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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1820/2011

ATA/627/2011 du 04.10.2011 ( EXPLOI ) , ADMIS

Descripteurs : BRUIT; AMENDE; FAUTE; VOISIN ; DÉNONCIATION(EN GÉNÉRAL)
Normes : LRDBH.22 ; LRDBH.74
Résumé : Un attroupement de clients sur la chaussée ne suffit pas à fonder une amende dès lors qu'une éventuelle entrave à la sécurité publique n'est pas réprimée par la loi, au contraire du bruit causé par les clients. En l'espèce, il n'est pas établi que l'attroupement ait engendré suffisament de bruit troublant la tranquilité du voisinage.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1820/2011-EXPLOI ATA/627/2011

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 octobre 2011

1ère section

 

dans la cause

 

Madame S______
représentée par Me Florence Yersin, avocate

contre

SERVICE DU COMMERCE

 



EN FAIT

1. Madame S______ exploite à Genève depuis mars 2010 le café-restaurant «L______ » sis 1, rue U______, à l’angle avec le boulevard O______. Cet établissement est propriété de G______ S.A., dont Mme S______ et son mari, sont actionnaires et dont ce dernier est administrateur unique.

2. Le 7 septembre 2010, Mme S______ a obtenu du service du commerce (ci-après : SCom) une autorisation de prolongation de l’horaire d’exploitation et « à laisser danser » du vendredi 24 septembre à 19h00 au samedi 25 septembre 2010 à 3h00, en raison de l’Oktoberfest.

3. Le 25 septembre 2010 à 2h45, le L______ a fait l’objet d’un contrôle par une patrouille de police composée de deux policiers.

4. Le 4 octobre 2010, les agents ont établi un rapport de dénonciation à l’intention du SCom. Mme S______ avait exploité l’établissement le 25 septembre 2010 au matin de manière à engendrer des inconvénients graves pour le voisinage contrevenant ainsi aux art. 22 et 74 de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l’hébergement du 17 décembre 1987 (LRDBH - I 2 21). Les policiers qui passaient en voiture devant l’établissement avaient constaté qu’un grand nombre de personnes se trouvait sur la voie publique, pouvant causer un danger pour la circulation routière. Cette foule émettait un « brouhaha » susceptible d’engendrer des inconvénients graves pour le voisinage. Interrogée, Mme S______ leur avait dit qu’elle n’était plus en mesure de gérer sa clientèle.

5. Le 8 décembre 2010, le SCom a écrit à Mme S______, sans joindre à ce courrier le rapport de dénonciation précité, afin qu’elle puisse se déterminer sur les faits qui lui étaient reprochés. Le SCom envisageait de lui infliger une sanction et/ou une mesure administrative(s).

6. Après avoir obtenu copie dudit rapport, Mme S______ a répondu le 7 janvier 2011. Elle contestait le rapport de dénonciation. Ce soir-là, l’établissement fermait à 3h00 du matin. A 2h45, deux policiers s’étaient présentés dans l’établissement pour connaître les raisons d’une fermeture si tardive. Ils avaient prétendu que les époux S______ n’avaient pas d’autorisation pour prolonger l’heure de fermeture. Après que Mme S______ leur avait présenté l’autorisation obtenue, lesdits agents lui avaient indiqué que la tranquillité du voisinage était troublée par la présence des clients devant l’établissement. Avant l’arrivée des gendarmes, tous les clients étaient sortis de l’établissement, la musique était arrêtée et les lumières allumées. Quelques clients se trouvaient devant l’établissement. Le service de sécurité du L______ les avait priés de quitter les lieux. Leur présence n’avait pas engendré de « brouhaha » mais un bruit provenant de discussions. Aucune nuisance n’en était résultée. Aucun voisin ne s’était plaint la nuit en question. Elle contestait avoir déclaré qu’elle n’arrivait plus à gérer la situation. Ce soir-là, elle avait un service de sécurité pour la seconder.

7. Par pli recommandé du 11 mai 2011, le SCom a infligé à Mme S______ une amende de CHF 400.- pour avoir exploité son établissement de manière à engendrer des inconvénients graves pour le voisinage (art. 22 al. 2 LRDBH).

8. Le 14 juin 2011, Mme S______ a recouru contre la décision précitée auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), en concluant principalement à l'annulation de ladite décision, subsidiairement à une réduction de l’amende à CHF 100.-, ainsi qu'à l'ouverture d'enquêtes et à l’octroi d’une indemnité de procédure. Elle contestait la gravité des inconvénients pour le voisinage, aucun voisin ne s’étant plaint cette nuit-là. Dans l’hypothèse où l’amende était admise dans son principe, le montant de CHF 400.- était disproportionné au regard de la nature et de la gravité de l’infraction, ainsi que de l’absence d’antécédents.

9. Le 15 juillet 2011, le SCom a conclu au rejet du recours, avec suite de frais et émolument, ainsi qu'à la confirmation de sa décision du 11 mai 2011. Le L______ avait été exploité en violation de l’art. 22 al. 2 LRDBH : la recourante ne contestait pas que des clients se trouvaient devant son établissement, engendrant des inconvénients graves pour le voisinage. De plus, elle n’avait pas été en mesure d’expliquer les raisons pour lesquelles son service d’ordre n’avait pas pu disperser la clientèle qui se trouvait sur la voie publique.

10. Le 12 septembre 2011, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle et d’enquêtes.

a. Mme S______ a déclaré que ce soir-là, le service d’ordre, composé de son mari, d’un employé, Monsieur D______, et d’elle-même, avait incité les clients à quitter les lieux.

b. La représentante du SCom a admis qu’aucune plainte des voisins n’était à l’origine de l’intervention des agents. Mme S______ n’avait jamais fait l’objet d’une amende administrative avant cette date. La pratique du SCom consistait à sanctionner tout inconvénient grave constaté après minuit d’une amende de CHF 400.-.

c. Le brigadier M______, entendu à titre de renseignement, a déclaré que ce soir-là, il circulait avec sa collègue devant l’établissement en question. Ils étaient descendus du véhicule pour demander aux clients qui se trouvaient sur la voie publique au boulevard du O______ de remonter sur le trottoir et de regagner leur domicile. Ils avaient informé Mme S______ et son mari que ceux-ci ne pouvaient pas laisser leurs clients s’attrouper ainsi. Les époux S______ paraissaient débordés, n’étant pas en mesure de faire entendre raison à leurs clients. Sa collègue et lui-même étaient intervenus en raison de l’attroupement et non au motif que l’établissement aurait fermé tardivement.

D’entente entre les parties, il a été renoncé à l’audition de l’autre agent, Mme Q______.

11. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La recourante conclut à l’annulation de l’amende, au motif qu’elle n’aurait pas exploité l’établissement de manière à engendrer des inconvénients graves pour le voisinage durant la nuit du 24 au 25 septembre 2010.

3. a. L'exploitant doit veiller au maintien de l'ordre dans son établissement et prendre toutes les mesures à cette fin (art. 22 al. 1 LRDBH). Il doit exploiter l’établissement de manière à ne pas engendrer d'inconvénients graves pour le voisinage (art 22 al. 2 LRDBH). Si l'ordre est sérieusement troublé ou menace de l'être, que ce soit à l'intérieur de l'établissement ou dans ses environs immédiats, il doit faire appel à la police (art. 22. al. 3 LRDBH).

b. Alors que le projet de loi précisait simplement que si l'ordre était sérieusement troublé ou menacé de l'être, l'exploitant devait faire appel à la police (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1985 III p. 4209), la commission ad hoc du Grand Conseil a précisé : « que ce soit à l'intérieur de l'établissement ou dans ses environs immédiats », pour bien souligner que la responsabilité de l'exploitant s’étendait au-delà des strictes limites de son établissement ou de sa terrasse (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1987 V p. 6426).

c. Une violation de l’art. 22 LRDBH peut être fondée sur le fait que l’exploitant n’a pas pris les mesures nécessaires pour contenir sa clientèle ou pour en atténuer le bruit, par exemple en fermant la porte et en invitant ses clients à modérer leur enthousiasme (ATA/146/1999 du 2 mars 1999).

4. a. Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C’est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/14/2011 du 11 janvier 2011 ; ATA/788/2010 du 16 novembre 2010 ; ATA/571/2010 du 31 août 2010 ; P. MOOR, Droit administratif : les actes administratifs et leur contrôle, vol. 2, Berne 2002, ch. 1.4.5.5, p. 139 s).

b. En vertu de l'art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif, sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (comme notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 2 et 3 et 107 CP ; P. MOOR, idem, p. 141).

c. Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence (HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 6ème éd., Zürich-Bâle-Genève 2006, p. 252, n. 1179). Selon la jurisprudence constante, l’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi et jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende (ATA/14/2011 du 11 janvier 2011 ; ATA/788/2010 du 16 novembre 2010 ; ATA/571/2010 du 31 août 2010). La juridiction de céans ne la censure qu’en cas d’excès (ATA/160/2009 du 31 mars 2009). Enfin, l’amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; ATA/533/2010 du 4 août 2010 ; ATA/201/2010 du 23 mars 2010).

d. L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP).

5. En l'espèce, le seul motif fondant l'amende est celui d'une violation de l'art. 22 al. 2 LRDBH précité.

Il convient donc de déterminer si la recourante a commis une telle violation alors qu'aucun voisin ne s'est plaint.

6. Selon la jurisprudence, le dépôt d'une plainte n'est cependant pas nécessaire pour le prononcé d'une amende. Un rapport de dénonciation peut être suffisant (ATA/570/2004 du 6 juillet 2004) si les faits sont avérés.

A teneur de l’art. 74 al. 1 LRDBH, le département peut infliger une amende administrative de CHF 100.- à CHF 60'000.-, indépendamment du prononcé de l’une des sanctions prévues aux art. 70 à 73, en cas d’infraction à ladite loi et à ses dispositions d’application.

7. En l'espèce, le rapport de dénonciation, de même que la déclaration du brigadier M______ lors de l'audience d'enquêtes le 12 septembre 2011 démontrent que le bruit n’était pas le motif de l’intervention mais que leur attention avait été attirée par l’attroupement des clients sur la chaussée, lesdits agents étant dans l’ignorance de l’autorisation de prolongation d’horaire au bénéfice de laquelle se trouvait Mme S______. Or, une éventuelle entrave à la sécurité publique n'est pas réprimée par l'art. 22 al. 2 LRDBH. Quant au brouhaha allégué, les gendarmes n’ont pas fait état d’un bruit important. La recourante conteste qu'il ait pu être suffisant pour troubler la tranquillité des voisins. Force est d'admettre que dans ces conditions, il n'est pas établi que l'exploitation dudit établissement ait engendré le 25 septembre 2010 de graves inconvénients pour le voisinage.

8. Aucune faute ne pouvant être imputée à la recourante, le recours sera admis et la décision attaquée annulée (ATA/633/2006 du 28 novembre 2006).

9. Un émolument de CHF 500.-, comprenant les frais d'interprète à hauteur de CHF 100.- sera mis à la charge du SCom. Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante à la charge de l'Etat de Genève (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 juin 2011 par Madame S______ contre la décision du service du commerce du 11 mai 2011 ;

au fond :

l’admet ;

annule l’amende administrative infligée à Mme S______ ;

met à la charge du service du commerce un émolument de CHF 500.- comprenant les frais d’interprète à hauteur de CHF 100.- ;

alloue à Mme S______ une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Florence Yersin, avocate de la recourante, ainsi qu'au service du commerce.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Hurni, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

C. Derpich

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :