble des éléments probants permettant à l'autorité de se convaincre de la réalité des intérêts privés allégués. Faute d'avoir démontré un intérêt privé à l'aliénation en question, il ne pouvait être retenu que l'intérêt de M. A______ prévaudrait sur l’intérêt public à s’assurer du maintien de l’affectation locative de l’appartement loué, ce d’autant plus en période de pénurie de logements dans le canton.

Les explications du département du 4 novembre 2021 ne répondaient pas réellement à la question posée par le TAPI au sujet du lien entre l'art. 39 al. 4 let. d LDTR et la réserve mentionnée dans l'arrêté de vente. Il devait être constaté que la pratique administrative alléguée n'avait en réalité aucune valeur contraignante. En effet, la lettre de l'art. 39 al. 4 LDTR était absolument claire et ne laissait la place à aucune interprétation : lorsqu'un logement avait une fois au moins fait l'objet d'une autorisation d'aliénation selon la LDTR, une aliénation ultérieure devait être autorisée, de sorte que le département ne disposait plus d'aucune marge d'appréciation et était tenu de délivrer la nouvelle autorisation. Il était par conséquent d'autant plus important que le département examine de manière précise si les intérêts privés invoqués étaient concrètement démontrés et, cas échéant, s'ils justifiaient la sortie de ce logement du marché locatif.

De plus, le point E du projet d'acte de vente prévoyait que le notaire était précisément chargé par l’acquéreur de requérir au registre foncier la mention prévue par l’art. 12A RDTR, mention que M. A______ avait totalement passée sous silence durant la présente procédure, et qui avait pour but d'éviter, lors d'une vente ultérieure, que le notaire l'instrumentant doive une nouvelle fois produire une autorisation du département. On ignorait si le registre foncier refusait d'inscrire ce genre de mention au vu de la réserve « dont il [était] question plus haut ». En tout cas, ledit point E révélait bien la contradiction entre la pratique que le département avait jusqu'ici mise en place et l'application que M. A______ entendait légitimement faire de l'art. 39 al. 4 let. d LDTR, par anticipation, pour une aliénation subséquente.

Ainsi, en considérant sur de simples allégués de M. A______ que son intérêt l’emportait sur l’intérêt public poursuivi par la LDTR, le département avait abusé de son pouvoir d’appréciation.

25) M. A______ a formé recours contre ce jugement, reçu le 2 mars 2022, par acte expédié le 1er avril 2022 à la chambre administrative, concluant à l'annulation dudit jugement puis, statuant à nouveau, à la confirmation de l'arrêté du 31 mars 2021, subsidiairement au renvoi de la cause au TAPI ou au département pour nouvelle décision après complément d'instruction.

Il rappelait brièvement le but poursuivi par l'ASLOCA et les objectifs visés par la LDTR. L'unique question à trancher dans le cas du recours était celle de déterminer si l'arrêté du 31 mars 2021 était conforme à une juste application de cette loi. Il ne recherchait pas à faire un bénéfice artificiel ni à soustraire un appartement du parc immobilier locatif genevois.

Le TAPI avait procédé à une mauvaise constatation des faits, abusé de son pouvoir d'appréciation, violé la maxime inquisitoriale, de même que son droit d'être entendu, le principe de proportionnalité, en effectuant mal la pesée des intérêts en présence, ainsi que sa liberté économique et la garantie de propriété.

Le département avait retenu que son intérêt privé était avéré et l'ASLOCA n'avait jamais sollicité d'éléments complémentaires à ce sujet. Contre toute attente, le TAPI n'avait demandé aucun complément d'information à cet égard, alors que conformément à la doctrine et la jurisprudence il aurait dû procéder à la place du département ou, à défaut, lui retourner le dossier. En niant d'emblée tout intérêt prépondérant pour défaut prétendu d'éléments, il avait violé la maxime inquisitoire l'obligeant soit à instruire le dossier lui-même, soit à retourner le dossier au département pour complément d'instruction.

L'intérêt public au maintien des logements destinés à la location n'était pas menacé. Il ne procédait en aucun cas à une opération spéculative destinée à vendre son appartement à un vil tiers investisseur qui se presserait de résilier le bail ou de tenter d'obtenir un rendement agressif, ce que démontrait la durée du bail, le maintien du même loyer depuis octobre 2015 et l'engagement de sa reprise par H______. Le prix convenu de CHF 1'000'000.- englobait la vente du local commercial de 61 m². Ce prix était parfaitement raisonnable et pouvait justifier une augmentation du loyer. Ne disposant que d'un seul appartement dans l'immeuble en cause, une vente à la découpe n'était matériellement pas possible. Un changement d'actionnaire de H______, au demeurant non prévue, n'aurait aucune incidence sur le bail en cours. La détention de l'appartement par une société anonyme protégeait le locataire du risque de voir le propriétaire demander à pouvoir l'occuper. Ainsi, la vente querellée ne portait atteinte à aucun intérêt public.

Par surabondance d'arguments, ses intérêts privés primaient un intérêt public théorique à la protection du parc locatif genevois. Son intérêt privé existait bel et bien et était très facile à démontrer ; il coïncidait avec le but de la LDTR. Son avocat fiscaliste avait émis un avis de droit le 1er avril 2022 démontrant son intérêt familial, patrimonial et fiscal à la restructuration de son patrimoine envisagée. Il avait en effet décidé de cesser toute activité salariée à la fin de l'année 2018. Dès le 1er janvier 2019, il n'avait plus déployé de quelconque activité commerciale ou opérationnelle au sein de ses entreprises. Ses seuls revenus provenaient d'honoraires de mandats d'administrateurs de ses trois sociétés, de dividendes de sa holding et de la perception des loyers des arcades commerciales et de l'appartement concerné par la procédure.

Les deux biens immobiliers qu'il détenait seraient vendus à H______, elle-même détenue par la holding I______. Il certifiait être l'unique administrateur et actionnaire de ces deux sociétés, la seconde, dont il était l'ayant droit économique, étant enregistrée à J______. Cette structure était intéressante en cas de décès prématuré, ce qui simplifierait notablement les démarches administratives et notariales. Au niveau patrimonial, la société immobilière présentait des avantages indéniables à savoir la rigueur, soit l'obligation légale de tenir une comptabilité, la cohérence du patrimoine, soit la simplification à regrouper ses biens immobiliers et le choix d'apparaître ou pas vis-à-vis des tiers. Au niveau fiscal, la détention au travers d'une société immobilière permettait une petite économie sur les revenus locatifs, ce qui nécessitait d'ailleurs que H______ reste longuement propriétaire de l'immeuble, sans quoi l'impact fiscal serait contre-productif. La société immobilière était une structure adaptée principalement à du locatif, puisque fiscalement, en cas d'usage propre, il ne bénéficierait pas des abattements sur la valeur locative et sur l'impôt sur la fortune pour occupation continue.

Il produisait une attestation du notaire confirmant qu'il n'avait jamais sollicité l'ajout au point E de l'acte de vente de la mention prévue à l'art. 12A RDTR. Il s'agissait d'une pratique courante du notaire qui ne devait pas lui être imputée comme une intention de contourner la LDTR. Il en ressortait aussi qu'il n'avait jamais évoqué la possibilité que la vente de l'appartement à H______ puisse permettre ultérieurement de le vendre plus aisément par le biais de l'application de l'art. 39 al. 4 let. d LDTR. L'éventualité d'une vente à des tiers n'avait jamais été d'actualité. L'empêcher de vendre le seul appartement dont il était propriétaire dans l'immeuble, ce qui le contraindrait à en rester indéfiniment propriétaire, portait atteinte au droit de la propriété. Par ailleurs, la LDTR ne pouvait en aucun cas limiter le droit de devenir propriétaire aux seules personnes physiques.

26) Le département a, le 3 mai 2022, adhéré intégralement et fait siennes l'argumentation et les conclusions développées dans le recours, persistant par ailleurs dans ses écritures de première instance.

27) L'ASLOCA a, le 6 mai 2022, conclu à la confirmation du jugement entrepris, sous réserve de la recevabilité du recours quant au délai. Il était demandé la production par M. A______ de l'enveloppe dans laquelle il avait reçu le jugement attaqué.

L'intérêt privé invoqué par M. A______ était purement économique ou commercial, ce qui ne suffisait pas à renverser la présomption de l'intérêt public au maintien du parc locatif. On était loin d'un intérêt légitime dans le cas d'un immeuble entier vendu à la découpe dans le cadre d'une opération en voie d'achèvement. La chambre administrative ne devait pas permettre à ceux qui avaient perpétué cette fraude de mener à terme leur opération spéculative.

Contrairement à ce qu'avait retenu le TAPI, il y avait bien eu fraude à la loi dans le cas présent. L'état de fait du jugement entrepris étant incomplet sur ce point, elle reproduisait ses allégués de première instance illustrant, dans le cas tranché par l'ATA/81/2015 précité, à souhait l'impuissance du département à empêcher le démantèlement du parc locatif du canton. Cette fraude caractérisée à la LDTR se réaliserait « immanquable » dans l'immeuble objet du recours si le jugement entrepris n'était pas confirmé. La société simple constituée par les quatre propriétaires de l'immeuble en question jouait le même rôle que la SIAL dans le cas précité.

Le transfert des actions de H______ serait beaucoup plus difficile à contrôler que la vente litigieuse. Un tel transfert n'était pas publié. Certes, il était soumis à autorisation, mais d'expérience, une telle autorisation n'était de loin pas toujours requise. L'acquéreur des actions invoquerait sa bonne foi et il était temps que les tribunaux mettent un frein à ces pratiques.

Il était erroné de prétendre qu'il n'y aurait pas de pérennité des relations contractuelles en présence d'un bail conclu avec une personne physique, en cas de décès, puisque l'art. 560 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), par la succession universelle, prévoyait la reprise de toutes les relations contractuelles. M A______ faisait grand cas d'être prétendument contraint de rester indéfiniment propriétaire de son bien, alors qu'on l'empêchait d'aliéner le bien à lui-même.

L'attestation notariée produite pour la première fois devant la chambre administrative contredisait le contenu du projet de l'acte de vente du 18 mars 2021. Surtout, rien n'empêchait M. A______ de changer d'avis. Son argumentation s'apparentait par ailleurs en l'espèce à venire contra factum proprium.

28) La chambre administrative a transmis, le 10 mai 2022 à l'ASLOCA, les pièces en lien avec la réception par M. A______ du jugement entrepris et le dépôt de son recours.

29) M. A______ a répliqué le 3 juin 2022. Selon le suivi de la poste annexé, il avait reçu le jugement attaqué le 2 mars 2022, de sorte que le délai de recours avait été respecté.

Sa situation n'était pas la même que celle tranchée dans l'ATA/81/2015 précité pour les raisons qu'elle détaillait. Au demeurant, en l'absence d'un quelconque comportement frauduleux de sa part, son recours devait être apprécié sans tenir compte de l'opération antérieure dont la nullité était exclue. Remettre en cause la validité de l'opération passée, conformément à la pratique d'alors, comportait un risque insoutenable pour la sécurité du droit et une situation inextricable au vu du temps écoulé.

Suivre le raisonnement de l'ASLOCA reviendrait à interdire, en violation du droit de propriété, toute détention d'immeubles par des personnes morales au prétexte qu'il existerait un risque que leurs actions soient vendues sans autorisation en violation de la loi. Un tel procédé absurde équivaudrait à proscrire toute conduite automobile puisque le risque que des chauffards brûlent des feux de signalisation ne saurait être écarté.

Par ailleurs, contrairement à ce qui était soutenu, la pérennité des relations contractuelles en présence d'un bail conclu avec une personne physique était bien moins certaine, dans la mesure où ses descendants pouvaient plus aisément faire valoir un besoin propre pour le résilier.

Quant à son intérêt privé, l'arrêt du Tribunal fédéral 1C_357/2012 du 8 janvier 2013 n'était d'aucun secours à l'ASLOCA, puisqu'il y était question de l'intérêt d'un locataire en place d'acquérir son appartement, lequel n'était pas prépondérant face à l'intérêt public de conserver un bloc de trois appartements, alors qu'en l'espèce l'appartement était d'ores et déjà individualisé, au terme d'un processus licite, et que le transfert entre les deux entités renforçait au contraire l'ancrage de l'objet dans le parc locatif genevois.

30) Les parties ont été informées, le 7 juin 2022, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Plus particulièrement, il ressort des pièces figurant à la procédure que le recourant a reçu le jugement attaqué le 2 mars 2022, de sorte que le délai de trente jours a été respecté par le dépôt de son recours le 1er avril 2022.

2) Le recourant reproche au TAPI d’avoir annulé l'arrêté l'autorisant à vendre l'appartement dont il est propriétaire sans instruire la question de son intérêt privé. Il aurait ce faisant violé la maxime inquisitoriale et son droit d'être entendu.

a. La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA), sans être limité par les allégués et les offres de preuves des parties. Dans la mesure où l'on peut raisonnablement exiger de l’autorité qu’elle les recueille, elle réunit ainsi les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties et recourt s’il y a lieu à d'autres moyens de preuve (art. 20 LPA). Mais ce principe n’est pas absolu, sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 128 II 139 consid. 2b ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_524/2017 du 26 janvier 2018 consid. 4.2 ; 1C_454/2017 du 16 mai 2018 consid. 4.1 ; ATA/844/2020 du 1er septembre 2020 consid. 4a ; ATA/1679/2019 du 19 novembre 2019 consid. 4b et les références citées).

b. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Le droit d'être entendu n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1). Le droit d'être entendu n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

c. En l'espèce, le recourant a sollicité une autorisation auprès du département pour pouvoir vendre un appartement dont il est propriétaire dans un immeuble à Genève. Selon l'autorisation qui lui a été délivrée dans ce sens et attaquée par l'ASLOCA, il a invoqué à titre d'intérêt privé la restructuration de son patrimoine. Le fait que le département se soit contenté de l'allégation d'un tel intérêt n'absolvait pas le recourant de le démontrer, en particulier une fois qu'il a su, par le recours de l'ASLOCA, qu'il était contesté. Il a ainsi, en connaissance de cause, pu développer devant le TAPI tous ses moyens et présenter toutes pièces utiles pour démontrer cet intérêt privé, ce qu'il s'est abstenu de faire pour partie, nonobstant son devoir de collaboration, étant relevé qu'il était le mieux à même de produire les pièces en lien avec sa situation personnelle et patrimoniale.

En conséquence, ses griefs d'une violation de la maxime inquisitoire et du droit d'être entendu seront rejetés.

3) a. L’aliénation, sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de copropriété d’étages ou de parties d’étages, d’actions, de parts sociales), d’un appartement à usage d’habitation, jusqu’alors offert en location, est soumise à autorisation dans la mesure où l’appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR). Le département refuse l’autorisation lorsqu’un motif prépondérant d’intérêt public ou d’intérêt général s’y oppose. L’intérêt public et l’intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l’affectation locative des appartements loués (al. 2).

Aux termes de l’art. 39 al. 4 LDTR intitulé « motifs d’autorisation », le département autorise l’aliénation d’un appartement si celui-ci a été dès sa construction soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue, sous réserve du régime applicable à l’aliénation d’appartements destinés à la vente régi par l’art. 8A de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35 ; let. a) ; était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue et qu’il avait déjà été cédé de manière individualisée (let. b) ; n’a jamais été loué (let. c) ; a fait une fois au moins l’objet d’une autorisation d’aliéner en vertu de la LDTR (let. d). En cas de réalisation de l’une des hypothèses de l’art. 39 al. 4 LDTR, le département est tenu de délivrer l’autorisation d’aliéner. Il n’y a donc, le cas échéant, pas de place pour une pesée des intérêts au sens de l’art. 39 al. 2 LDTR (ATA/1359/2021 du 14 décembre 2021 consid. 3).

b. Selon l'art. 13 RDTR, dans le cadre de l’examen de la requête en autorisation, le département procède à la pesée des intérêts publics et privés en présence (al. 1). L’intérêt privé est présumé l’emporter sur l’intérêt public lorsque le propriétaire doit vendre l’appartement pour l’un des motifs suivants : a) nécessité de liquider un régime matrimonial ou une succession ; b) nécessité de satisfaire aux exigences d’un plan de désendettement ; c) prise d’un nouveau domicile en dehors du canton (al. 3).

Dans la pesée complète des intérêts en présence à laquelle doit se livrer l'autorité, celle-ci ne peut se contenter d'évoquer de manière générale la nécessité de maintenir le logement dans le régime locatif (motif de refus d'ordre général déjà mentionné à l'art. 39 al. 2 LDTR), sans quoi une autorisation de vente ne serait pratiquement jamais possible ; elle doit faire état de circonstances concrètes faisant apparaître que la vente ne répond pas à un réel besoin de l'acquéreur ou du vendeur, par exemple en cas d'opération spéculative ou purement commerciale (arrêts du Tribunal fédéral 1C_416/2016 du 27 mars 2017 consid. 2.4, confirmant l’ATA/593/2016 du 12 juillet 2016 ; 1C_68/2015 du 5 août 2015 consid. 2.4).

c. L'intérêt du vendeur ou de l'acheteur suffit pour autoriser une aliénation (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation : immeubles de logement et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 435 et les références citées).

Si l’appartement est la seule propriété du vendeur, il faut en tenir compte dans l’appréciation des intérêts pour donner un poids certain à cet élément. Sinon, on empêcherait les propriétaires de céder leur bien et on les contraindrait à rester indéfiniment propriétaires, ce qui porterait atteinte au droit de la propriété. (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op.cit., p. 435 et la référence citée). La notion de « seule propriété du vendeur » ne concerne qu'un propriétaire ne possédant qu'un unique bien immobilier, l'appartement concerné (ATA/1313/2019 du 3 septembre 2019 consid. 9).

d. Le besoin d’assainissement financier du vendeur est un cas particulier de l’intérêt privé du vendeur expressément prévu par l'art. 39 al. 4 § 1 phr. 2 LDTR. Lorsque le vendeur doit vendre un appartement pour assainir sa situation financière (art. 39 al. 4 § 1 phr. 2 LDTR et 13 al. 3 let. b RDTR), le département doit procéder à une pesée des intérêts en présence selon l'art. 39 al. 2 LDTR, à savoir l'intérêt du vendeur à assainir sa situation financière et l'intérêt public à conserver des appartements locatifs. Le requérant doit démontrer par pièces que sa situation financière est mauvaise et qu’il a pris des mesures d’assainissement, ceci pour éviter des poursuites ou une mise en faillite. Un simple désir de se désendetter ne suffit pas. Le vendeur doit prouver avoir mis sur pied un programme d'assainissement de sa situation financière et démontrer que la vente s'inscrit dans ce programme. La production d'avis bancaires, de bilans, de commandements de payer concernant les dettes fiscales notamment ne suffit pas, même si ces documents démontrent que le vendeur est endetté (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., pp. 446-447 et les références citées).

e. La politique prévue par la LDTR, qui tend à préserver l'habitat et les conditions de vie existants, en restreignant notamment le changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 1 et 2 let. a LDTR), procède d'un intérêt public important (arrêts du Tribunal fédéral 1C_416/2016 du 27 mars 2017 consid. 2.3 ; 1C_68/2015 du 5 août 2015 consid. 2.3 ; 1C_143/2011 du 14 juillet 2011 consid. 2.2). Le refus de l'autorisation de vendre un appartement loué lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose n'est pas contraire au principe de la proportionnalité, dès lors qu'il est consécutif, de la part de l'autorité administrative, à une pesée des intérêts en présence et à une évaluation de l'importance du motif de refus envisagé au regard des intérêts privés en jeu. En effet, la restriction à la liberté individuelle ne doit pas entraîner une atteinte plus grave que ne l'exige le but d'intérêt public recherché (ATF 113 Ia 126 consid. 7b/aa ; ATA/1313/2019 du 3 septembre 2019 consid. 7).

4) a. En l’espèce, l’immeuble en cause, dont le caractère locatif n’est pas contesté, appartenait à Mme E______ jusqu'au 5 février 2007 où elle l’a vendu à F______. Cette dernière en a, le 17 avril 2007, transféré la propriété, par millièmes de copropriété, à la société simple formée de deux personnes physiques, dont le recourant, et de deux sociétés anonymes. Le 15 octobre 2007, les quatre copropriétaires de l'immeuble ont soumis celui-ci au régime de la PPE. À cette même date, tous quatre ont procédé à un « partage – attribution » des locaux de l'immeuble en attribuant à chacun la pleine propriété des droit de copropriété sur les divers locaux, soit concernant le recourant, sur l'un des quatre appartements, un local commercial et un local. En janvier 2008, une tierce personne physique s'est vu céder les millièmes détenus par les deux sociétés anonymes, correspondant à deux autres appartements.

La question d'une éventuelle fraude à la loi, qui ne peut être exclue en présence de plusieurs indices, souffrira de demeurer indécise vu ce qui suit.

b. Les intérêts qui s'opposent dans le cadre du présent litige sont, d'une part, l'intérêt privé du recourant à la vente de son appartement et d'autre part l'intérêt public à la protection du parc locatif genevois.

Le recourant remet en cause la pesée des intérêts effectuée par l'instance précédente en application de l'art. 39 al. 2 LDTR.

Il ressort du dossier que le recourant souhaite vendre l'appartement à une société anonyme dont il est en l'état administrateur unique et seul actionnaire, pour faciliter les démarches administratives en cas de décès et réduire sa charge fiscale. Il conteste toute velléité de sortir l'appartement en cause du marché locatif, preuve en étant un contrat de bail en vigueur depuis octobre 2015 et renouvelé tacitement d'année en année après sa durée initiale de cinq ans. Ainsi, il ne peut être retenu, nonobstant les pièces produites en particulier en lien avec l'optimisation fiscale de la vente envisagée, que la situation du recourant entrerait dans l'un des cas de figure de l'art. 13 RDTR, en particulier la nécessité de satisfaire aux exigences d’un plan de désendettement. Il ne soutient au demeurant pas que sa situation financière serait mauvaise et pourrait le conduire à des poursuites ou une mise en faillite s'il ne vendait pas l'appartement en cause, étant rappelé qu'un simple désir de se désendetter ne suffit pas, lequel n'est pas même allégué en l'espèce. De plus, le recourant est propriétaire dans le même immeuble d'un local commercial, de sorte qu'il aurait la possibilité, s'il devait effectivement rencontrer des difficultés financières, de vendre en priorité ledit local, vente qui est au demeurant prévue.

Dès lors, son intérêt, qui est de pure convenance, ne saurait primer l'intérêt public à la préservation du parc locatif genevois.

Le recourant indique que la vente projetée n'aurait nullement pour conséquence de sortir l'appartement en cause du parc locatif, puisque l'acheteuse est censée reprendre ledit contrat, ce que le département a expressément mentionné dans l'arrêté litigieux. Au contraire, il considère que la pérennité d'une location serait davantage assurée avec une société anonyme comme bailleresse, dans la mesure où, contrairement à une personne physique, elle ne pourrait se prévaloir d'un besoin propre et urgent pour résilier le bail et que cela éviterait au locataire de voir son bail résilié en cas de décès du propriétaire.

Si le recourant affirme avoir la volonté, via la société anonyme qui est amenée à devenir propriétaire de l'appartement, de maintenir ledit appartement en location, que ce soit au demeurant avec le locataire actuel ou tout autre futur, il existe effectivement le risque, comme retenu par le TAPI, que ce soit par un changement d'actionnariat de la société acquéreuse ou, par une revente de l'appartement à un tiers, laquelle ne nécessiterait plus de délivrance d'autorisation vu la teneur claire de l'art. 39 al. 4 let. d LDTR, que ledit appartement sorte du parc locatif.

Ainsi, la mise en balance de l'intérêt moindre du vendeur avec l'intérêt public qui serait compromis dans une telle situation, qui n'a en l'espèce rien de théorique, vu notamment l'historique de l'immeuble depuis 2007, c'est à tort que le département a délivré l'autorisation querellée, de sorte que c'est à juste titre que le TAPI l'a annulée.

5) Le recourant estime encore que le refus de délivrer l'autorisation constituerait une violation de la garantie de sa propriété et de sa liberté économique.

a. Comme tout droit fondamental, la propriété, garantie par l'art. 26 Cst., ne peut être restreinte qu'aux conditions de l'art. 36 Cst. La restriction doit donc reposer sur une base légale (al. 1), être justifiée par un intérêt public (al. 2) et respecter le principe de la proportionnalité (al. 3).

Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de préciser que la réglementation mise en place par la LDTR est en soi conforme au droit fédéral et à la garantie de la propriété (ATF 116 Ia 401 consid. 9 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_617/2012 du 3 mai 2013 consid. 2.3 ; 1C_358/2010 du 18 janvier 2011 consid. 3.3).

b. La liberté économique, telle que consacrée par l'art. 27 Cst., a pour but de protéger toute activité économique privée tendant à la production d'un gain, soit toute activité exercée par une personne dans un but lucratif. Elle garantit l'existence d'un ordre économique fondé sur le marché et sur un minimum de concurrence (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/ Alexandre FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 2021, n. 960 et 1035 et les arrêts cités).

c. Il ressort de la jurisprudence précitée que l'atteinte à la garantie de la propriété du recourant se fonde sur une base légale suffisante et répond à un intérêt public prépondérant. Elle s'avère également proportionnée, dans la mesure où l'autorité intimée a effectué une pesée des intérêts en présence et évalué l'importance du motif de refus, à savoir la préservation du parc locatif genevois, au regard des intérêts du recourant et des acheteurs.

Le refus d'autoriser l'aliénation envisagée ne constitue ainsi aucune violation de la garantie de la propriété du recourant, étant relevé qu'il ne le prive pas du revenu locatif.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

6) Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité du même montant sera allouée à l'ASLOCA, qui y a conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er avril 2022 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 février 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Monsieur A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à l'association genevoise des locataires (ASLOCA), à la charge de Monsieur A______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Cyril Aellen, avocat du recourant, à Mes Romolo Molo et Maurice Utz, avocats de l'association genevoise des locataires (ASLOCA), à l’office cantonal du logement et de la planification foncière, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mmes Lauber, McGregor et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :