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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1694/2018

ATA/632/2018 du 19.06.2018 sur JTAPI/513/2018 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1694/2018-MC ATA/632/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 juin 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Dina Bazarbachi, avocate

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 mai 2018 (JTAPI/513/2018)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1995, est originaire de Gambie.

2) Le 7 mai 2018, il a été arrêté par la police, à la rue de Zurich.

Il était au bénéfice d’un passeport gambien valable jusqu’au 31 août 2020 et d’un titre de séjour italien délivré par les autorités italiennes pour "motivi umanitari", valable jusqu’au 22 février 2025. Il était inconnu des services de police.

Lors de son audition le même jour, M. A______ a reconnu la vente d’une boulette de cocaïne de 1,14 gr. C'était la première fois qu'il se livrait à un tel trafic de stupéfiants. L'argent trouvé en sa possession lui appartenait (CHF 423.25 [trois coupures de CHF 100.-, cinq coupures de CHF 20.-, deux coupures de CHF 10.- et le reste en monnaie] et (de) EUR 20.-.). Il voulait l'envoyer à sa mère, en Afrique. Il était arrivé à Genève quatre jours auparavant, depuis l'Italie « pour chercher du travail » et dormait dans une église. Il n'avait aucun moyen de subsistance.

3) Par ordonnance pénale du 8 mai 2018, le Ministère public l'a condamné à une peine pécuniaire de soixante jours-amende, avec sursis pendant trois ans, pour infraction aux art. 19 al. 1 let. c de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 pour avoir vendu 1,14 gr. de cocaïne (LStup - RS 812.121) et 115 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20).

4) a. Par décision du même jour, le commissaire de police lui a fait interdiction de pénétrer sur l'ensemble du territoire du canton de Genève pendant une durée de six mois.

b. L'intéressé a formé opposition le 18 mai 2018 contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instante (ci-après : TAPI).

5) Par jugement du 30 mai 2018, le TAPI a rejeté l’opposition du 18 mai 2018 contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée.

M. A______ n'était pas au bénéfice d'une autorisation de courte durée, de séjour. Peu importait de savoir s'il était légalement entré en Suisse et y avait séjourné valablement au regard des dispositions de la LEtr, de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201) et du règlement (CE) n°562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), le seul fait qu'il ne disposait d'aucune des autorisations précitées permettant l'application de l'art. 74 LEtr (ATA/468/2018 du 14 mai 2018 consid. 5). La titularité d'un titre de séjour italien et d'un passeport gambien n'y changeait rien

De surcroît, son séjour en Suisse devait être considéré comme illicite. Il était démuni des moyens financiers nécessaires à son séjour, étant souligné que seuls les ressortissants des États membres de l'UE et de l'AELE signataires de l'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681) pouvaient entrer et séjourner en Suisse pendant trois mois au maximum sans y exercer d'activité lucrative - à la seule condition de présenter à l'entrée un passeport national ou une carte d'identité valable - sans avoir à annoncer leur arrivée et justifier de moyens de subsistance suffisants pour leur séjour (ATF 143 IV 97 consid. 1.5). Il avait du reste été condamné pour infraction à l'art. 115 al. 1 let. b LEtr par le Ministère public (certes de façon non définitive). En effet, M. A______, bien qu'en possession de CHF 423.25 lors de son interpellation, ne pouvait être considéré comme disposant des moyens financiers nécessaire au sens de l'art. 5 al. 1 let. b LEtr précité puisque d'une part, il avait dû recourir à l'aide d'une organisation caritative pour se loger et que d'autre part, selon ses déclarations, il n'avait aucun moyen de subsistance et il n'était pas en mesure d'assumer les frais de son rapatriement. À cela s'ajoutait que considéré comme étant d'origine douteuse, l'argent en francs suisses qu'il détenait avait été saisi par la police, puis confisqué par le Ministère public.

M. A______ avait par ailleurs admis devant la police avoir vendu une boulette de cocaïne et la personne lui ayant acheté cette dernière l'avait formellement identifié.

Sans source de revenus licites à Genève, il n'était pas déraisonnable de penser que, d'une manière ou d'une autre, le trafic de stupéfiants avait pu l'aider à subvenir à ses besoins et qu'il pourrait encore être amené à commettre des actes relevant du trafic de stupéfiants. Dès lors, le commissaire de police pouvait effectivement considérer qu'il constituait une menace pour l'ordre et la sécurité publics suffisante pour justifier l'application de l’art. 74 al. 1 let. a LEtr, dont les conditions étaient réunies.

Une durée de l'interdiction inférieure à six mois ne pouvait pas s'avérer efficace.

M. A______ n'était légalement pas fondé à entrer et à demeurer sur le territoire suisse ; son souhait de trouver un travail à Genève ne lui conférait aucun droit, une autorisation des autorités compétentes étant nécessaire pour exercer une activité lucrative en Suisse (art. 10 LEtr). L'accès au canton de Genève lui était ainsi défendu dans cette mesure déjà, de sorte qu'une réduction du périmètre interdit au centre-ville de Genève n'aurait aucune portée.

6) Par acte du 11 juin 2018, M. A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre le jugement précité, concluant à l’annulation du jugement et à ce que l’étendue du périmètre de l’interdiction qui lui avait été faite soit réduite au centre-ville de Genève.

Il logeait chez un ami en France depuis la décision litigieuse. À son arrivée en Suisse, il détenait environ CHF 500.-, provenant de ses économies, puisqu’il avait travaillé en Italie. Son séjour en Suisse était légal. Contrairement à ce qu’avait retenu le TAPI, selon la jurisprudence, il n’avait pas à justifier des moyens de subsistance pour un séjour sans activité lucrative n’excédant pas trois mois sur six mois. De surcroît, il détenait CHF 423.25 au moment de son arrestation. Aucun élément concret ne permettait de craindre une récidive sur l’entier du territoire cantonal. Il n’avait aucun antécédent judiciaire. Il s’agissait d’un acte isolé dont il n’avait pas tiré de bénéfice. Il avait collaboré avec la police. En plus d’être erroné, le fait de soutenir qu’il vivrait du trafic de stupéfiants constituait une violation de la présomption d’innocence.

Le principe de la proportionnalité était violé.

7) Le 12 juin 2018, le TAPI a transmis son dossier, sans formuler d’observations.

8) Le commissaire ne s’étant pas déterminé dans le délai imparti la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2) a. Selon l’art. 10 al. 2 1ère phr. LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. En l’espèce, le recours a été reçu par la chambre administrative le 11 juin 2018. Statuant ce jour, elle respecte ce délai.

b. La chambre administrative est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle et elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée (art. 10 al. 2 2ème phr. et al. 3 1ère phr. LaLEtr).

3) a. Aux termes de l'art. 74 al. 1 let. a LEtr, l’autorité cantonale compétente peut enjoindre un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée si celui-ci n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et qu’il trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants. À teneur de l'al. 3, ces mesures peuvent faire l’objet d’un recours auprès d’une autorité judiciaire cantonale ; le recours n’a pas d’effet suspensif.

L'art. 6 al. 3 LaLEtr prévoit que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEtr, notamment par suite d’une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommages à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

b. Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993, les étrangers dépourvus d’autorisation de séjour et d’établissement n’ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S’agissant d’une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l’étranger concerné, le seuil, pour l’ordonner, n’a pas été placé très haut ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l’ordre publics. Cette notion ne recouvre pas seulement un comportement délictueux, comme par exemple des menaces envers le directeur du foyer ou d'autres requérants d'asile. Il y a aussi trouble ou menace de la sécurité et de l'ordre publics si des indices concrets font soupçonner que des délits sont commis, par exemple dans le milieu de la drogue, s'il existe des contacts avec des extrémistes ou que, de manière générale, l'étranger enfreint grossièrement les règles tacites de la cohabitation sociale. Dès lors, il est aussi possible de sanctionner un comportement rétif ou asocial, mais sans pour autant s'attacher à des vétilles. Toutefois, la liberté individuelle, notamment la liberté de mouvement, ne peut être restreinte à un point tel que la mesure équivaudrait à une privation de liberté déguisée (FF 1994 I 325).

4) a. Pour être conforme au principe de la proportionnalité énoncé à l'art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
(Cst. - RS 101), une restriction d'un droit fondamental, en l'espèce la liberté de mouvement, doit être apte à atteindre le but visé, ce qui ne peut être obtenu par une mesure moins incisive (nécessité). Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.1).

b. Le périmètre d'interdiction de pénétrer, qui peut même inclure l’ensemble du territoire d’une ville, doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles. Une telle mesure ne peut en outre pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 4 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 4.1 ; 2C_197/2013 précité consid. 4 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3).

La jurisprudence du Tribunal fédéral admet que la mesure d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l’art. 74 LEtr peut s’appliquer à l’entier du territoire d’un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2A.253/2006 du 12 mai 2006 ; 2C_231/2007 du 13 novembre 2007), même si la doctrine relève que le prononcé d’une telle mesure peut paraître problématique au regard du but qui lui est assigné (Tarkan GÖKSU in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela THURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, 2010, p. 725 n. 7). La portée de l’art. 6 al. 3 LaLEtr qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive (ATA/1041/2017 du 30 juin 2017 consid. 4).

c. Concernant la fixation de la durée de la mesure, le fait que
l’art. 74 al. 1 LEtr ne prévoie pas de durée maximale ou minimale laisse une certaine latitude sur ce point à l’autorité compétente, la durée devant être fixée en tenant compte des circonstances de chaque cas d’espèce et en procédant à une balance entre les intérêts en jeu, publics et privés (ATA/1041/2017 précité consid. 9 ; ATA/802/2015 précité consid. 7).

5) En l’espèce, le recourant conclut à une diminution du périmètre concerné par la mesure litigieuse et ne demande pas l'annulation pure et simple de celle-ci, tout en semblant contester également le principe de celle-ci, puisqu'il argue qu'il avait le droit de séjourner à Genève pendant trois mois sans justifier de moyens financiers suffisants.

L'art. 74 al. 1 let. a LEtr ne pose comme condition que l'absence de possession d'une autorisation de courte durée, de séjour ou d'établissement. Or, le recourant ne possède aucun de ces titres de séjour ; le fait qu'il dispose d'un permis de séjour en Italie ne change rien à cet état de fait et n'empêche donc pas que l'art. 74 al. 1 let. a LEtr lui soit applicable. Pour le surplus, la jurisprudence citée par le recourant n’est pas pertinente s’agissant de ressortissants communautaires, ce qui n’est pas son cas (ATF 143 IV 97 consid. 1.5).

S'agissant de la seconde condition posée par cette disposition légale, il n'est pas nécessaire qu'une condamnation entrée en force ait été prononcée à l'égard de l'étranger, le simple soupçon qu'il puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue pouvant justifier une telle mesure (arrêt du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.3). Or, en l'espèce, quand bien même l'ordonnance pénale du 8 mai 2018 n'est pas entrée en force, les déclarations de l'intéressé et du tiers ayant acheté la drogue à la police dans le cadre de la procédure pénale, alliées à l'absence de moyens de subsistance du recourant, suffisent à fonder un tel soupçon concret.

Les conditions d'une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée sont donc remplies.

6) S'agissant de la proportionnalité de la mesure, le recourant ne conclut pas à une réduction de sa durée, mais uniquement de son étendue géographique.

Le recourant ne conteste pas avoir vendu de la cocaïne. Comme l’a relevé le TAPI, il a dû recourir à l'aide d'une organisation caritative pour se loger et, selon ses déclarations, n'a aucun moyen de subsistance. L'argent en francs suisses qu'il détenait a été confisqué par le Ministère public. Il n'indique nullement en quoi il aurait besoin de se rendre dans le canton de Genève, mais hors du centre-ville.

Dans ces circonstances, la mesure litigieuse, en ce qu’elle vise l’ensemble du territoire cantonal de Genève, respecte le principe de la proportionnalité. À cet égard, le recourant ne se trouve pas dans la situation de la personne concernée par l’ATA/1041/2017 : dans l’affaire en question, le recourant avait fait amende honorable lors de son audition devant le TAPI et avait donné des indications précises sur les motifs qui l’avaient amené à Genève.

7) Au vu de ce qui précède, le jugement attaqué est bien fondé et le recours sera rejeté.

Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant, qui succombe (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 juin 2018 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 mai 2018 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dina Bazarbachi, avocate du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Junod, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :