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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3997/2011

ATA/116/2013 du 26.02.2013 sur JTAPI/813/2012 ( LDTR ) , REJETE

Parties : VILLE DE GENEVE / IMMO-PASSION SA, LA COLLECTIVE DE PREVOYANCE - COPRE, DOMUS ARCHITECTURE SA, DEPARTEMENT DE L'URBANISME
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3997/2011-LDTR ATA/116/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 février 2013

 

 

dans la cause

 

VILLE DE GENÈVE

contre

LA COLLECTIVE DE PRÉVOYANCE-COPRÉ

DOMUS ARCHITECTURE S.A.
IMMO-PASSION S.A.

représentées par Me Philippe Cottier, avocat

et

DÉPARTEMENT DE L’URBANISME

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 juin 2012 (JTAPI/813/2012)


EN FAIT

1. La Collective de prévoyance-Copré est propriétaire depuis le 18 décembre 2003 de la parcelle n° 3’645 feuille 31 de la commune de Genève-Petit-Saconnex, sur laquelle est érigé un immeuble d’habitation à l’adresse 22bis, rue Lamartine. Cet immeuble se trouve en 3ème zone. Il comporte un attique, qui avait été loué par le précédent propriétaire à un cabinet de logopédie ainsi qu’à une agence de voyages, et n’était ainsi pas affecté à du logement.

Cet immeuble figure dans la carte indicative adoptée par le Conseil d’Etat le 18 février 2009 comme étant susceptible d’être surélevé.

2. Agissant au nom de la propriétaire, Immo-Passion S.A.-Michel Autard (ci-après : Immo-Passion S.A.), représentée par Domus Architecture, soit pour elle Madame Ingrid Branche, architecte (ci-après : Domus Architecture S.A.), mandataire professionnellement qualifiée, a déposé le 30 novembre 2010 une demande définitive d’autorisation de construire auprès du département des constructions et des technologies de l’information, devenu le département de l’urbanisme (ci après : le département), laquelle a été enregistrée sous n° 104'015.

Le projet prévoyait la démolition de l’attique existant et la construction d’une surélévation comportant 2 niveaux plus un attique, permettant la création de 4 appartements, 2 de 4,5 pièces et 2 de 6 pièces, l’agence de voyages ayant son bureau dans l’attique existant ayant été relogée au rez-de-chaussée de l’immeuble en question et le bail du cabinet de logopédie ayant été résilié.

3. Dans le cadre de l’instruction de la requête, divers préavis ont été recueillis, les préavis techniques étant tous favorables et les préavis topiques étant les suivants :

le 28 janvier 2011, le conseil administratif de la Ville de Genève (ci-après : le conseil administratif) a émis un préavis défavorable, considérant que l’attique existant était affecté à un logement. Il considérait que le projet supposait la démolition de logements existants, de sorte que ladite démolition devait faire l’objet d’une compensation. Par ailleurs, la réalisation du projet impliquait une dérogation en matière de gabarit et tendait à s’aligner sur la seule surélévation du bâtiment voisin. Les documents produits ne permettaient pas d’apprécier l’harmonie urbanistique de la rue ;

le préavis de la commission d’architecture (ci-après : CA) émis le 8 février 2011 était rédigé ainsi : « favorable, eu égard à la qualité du projet. D’accord pour la dérogation selon l’article 11 LCI. M. Bezos n’assiste pas à ce point de l’ordre du jour » ;

le 18 avril 2011, le conseil administratif a émis un nouveau préavis défavorable. L’affectation en bureaux de l’attique existant n’avait pas été autorisée et était donc illicite. Il persistait à réclamer que les surfaces de plancher démolies en attique soit affectées à du logement ;

au terme d’un préavis favorable mais non daté, la direction générale de la mobilité (ci-après : DGM) a émis une réserve : 4 places de vélo devaient être aménagées dans l’immeuble, à disposition des futurs locataires des 4 appartements ;

le 20 juillet 2011, le service juridique de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) (ci-après : le service juridique de la LDTR) a émis un préavis favorable selon l’art. 9 LDTR, après avoir obtenu les copies des lettres d’information aux locataires, les plans, de même que le plan financier. Les 4 logements, totalisant 21 pièces, étaient destinés à la location et leur loyer ne devait pas excéder CHF 6'702.- la pièce par an pendant cinq ans à dater de la fin des travaux et de la première mise en location.

4. Le 26 octobre 2011, le département a délivré l’autorisation de construire définitive DD 104'015, vu notamment les art. 9 LDTR et 11 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

5. Par courrier du même jour, le président du département a informé le conseil administratif du fait que malgré le préavis défavorable qu’il avait émis le 18 avril 2011, l’autorisation sollicitée était délivrée, tous les préavis, y compris celui de la CA, qui avait relevé la qualité du projet, ayant été favorables. De plus, la question de l’affectation de l’attique existant était résolue, de sorte que le projet était conforme à la LDTR.

6. L’autorisation DD 104'015 a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 31 octobre 2011.

7. Par pli posté le 25 novembre 2011, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a recouru contre cette autorisation de construire auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) en concluant préalablement à ce qu’il soit ordonné au département de compléter sa décision du 26 octobre 2011 afin de justifier l’application de l’art. 11 LCI. Principalement, le recours devait être admis, la décision attaquée annulée et le département, de même qu’Immo-Passion S.A., condamnés en tous les dépens. Elle s’opposait fermement à l’octroi d’une dérogation. Le bâtiment voisin de celui en cause, à savoir celui situé 22, rue Lamartine, allait être surélevé de 2 étages, emportant la création de 11 appartements. Cette autorisation n’était pas encore en force, quand bien même sur recours de l’Association genevoise des locataires (ci-après : ASLOCA), la Cour de justice avait rendu son arrêt le 18 octobre 2011. Aucune commission consultée n’y avait fait référence. En sa qualité de commune du lieu de situation de l’immeuble, la ville avait qualité pour recourir en application de l’art. 145 al. 2 LCI. Enfin, le conseil administratif était engagé par la signature du maire, en application de l’art. 50 de la loi sur l’administration des communes du 13 avril 1984 (LAC - B 6 05), aucune des exceptions figurant à l’art. 50 al. 3 LAC n’étant réalisée.

La ville alléguait une violation de son droit d’être entendu. Ni la CA, ni le département n’avaient respectivement émis un préavis favorable, et délivré l’autorisation querellée en précisant quel cas d’application de l’art. 11 LCI était visé. Vu le défaut de motivation de la décision attaquée, la ville n’était pas en mesure de se déterminer sur le bien-fondé de ladite autorisation. Elle sollicitait qu’un délai soit fixé au département, subsidiairement à la CA, pour apporter ces précisions, ensuite de quoi elle demandait à compléter son recours.

L’autorisation délivrée violait le gabarit maximum autorisé qui, aux termes de la loi 10'088 du 22 février 2008, entrée en vigueur le 22 avril 2008, ne pouvait dépasser 27 m, conformément aux art. 27 al. 3 à 6 LCI. Néanmoins, une telle hauteur supposait que les distances entre bâtiments soient suffisantes, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La distance entre alignement était de 25,5 m, portant ainsi le gabarit maximum à 25,125 m à la corniche, mais non à 27 m. Depuis les rez-de-chaussée côté rue Lamartine, le 7ème étage constituait la limite de hauteur du gabarit à la corniche autorisable au sens de l’art. 27 LCI. Le 8ème étage était quant à lui réalisable, mais en retrait pour l’attique. Si le TAPI devait considérer que l’art. 11 LCI s’appliquait, il conviendrait de déterminer pour quel motif, les dérogations devant s’interpréter restrictivement.

En l’espèce, le département avait octroyé une dérogation pour un étage complet sans retrait, dépassant de 3 m le gabarit maximum. Il ne s’agissait ainsi pas d’un léger dépassement. Le département délivrait de manière systématique des dérogations en cas de surélévation et il était permis de se demander si l’octroi de dérogations fondées sur l’art. 11 LCI ne servait pas à contourner l’esprit de la loi, au détriment de la qualité de vie des habitations voisines, ce qui avait pour effet de vider de son contenu l’accord qui avait prévalu entre les partenaires sociaux au moment de l’acceptation de ces nouvelles dispositions relatives aux surélévations.

De plus, l’immeuble contigu, sis 22, rue Lamartine, devait être surélevé également. Or, l’autorisation de construire DD 103'256 requise pour ce dernier immeuble n’était pas en force, de sorte que la requérante ne pouvait, en l’espèce, s’en prévaloir au motif qu’il en résulterait une harmonisation des gabarits.

La pratique du département « concernant l’application des art. 23 et 27 LCI selon la loi 10'088 a [avait] été jugée non-conforme et donc illégale. Après confirmation des derniers jugements rendus récemment en la matière, le DCTI (recte : le département) ne pourra revenir sur sa pratique qui sera jugée non conforme ». Un étage de différence créerait un « effet crescendo » sur tous les bâtiments sis côté pair rue Lamartine, où seuls 3 bâtiments pouvaient être surélevés selon la carte indicative du secteur. Dès lors, cet effet crescendo créerait une harmonie architecturale bien plus intéressante qu’un bloc de 3 bâtiments à 27 m et 5 autres à 21 m. Même si l’immeuble voisin était surélevé à 27 m, la requérante ne pouvait prétendre se voir appliquer le même régime que son voisin.

8. Le 16 janvier 2012, la Collective de prévoyance-Copré, Immo-Passion S.A. et Domus Architecture S.A. ont conclu préalablement à l’audition des membres de la CA et, principalement, au rejet du recours de la ville, ainsi qu’à la confirmation de l’autorisation de construire définitive DD 104'015.

9. Le 30 janvier 2012, le département a conclu au rejet du recours.

Le droit d’être entendu de la ville n’avait pas été violé puisque celle-ci avait compris la décision qu’elle attaquait et n’avait ainsi pas subi de préjudice. Pour éviter tout formalisme excessif, un membre de la CA pouvait être entendu, cas échéant par le TAPI. L’art. 11 LCI pouvait être appliqué de concert avec l’art. 27 al. 3 à 6 LCI. La ville émettait une condition supplémentaire à celles figurant dans la loi en prétendant que la dérogation au gabarit maximum n’était possible que pour autant que les distances ou limites entre bâtiments permettent de rehausser l’immeuble ou de construire sans retrait. L’intérêt public prépondérant résidait dans la possibilité de mettre sur le marché 4 appartements supplémentaires, si la surélévation était réalisée. Quant à l’avis de la ville sur l’harmonisation des constructions, rien ne permettait de comprendre pourquoi il devrait être préféré à celui de la CA, composée d’experts indépendants.

10. Le 12 juin 2012, le TAPI a procédé à l’audition, en qualité de témoin, de Monsieur François de Marignac, architecte et ancien président de la CA, et membre à la date de l’audience de ladite commission.

Ce dernier a déclaré :

a. « La Commission d’architecture s’est penchée sur la question des projets de surélévation et a mis en place une pratique avec des règles d’analyse suivantes : tout d’abord elle analyse le contexte environnant de l’immeuble, de la rue, de la cour, des immeubles voisins (la situation) pour déterminer l’impact sur l’ensoleillement, la qualité de la lumière, les rapports de vue entre bâtiments.

On analyse ensuite la situation de l’immeuble par rapport à l’ilot dans lequel il se situe pour déterminer si il y a une notion d’ensemble ou simplement des immeubles de différentes architectures juxtaposées. S’il y a un ensemble architectural, nous demanderons qu’il y ait un projet de surélévation global sur l’ensemble.

S’il n’y a pas d’ensemble, nous entrons en matière sur un projet de surélévation pour un immeuble individuel.

Dans cette hypothèse, nous analysons ensuite le projet de surélévation lui-même, soit la cohérence du projet de surélévation par rapport à l’immeuble existant.

Pour terminer, nous analysons les plans typologiques du projet, à savoir les logements proposés, la fonctionnalité, etc.

Pour le projet querellé, un des critères retenu par la Commission d’architecture était celui d’avoir un gabarit dans la continuité de celui autorisé pour l’immeuble 22, rue Lamartine. La Commission souhaite éviter des gabarits différenciés qui rompraient la continuité des bâtiments surélevés.

Nous sommes attentifs à une certaine cohérence dans l’expression architecturale de la surélévation par rapport à l’immeuble existant, par exemple dans le rythme des ouvertures, et également dans les hauteurs de vide d’étage. L’expression de la structure et les matériaux utilisés sont également des éléments auxquels nous sommes attentifs.

La Commission d’architecture a pris en compte le gabarit des immeubles se situant de l’autre côté de la rue Lamartine et également ceux sur cour. Elle a également pris en considération l’existence d’une rue perpendiculaire à l’immeuble qui doit être surélevé. En règle générale, plus le dégagement est important devant l’immeuble à surélever, plus la surélévation sera possible.

Nous procédons à cette analyse dans tous les cas de surélévation, que nous soyons dans le cadre d’une carte indicative ou pas.

Lors de notre analyse, nous n’analysons pas si tous les points respectent la loi à la lettre : ainsi un projet qui péjorerait la situation de la rue mais serait conforme à la loi pourrait être préavisé défavorablement ou faire l’objet d’une demande de complément.

Pour que la Commission d’architecture donne son accord pour une dérogation, il faut qu’elle estime que le projet est de meilleure qualité avec la dérogation que sans.

J’indique que jusqu’à il y a quelques mois la Commission d’architecture ne motivait pas ses préavis favorables ni les dérogations. Nous avons reçu du département la demande de motiver dorénavant tous nos préavis, y compris les préavis favorables et les dérogations.

Dans le cas précis, je peux donner la motivation suivante au préavis favorable : vu les bâtiments en face côté rue et l’existence de la cour, une plus grande hauteur est supportable. Nous ne sommes pas dans le cadre d’un ensemble, raison pour laquelle nous pouvons préaviser favorablement la surélévation d’un seul immeuble. Le gabarit proposé est cohérent avec le projet autorisé 22 rue Lamartine.

Nous avons donc autorisé une dérogation au gabarit selon l’article 11 LCI.

Le gabarit impose soit un toit en pente soit un retrait d’attique. La Commission évalue si il est plus favorable de faire un toit en pente ou un retrait d’attique ou une surélévation continue par rapport à la façade du bâtiment existant. Nous avons estimé que l’alignement à la façade était plus cohérent qu’un retrait d’attique. La majorité des dérogations accordées dans le cadre de surélévations concerne cette problématique du gabarit en pente tel que prévu par la loi.

Dans le cas précis, étant donné que nous n’avons pas les mêmes gabarits côté rue et côté cour, nous avons, côté rue, préavisé favorablement une dérogation également sur la hauteur globale du bâtiment. Nous n’avons pas envisagé de demander la suppression de l’attique en retrait du fait qu’il est à la même hauteur que l’immeuble autorisé 22 rue Lamartine.

Nous avons estimé que le projet était de meilleure qualité avec la dérogation, également sur la hauteur, que sans dérogation.

Nous estimons qu’avec des plans tels que ceux qui nous ont été soumis nous pouvons nous déterminer sur l’octroi ou non d’une dérogation.

Nous avons pris en considération lors de notre préavis la situation des bâtiments alentours afin de ne pas péjorer leurs droits.

La Commission a estimé par ailleurs que l’immeuble pouvait être surélevé à la même hauteur que celui du 22 rue Lamartine ; nous n’avons pas analysé la possibilité de hauteurs différenciées ».

b. Lors de cette même audience, l’architecte du projet a déclaré avoir obtenu un préavis favorable de la CA pour un gabarit identique aux 22 et 24, rue Lamartine. Si l’autorisation de surélévation délivrée pour l’immeuble 22bis, rue Lamartine était annulée, il y aurait ainsi une « dent creuse » au milieu de ces 3 immeubles.

11. Par jugement du 19 juin 2012, le TAPI a rejeté le recours de la ville, considérant d’une part que le droit d’être entendu de celle-ci n’avait pas été violé, même si la motivation de la décision attaquée était effectivement lacunaire, car la ville avait parfaitement compris la portée de la décision qu’elle avait pu attaquer en temps utile. La position de la CA avait été explicitée lors de l’audience du 12 juin 2012. Le département s’étant fondé sur le préavis favorable de la CA en question, composée de spécialistes, il n’avait pas mésusé de son pouvoir d’appréciation.

12. Ce jugement a été expédié aux parties le 27 juin 2012.

13. Par pli posté le 27 août 2012, la ville a recouru contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à son annulation, de même qu’à celle de l’autorisation DD 104'015, en reprenant ses explications et conclusions. Si le TAPI avait substitué son appréciation à celle du département et de la CA, ce qu’il était en mesure de faire, il aurait constaté que les conditions légales n’étaient pas remplies et aurait été fondé à annuler l’autorisation de construire (sic). Si par impossible la chambre de céans devait « valider l’analyse préconisée par la Commission, la Ville de Genève relève [relevait] ci-après que si la Commission avait suivi ses propres prérogatives de façon objective, elle aurait dû parvenir à la conclusion que la dérogation ne pouvait être octroyée ».

Lors de son audition par le TAPI, M. De Marignac avait admis que les 3 immeubles 20, 22bis et 24, rue Lamartine ne constituaient pas un ensemble. La CA avait pourtant admis que l’alignement au gabarit de l’immeuble voisin, soit celui du 22, rue Lamartine, était adéquat, mais elle n’avait pas étudié la possibilité d’un gabarit différencié. La ville poursuivait en ces termes : « l’analyse dans le contexte environnemental avait conduit la Commission à harmoniser ces surélévations avec les autres immeubles de la rue Lamartine, situés aux n° 26 à 34, afin d’éviter une rupture dans l’épannelage, et donc choisir un gabarit différent et moindre que celui proposé ». Si la CA avait appliqué à son analyse du projet contesté les règles qu’elle disait s’être fixées, elle « se serait rendue à l’évidence que le projet ne reprend [reprenait] pas les éléments de façade d’origine la cohérence architecturale est absente, à moins de considérer le projet comme de l’art contemporain ».

La ville a encore sollicité des éléments statistiques pour déterminer le nombre de dérogations accordées par le département depuis 2005.

14. Le TAPI a produit son dossier le 5 septembre 2012.

15. Le 1er octobre 2012, les intimées ont conclu au rejet du recours et à la confirmation de l’autorisation de construire DD 104'015 en relevant en préambule que la ville n’hésitait pas à travestir les propos d’un des témoins en inversant le sens de ses déclarations. Ce mode de faire et cette attitude de la ville avaient pour conséquence de renchérir le coût de la construction, de retarder la création de nouveaux logements, d’utiliser les deniers publics à la promotion des vues politiques de certains dirigeants et encore de décourager les initiatives personnelles de propriétaires souhaitant construire de nouveaux logements par le biais de surélévations. La Collective de prévoyance-Copré avait perdu les loyers des locaux commerciaux en attique, libérés en prévision des travaux de surélévation, qui étaient ainsi retardés, et les loyers des logements à créer feraient l’objet d’un contrôle en application de la LDTR, de sorte que ce recours infondé, pour ne pas dire téméraire, avait pour conséquence de priver une fondation de prévoyance d’entrées financières importantes.

Elles s’opposaient à la requête de la ville sollicitant la remise de documents statistiques que devrait produire le département, alors que de tels documents n’étaient pas nécessaires. Le département avait, à juste titre, accordé une autorisation dérogatoire en application des art. 27 et 11 al. 4 LCI, par application implicite des let. c et d.

16. Le département a répondu le 1er octobre 2012 en concluant au rejet du recours, tous les griefs de la ville devant être écartés.

17. Invitées à déposer d’éventuelles observations au sujet de ces écritures, les intimées ont indiqué le 10 octobre 2012 qu’elles n’avaient rien à ajouter.

18. Quant à la ville, elle a répondu le 31 octobre 2012 en considérant qu’elle avait mis en évidence les contradictions du témoignage de M. De Marignac et en considérant comme inacceptable le procédé tendant à l’accuser d’avoir travesti les propos d’un témoin. Pour le surplus, elle confirmait son recours.

19. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 17A et 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La qualité pour recourir de la ville, fondée sur l’art. 145 al. 2 LCI, a déjà été admise dans ce type de procédures (ATA/70/2013 du 6 février 2013).

3. Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l'autorité de recours n'est pas possible, l'annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2 p. 197 ; ATA/276/2012 du 8 mai 2012 consid. 2 et arrêts cités). Sa portée est déterminée en premier lieu par le droit cantonal (art. 41 ss LPA) et le droit administratif spécial (ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51 et les arrêts cités). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) qui s’appliquent (T. TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 509 n. 1526 ; A. AUER / G. MALINVERNI / M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 2006, vol. 2, 2ème éd., p. 603 n. 1315 ss). Quant à l'art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), il n'accorde pas au justiciable de garanties plus étendues que celles découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. (Arrêt du Tribunal fédéral 6B_24/2010 du 20 mai 2010 consid. 1).

Tel qu’il est garanti par cette dernière disposition, le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 135 II 286 consid. 5.1. p. 293 ; ATA/276/2012 du 8 mai 2012 consid. 2 et les arrêts cités).

Le TAPI pouvait écarter le grief de violation du droit d’être entendu soulevé par la ville en raison du défaut de motivation du préavis de la CA et de la décision attaquée puisqu’il avait procédé à la requête de la recourante, de manière contradictoire, à l’audition d’un membre de la CA, qui a pu expliciter non seulement la pratique de cette dernière, mais également l’appréciation à laquelle elle s’était livrée dans le cas d’espèce.

Quant aux éléments statistiques dont la recourante sollicite la production dans le cadre de son recours du 27 août 2012 pour mettre en évidence les dérogations octroyées depuis 2005 par le département, ils sont sans pertinence aucune pour la solution du litige, ce d’autant qu’ils viseraient une période antérieure à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions.

Il ne sera donc pas fait droit à cette requête et le grief de violation du droit d’être entendu sera écarté.

4. L’immeuble 22bis, rue Lamartine se trouve en 3ème zone et il est contigu aux 2 bâtiments portant les nos 22 et 24, la demande de surélévation de 2 étages étant en force pour le premier (DD 103’256-1) et celle relative au second (DD 104’678-1) en cours d’instruction auprès du département.

La surélévation en cause est ainsi régie par les art. 26 et 27 LCI, l’al. 7 de cette dernière disposition étant identique à celle de l’art. 23 al. 7 LCI, toutes deux réservant l’application notamment des art. 10 et 11 LCI, dont la chambre de céans a ainsi déjà jugé qu’elles restaient applicables (ATA/718/2012 du 30 octobre 2012 ; ATA/385/2011 du 21 juin 2011, confirmé par Arrêt du Tribunal fédéral 1C_362/2011 du 14 février 2012).

5. Depuis le 22 avril 2008, l'art. 26 LCI a été modifié suite à l’adoption le 22 février 2008 par le Grand Conseil du PL 10’088.

Les alinéas 6 et 7 ont ainsi la teneur suivante :

« 6 La hauteur de la ligne verticale du gabarit ne peut dépasser nulle part 21 m (H £ 21). Afin de permettre la construction de logements supplémentaires au sens des alinéas 3 à 5, la hauteur de la ligne verticale du gabarit ne peut dépasser nulle part 27 m (H £ 27).

7 Les dispositions relatives à la protection du patrimoine, notamment les articles 89 et suivants de la présente loi, restent applicables, de même que celles des articles 10 et 11, des plans localisés de quartier au sens de la loi sur l'extension des voies de communication et l'aménagement des quartiers ou localités, du 9 mars 1929, et de la loi générale sur les zones de développement, du 29 juin 1957 ».

6. Sont communes aux quatre premières zones de construction notamment les dispositions relatives au calcul du gabarit (art. 35 LCI), au gabarit de toiture (art. 36 LCI), aux distances sur rue (art. 40 LCI), aux vides d'étages (art. 49 LCI) de même qu'à la surface des pièces (art. 52 LCI).

Comme l'a souligné le rapporteur de la commission d'aménagement du canton (Mémorial des séances du Grand Conseil 2007-2008/V A -3919), ledit PL 10’088, « issu des travaux d'un groupe de concertation largement représentatif, vise à modifier le gabarit applicable dans les zones 2 et 3. Ainsi, la hauteur maximale d'un immeuble pourra être supérieure d'un étage, soit de 3 mètres si la rue présente une largeur égale ou inférieure à 21 mètres en deuxième zone et à 24 mètres en troisième zone puis, progressivement jusqu'à 6 mètres au maximum, soit deux étages, si la rue est plus large. Les surélévations sont réservées à la création de logements supplémentaires et s'inscrivent dans la volonté de lutter contre la pénurie de logements qui sévit à Genève. Il s'agit, non seulement, de permettre dans les limites ci-dessus énoncées, la surélévation de bâtiments existants, mais aussi d'autoriser, lors de la construction de bâtiments neufs, des gabarits plus élevés de 3 à 6 mètres au maximum ».

7. Selon l'art. 11 al. 4 LCI, le département peut, après consultation de la CA, « autoriser un dépassement du gabarit prescrit par la loi lorsque les constructions prévues :

c) ne nuisent pas à l'harmonie de la silhouette de l'agglomération ni à la perception de sa topographie ;

d) se justifient par leur aspect esthétique et leur destination et sont compatibles avec le caractère, l'harmonie et l'aménagement du quartier.

L'article 4, alinéa 1, de la loi sur les commissions d'urbanisme et d'architecture, du 24 février 1961, est réservé ».

8. Le TAPI a admis - à juste titre - que le cumul des dépassements de gabarit prévu par les art. 11 et 27 al. 3 LCI (ATA/718/2012 précité) était possible.

En l’espèce, il est établi et non contesté que le gabarit prévu par le projet atteindra 27,02 m plus l’attique, soit 30,14 m au faîte du toit, comme cela résulte des plans visés ne varietur, dépassant ainsi le gabarit autorisé en vertu de l’art. 27 al. 5 LCI. Dès lors, le préavis de la CA devait être requis et il incombait à celle-ci d’établir un préavis plus explicite que celui, particulièrement laconique, émis le 8 février 2011, aux termes duquel elle s’est déclarée « d’accord pour la dérogation selon l’art. 11 LCI, vu la qualité du projet », sans même viser quelle condition, soit quelle lettre de l’al. 4 de l’art. 11 LCI elle considérait comme étant satisfaite. Après l’audition de M. De Marignac, il est permis de considérer que la CA a délivré la dérogation en application de l’art. 11 al. 4 let. c et d, mais comme cela a été rappelé dans l’ATA/718/2012 du 30 octobre 2012 cité ci-dessus, il lui incombera dorénavant de motiver ses préavis de manière détaillée et circonstanciée afin qu’il soit possible de comprendre les raisons ayant guidé son choix.

En l’espèce, elle a estimé que les 3 immeubles 22, 22bis et 24 ne formaient pas un ensemble, vraisemblablement au regard des art. 89 et ss LCI, cette question pouvant d’ailleurs demeurer ouverte. De plus, à partir du moment où ces 3 bâtiments sont destinés à être surélevés dans les mêmes proportions, la CA pouvait admettre que ces surélévations amélioreraient l’harmonie de ces 3 bâtiments et de la rue. L’autorisation DD 103’256-1, permettant la surélévation dans les mêmes proportions de l’immeuble contigu, sis 22, rue Lamartine, étant en force, le refus de celle querellée entraînerait la création d’une « dent creuse », ce qui, à n’en pas douter, nuirait à l’harmonie du quartier de manière certaine.

Par ailleurs, M. De Marignac a exposé que la CA avait tenu compte du fait qu’en face du bâtiment en cause, l’avenue Soret offrait un dégagement, de sorte qu’il n’y avait pas, vis-à-vis du 22bis, rue de Lamartine, un immeuble d’habitation obstruant la vue.

9. L’autorité administrative jouit d’un large pouvoir d’appréciation dans l’octroi de dérogations. Cependant, celles-ci ne peuvent être accordées ni refusées d’une manière arbitraire. Quant aux autorités de recours, elles doivent examiner avec retenue les décisions par lesquelles l’administration accorde ou refuse une dérogation et sont tenues de contrôler si une situation exceptionnelle justifie l’octroi de ladite dérogation, notamment si celle-ci répond aux buts généraux poursuivis par la loi, est commandée par l’intérêt public ou d’autres intérêts privés prépondérants ou encore si elle est exigée par le principe de l’égalité de traitement, sans être contraire à un intérêt public (ATF 117 Ia p. 146 et 147 consid. 4 ; ATA/718/2012 précité ; ATA/792/2004 du 19 octobre 2004 ; P. MOOR, Droit administratif, 1994, vol. I, 2ème éd., p. 376 et 379 n. 4’323).

Enfin, la ville, qui considère que des hauteurs de toiture allant crescendo, soit en escalier, seraient plus esthétiques ou plus harmonieuses, ne fait que substituer sa propre appréciation à celle de la CA, ce qu’elle n’a pas le pouvoir de faire, pas plus que le TAPI, contrairement à ce qu’elle soutient et contrairement surtout à la jurisprudence constante de la chambre de céans. Celle-ci observe toujours une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis, formées de spécialistes, pour autant que l’autorité suive, comme en l’espèce, l’avis de celles-ci (ATA/676/2006 du 19 décembre 2006 ; ATA/60/2004 du 20 janvier 2004).

10. Le recours sera donc rejeté. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la ville (art. 87 al. 1 LPA). La recourante devra s’acquitter en outre d’une indemnité de procédure de CHF 3'000.- au total, soit CHF 1'000.- pour chaque intimée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 août 2012 par la Ville de Genève contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 juin 2012 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de la Ville de Genève un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue à chacune des intimées une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à charge de la Ville de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à la Ville de Genève, à Me Philippe Cottier, avocat de la Collective de prévoyance-Copré, Domus Architecture S.A. et Immo-Passion S.A., au département de l’urbanisme, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :