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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4606/2017

ATA/607/2018 du 13.06.2018 ( FPUBL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 16.08.2018, rendu le 07.06.2019, IRRECEVABLE, 8C_531/2018
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4606/2017-FPUBL ATA/607/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 juin 2018

 

dans la cause

 

Madame A______

contre


COMMISSION DE GESTION DU POUVOIR JUDICIAIRE


EN FAIT

1) Le 18 décembre 2014, le Grand Conseil a adopté la loi 11545 sur la suspension des augmentations annuelles dues aux membres du personnel de l’État (LSAMPE 2015 - B 5 16), qui supprimait pour l’année 2015 les annuités des magistrats et des membres du personnel de l’État, des établissements publics, du pouvoir judiciaire et des institutions subventionnées régies par les normes salariales de l’État (ci-après : les membres du personnel), sauf pour ceux dont le traitement annuel brut, treizième salaire inclus et sans indemnités, était inférieur à CHF 86'868.-. Son entrée en vigueur était fixée au 1er janvier 2015 et son abrogation intervenait au 31 décembre 2015.

Elle a été promulguée par le Conseil d’État le 18 février 2015, avec effet au 1er janvier 2015.

2) Le 16 septembre 2015, le Conseil d’État a déposé le projet de loi PL 11721 sur la suspension pour l’année 2016 des augmentations annuelles dues aux membres du personnel, qui proposait de supprimer pour l’année 2016 les annuités des membres du personnel.

Ce projet de loi était motivé par le fait que même sans intégrer le coût de l’annuité du personnel, le projet de budget 2016 présentait un déficit et que des mesures d’économies devaient être prises.

3) Le 17 décembre 2015, le Grand Conseil a adopté la loi 11721, nouvelle LSAMPE (ci-après : LSAMPE 2016), qui supprimait les augmentations annuelles des magistrats et des membres du personnel. Elle modifiait la loi concernant le traitement et les diverses prestations allouées aux membres du personnel de l’État, du pouvoir judiciaire et des établissements hospitaliers du 21 décembre 1973 (LTrait - B 5 15), donnant au Conseil d’État la possibilité d’accorder chaque année à ces derniers tout ou partie de l’augmentation annuelle prévue par l’échelle des traitements, en tenant compte de la situation économique et budgétaire. L’entrée en vigueur de la LSAMPE 2016 était fixée au 1er janvier 2016.

4) Le 26 février 2016, le Grand Conseil a adopté la loi 11834 abrogeant la LSAMPE 2016. Son entrée en vigueur était prévue le lendemain de sa promulgation.

5) Par arrêté du 2 mars 2016, le Conseil d’État a promulgué la LSAMPE 2016, avec effet au 1er janvier 2016.

6) Lors de sa séance du 23 mars 2016, suite au refus du Grand Conseil du 18 décembre 2015 d’entrer en matière sur le projet de budget 2016 présenté le 8 septembre 2015, d’une part, et, d’autre part, à l’absence de résultat des discussions en vue d’un accord avec les formations politiques représentées au parlement, le Conseil d’État a décidé de renoncer à déposer un nouveau projet de budget 2016 et de ne pas accorder d’annuité en 2016 aux membres du personnel.

7) Par arrêté du 20 avril 2016, le Conseil d’État a promulgué la loi 11834, avec effet le lendemain de la publication dudit arrêté, intervenue le 22 avril 2016.

8) Le 30 juin 2016, Madame A______, magistrate du pouvoir judiciaire, a interpellé le secrétaire général du pouvoir judiciaire. La LSAMPE 2016 ayant été abrogée par la loi 11834, le mécanisme de l’octroi automatique de l’augmentation annuelle avait été rétabli. Elle n’en avait cependant pas vu l’effet sur son traitement, cela sans la moindre communication. Le blocage pouvait avoir des effets lourds de conséquence pour le montant des pensions de retraite des membres du personnel n’atteignant pas de ce fait le maximum de leur classe de traitement. La situation devait être régularisée.

9) Le 7 juillet 2016, le secrétaire général a informé la magistrate que le Conseil d’État avait maintenu sa décision de ne pas octroyer d’anuité en 2016.

10) Le 31 août 2016, Mme A______ a demandé à la commission de gestion du pouvoir judiciaire (ci-après : CGPJ) de verser l’annuité 2016 ou de lui communiquer son refus dans une décision formelle.

11) Le 31 mai 2017, Mme A______ a quitté sa charge et fait valoir ses droits à la retraite dès le 1er juin 2017.

12) Le 8 juin 2017, la CGPJ a rejeté la demande de versement de l’annuité 2016 à Mme A______.

Le traitement des magistrats du pouvoir judiciaire était déterminé par la loi concernant le traitement et la retraite des magistrats du pouvoir judiciaire du 29 novembre 2013 (LTRPJ - E 2 40), selon l’échelle et les mécanismes prévus par la LTrait. L’augmentation annuelle ne pouvait être octroyée sans base légale. Le Grand Conseil avait adopté la LSAMPE 2016 qui supprimait les annuités et le Conseil d’État n’avait pas usé de la prérogative, qui lui avait été conférée, de les accorder. L’abrogation de la LSAMPE 2016 intervenue le 23 avril 2016 n’avait pas modifié la situation, le droit à l’annuité ne naissant qu’en début d’année. Il ne ressortait pas des débats que le législateur avait voulu imposer l’octroi de l’indemnité durant l’exercice en cours.

La décision indiquait qu’elle était susceptible de recours auprès de la Cour d’appel du pouvoir judiciaire (ci-après : CAPJ).

13) Par acte du 14 septembre 2017, Mme A______ a recouru auprès de l’instance précitée contre la décision de la CGPJ, concluant au versement de l’annuité 20 correspondant à sa classe de fonction avec effet au 1er janvier 2016, de l’annuité 21 correspondant à sa classe de fonction pour la période du 1er janvier au 31 mai 2017 et à la rectification des salaires assurés 2016 et 2017.

La LSAMPE 2016 n’avait pas modifié la LTRPJ, qui prévoyait expressément le principe de l’augmentation annuelle due aux magistrats mais uniquement la LTrait. Á supposer que la LSAMPE 2016 était également applicable aux magistrats du pouvoir judiciaire, elle n’avait pas été promulguée à la date du 1er janvier 2016. Elle fixait certes son entrée en vigueur au 1er janvier 2016 mais cela violait le principe de l’interdiction de la non-rétroactivité des lois. En outre, elle avait été abrogée avec la volonté de revenir au statu quo ante.

14) Après échange de vues avec la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), la CAPJ, par arrêt du 17 novembre 2017, s’est déclarée incompétente pour connaitre du recours de Mme A______ et s’est dessaisie au profit de la chambre administrative. La loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) faisait une distinction nette entre les magistrats du pouvoir judiciaire et le personnel du pouvoir judiciaire. Les premiers ne relevaient pas du domaine de compétence de la CAPJ.

15) Le 31 janvier 2018, la CGPJ a transmis ses observations, concluant au rejet du recours.

La compétence de la chambre administrative pour connaître du litige pouvait être discutée. Elle s’en remettait toutefois à la détermination de cette juridiction sur cette question.

La LSAMPE 2016 s’appliquait aux magistrats comme aux membres du personnel du pouvoir judiciaire, toute solution contraire aboutissant à un résultat choquant. La fixation de son entrée en vigueur à une date antérieure à celle de sa promulgation respectait les conditions auxquelles une loi pouvait avoir un effet rétroactif. L’abrogation de la LSAMPE n’a pas induit le rétablissement de l’augmentation annuelle pour 2016.

16) Le 7 mars 2018, Mme A______ a exercé son droit à la réplique, persistant dans ses conclusions.

17) Le 12 mars 2018, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) a. L’autorité examine d’office sa compétence (art. 11 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). Si elle décline sa compétence, elle transmet d’office l’affaire à l’autorité compétente et en avise les parties (art. 11 al. 2 LPA). De même, le recours adressé à une autorité incompétente est transmis d’office à la juridiction administrative compétente et le recourant en est averti. L’acte est réputé déposé à la date à laquelle il a été adressé à la première autorité (art. 64 al. 2 LPA).

b. En l’espèce, la recourante a déposé son recours en temps utile auprès de la CAPJ, laquelle, après examen des dispositions pertinentes de la LOJ et échange de vues avec la chambre de céans, s’est déclarée incompétente et a transmis le recours à la chambre de céans, par l’arrêt du 17 novembre 2017 non contesté par les parties.

Il n’y ainsi pas à revenir sur cette question.

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous ces aspects.

2) a. En tant que condition de recevabilité, la qualité pour recourir définit le cercle des personnes à qui est reconnue la faculté de contester un acte administratif. Selon l’art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir non seulement les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a), mais également toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (let. b).

b. Constitue un intérêt digne de protection tout intérêt pratique ou juridique à demander la modification ou l’annulation de la décision attaquée. Il consiste donc dans l’utilité pratique que l’admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (ATF 138 V 292 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1054/2016 du 15 décembre 2017 consid. 2.2). Un intérêt purement théorique à la solution d’un problème est insuffisant (ATA/805/2013 du 10 décembre 2013).

c. Cet intérêt doit être direct et concret. Dans le but d’exclure l’action populaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_90/2016 du 2 août 2016 consid. 3.3 et les références citées), un intérêt seulement indirect à l’annulation ou à la modification de l’acte entrepris n’est ainsi pas suffisant (ATF 138 V 292 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1054/2016 précité consid. 2.2). Le recourant doit se trouver, avec la décision entreprise, dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d’être pris en considération et doit être touché dans une mesure et avec une intensité plus grande que l’ensemble des administrés (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_90/2016 précité consid. 3.2).

d. Un intérêt digne de protection suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_36/2018 du 27 mars 2018 consid. 2.2 ; ATA/70/2018 du 23 janvier 2018 et les références citées). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2) ; si l’intérêt s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1) ou déclaré irrecevable si l’intérêt actuel faisait déjà défaut au moment du dépôt du recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 et la jurisprudence citée).

e. En l’espèce, la recourante n’est plus magistrat du pouvoir judiciaire depuis le 31 mai 2017. Elle n’en conserve pas moins un intérêt direct et concret à l’admission du recours dès lors que le traitement légal annuel défini dans l'échelle des traitements des membres du personnel, compte tenu du taux d'activité est le traitement déterminant au sens de l’art. 15 al. 1 de la loi instituant la Caisse de prévoyance de l'État de Genève du 14 septembre 2012 (LCPEG - B 5 22) et que son niveau a donc une influence sur le montant de sa retraite. Le recours est ainsi recevable sous cet aspect également.

3) L’objet du litige est le refus de la CGPJ de verser l’annuité 2016 à la recourante. Les conclusions de celle-ci relatives à l’octroi du versement de l’annuité 2017 sont exorbitantes à celui-ci et ne sont pas recevables.

4) À teneur de l’art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit est la base et la limite de l’activité de l’État. Toute activité étatique doit reposer sur une règle de droit générale et abstraite, les actes de rang inférieur devant respecter ceux qui sont de rang supérieur (Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, 2003, p. 43 ; ATA/455/2013 du 30 juillet 2013 ; ATA/803/2012 du 12 novembre 2012).

Le principe de la légalité se compose de deux éléments : le principe de la suprématie de la loi et le principe de l’exigence de la base légale. Le premier signifie que l'autorité doit respecter l’ensemble des normes juridiques ainsi que la hiérarchie des normes. Le second implique que l’autorité ne peut agir que si la loi le lui permet ; son action doit avoir un fondement dans une loi (ATA/1587/2017 précité ; ATA/383/2017 du 4 avril 2017 ; ATA/52/2015 du 13 janvier 2015 et les références citées).

Le principe de la légalité exige donc que les autorités n'agissent que dans le cadre fixé par la loi. Il implique qu’un acte étatique se fonde sur une base légale matérielle qui est suffisamment précise et qui a été adoptée par l’organe compétent (ATF 141 II 169 consid. 3.1).

Sous son aspect de primauté de la loi, le principe de la légalité, signifie d’abord que l’administration doit respecter la loi, s’en tenir à ses prescriptions. (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 467 p. 155).

5) La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Le juge ne se fonde cependant sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 137 IV 180 consid. 3.4). En revanche, lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause, il y a lieu de déroger au sens littéral d’un texte clair (ATF 137 I 257 consid. 4.1) ; il en va de même lorsque le texte conduit à des résultats que le législateur ne peut avoir voulus et qui heurtent le sentiment de la justice et le principe de l’égalité de traitement (ATF 135 IV 113 consid. 2.4.2). De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi (ATF 135 II 78 consid. 2.2). Il convient alors de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1). Le juge ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme (ATF 139 IV 270 consid. 2.2 ; 137 IV 180 consid. 3.4 ; arrêts du Tribunal fédéral2C_839/2015 du 26 mai 2016 consid. 3.4.1 ; 1C_584/2015 du 1er mars 2016 consid. 4.1 2C_839/2015 du 26 mai 2016 consid. 3.4.1 ; 1C_584/2015 du 1er mars 2016 consid. 4.1).

6) a. En règle générale, la loi applicable est celle qui est en vigueur au moment où les faits pertinents doivent être régis (ATF 140 II 134 consid. 4.2.4). Le principe est celui de l’interdiction de la rétroactivité des lois. Une norme a un effet rétroactif lorsqu'elle s'applique à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 119 Ia 254 consid. 3 ; 116 Ia 207 consid. 4a ; ACST/16/2015 du 2 septembre 2015 consid. 16b ; ATA/210/2016 du 8 mars 2016 consid. 10c).

Il ne peut en principe être adopté de normes qui déploieraient des effets juridiques à des faits entièrement révolus avant leur entrée en vigueur (arrêt du Tribunal fédéral 1D_3/2016 du 27 avril 2017 consid. 4.1), ceci pour des motifs de sécurité et de prévisibilité du droit, immanents aux principes de la légalité, de la bonne foi et de l’interdiction de l’arbitraire découlant des art. 5 al. 3 et 9 Cst. ; cf., en droit privé, art. 1 Tit. fin. du Code civil suisse du 10 décembre 1907 – CC RS 210 ; ATF 138 I 189 consid. 3.4 ; 133 III 105 consid. 2.1.1 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 137 n. 383 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 198 à 202 et la jurisprudence citée).

b. Il ne peut être dérogé qu’exceptionnellement au principe de la non-rétroactivité des normes, à des conditions cumulatives rigoureuses, et ce également en cas de rétroactivité en faveur des administrés ou citoyens. Une rétroactivité n’est possible que s'il existe un intérêt public important. Elle doit être expressément prévue par une loi et raisonnablement limitée dans le temps. Elle ne doit pas engendrer d'inégalités choquantes et elle ne doit pas porter atteinte à des droits acquis (ATF 125 I 182 consid. 2b.cc).

7) Selon l’art. 1 LTRPJ, les traitements des magistrats titulaires du pouvoir judiciaire sont déterminés selon l’échelle prévue à l’art. 2 de la loi concernant le traitement et les diverses prestations alloués aux membres du personnel de l’État, du pouvoir judiciaire et des établissements hospitaliers du 21 décembre 1973 (LTrait - B 5 15). Au début de chaque année civile et après six mois au moins d’activité dans leur charge, les magistrats ont droit, jusqu’au moment où le maximum de leur classe de fonction est atteint, à l’augmentation annuelle prévue par l’échelle des traitements (art. 2 al. 2 LTRPJ). Le traitement est payé en treize mensualités égales, représentant chacune le 1/13 du traitement annuel fixé selon les dispositions qui précèdent. Le treizième salaire est versé en deux mensualités, la moitié avec le traitement de juin et l'autre moitié avec le traitement de décembre. Il est calculé prorata temporis pour les magistrats qui sont entrés en fonction ou qui la quittent en cours d’année (art. 2 al. 3 LTRPJ).

8) La LTrait prévoit une échelle de trente classes de traitements annuels, treizième salaire inclus, de la classe 4 à la classe 33. Chaque classe comprend vingt-trois positions, de 0 à 22, correspondant à autant d’augmentations annuelles (art. 2 al. 1 LTrait). Le calcul du droit à une annuité supplémentaire s’établit au 1er janvier de chaque année, à l’exception du corps enseignant primaire, secondaire et tertiaire, pour lequel la date de référence est le 1er septembre et du corps enseignant universitaire, pour lequel cette date est le 1er août. Les fractions d’années ne sont pas prises en compte dans le calcul (art. 2 al. 4 LTrait).

Le droit au traitement prend naissance le jour de l’entrée en fonctions et s’éteint le jour de la cessation des rapports de service (art. 10 al. 1 LTrait).

Au début de chaque année civile et après six mois au moins d’activité dans sa fonction, le membre du personnel a droit, jusqu’au moment où le maximum de la classe dans laquelle est rangée sa fonction est atteint, à l’augmentation annuelle prévue par l’échelle des traitements (art. 12 al. 1 LTrait).

9) Selon l’art. 11 de la loi sur la forme, la publication, et la promulgation des actes officiels du 8 décembre 1956 (LFPP - B 2 05), le Conseil d’État doit promulguer, par voie d’arrêtés, les lois constitutionnelles et les lois régulièrement adoptées par le corps électoral ou par le Grand Conseil. Les lois soumises au référendum sont promulguées dans le plus bref délai après l’échéance fixée pour l’exercice de ce droit (art. 12 al. 2 LFPP). Elles sont exécutoires dans tout le canton dès le lendemain de la publication de l’arrêté de promulgation (art. 14 al. 1 LFPP). Si la date d’entrée en vigueur de la loi n’est pas indiquée dans l’acte lui-même ou fixée par arrêté du Conseil d’État, cette date est celle où l’acte devient exécutoire en vertu de la disposition précitée (art. 14A LFPP).

Selon l’art. 18 LFPP, il est publié un Recueil officiel systématique de la législation genevoise (ci-après : RSG). Le Conseil d’État le tient constamment à jour. Les modifications apportées aux dispositions publiées dans le recueil systématique de la législation genevoise sont incorporées au texte originel (art. 20 LFPP).

10) La LSAMPE 2016 ayant été promulguée le 2 mars 2016, elle est devenue exécutoire le lendemain 3 mars, avec effet à la date de son entrée en vigueur fixée au 1er janvier 2016. Elle a été abrogée le 23 avril 2016, date d’entrée en vigueur de la loi 11834 promulguée le 20 avril 2016.

En l’adoptant, le législateur a entendu qu’elle déploie ses effets rétroactivement. Les conditions exceptionnelles pour admettre cette rétroactivité étaient réalisées. La durée était limitée dans le temps puisque ne portant que sur la première annuité visée, soit celle de 2016, et ne touchait pas à des droits acquis. En effet, selon la jurisprudence, les prétentions pécuniaires des agents de la fonction publique, qu’il s’agisse de prétentions salariales ou celles relatives aux pensions, n’ont en règle générale pas le caractère de droits acquis (ATF 134 I 23 consid. 7.5 ; ATF 129 I 161 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_158/2012 du 20 avril 2012 consid. 3.4 ; 8C_903/2010 du 21 juin 2011 consid. 7.2). Elle visait à transférer au Conseil d’État la compétence de gérer dès l’année 2016 ab initio l’octroi de l’annuité, soit une dépense importante à charge du canton, en tenant compte de la situation économique et budgétaire du canton, ce qui répond à un intérêt public. Enfin, elle n’engendrait pas d’inégalité de traitement, s’appliquant à toute personne susceptible de bénéficier d’une augmentation annuelle.

11) a. La LSAMPE 2016 s’applique aux magistrats et aux membres du personnel (art. 1 LSAMPE 2016). La loi ne fait pas de distinction entre les magistrats du pouvoir judiciaire, ceux du pouvoir exécutif et ceux de la cour des comptes, dont les traitements sont régis par des législations spéciales avec renvoi à l’échelle des traitements de la LTrait : LTRPJ pour les premiers, loi concernant le traitement et la retraite des conseillers d’État et du chancelier d’État du 17 décembre 1976 (LTRCE - B 1 20) pour les seconds et la loi concernant le traitement et la retraite des magistrats de la Cour des comptes du 26 juin 2008 (LTRCC – D 1 13). Eu égard aux traitements prévus dans ces textes légaux spéciaux, seuls les magistrats du pouvoir judiciaire autre que le procureur général sont concernés par une suspension ou un suppression de l’augmentation annuelle (art. 2 al. 1 et 2 LTRPJ ; art. 2 LTRCE ; art, 2 D 1 13).

b. Selon l’art. 2 LSAMPE 2016, intitulé « suspension des annuités », les augmentations annuelles au sens de l’art. 12 al. 1 LTrait sont supprimées. En outre, l’art. 4 LSAMPE a modifié deux dispositions de cette dernière loi comme suit :

- l’art. 2 al. 4 LTrait, prévoyant que le calcul d’une annuité supplémentaire et non plus le calcul du droit à cette annuité s’établit au 1er janvier, respectivement au 1er septembre ou au 1er août de chaque année, selon les corps professionnels

- l’art. 12 LTrait, à teneur duquel « le Conseil d’État peut accorder chaque année aux membres du personnel, tout ou partie de l’augmentation annuelle prévue par l’échelle des traitements. Il tient compte de la situation économique et budgétaire. » (al.1), dite augmentation étant « perçue par le membre du personnel après 6 mois au moins d’activité dans sa fonction, jusqu’au moment où le maximum de la classe dans laquelle est rangée sa fonction est atteint. » (al. 2)

Il ressort des travaux préparatoires que la teneur de la LSAMPE 2016 résulte d’un amendement général présenté et adopté en séance plénière du Grand Conseil le 17 décembre 2015, visant à transférer au Conseil d’État, lequel a soutenu cette proposition, la compétence d’accorder ou non les annuités afin qu’il dispose, en sa qualité d’employeur, d’une pleine marge de manœuvre lors de négociations avec les représentants de la fonction publique (MGC en ligne : ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010212/75/16). Contrairement à la lettre de l’art. 2 al. 1 LSAMPE, il n’était donc pas question de supprimer les augmentations annuelles mais leur octroi automatique ex lege. La seule modification de l’art. 12 al 1 et 2 LTrait aurait d’ailleurs été insuffisante à cet égard puisqu’elles sont instaurées et détaillées à l’art. 2 LTrait.

Se fondant sur cette loi, le Conseil d’État a décidé le 23 mars 2016 de ne pas accorder d’augmentation annuelle pour 2016. Il pouvait le faire puisqu’à cette date, la loi 11834 avait certes été votée par le parlement mais le délai référendaire courrait encore. La question de savoir quelle est la portée de cette décision pour les magistrats de pouvoir judiciaire souffrira de demeurer indécise vu ce qui suit.

12) Alors que la LSAMPE 2016 avait modifié la teneur des art. 2 al. 4 et 12 al. 1 et 2 LTrait, conservant ces dispositions avec une nouvelle teneur, la loi 11834, en son article 1, s’est limitée à abroger la LSAMPE 2016. Dès l’entrée en vigueur de la loi 11834, cette abrogation pure et simple a entraîné la disparition des dispositions précitées de la LTrait dans leur teneur au 1er janvier 2016. Cela n’a toutefois pas emporté la remise en vigueur automatique dans cette dernière loi de leur teneur au 31 décembre 2015. Tel aurait été le cas si la LSAMPE 2016 n’était pas entrée en vigueur, donnant une nouvelle teneur aux art. 2 al. 4 et 12 al. 1 et 2 LTrait. La LSAMPE 2016 ayant toutefois déployé ses effets entre le 1er janvier et le 22 avril 2016, il aurait donc fallu prévoir dans la loi 11834 que les dispositions en cause reprenaient la teneur qui était la leur au 31 décembre 2015, conformément aux exigences découlant du principe de la légalité. Strictement appliqué, ce dernier entraînerait que les art. 2 al. 4 et 12 al. 1et 2 LTrait ont été abrogés le 23 avril 2016.

a. Les travaux préparatoires de la loi 11834 permettent cependant de constater que cette conséquence n’a pas été voulue ni même envisagée par le législateur. Ses promoteurs avaient pour objectif d’abroger la LSAMPE 2016, qualifiée « de véritable OVNI parlementaire », conçue au départ comme dispositif transitoire mais qui avait modifié de manière durable la LTrait (MGC en ligne : ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010301/5/5). La loi 11834, à l’instar de l’amendement général à la LSAMPE 2016, a été votée en séance plénière sans examen préalable en commission parlementaire. Le projet de loi a été déposé le 8 février 2016 et traité directement par les députés lors de la séance du Grand Conseil du 26 février 2016, en même temps que le PL 11428 déposé et renvoyé en commission ad hoc sur le personnel de l’État au printemps 2014, ayant donné lieu à un rapport déposé le 9 juin 2015 et dont l’objet était une modification des art. 2 al. 4 et 12 LTrait proche de celle la LSAMPE 2016. Durant les débats, à aucun moment la question de l’entrée en vigueur de la LSAMPE avant que la loi 11834 ne soit elle-même promulguée, n’a été évoquée, ni par les députés, ni par les conseillers d’État présents. Les échanges ont porté sur la question de savoir qui du législatif ou de l’exécutif devait décider de l’octroi de tout ou partie de l’augmentation annuelle de traitement, d’une part et, d’autre part, quel était le cadre le plus approprié pour remettre en cause les mécanismes de progression salariale, alors qu’un projet de réforme du système de rémunération de l’État et autres entités appliquant la LTrait était pendant. En fin de séance, la loi 11834 a été adoptée et le PL 11428 a été refusé (MGC en ligne : ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010301/5/5).

b. La consultation du texte en vigueur de la LTrait dans le RSG permet de constater que le Conseil d’État a considéré que l’abrogation de LSAMPE 2016 a eu pour effet que les art. 4 al. 2 et 12 al. 1 et 2 LTrait ont repris automatiquement leur teneur au 31 décembre 2015. La référence y relative dans la chronologie des modifications du texte légal est d’ailleurs une simple lettre, en adjonction au chiffre de référence relatif à l’adoption et à l’entrée en vigueur de la LSAMPE 2016, avec la mention « abrogation de la loi 11721 (ad 2/4, 12) ».

c. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir qu’il résulte des circonstances particulières ayant conduit à l’adoption successive de la LSAMPE 2016 et de la loi 11834 que l’effet voulu et compris de cette dernière était de rétablir directement la teneur des art. 2 al. 4 et 12 al. 1 et 2 LTrait au 31 décembre 2015 et que l’abrogation de ces dispositions, découlant uniquement de séquences du processus de publication et de promulgation, aboutit à un résultat que le législateur ne peut avoir voulu. Il faut dès lors considérer que celui-ci a en réalité voulu restaurer ces dispositions, dans leur teneur antérieure au 1er janvier 2016.

13) Une loi ne peut avoir d’effet rétroactif, sauf exception possible aux conditions strictes exposées supra non réalisées en l’espèce, la première, soit de le prévoir dans une disposition légale claire, faisant déjà défaut dans la loi 11834 (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 198 à 202 et la jurisprudence citée ; ATA/498/2018 du 22 mai 2018 consid. 6). Il s’ensuit que les mécanismes salariaux ordinaires prévus aux art. 2 à 14 LTrait, en particulier les augmentations annuelles, ont repris de plein droit le 23 avril 2016. Dès cette date, la décision du Conseil d’État du 23 mars 2016 de ne pas accorder d’annuité en 2016 aux membres du personnel est contraire au droit supérieur qui prévoit le droit à l’augmentation annuelle.

14) Il n’appartient pas à la chambre de céans d’examiner la question au regard de l’application des mécanismes financiers et budgétaires prévus par loi sur la gestion administrative et financière de l'État de Genève du 7 octobre 1993 (LGAF - D 1 05) dans la situation particulière de l’exercice 2016.

15) Compte tenu de ce qui précède, l’arrêté querellé sera annulé et la cause sera retournée au à la CGPJ pour nouvelle décision.

Le recours sera ainsi partiellement admis.

16) Nonobstant l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de la commission de gestion (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la recourante, qui obtient en grande partie gain de cause, dès lors qu’elle a agi sans recourir aux services d’un mandataire (art. 87 al. 2 LPA)

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet partiellement, dans le mesure où il est recevable, le recours interjeté le 14 septembre 2017 par Madame A______ contre la décision de la commission de gestion du pouvoir judiciaire du 8 juin 2017 ;

annule la décision de la commission de gestion du pouvoir judiciaire du 8 juin 2017;

renvoie la cause à la commission de gestion du pouvoir judiciaire pour nouvelle décision ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______, ainsi qu'à la commission de gestion du pouvoir judiciaire.

Siégeant : Mme Junod, présidente, MM. Marquis et Michel, Mmes Francotte-Conus et Campomagnani, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

J. Debonneville

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :