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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3444/2011

ATA/442/2012 du 30.07.2012 sur JTAPI/479/2012 ( AMENAG ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3444/2011-AMENAG ATA/442/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 juillet 2012

 

dans la cause

 

DÉPARTEMENT DE L’INTÉRIEUR, DE LA MOBILITÉ ET DE L’ENVIRONNEMENT

contre

V______ S.à r.l.

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 avril 2012 (JTAPI/479/2012)


EN FAIT

1) V______ S.à r.l. (ci-après : V______ ou la société) est une société à responsabilité limitée sise au ______, route S_____ à Vernier.

2) Le 27 septembre 2011, un inspecteur appartenant au service de géologie, sols et déchets (ci-après : GESDEC) - aujourd’hui dépendant du département de l’intérieur, de la mobilité et de l’environnement - alors rattaché au département de la sécurité, de la police et de l’environnement, devenu depuis le département de la sécurité (ci-après : le département), a dressé un rapport de renseignements concernant des faits constatés le 23 septembre 2011. Ce jour-là, un employé de V______ avait brûlé des déchets de construction dans un foyer de 1,5 m de diamètre sur la parcelle appartenant à Monsieur D_____, dans le cadre d’un chantier de construction autorisée qui s’y déroulait. Il proposait une mise à l’amende.

3) Le 29 septembre 2011, le GESDEC a infligé à V______ une amende de CHF 2’000.- pour incinération illicite de déchets de chantier. C’était sa deuxième récidive. Elle avait contrevenu aux art. 26a de l’ordonnance sur protection de l’air (OPair - RS 814.318.142.1), 10 de la loi sur la gestion des déchets (LGD - L 1 20) et 15B du règlement d’application de la loi sur la gestion des déchets (RGD - L 1 20.01).

La décision mentionnait la possibilité de recourir auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) dans un délai de trente jours suivant la notification de cette amende.

4) Le 25 octobre 2011, V______ a saisi l’instance précitée d’un recours contre l’amende.

5) Le GESDEC a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

6) Par jugement du 11 avril 2012, le TAPI a admis le recours et renvoyé le dossier à l’autorité intimée pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Le recours était recevable car il était possible de comprendre du courrier de la société recourante qu’elle contestait l’amende qui lui avait été infligée et en demandait l’annulation. Sur le fond, le recours devait être admis car l’art. 43 LGD de même qu’aucune autre disposition légale ne prévoyait, qu’en cas d’infraction à la législation sur la gestion des déchets, une amende pouvait être infligée à une personne morale. En l’absence de base légale spécifique instituant une capacité pénale de celle-ci, seul pouvait être recherché l’auteur direct de la contravention, soit une personne physique au sein de la société ou un tiers.

7) Par acte déposé le 14 mai 2012, le département a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité. Celui-ci devait être annulé et la décision du 29 septembre 2011 confirmée, de même que l’amende prononcée ce jour-là, ceci avec suite de dépens.

Le TAPI aurait dû constater l’irrecevabilité du recours. Subsidiairement, il aurait dû admettre la compétence du GESDEC de prononcer des amendes contre les personnes morales, auteures d’infractions à la LGD.

8) Le TAPI a transmis son dossier le 21 mai 2012, sans formuler d’observations.

9) V______, invitée à faire parvenir sa détermination d’ici le 29 juin 2012, ne s’est pas manifestée.

10) Le 5 juillet 2012, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La question de la recevabilité du recours de la société auprès du TAPI en raison d’une motivation et de conclusions défaillantes peut être laissée ouverte en raison de ce qui suit :

3) Dans un récent arrêt dont il n’y a pas lieu de s’écarter (ATA/397/2012 du 26 juin 2012), la juridiction de céans a rappelé les principes suivants :

En droit administratif, les sanctions ou mesures administratives - le premier de ces vocables devant être pris dans un sens très large - comprennent classiquement les mesures d’exécution forcées et les mesures répressives. Les premières ont pour but d’établir ou de rétablir une situation conforme au droit, notamment en assurant les moyens de faire exécuter les décisions rendues par l’administration. Elles ne supposent pas l’existence d’une faute de la part de l’administré. On range dans les mesures de ce type la poursuite pour dettes, l’exécution par équivalent (ordinaire ou immédiate), et la contrainte ou exécution directe (U. HÄFELIN / G. MÜLLER / F. UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 6ème éd., Zurich 2010, n. 1134 ss ; P. TSCHANNEN / U. ZIMMERLI, Allgemeines Verwaltungsrecht, 3ème éd., Berne 2009, chap. 32 n. 6 ss ; T. JAAG, Sanktionen im Verwaltungsrecht, in Wirtschaft und Strafrecht - Festschrift für Niklaus Schmid zum 65. Geburtstag, Zurich 2001, pp. 559-583).

Les mesures répressives ne permettent pas d’établir ou de rétablir une situation conforme au droit. Elles se réfèrent dès lors à un état de fait révolu, et supposent l’existence d’une faute. On range dans les mesures répressives les sanctions disciplinaires, les sanctions de type pénal (telles qu’amende, peine pécuniaire et peine privative de liberté), ainsi que l’infraction d’insoumission aux actes de l’autorité, prévue à l’art. 292 CP (ibid.).

Le contentieux lié aux mesures administratives, y compris les amendes administratives, est régi au plan cantonal par la LPA (ATA/196/2012 du 3 avril 2012 consid. 2).

4) Par ailleurs, la législation prévoit des amendes pénales, c’est-à-dire des contraventions au sens de l’art. 103 CP. Dans le domaine du droit pénal fondamental, les cantons ne peuvent prévoir des contraventions que dans les limites de l’art. 335 CP, tandis qu’en matière de droit pénal accessoire, ils ont pleine compétence, conformément à l’art. 123 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) pris a contrario.

Les contraventions pénales de droit cantonal sont régies par la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), qui renvoie sur le fond à l’application de la partie générale du CP (art. 1 al. 1 let. a LPG). Pour ce qui est du contentieux, l’art. 8 de la loi d’application du code pénal suisse et d’autres lois fédérales en matière pénale du 27 août 2009 (LaCP - E 4 10) prévoit l’application du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP -RS 312.0, entré en vigueur le 1er janvier 2011) à titre de droit cantonal supplétif.

5) Les amendes administratives - au sens strict, c’est-à-dire les amendes non disciplinaires - prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions ; ce qui implique que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal, en particulier des art. 47 ss CP relatifs à la fixation de la peine, et que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence (ATA/71/2012 du 31 janvier 2012 consid. 5 ; ATA/14/2011 du 11 janvier 2011 ; ATA/788/2010 du 16 novembre 2010 ; ATA/571/2010 du 31 août 2010 ; T. TANQUEREL, Précis de droit administratif, Zurich 2011, n. 1211 ; U. HÄFELIN / G. MÜLLER / F. UHLMANN, op. cit., n. 1171-1172 ; P. TSCHANNEN / U. ZIMMERLI, op. cit., chap. 32 n. 51 ; M. OGG, Die verwaltungsrechtlichen Sanktionen und ihre Rechtsgrundlagen, Zurich 2002, pp. 44-47 ; P. MOOR, Droit administratif : les actes administratifs et leur contrôle, vol. 2, Berne 2002, p. 139 ss).

6) La jurisprudence de la chambre de céans mentionne également que, par le biais de la LPG, la partie générale du CP s’applique à titre de droit cantonal supplétif, sous réserve des dispositions qui concernent exclusivement le juge pénal, tels notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 2 et 3 et 107 CP (ATA/627/2011 du 4 octobre 2011 consid. 4b), ainsi que le Tribunal fédéral l’avait également retenu (Arrêts du Tribunal fédéral 1P.309/2005 du 1er novembre 2005 consid. 3.2 ; 1P.531/2002 du 27 mars 2003 consid. 2.2).

Cette opinion doit cependant être nuancée et précisée, en ce sens que - au contraire de ce qui se passe pour les contraventions pénales - la LPG ne trouve pas application directe en droit administratif, fût-ce pour des sanctions revêtant un caractère pénal. Ce dernier commande néanmoins que des garanties procédurales spécifiques soient accordées au justiciable, en particulier celles prévues aux art. 6 et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), 2 et 4 du Protocole no 7 à la CEDH du 22 novembre 1984 (PA7 CEDH - RS 0.101.07), et que certains principes issus du droit pénal de fond soient respectés, tels ceux qui imposent l’existence d’une faute ou gouvernent la fixation de la peine. La partie générale du CP n’est ainsi applicable que par analogie, et dans la mesure où, si l’on excepte des règles très générales comme les principes de la légalité et de la proportionnalité, le droit administratif de fond et de forme ne prévoit généralement pas de règles spécifiques à la mise en application des sanctions.

C’est le lieu de rappeler que le raisonnement par analogie sert au premier chef à combler des lacunes proprement dites de la loi (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_168/2010 du 24 janvier 2011 consid. 7.2, et les arrêts cités ; E. A. KRAMER, Juristische Methodenlehre, 2ème éd., Berne - Munich - Vienne 2005, pp. 173 ss) ; c’est ainsi par analogie que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit faire application des règles contenues à l’art. 49 CP lorsque par un ou plusieurs actes, le même administré encourt plusieurs sanctions (ATF 122 II 180 consid. 5b, et les arrêts cités).

7) Dès lors, un grand nombre de dispositions de la partie générale du CP ne trouvent pas à s’appliquer en matière d’amendes administratives, soit parce qu’elles ne concernent pas les contraventions (par ex. les art. 40 à 46 CP), soit - comme la jurisprudence déjà citée le rappelle - parce qu’elles ne concernent que le juge pénal, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas de sens en droit administratif ou qu’elles ne peuvent être appliquées par analogie en raison de la restriction aux droits fondamentaux qu’elles emportent. C’est le cas notamment des dispositions sur l’inscription au casier judiciaire (art. 366 al. 2 let. b CP cum art. 3 de l’ordonnance sur le casier judiciaire, du 29 septembre 2006 - ordonnance VOSTRA - RS 331), sur la confiscation (art. 69 à 73 CP) ou sur la conversion de l’amende (art. 106 al. 2 à 5 cum art. 35 et 36 al. 2 à 5 CP).

8) S’agissant de la punissabilité des personnes morales, le principe societas delinquere non potest (une personne morale ne peut commettre de délits) prévalait en droit pénal suisse jusqu’à l’introduction en 2003 des art. 100quater et 100quinquies CP (devenus aujourd’hui 102 et 102a CP). La punissabilité des entreprises est néanmoins limitée par les art. 102 al. 1 a contrario et 105 al. 1 CP aux crimes et aux délits, et seulement lorsque l’infraction a été commise dans l’exercice d’activités commerciales conformes à ses buts et qu’elle ne peut être imputée à aucune personne physique en raison du manque d’organisation de l’entreprise (art. 102 al. 1 CP).

En droit administratif en revanche, les personnes morales sont des sujets de droit au même titre que les personnes physiques (P. MOOR, Droit administratif : les fondements généraux, vol. 1, 2ème éd., Berne 1994, p. 26 ; F. GYGI, Verwaltungsrecht, Berne 1986, p. 118), et peuvent donc faire l’objet de sanctions administratives, lesquelles ne se limitent du reste pas aux amendes administratives stricto sensu.

Il en découle que l’art. 102 CP n’est pas applicable aux amendes administratives, qui peuvent en principe être infligées aux personnes morales.

9) Le TAPI fonde son raisonnement sur l’ATA/423/2010 du 22 juin 2010. Celui-ci concerne néanmoins une amende infligée sur la base de l’art. 32 de la loi sur les procédés de réclame du 9 juin 2000 (LPR - F 3 20), qui est intitulé « dispositions pénales ». Il s’agissait donc d’une amende pénale et non d’une amende administrative comme en l’espèce ; la question de la compétence des juridictions administratives n’y est pas abordée mais, quoi qu’il en soit, l’applicabilité directe de la LPG, et celle - par renvoi légal exprès de cette dernière - de l’art. 102 CP ne peuvent pas être transposées à une amende administrative. Cet arrêt n’est donc d’aucun secours pour trancher le présent litige.

En revanche, la juridiction de céans a, à plusieurs reprises, admis le prononcé d’amendes administratives à l’encontre de personnes morales, alors même qu’elle considérait déjà les amendes administratives comme revêtant un caractère pénal (ATA/397/2012 du 26 juin 2012 ; ATA/201/2010 du 23 mars 2010 ; ATA/253/2009 du 19 mai 2009 ; ATA/167/2008 du 8 avril 2008 ; ATA/543/2006 du 10 octobre 2006, justement à propos d’une amende infligée sur la base de l’art. 43 al. 1 LGD).

10) En l’espèce, l’amende du 29 septembre 2011 est fondée sur l’art. 43 al. 1 LGD, lequel précise expressément qu’il s’agit d’une amende administrative. Aucune règle spécifique contenue dans cette loi ne prohibe ni ne limite la punissabilité des personnes morales, si bien que l’infliction sur cette base légale d’une amende administrative à une société anonyme n’est pas illicite en soi. Ladite amende ne pouvait donc pas être annulée sur la seule base de l’art. 102 CP.

11) Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis et le jugement du TAPI du 11 avril 2012 annulé.

La cause sera renvoyée au TAPI pour nouveau jugement sur la recevabilité et sur le fond, après, le cas échéant, complément d’instruction.

12) Vu l’issue du litige et les circonstances particulières de la cause, il sera renoncé à percevoir un émolument (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, le GESDEC n’y ayant pas conclu et ne s’étant pas fait représenter (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 mai 2012 par le département de la sécurité, de la police et de l’environnement - service de géologie, sols et déchets contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 avril 2012 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 avril 2012 ;

renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au département de l’intérieur, de la mobilité et de l’environnement - service de géologie, sols et déchets, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu’à V______ S.à r.l.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Hurni et Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction a.i. :

 

 

C. Sudre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :