Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/174/2014

ATA/422/2015 du 05.05.2015 sur JTAPI/693/2014 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : CONSTRUCTION ET INSTALLATION ; AUTORISATION PRÉALABLE ; PERMIS DE CONSTRUIRE ; PLAN DE ZONES ; PLAN DIRECTEUR ; POUVOIR D'APPRÉCIATION ; EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION ; BUT D'INTÉRÊT GÉNÉRAL ; LOGEMENT ; IMMEUBLE D'HABITATION
Normes : LExt.15a ; RPUS.10
Parties : VILLE DE GENEVE - DPT DES CONSTRUCTIONS ET DE L'AMENAGEMENT / DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE, SINGANI SA
Résumé : Pour faire droit à la demande d'autorisation de construire de l'intimé, le DALE s'est appuyé sur un dossier complet, ainsi que sur les préavis favorables de tous les services et commissions consultés, à l'exception de ceux de la recourante. Dès lors, il n'apparaît pas que le DALE ait excédé ou abusé de son pouvoir d'appréciation, ni violé le règlement communal relatif aux plans d'utilisation du sol (RPUS). En effet, si l'art. 10 RPUS tend à lutter contre la disparition progressive des activités industrielles et artisanales au centre-ville, il protège également l'intérêt public de la lutte contre la pénurie de logements à Genève, intérêt que respecte le projet en l'espèce. Celui-ci remplit les conditions de l'art. 10 RPUS, dès lors que l'emplacement et la configuration du local à transformer est impropre à toutes activités industrielles ou artisanales.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/174/2014-LCI ATA/422/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 mai 2015

2ème section

 

dans la cause

VILLE DE GENÈVE - DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DE L'AMÉNAGEMENT

contre

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE

et

SINGANI SA
représentée par Me Diane Schasca, avocate

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 23 juin 2014 (JTAPI/693/2014)


EN FAIT

1) La société Singani SA (ci-après : la société), ayant son siège à Genève, est propriétaire de la parcelle n° 2'319, feuille 49, de 168 m2 et du bâtiment n° E1146, soit un garage de 123 m2, sis sur ladite parcelle au 12, rue Alcide-Jentzer, commune cadastrale de Genève-Plainpalais (DD 105'719-1).

2) Cette parcelle est située en retrait de la voie publique, dans une cour intérieure privée accessible par un chemin privé également.

3) Le 11 mars 2013, la société a déposé auprès du département de l'urbanisme, devenu le 11 décembre 2013 le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie (ci-après : DALE), une demande définitive d'autorisation de construire. Celle-ci avait pour objet la réhabilitation dudit garage en logement.

4) Le 13 mai 2013, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a rendu un préavis défavorable sur le projet.

Ce dernier était contraire au plan directeur communal (ci-après : PDC) qui préconisait de libérer les cours (« dénoyautage ») au profit d'espaces libres, publics et semi-privés, et qui disposait en outre de préserver le cadre de vie dans les quartiers centraux par des densités modérées.

Il existait des vues plongeantes depuis les fenêtres du bâtiment BI 176 dans le nouveau logement projeté, et réciproquement, ce qui était la cause d'inconvénients graves pour les usagers et le voisinage.

S'agissant d'une construction nouvelle (modification des volumes existants et nouvelle construction importante), l'art. 42 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), disposait du caractère exceptionnel des constructions basses sur cour, alors qu'aucun élément probant ne permettait de conclure sur l'impérieuse nécessité de construire dans cette cour.

Aucune dérogation ne devait être accordée quant au non-respect de la hauteur de 1 m au-dessus du niveau général du sol adjacent (art. 49 al. 3 LCI) dans la mesure où les jours ouvraient sur une voirie.

Le projet était contraire à l'art. 10 du règlement communal relatif aux plans d'utilisation du sol de la ville du 18 mars 2008 (RPUS - LC 21 211), en prévoyant la transformation totale d'un bâtiment affecté à des activités artisanales sans maintenir une surface de plancher au moins équivalente à la moitié de la surface initiale. Il n'était pas démontré que les conditions d'utilisation étaient inadaptées à de telles activités artisanales et les critères d'habitabilité pour le logement n'étaient pas clairement satisfaits.

5) Par préavis du 15 mai 2013, la commission d'architecture (ci-après : CA) a demandé une modification du projet.

Malgré son statut privé, la rue était empruntée par des véhicules et utilisée comme un parking. Elle n'offrait de fait aucune « privacité » (sic). Il devait être envisagé soit une surélévation du plancher pour garantir des prises de lumière sur rue au-dessus des véhicules, soit la création d'un patio plus généreux permettant de faire un projet plus introverti.

6) Le 11 juin 2013, la société, par l'intermédiaire de son mandataire, a soumis un projet modifié conformément aux observations de la CA.

7) Le 15 juillet 2013, la ville a émis un nouveau préavis défavorable au projet. Elle réitérait les observations de son premier préavis en estimant que la parcelle ne se prêtait pas à du logement.

8) Le 20 août 2013, la direction des plans d'affectation et requêtes (ci-après : la direction) a rendu un préavis favorable sous réserve.

La réhabilitation d'un atelier en logement était conforme à la zone de fond 4B. La direction était favorable à la possibilité de créer des logements mais, concernant la conformité à l'art. 10 RPUS, il appartenait au requérant d'apporter la démonstration que les conditions d'utilisation de l'activité étaient inadaptées.

9) Par décision du 3 décembre 2013, le DALE a autorisé la société à procéder à l'agrandissement et à la transformation dudit garage en logement et à l'installation de panneaux solaires sur le bâtiment.

10) Cette autorisation a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 10 décembre 2013.

11) Par acte du 20 janvier 2014, la ville a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette autorisation, concluant préalablement à un transport sur place et, principalement, à l'annulation de l'autorisation, sous suite de frais et dépens.

Elle réitérait les conclusions de ses deux préavis. Afin de réaliser le projet, il fallait visiblement procéder à la destruction d'une grosse partie de la structure et à sa reconstruction dans un gabarit plus grand et plus haut. Il s'agissait de l'édification d'une nouvelle construction, de sorte qu'il convenait de respecter toutes les dispositions y relatives, ainsi que la volonté de développement établie par le PDC de la ville.

Les normes relatives à l'édification d'une construction basse sur cour n'étaient pas respectées. Il n'y avait aucune raison que l'exploitation d'un garage fût devenue subitement impossible. Il n'existait dès lors aucun motif justifiant l'octroi d'une dérogation selon l'art. 43 al. 2 LCI.

Les conditions impératives de l'art. 49 LCI concernant les vides d'étages n'avaient pas été respectées. Le fait que la chambre du logement avait été rehaussée d'un mètre par rapport au reste de l'appartement était insuffisant. Le bâtiment adjacent bénéficiait de vues plongeantes sur l'intérieur du bâtiment, lui ôtant toute « privacité ». Il n'était pas possible d'admettre l'habitabilité du logement projeté.

Le projet ne respectait pas le RPUS. Rien ne permettait de conclure que la surface en cause était inadaptée à l'exercice d'une activité industrielle ou artisanale.

12) Dans sa réponse du 24 mars 2014, la société a conclu au rejet du recours, « sous suite de frais et dépens ».

Le projet portait sur l'agrandissement et la transformation d'une construction déjà existante. Il ne s'agissait donc pas d'une nouvelle construction ni d'une reconstruction selon l'art. 2 du règlement d'application de la LCI du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01).

L'application du PDC n'entrait pas en considération. Le projet ne contrevenait pas à ses objectifs puisqu'il concourait précisément à l'une des priorités de la ville, à savoir la réalisation de nouveaux logements. Le projet permettrait d'améliorer la qualité de vie des voisins, un logement générant moins de nuisances qu'une affectation industrielle ou artisanale. La direction avait déclaré conforme à la zone de base la réhabilitation de l'atelier en logement, se déclarant favorable à la possibilité de créer des logements. La surface en cause était clairement inadaptée à l'exercice d'une activité artisanale compte tenu des particularités du site.

La situation de la construction justifiait une dérogation au respect de la hauteur d'un mètre au-dessus du niveau général adjacent. Cette question avait fait l'objet d'un examen minutieux par la CA, qui avait préavisé favorablement. Le projet remplissait toutes les conditions légales s'agissant de l'habitabilité du logement.

13) Dans son mémoire du 24 mars 2014, le DALE a conclu au rejet du recours.

Le projet ne portait pas sur une nouvelle construction mais sur l'agrandissement et la transformation d'un garage en un logement, soit sur la réhabilitation d'une construction déjà existante. L'emplacement de la construction et le nombre de niveaux étaient complètement maintenus (soit un niveau), les murs porteurs conservés mais l'aménagement intérieur remanié. La hauteur du toit ne serait rehaussée que de 56 cm et la surface habitable serait de 113,76 m2, ce qui était inférieur à la cadastration actuelle du garage.

L'art. 42 al. 2 LCI trouvait pleinement application, car il permettait l'édification exceptionnelle de constructions basses sur cour en 4ème zone, ce d'autant plus qu'une construction basse existait déjà. La réhabilitation du garage en logement tenait au fait que le chemin d'accès à la cour était privé et ne convenait pas à une activité commerciale. Les nuisances sonores, visuelles et d'accessibilité liées à une activité artisanale étaient inadaptées au caractère du lieu constitué de bâtiments essentiellement destinés au logement.

La question des vides d'étages avait fait l'objet d'un examen circonstancié par la CA, composée de spécialistes, laquelle avait rendu un préavis favorable suite au second projet du 13 juin 2013.

Tant le PDC - s'agissant d'une construction déjà existante - que le RPUS étaient respectés, le projet ne rompant aucunement l'équilibre entre les logements et les activités dans le périmètre, s'intégrant harmonieusement dans l'ensemble de bâtiments de logements qui l'entourait et n'apportant aucune surdensification du périmètre en matière de logement.

14) Le 22 mai 2014, le TAPI a procédé à un transport sur place. Il a constaté que la cour était un cul-de-sac, qu'il y avait une terrasse de restaurant dans ladite cour mais qu'il n'y avait aucune publicité pour le restaurant. Il n'y avait par ailleurs aucun commerce donnant dans la cour. Le TAPI s'est également rendu à l'entrée de la cour et constaté que l'inscription « privé » avait été peinte en jaune par terre ; il y avait également un panneau d'interdiction de circuler et un autre « propriété privée ».

15) Par jugement du 23 juin 2014, le TAPI a rejeté le recours.

Il ressortait des plans signés ne varietur que l'emprise au sol de la future construction serait identique à celle du garage actuel. Les trois murs porteurs périphériques actuels étaient maintenus et les portantes battantes de la 4ème façade remplacées notamment par un mur au même endroit. Le nombre de niveaux, soit un, serait conservé. La surface habitable serait de 113,76 m2 après déduction des surfaces non habitables - tels les patios - alors que la surface actuellement cadastrée du garage était de 123 m2. Seule la hauteur de la toiture du bâtiment serait rehaussée et l'aménagement intérieur du bâtiment remanié.

Il s'ensuivait que les dispositions relatives à l'édification de constructions basses sur cour (art. 42 LCI et 241 RCI) n'étaient pas applicable dans le cas d'espèce.

Vu les mesures prises par l'architecte en ce qui concernait l'habitabilité du projet et les questions de caractère privatif, ainsi que le préavis favorable de la CA, composée de spécialistes, après deux demandes de modifications, le DALE n'avait pas de motif de s'écarter dudit préavis et n'avait donc pas violé l'art. 49 al. 3 LCI concernant l'élévation des planchers en délivrant l'autorisation avec dérogation.

Le projet ne contrevenait pas au PDC. Il ne consistait pas en une nouvelle construction mais en la transformation d'un bâtiment existant. Le grief selon lequel il fallait bannir les nouvelles constructions dans les cours ne pouvait donc qu'être écarté. Comme l'avait retenu à juste titre la direction dans son préavis le 21 août 2013, la réhabilitation d'un atelier en logement était conforme à la zone de fond 4B.

S'agissant des conditions de l'art. 10 RPUS, le DALE n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation en retenant que les critères d'habitabilité étaient remplis. La ville ne faisait que substituer sa propre appréciation à celle de l'autorité.

Pour délivrer l'autorisation, le DALE avait retenu que le chemin d'accès à la cour était privé et ne convenait pas à une activité commerciale. Les nuisances sonores, visuelles et d'accessibilité liées à une activité artisanale étaient inadaptées au caractère du lieu constitué de bâtiments essentiellement destinés à du logement. La construction actuelle n'était pas un garage autonome mais l'annexe d'un garage - sis rue Alcide-Jentzer - où les clients ne se rendaient pas.

Le projet de logement ne rompait aucunement l'équilibre entre les logements et les activités dans le périmètre. Au contraire, le logement créé s'intégrait harmonieusement dans l'ensemble de bâtiments de logements qui l'entouraient et n'apportait aucune surdensification du périmètre en matière de logement.

La CA avait confirmé l'habitabilité du futur logement.

16) Par acte posté le 26 août 2014, la ville a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens.

Les conditions strictes auxquelles l'art. 10 RPUS soumettait l'autorisation de la création d'un logement en lieu et place d'un local artisanal n'étaient pas remplies. Celles-ci n'avaient pas fait l'objet d'un examen détaillé ni par le DALE ni par le TAPI. La direction avait pourtant émis une réserve sur cette question. La ville, qui était compétente s'agissant de préaviser la requête sous l'angle du respect du RPUS, avait en outre rendu un préavis défavorable.

En vertu de l'art. 10 RPUS, deux conditions cumulatives devaient être satisfaites. Premièrement, il devait être démontré que les conditions d'utilisation de la surface étaient inadaptées à des activités industrielles ou artisanales, compatibles avec l'habitat. Deuxièmement, si cette première condition était remplie, encore fallait-il que les critères d'habitabilité de la surface pussent être satisfaits.

Le TAPI n'avait pas examiné la première condition, dès lors qu'il n'indiquait aucunement que le DALE avait démontré que les conditions d'utilisation étaient inadaptées. L'argumentation du DALE sur ce point, que le TAPI s'était contenté de citer, reposait sur des considérations générales et non pertinentes. Le DALE s'était référé à tort à la possibilité d'une activité « commerciale » alors qu'il s'agissait d'évaluer le potentiel d'une activité artisanale et industrielle. L'accès par chemin privé au local ne constituait pas un obstacle à une telle activité, dès lors qu'elle ne requérait pas d'avoir pignon sur rue. Il était important pour de nombreux petits artisans, tels que peintres, vitriers, installateurs sanitaires ou électriciens, de disposer d'un local au centre-ville pour entreposer et préparer du matériel.

C'était à tort que le DALE avait retenu que les nuisances sonores, visuelles et d'accessibilité liées à une activité artisanale étaient inadaptées au caractère du lieu, constitué de bâtiments essentiellement destinés à du logement. Il existait des activités artisanales qui étaient « compatibles » avec l'habitat, selon le terme employé par l'art. 10 al. 1 RPUS, faute de quoi cet article devrait rester lettre morte.

S'agissant de l'accès privé, les clients de beaucoup d'artisans ne se rendaient jamais chez ces derniers. Rien n'empêchait les clients d'un artisan d'emprunter un chemin privé. Il était sans importance que les passants et les autres usagers ne circulent pas devant le local concerné.

Le seul service de l'État qui avait traité de la conformité du projet au RPUS était la direction. Celle-ci avait rendu un préavis favorable sous réserve que le requérant apportât la démonstration que les conditions d'utilisation d'une activité artisanale étaient inadaptées. Or une telle démonstration n'avait pas été apportée. La requérante n'avait pas démontré n'avoir trouvé aucun repreneur, ni qu'il n'y avait pas de demande pour un tel local. La ville, compétente pour préaviser les autorisations sous l'angle du RPUS, avait quant à elle rendu deux préavis défavorables. On devait reconnaître un certain poids à ceux-ci, même s'ils n'étaient que consultatifs.

Les autres préavis rendus, notamment celui de la CA qui s'était uniquement prononcée sur la condition de l'habitabilité, n'avaient pas porté sur la première condition de l'art. 10 RPUS, à savoir le caractère inadapté du local à des activités industrielles ou artisanales.

C'était donc à tort que le DALE s'était écarté du préavis de la direction et de ceux de la ville.

Il existait une demande pour des locaux au centre-ville de Genève destinés à des activités industrielles ou artisanales qui soient compatibles avec l'habitat. Parmi les demandes de locaux auxquelles la gérance immobilière municipale de la ville ne pouvait pas répondre au jour du recours figurait notamment la demande pour un atelier de peintre en bâtiment d'une surface de 45 à 120 m2 et une demande d'atelier pour le montage et la pose de panneaux solaires et de pompes à chaleur. La Fondation pour les terrains industriels de Genève avait également plusieurs demandes pour de tels locaux, notamment une demande de dépôt de 100 m2 pour une entreprise de la construction.

La requérante n'avait à aucun moment indiqué être dans l'impossibilité de trouver un repreneur exerçant une activité conforme à l'affectation actuelle et l'avait encore moins démontré.

Suivre les arguments sommaires du DALE revenait à admettre que la plupart des petits locaux artisanaux en ville pouvaient être supprimés simplement parce qu'ils étaient voisins de logements ou parce qu'ils n'avaient pas pignon sur rue. Cela enlevait toute portée à l'art. 10 RPUS.

17) Par communication du 27 août 2014, le TAPI a transmis son dossier sans formuler d'observations.

18) Le 2 octobre 2014, le DALE a conclu au rejet du recours.

Il réitérait ses observations de première instance. Le canton de Genève était confronté à une sévère pénurie de logements. Le projet querellé répondait sans conteste à un intérêt public majeur et supérieur.

Le TAPI, après s'être transporté sur place et avoir entendu toutes les parties, avait examiné les deux conditions de l'art. 10 RPUS. Il avait considéré que le chemin d'accès à la cour était privé et ne convenait pas à une activité industrielle et artisanale, et que les nuisances sonores, visuelles et d'accessibilité liées à une telle activité étaient inadaptées au caractère du lieu, constitué de bâtiments essentiellement destinés à du logement.

Quant au préavis favorable sous réserve de la direction du développement urbain - rive gauche du 21 août 2013, le requérant avait démontré à satisfaction que la construction querellée était inadaptée à une activité artisanale ou industrielle. Le TAPI avait d'ailleurs constaté qu'aucun autre commerce ne donnait sur la cour qui était en cul-de-sac.

La ville n'apportait aucune preuve qu'une demande pour de petits locaux artisanaux existât en ville, en particulier à l'emplacement litigieux. Elle ne faisait ainsi que substituer sa propre appréciation à celle du TAPI, faisant fi notamment de l'intérêt public supérieur à la création de logements.

19) Dans sa réponse du 3 octobre 2014, la société, sous la plume de son conseil, a conclu au rejet du recours, « sous suite de frais et dépens ».

Elle réitérait ses observations de première instance. Le fait que certains artisans ou industriels n'aient pas besoin d'avoir pignon sur rue ou que les clients ne se rendent pas dans leurs locaux n'était pas déterminant, dès lors que les conditions d'utilisation étaient inadaptées à l'exercice de telles activités.

Elle a produit une déclaration écrite de Monsieur André GALERA, carrossier et ancien propriétaire du garage, du 19 septembre 2014. Celui-ci avait exploité le local pendant plusieurs années. L'accès était très étroit, il était difficile d'y faire entrer certains véhicules, et le stationnement sauvage récurrent de véhicules devant les portes du garage empêchait l'accès au local et compliquait les manoeuvres. La surface du local était trop exiguë pour faire travailler plus de deux personnes. Les charges élevées et l'espace très limité ne permettaient pas d'exercer une activité suffisamment rentable. De plus, le bâtiment, notamment la toiture, nécessitait d'importants travaux, ce qui avait découragé les potentiels acquéreurs.

La société a également produit une déclaration écrite de la régie A.E. Schmid SA, du 23 septembre 2014. Le manque de commodités d'accès au local avait découragé les rares entreprises intéressées, lesquelles avaient notamment mis en cause l'accès au parking lors du chargement des livraisons par camions, le risque de bloquer l'accès au parking lors du chargement et du déchargement du matériel et les risques de conflits avec les divers usagers de celui-ci. Le local ne disposait que de deux places de parking trop étroites pour le stationnement de véhicules encombrants de type camionnette.

La configuration des lieux n'était ainsi pas du tout adaptée à l'exercice d'une activité artisanale ou industrielle dans des bonnes conditions. Les nuisances sonores étaient amplifiées par cette configuration, du fait de l'emplacement du local dans une cour intérieure formée par un quadrilatère d'immeubles de plusieurs étages. Les rares entreprises intéressées par un tel local en ville uniquement pour y déposer du matériel, n'avaient pas non plus donné suite, compte tenu du prix élevé pour un espace de stockage. L'espace était trop restreint pour y aménager un atelier et y entreposer du matériel.

La ville ne démontrait pas qu'il existait effectivement une demande pour un tel local avec toutes ses caractéristiques.

Le fait que le TAPI ait repris les arguments avancés par le DALE sans les examiner plus avant n'était pas déterminant, puisqu'il avait été démontré que les conditions permettant de changer l'affectation du local étaient remplies.

20) Le 7 novembre 2014, la ville a persisté dans les conclusions et les termes de son recours.

Le DALE avait écarté son préavis sur l'application du RPUS sans aucun motif prépondérant et encore moins dûment établi, alors même que la ville était l'instance de préavis compétente pour cette application.

Le DALE ne pouvait se contenter de brandir l'étendard de la pénurie de logements pour justifier la suppression de locaux artisanaux.

La confusion persistante du DALE entre la notion d'activité commerciale et celle d'activité industrielle ou artisanale confirmait son manque de rigueur dans l'instruction du dossier. Un local artisanal n'avait pas les mêmes besoins qu'un commerce.

Pour la première fois, la société faisait état des difficultés qu'aurait rencontrées l'ancien propriétaire et exploitant du local dans l'exploitation puis la vente de ce dernier, ainsi que des explications données par l'agence immobilière chargée de la location ou la vente du bien La vétusté des lieux était le fait de l'ancien propriétaire. Si le local s'était avéré inadapté à l'exploitation d'un garage, cela ne supposait pas qu'il ne conviendrait pas à activité artisanale. Le prix de CHF 700'000.- qui avait été demandé ne correspondait pas au prix du marché pour un tel objet. S'agissant d'un local artisanal, l'ancien propriétaire ne pouvait prétendre le vendre au prix usuel pour les locaux commerciaux ou le logement. Le prix admis par l'office du logement aurait été au maximum de CHF 1'000.- le m2, soit CHF 168'000.-, à quoi s'ajoutait la valeur du local, faible au vu de ses caractéristiques.

Il était probable que le prix demandé avait découragé les petits artisans, qui n'avaient pas montré d'intérêt pour le local. En autorisant sans instruction sérieuse le changement d'affectation querellé, le DALE encourageait la disparition des petits locaux artisanaux au centre-ville et validait la hausse des prix que cela induisait. L'art. 10 RPUS avait précisément pour objectif de préserver les locaux artisanaux existants et les prix de ce marché. Ce n'était que par une application stricte de ses conditions que les buts du RPUS pourraient être atteints.

21) Le 21 novembre 2014, la société a persisté dans les conclusions prises dans son mémoire du 3 octobre 2014.

La ville n'était pas une autorité technique consultative. Elle ne pouvait donc pas se prévaloir de la jurisprudence genevoise, citée par le DALE, pour justifier l'autorité à accorder à ses préavis.

C'était uniquement en réponse à l'argument nouveau de la ville que la société s'était fait fort de démontrer qu'aucun repreneur n'avait été trouvé pour le local. La ville ne produisait aucun document susceptible de prouver les faits nouveaux qu'elle alléguait. S'agissant des considérations sur le prix de vente du local, la ville ignorait totalement les prix du marché.

22) La cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La qualité pour recourir de la ville est fondée sur l'art. 145 al. 2 LCI et admise par la jurisprudence de la chambre de céans (ATA/116/2013 du 26 février 2013 consid. 2 ; ATA/70/2013 du 6 février 2013).

3) La ville invoque la violation de l'art. 10 RPUS, dont les conditions n'auraient pas fait l'objet d'un examen détaillé.

4) Afin de maintenir et de rétablir l'habitat dans les 4 premières zones de construction au sens de l'art. 19 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30), et dans leurs zones de développement, d'y favoriser une implantation des activités qui soit harmonieuse et équilibrée, tout en garantissant le mieux possible l'espace habitable et en limitant les nuisances qui pourraient résulter de l'activité économique, les communes élaborent en collaboration avec l'État et adoptent des plans d'utilisation du sol (ci-après : PUS) approuvés par leur conseil municipal (art. 15A al. 1 loi sur l'extension des voies de communication et l'aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 - LExt - L 1 40).

5) À teneur de l'art. 19 al. 1 LaLAT, les trois premières zones sont destinées aux grandes maisons affectées à l'habitation, au commerce et aux autres activités du secteur tertiaire. D'autres activités peuvent y être admises lorsqu'elles ne sont pas susceptibles de provoquer des nuisances ou des inconvénients graves pour le voisinage ou le public. En fonction de leur origine historique, la délimitation de ces zones s'établit comme suit :

a) la 1ère zone comprend les quartiers de la ville qui se trouvent dans les limites des anciennes fortifications ;

b) la 2ème zone comprend les quartiers édifiés sur le territoire des anciennes fortifications et des quartiers nettement urbains qui leur sont contigus ;

c) la 3ème zone comprend les régions dont la transformation en quartiers urbains est fortement avancée.

6) Le Tribunal fédéral a jugé que le RPUS était édicté en conformité avec les art. 15A ss LExt, et qu'il était d'intérêt public d'encourager une certaine diversité des activités dans l'agglomération urbaine, ce qui impliquait concrètement de protéger les branches menacées (arrêts du Tribunal fédéral 1C_253/2013 du 1er novembre 2013 ; 1C_317/2009 du 15 janvier 2010 consid. 9.2). De même, il a considéré qu'une nouvelle réglementation était admissible même si elle pouvait avoir des répercussions susceptibles d'être qualifiées de politique économique, par exemple en favorisant une catégorie d'entreprises par rapport à d'autres, pour autant que l'objectif principal relève de l'aménagement du territoire (arrêt du Tribunal fédéral 1C_453/2007 du 10 mars 2008 consid. 8.2).

7) En vue de favoriser la qualité de vie en ville, les PUS élaborés par la ville, en collaboration avec l'État, ont pour but de maintenir et rétablir l'habitat tout en favorisant une implantation harmonieuse des activités qui garantisse le mieux possible l'espace habitable et limite les charges sur l'environnement qui pourraient résulter d'une répartition déséquilibrée des affectations (art. 1 al. 1 RPUS).

Ces dispositions s'appliquent aux quatre premières zones à bâtir au sens de l'article 19 LaLAT et dans leurs zones de développement au sens de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35). Elles s'appliquent aussi bien aux constructions existantes qu'aux constructions nouvelles (art. 2 al. 1 RPUS).

8) L'art. 10 RPUS prévoit qu'en cas de démolition-reconstruction ou de transformation d'un bâtiment affecté principalement à des activités industrielles ou artisanales, une surface de plancher au moins équivalente à la moitié de la surface initiale doit être destinée à des activités industrielles ou artisanales, compatibles avec l'habitat. S'il est démontré que les conditions d'utilisation sont inadaptées à de telles activités, ces surfaces sont alors destinées au logement, dans la mesure où les critères d'habitabilité peuvent être satisfaits. Pour le solde des surfaces de plancher, l'art. 7 RPUS est applicable (art. 10 al. 1 RPUS). En cas de démolition-reconstruction ou de changement d'affectation d'un immeuble n'ayant pas une destination administrative, industrielle, commerciale ou culturelle, le nouveau bâtiment doit être affecté au logement, selon les taux fixés par l'art. 7 (art. 10 al. 2 RPUS).

L'art. 10 RPUS s'attache ainsi à lutter contre un phénomène lié à l'emprise croissante du secteur tertiaire en ville, à savoir la disparition progressive des activités industrielles et artisanales, alors que celles-ci sont source d'animation et permettent aux habitants du centre-ville de bénéficier de services de proximité au lieu de se rendre en dehors du centre, là où la plupart de ces activités sont déplacées. L'expansion grandissante du secteur tertiaire a été mis en évidence par l'étude d'impact de 1993 : cette étude a notamment constaté que, lors d'opérations de restructuration ou de reconstruction totale, les grands ensembles industriels se réinstallaient dans des zones industrielles périphériques et les petites unités sises dans les bâtiments affectés à l'industrie et à l'artisanat disparaissaient la plupart du temps (Mémorial des séances du Conseil municipal de la ville du 14 septembre 1993, p. 851 ss). Il est dès lors d'intérêt public d'encourager une certaine diversité des activités dans l'agglomération urbaine, ce qui implique concrètement de protéger les branches menacées. Et si le maintien des activités industrielles et artisanales n'est pas possible, l'art. 10 RPUS favorise la création de nouveaux logements, ce qui permet de lutter contre la pénurie et relève également de l'intérêt public (arrêt du Tribunal fédéral 1C_317/2009 précité consid. 9.2).

9) Les notions de surfaces inadaptées pour des activités industrielles ou artisanales et d'habitabilité constituent des notions juridiques indéterminées laissant un certain pouvoir d'appréciation à l'administration, celle-ci n'étant limitée que par l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (ATA/451/2014 du 17 juin 2014 consid. 7d ; ATA/59/2004 du 20 janvier 2004 ; ATA/646/1997 du 23 octobre 1997).

10) En l'espèce, pour faire droit à la demande d'autorisation de construire de la société, le DALE s'est appuyé sur un dossier complet, ainsi que sur les préavis favorables de tous les services et commissions consultés, à l'exception de ceux de la ville. Dès lors, il n'apparaît pas que le DALE ait excédé ou abusé de son pouvoir d'appréciation, ni violé le RPUS. En effet, si l'art. 10 RPUS tend à lutter contre la disparition progressive des activités industrielles et artisanales au centre-ville, il protège également l'intérêt public de la lutte contre la pénurie de logements à Genève, intérêt que respecte le projet. La chambre de céans est arrivée à la même conclusion dans un arrêt récent, impliquant un immeuble situé dans une cour intérieure en retrait de la rue (ATA/451/2014 précité).

Par ailleurs, l'emplacement et la configuration du local en question présentent trois caractéristiques qui, cumulées, le rendent inadapté à toutes activités industrielles ou artisanales. Premièrement, sa situation en retrait, accessible par une parcelle privée et non visible depuis la voie publique, le rend impropre à des activités commerciales. Deuxièmement, sa situation dans une cour, bordée d'immeubles d'habitation sur trois côtés, le rend impropre à des activités industrielles ou artisanales, par nature sources de nuisances notamment sonores. Troisièmement, la taille restreinte du local et son accès exigu et malaisé, notamment pour des véhicules de transport, le rendent impropre à une fonction de dépôt ou de stockage.

Quant à l'habitabilité du bâtiment, elle n'a pas été contestée par la ville à ce stade de la procédure.

Au vu de ce qui précède, l'art. 10 RPUS n'a pas été violé par le DALE, lequel n'a pas abusé de son pouvoir d'appréciation. Le grief de la ville doit être écarté.

11) Mal fondé, le recours est rejeté.

12) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la ville, qui ne défend en l'espèce pas sa propre décision (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de la ville, sera allouée à la société (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 août 2014 par la Ville de Genève contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 23 juin 2014 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de la Ville de Genève un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue à Singani SA une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de la Ville de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à la Ville de Genève, à Me Diane Schasca, avocate de Singani SA, au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance .

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :