Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3270/2014

ATA/558/2015 du 02.06.2015 ( PATIEN ) , ADMIS

Descripteurs : PROFESSION SANITAIRE ; SANTÉ ; MÉDECIN ; FAUTE PROFESSIONNELLE ; DEVOIR PROFESSIONNEL ; SURVEILLANCE(EN GÉNÉRAL) ; MESURE DISCIPLINAIRE ; PATIENT ; DROIT DU PATIENT ; MESURE DISCIPLINAIRE ; SECRET PROFESSIONNEL ; CONSENTEMENT DU LÉSÉ; PATIENT ; OBLIGATION DE RENSEIGNER
Normes : LS.45 ; LS.46
Résumé : Le patient doit être informé par son médecin que l'analyse de sang à laquelle il procède inclut la recherche du virus du sida (VIH). Le consentement exprès et éclairé du patient est requis. Portée du devoir d'information du médecin à cet égard et principes applicables à la protection des tiers menacés par une contamination.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3270/2014-PATIEN ATA/558/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 juin 2015

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Groupe Sida Genève, soit pour lui Madame Cornelia Tinguely, mandataire

contre

COMMISSION DE SURVEILLANCE DES PROFESSIONS DE LA SANTÉ ET DES DROITS DES PATIENTS

et

Docteur Octavio B______

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ est père de trois enfants, nés en 1997, 1999 et 2007. Depuis 2011, il vit séparé de son épouse, qui souffre de problèmes psychiatriques.

2) Le Docteur B______, pédiatre, est médecin traitant de M. A______ et de ses trois enfants depuis 2007.

3) En août 2012, ce médecin a demandé un bilan sanguin complet en faveur de M. A______, qui présentait des éruptions cutanées et un état de fatigue important. Il n’a pas signalé à son patient qu’il incluait dans ce bilan la recherche du virus de l’immunodéficience humaine (ci-après : VIH).

4) Le vendredi 31 août 2012, le Dr B______ a reçu les résultats des analyses de M. A______, qui ont révélé qu’il était séropositif. Selon le médecin ayant procédé à cette analyse, cette séropositivité existait depuis une dizaine d’années.

5) Le lendemain, samedi 1er septembre 2012, le Dr B______ a tenté à plusieurs reprises, sans succès, de joindre son patient dans le but de le faire venir à son cabinet. Il est parvenu à le joindre le lendemain, dimanche, alors que M. A______ se trouvait dans un parc avec ses enfants. Ce dernier lui ayant indiqué qu’il ne pourrait se déplacer à son cabinet avant plusieurs jours à cause de son travail, le Dr B______ lui a annoncé la nouvelle par téléphone, ce qui a fortement choqué le patient.

6) Une deuxième analyse de sang a été effectuée le 7 septembre 2012 afin de confirmer le diagnostic, qui s’est avéré exact.

7) M. A______ refusant d’accéder à la demande instante de son médecin de communiquer ce résultat à son épouse et à ses enfants au motif que cela risquait de compromettre ses chances d’obtenir la garde de ses enfants dans la procédure de séparation qui l’opposait alors à celle-ci et de porter une atteinte irrémédiable à la relation fragile qu’il entretenait avec eux dans le cadre de ce conflit, le Dr B______ a demandé à la commission de levée du secret professionnel (ci-après : CSP) l’autorisation d’informer l’épouse de la séropositivité de M. A______. Il souhaitait la protéger et la convaincre de procéder à une analyse du VIH sur ses enfants, dont l’aîné était en âge d’avoir des relations sexuelles, bien que ceux-ci n’aient jamais révélé de symptômes de la maladie depuis qu’il les suivait.

8) Le 28 février 2013, la CSP a décidé la levée du secret nonobstant recours. Le Dr B______ a aussitôt communiqué le résultat des analyses de M. A______ à l’intéressée, par téléphone et sans préalablement avertir son patient du fait qu’il allait procéder à cette communication.

9) Par arrêt du 18 juin 2013, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a annulé cette décision après avoir constaté une violation du droit d’être entendu de M. A______ (ATA/376/2013).

10) Le 17 septembre 2013, M. A______ a déposé une plainte auprès de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients (ci-après : la commission).

Ce médecin avait gravement violé son droit à l’information en demandant un test du VIH sur sa personne sans l’en informer au préalable et en lui communiquant ensuite par téléphone sa séropositivité, nouvelle qui l’avait complètement effondré.

11) Par décision du 24 septembre 2014, la commission a classé la plainte, pour des motifs qui seront exposés ci-après, dans la mesure utile.

12) Par acte du 23 octobre 2014, M. A______, représenté par le groupe SIDA Genève, soit pour lui une juriste titulaire du brevet d’avocat, a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative en concluant à son annulation, à ce qu’une violation de ses droits de patients soit constatée et à ce que la chambre prenne « la sanction appropriée ».

13) Le 18 décembre 2014, le Dr B_____ a conclu au rejet du recours.

Mme A_____ et ses enfants devaient être dépistés, cela était capital pour leur santé. Il avait tenté d’obtenir la collaboration de son patient pour que cela se fasse sans heurts, mais devant le refus obstiné de ce dernier, il n’avait eu d’autre choix que de procéder comme il l’avait fait.

Certes, il aurait dû demander au patient son accord avant de procéder au dépistage du VIH, mais il avait ensuite tout fait pour que la nouvelle puisse lui être annoncée dans de bonnes conditions. Son patient était inconstant ; il ne se présentait pas toujours aux rendez-vous qu’il lui fixait. La famille était connue du service des mineurs, qui avait attesté que l’épouse ne répondait pas aux convocations. Il n’avait pu se comporter avec cette famille comme il l’aurait fait avec une famille ordinaire. Il avait été très préoccupé par la situation de M. A______, s’était rendu disponible à tout moment et avait agi dans l’intérêt de son patient, dans celui de ses enfants et pour protéger les tiers qui pourraient avoir des relations sexuelles avec l’un des membres de la famille.

14) Le même jour, la commission a conclu au rejet du recours et a déposé son dossier.

À l’époque, lorsque les traitements efficaces contre le VIH n’existaient pas, la pratique voulait que le consentement exprès du patient soit demandé pour le test de dépistage. Maintenant que les traitements avaient progressé, permettant de sauver des vies et de prévenir les complications liées à la maladie, il fallait admettre systématiquement l’existence d’un consentement hypothétique lors des analyses de sang et non limiter cette notion aux cas d’urgence.

En l’espèce, le patient n’avait pas allégué de motifs qui l’auraient amené à refuser le test de dépistage si son médecin l’en avait informé. Il avait par ailleurs retiré un avantage de cette situation, ayant été traité avec succès. Son consentement hypothétique devait ainsi être admis.

Le patient avait été infecté vraisemblablement à un moment où il était encore avec son épouse, et alors que son dernier enfant n’était probablement pas né. Il y avait donc une réelle nécessité de tout mettre en œuvre pour que ces personnes fassent le test de dépistage et soient, cas échéant, traitées. Le comportement inconstant de cette famille avait rendu impossible une information conforme aux règles de l’art.

15) Le 6 février 2015, M. A______ a répliqué en persistant dans ses conclusions.

La demande qu’il avait faite pour obtenir la garde de ses enfants – qu’il avait finalement obtenue en 2014 – l’aurait conduit à refuser, à ce moment-là, le test du VIH si son consentement avait été requis. Il aurait craint d’aggraver la situation délicate dans laquelle il se trouvait. Il n’aurait pu, par ailleurs, faire dépister ses enfants sans l’accord de son épouse malade, qui en avait alors la garde. Il avait proposé au Dr B______ de le faire à l’insu de celle-là, mais ce dernier avait refusé.

La notion de consentement hypothétique était étrangère aux principes appliqués internationalement en matière de VIH, qui prescrivaient toujours le consentement exprès du patient.

16) Ensuite de quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) a. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Le recours est recevable sous ces aspects.

b. La décision entreprise classe la procédure ouverte contre le Dr B______.

Conformément à la jurisprudence de la chambre de céans, le plaignant qui a saisi la commission de surveillance en invoquant une violation de ses droits de patient, comme c’est le cas en l’espèce, peut recourir contre la décision classant sa plainte (ATA/234/2013 du 16 avril 2013).

Le recours est également recevable de ce point de vue.

c. Le recourant ne peut conclure qu’à la constatation d’une violation de ses droits de patient. Il ne peut prendre de conclusions sur la sanction, car il ne dispose pas de la qualité de partie dans la procédure disciplinaire (art. 22 al. 2 LComPS).

En l’espèce, M. A______ conclut, outre à la constatation de la violation par le Dr B______ de ses droits de patient, à ce que la chambre « prononce la sanction appropriée ». Cette dernière conclusion est irrecevable, faute pour le recourant de disposer de la qualité de partie dans la procédure disciplinaire.

Le recours n’est ainsi recevable qu’en ce qu’il vise à obtenir la constatation de la violation de ses droits de patient.

2) Les parties, à moins qu’elles ne doivent agir personnellement ou que l’urgence ne le permette pas, peuvent se faire représenter par un conjoint, un ascendant ou un descendant majeur, respectivement par un avocat ou par un autre mandataire professionnellement qualifié (ci-après : MPQ) pour la cause dont il s’agit (art. 9 al. 1 LPA).

Par cette disposition, reprise de la loi genevoise instituant un code de procédure administrative du 6 décembre 1968, le législateur cantonal a manifesté son intention de ne pas réserver le monopole de représentation aux avocats en matière administrative, dans la mesure où un nombre important de recours exige moins de connaissances juridiques que de qualifications techniques. L’art. 9 LPA n’a pas pour but de permettre la représentation et l’assistance des parties par tout juriste qui n’est pas titulaire du brevet d’avocat, mais repose sur le constat que certaines personnes, qui ont des qualifications techniques dans certains domaines, comme les architectes ou les comptables, sont à même de représenter avec compétence leur client dans le cadre de procédures administratives, tant contentieuses que non contentieuses (Mémorial des séances du Grand Conseil 1968, p. 3027 ; ATA/108/2010 du 16 février 2010 ; ATA/619/2008 du 9 décembre 2008 ; ATA/527/2001 du 27 août 2001).

L’aptitude à agir comme MPQ doit être examinée de cas en cas, au regard de la cause dont il s’agit à la date de la requête le 8 février 2012, ainsi que de la formation et de la pratique de celui qui entend représenter une partie à la procédure. Il convient de se montrer exigeant quant à la preuve de la qualification requise d’un mandataire aux fins de représenter une partie, dans l’intérêt bien compris de celle-ci et de la bonne administration de la justice (ATF 125 I 166 consid. 2b/bb p. 169 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.416/2004 du 28 septembre 2004 consid. 2.2, confirmant l’ATA/418/2004 du 18 mai 2004), surtout en procédure contentieuse (ATA/527/2001 du 27 août 2001 ; ATA/472/1996 du 28 août 1996). Pour recevoir cette qualification, le mandataire doit disposer de connaissances suffisantes dans le domaine du droit dans lequel il prétend être à même de représenter une partie (ATA/14/2013 du 8 janvier 2013 ; ATA/636/2011 du 11 octobre 2011 ; ATA/162/2010 du 9 mars 2010 ; ATA/108/2010 du 16 février 2010).

Dans le cas d’associations ou d’organisations représentant des membres, la chambre de céans impose de vérifier régulièrement cette qualité auprès des juristes qu'elles emploient (ATA/192/2007 du 24 avril 2007).

En l’espèce, le Groupe Sida représente le recourant. Le recours est signé par Madame Cornelia Tinguely, juriste titulaire du brevet d’avocat. Cette organisation dispose actuellement en son sein du personnel qualifié pour la cause dont il s’agit.

Elle représente donc valablement M. A______.

3) Les griefs de M. A______ concernant l’information donnée à son épouse sur son état de santé (a) et la façon dont cette annonce a été faite (b) sortent du cadre du présent litige.

a. En effet, la divulgation a été faite par le Dr B______ après qu’il en eut reçu l’autorisation par la CSP. Le fait que la décision prise par cette autorité se soit avérée ultérieurement contraire au droit ne saurait dès lors lui être imputable. L’éventuel dommage résultant de cette situation ne peut plus être appréhendé que par la loi sur la responsabilité de l'État et des communes du 24 février 1989 (LREC - A 2 40), qui relève des tribunaux civils (art. 7 LREC).

b. Les modalités de l’annonce faite à l’épouse (par téléphone et dans la méconnaissance de son état de santé) ne relèvent, quant à elle, pas des droits de patient de M. A______, dont la plainte à cet égard ne peut être traitée que comme une dénonciation, sans qu’il dispose d’un autre droit que celui de se voir communiquer le résultat de sa plainte (art. 9 LComPS a contrario et 21 al. 3 LComPS).

4) Selon l’art. 46 LS, aucun soin ne peut être fourni sans le consentement libre et éclairé du patient capable de discernement, qu’il soit majeur ou mineur.

Il ressort de l’art. 10 du code de déontologie de la fédération des médecins suisses (FMH) (ci-après : le code de déontologie) que la notion de « soin » s’étend aux mesures diagnostiques ordonnées par le médecin, soit aux analyses de sang. Cela est cohérent avec la protection de la liberté personnelle, dont le droit à l'autodétermination en matière médicale, garanti par l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 ; ACEDH Pretty c. Royaume-Uni, du 29 avril 2002, Recueil 2002-III, req. n° 2346/02, § 61 ; ATF 117 Ib 197 consid. 2.c ; arrêt du Tribunal fédéral 4P.265/2002 du 28 avril 2003 consid. 4 et les références citées ; ATA/182/2007 du 17 avril 2007 consid. 5.b), est l’une des expressions. Cette interprétation est confortée par l’analyse des principes médico-éthiques du 24 novembre 2005 édités par l’association suisse des sciences médicales concernant le droit des patientes et des patients à l’autodétermination (ci-après : règles ASSM), qui disposent que l’obligation du médecin de requérir le consentement éclairé du patient s’étend à tout acte médical, dont font nommément partie les analyses de sang (p. 3 et 15).

5) Le corollaire du droit de consentir à une mesure diagnostique et thérapeutique est l’art. 45 al. 1er LS, qui dispose que le patient a le droit d’être informé de manière claire et appropriée sur son état de santé, les traitements et interventions possibles, leurs bienfaits et leurs risques éventuels, ainsi que sur les moyens de prévention des maladies et de conservation de la santé. Dans les limites de ses compétences, tout professionnel de la santé s’assure que le patient qui s’adresse à lui a reçu les informations nécessaires afin de décider en toute connaissance de cause (art. 45 al. 4 LS).

6) L’obligation du médecin de requérir le consentement éclairé de son patient et celle qui lui incombe de l’informer, notamment, des mesures diagnostiques auxquelles il entend procéder sont deux devoirs indissolublement liés, car il ne saurait y avoir de consentement éclairé en l’absence d’information complète et circonstanciée permettant au patient de faire son choix de manière éclairée.

7) Concernant la recherche du VIH en particulier, l’office fédéral de la santé publique (ci-après : OFSP) précise que tout médecin doit, avant de procéder à une analyse de sang, requérir le consentement exprès du patient, qui est libre de la refuser (voir http://www.prevention.ch/informationssurletestvih.htm, consulté le 20 mai 2015 ; ci-après : site de l’OFSP). Le choix de procéder à une telle analyse est considéré tant par cet office que par la commission fédérale pour la santé sexuelle (ci-après : CFSS ; anciennement commission fédérale sur les problèmes liés au sida, aCFPS) comme relevant d’un choix éminemment personnel (site de l’OFSP et déclaration de la aCFPS concernant la punissabilité de la transmission du VIH, du 22 septembre 2010, consultable à l’adresse : http://goo.gl/4Bf9GU-, consulté le 21 mai 2015).

Selon l’organisation mondiale de la santé, les tests individuels doivent être confidentiels, accompagnés de conseils et pratiqués seulement avec le consentement éclairé du patient, c'est-à-dire que ce dernier doit être à la fois informé et volontaire (déclaration de politique de l’Onusida/l’OMS sur les tests VIH, visible sur la page http://data.unaids.org/una-docs/hivtestingpolicy_fr.pdf, consultée le 22 mai 2015).

8) En l’espèce, la commission admet que selon les règles de bonne pratique, le Dr B______ aurait dû requérir le consentement éclairé de son patient avant de procéder à l’analyse de sang en question, ce que ce médecin reconnaît par ailleurs lui-même. Elle considère cependant que cette mesure diagnostique était anodine, soit sans danger pour la santé, et qu’« au vu des bénéfices que (le patient) en a finalement retiré pour sa santé, l’existence d’un consentement hypothétique doit être admise ».

Dans le cas des interventions chirurgicales effectuées en l’absence de consentement éclairé, la jurisprudence reconnaît au médecin le moyen de défense tiré du consentement dit hypothétique du patient, soit la faculté (pour lui) de démontrer que le patient aurait accepté l'opération même s'il avait été dûment informé (ATF 119 II 456 ; 117 Ib 197 consid. 5 p. 206 ss). Le Tribunal fédéral n’a pas exclu que cette jurisprudence puisse s’appliquer par analogie à d’autres situations que les opérations chirurgicales, encore que cette possibilité paraisse tout à fait exceptionnelle (voir notamment l’ATF 119 II 456, portant sur le cas d’une patiente ayant donné son consentement à l’atteinte à l’intégrité corporelle causée par l’opération, mais qui ne l’a pas donné s’agissant des frais encourus, qui se sont avérés être à sa charge, ce dont elle n’avait pas été informée).

Si l’application par analogie des principes jurisprudentiels sur le consentement hypothétique a été envisagée dans l’arrêt précité – sans finalement être appliquée – pour déterminer si la patiente aurait consenti à l’opération dans le cas où elle avait su que celle-ci lui coûterait CHF 20'000.- , il n’en va pas de même d’une décision touchant le choix que la personne fait, au terme d’une pesée personnelle d’intérêts, au sujet de sa propre santé et de la direction qu’elle souhaite donner à sa vie.

Cette justification doit demeurer l’exception et ne saurait justifier un manquement au devoir du médecin de requérir le consentement éclairé d’un patient capable de discernement, alors qu’aucune circonstance particulière ne l’empêchait de l’obtenir (urgence, par exemple). Selon l’ASSM, ce consentement est capital et ne connaît pas d’exception hors des cas où il ne peut objectivement être obtenu (op. cité, p. 3). Il est tout particulièrement exclu d’en trouver un dans le fait que le patient a, dans une analyse a posteriori, et de l’avis de la commission, finalement retiré de la mesure prise sans son consentement des bénéfices pour sa santé ou encore qu’il a, dans une analyse ante, pris la décision que tout homme raisonnable aurait prise, comme cela est exclu par la jurisprudence rendue en matière de consentement hypothétique (ATF 119 II 456 et arrêts cités).

Bien qu’il ne soit pas douteux que le médecin incriminé ait voulu bien faire et agir dans l’intérêt de son patient, il n’en demeure pas moins qu’il a objectivement commis une violation des art. 45 et 46 LS qui peut être lourde de conséquences pour un patient ne souhaitant pas connaître sa séropositivité et, notamment, subir les conséquences sociales d’un tel diagnostic.

En ne s’assurant pas que M. A______ était pleinement consentant à un test de dépistage du HIV, le Dr B______ a violé les art. 45 et 46 LS.

9) Le recourant voit dans les modalités de l’annonce de sa séropositivité par son médecin une autre violation par ce dernier du devoir d’information garanti par l’art. 45 LS.

Selon l’art. 10 du code de déontologie, le médecin fournit au patient une information compréhensible sur les résultats d’examens, le pronostic et les risques, ainsi que sur les autres possibilités de traitement. Il évalue soigneusement la manière dont il mènera l’entretien avec le patient et les informations que celui-ci est en mesure de supporter.

A priori, l’annonce d’un tel diagnostic par téléphone est contraire à ces règles. Il est possible qu’elle se justifie dans certains cas, notamment dans les centres de dépistage anonyme, où ces examens sont effectués après une demande spontanée et expresse des intéressés, et où il semble que cette pratique soit fréquente (voir http://www.prevention.ch/informationssurletestvih.htm).

La situation du recourant ne peut être comparée à ces cas ; il n’a ni demandé le test, ni reçu d’information préalable le concernant. Il n’était aucunement préparé à une telle annonce, ni n’a pu en maîtriser le processus en appelant par exemple son médecin à un moment choisi par lui-même ou en prenant rendez-vous à son cabinet.

Le fait que l’annonce n’ait pas uniquement porté sur le résultat du test, mais sur l’existence même de ce dernier n’est pas sans incidence sur l’étendue de l’information qui aurait dû être donnée en l’espèce, qui aurait requis un soin particulier.

L’annonce par téléphone, dans ce contexte, était totalement inadéquate.

10) Le médecin relève qu’il a agi ainsi faute de pouvoir atteindre son patient au préalable et de pouvoir le rencontrer avant une semaine. Il était urgent, selon lui, de protéger sa femme et ses enfants.

Pour protéger les tiers, le législateur fédéral – compétent en matière de protection du public contre les maladies transmissibles (art. 118 al. 2 let. b de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 ; Cst. - RS 101) a écarté toute solution tendant à réduire la liberté de choix de chacun de communiquer l’existence de sa maladie. Le sida ne figure pas dans la liste des maladies transmissibles visée par la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme du 18 décembre 1970 ; Loi sur les épidémies - RS 818.101, et donc dans la liste des maladies devant être déclarées par les médecins. Cette situation n’a pas changé dans la novelle, dont l’entrée en vigueur est prévue en février 2016. Pour protéger les tiers, l’OFSP a opté pour l’information des personnes sur la nécessité de se protéger lors de rapports sexuels et sur leur responsabilisation, ainsi que sur la pénalisation du comportement de la personne infectée qui connaît l’existence de sa maladie et prend sciemment le risque de contaminer un tiers (ATF 134 IV 193). Le choix politique d’imposer – ou même de permettre - la divulgation, par les médecins, de l’existence de la séropositivité de leur patient a été ainsi écarté.

Ainsi, dans le cas d’un tel diagnostic, les médecins doivent en garder le secret, sauf en présence d’une menace grave, concrète et imminente. Ces critères sont en cohérence avec ceux énoncés dans les manuels d’éthique médicale européens (voir notamment le Manuel d’éthique médicale français à l’adresse http://www.wma.net/fr/30publications /30ethicsmanual/pdf/chap_2_fr.pdf, consulté le 22 mai 2015). Si un tel risque est réellement à craindre, pour un enfant notamment, et que celui-là ne peut être levé par une information donnée aux parents ou aux enfants (comme cela aurait d’ailleurs pu être tenté s’agissant du fils de seize ans dont le Dr B______ était le pédiatre), il appartient au médecin de requérir la levée du secret en faveur de l’enfant auprès de la CSP.

En l’espèce, le patient était, selon ses analyses de sang, supposément atteint du virus depuis au moins dix ans. Le pédiatre suivait les enfants depuis plusieurs années. Il a précisé devant la CSP que leur état de santé ne laissait pas présager de sida. Les époux étaient séparés, ce que le médecin ne pouvait ignorer. Aucune cause n’existait qui ne pût attendre quelques jours, voire quelques semaines, que le patient se présente à son cabinet comme il l’aurait fait naturellement, ayant été informé de l’existence de ses résultats.

Dans un tel contexte, l’annonce faite par téléphone n’était pas justifiée.

Cette deuxième violation au devoir d’information se confond cependant ici pour partie avec la première, car l’absence de consentement éclairé préalable aggrave le caractère inapproprié de la manière dont l’annonce a été donnée en l’espèce.

Il appartiendra toutefois à la commission de tenir compte de cet élément dans le cadre de la procédure disciplinaire.

En conclusion, il convient de constater la violation par le Dr B______ du droit de M. A______ à l’information et au consentement éclairé (art. 45 et 46 LS).

11) Le recours sera ainsi admis et la cause renvoyée à la commission pour qu’elle reprenne la procédure et statue sur la sanction.

12) Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du Dr B______ (art. 87 al. 1 LPA), qui devra par ailleurs verser une indemnité de CHF 1'000.- à M. A______, ce dernier ayant recouru aux services d’un MPQ pour assurer sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet le recours interjeté le 27 octobre 2014 par Monsieur A______ contre la décision de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 24 septembre 2014, dans la mesure où il est recevable ;

annule la décision de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 24 septembre 2014 ;

renvoie la cause à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients pour nouvelle décision au sens des considérants ;

met à la charge du Docteur B______ un émolument de CHF 500.- ;

alloue une indemnité de CHF 1'000.- à Monsieur A______, à la charge du Docteur B______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au Groupe Sida, soit pour lui à Madame Cornelia Tinguely, mandataire du recourant, à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients, ainsi qu’au Dr B______.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Dumartheray et Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :