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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3992/2020

ATA/278/2022 du 15.03.2022 sur JTAPI/1108/2021 ( LCI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3992/2020-LCI ATA/278/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 mars 2022

3ème section

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______

représentés par Me Didier Prétôt, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

et

Madame et Monsieur B______

représentés par Me Timo Sulc, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 novembre 2021 (JTAPI/1108/2021)


EN FAIT

1) Madame et Monsieur B______ sont propriétaires de la parcelle n° 7'041 de la commune de C______, située en zone 5, à l'adresse chemin D______, sur laquelle est érigée une villa contiguë.

2) Madame et Monsieur A______ sont propriétaires de la parcelle voisine n° 7'042 sur laquelle est érigée une villa contiguë à celle des époux B______.

3) En date du 20 août 2020, les époux B______ ont déposé, par l'intermédiaire de leur architecte, une demande d'autorisation de construire auprès du département du territoire (ci-après : DT ou le département), visant l'agrandissement et la rénovation de leur villa, la construction d'un garage, d'un abri de jardin et d'une piscine.

4) Lors de l'instruction de la requête, toutes les instances de préavis sollicitées se sont prononcées favorablement, certaines moyennant le respect de conditions.

5) En particulier, la commission d'architecture (ci-après : CA), dans son préavis du 31 août 2020, a sollicité des modifications dès lors que le projet diminuait de manière trop importante la surface végétale. L'emprise de la terrasse devait être réduite.

6) Le 24 septembre 2020, l’architecte a transmis au département des plans modifiés, sur lesquels notamment la terrasse avait été réduite de 35 m2.

7) Sur cette base, la CA a émis, le 2 octobre 2020, un préavis favorable, sans observations.

8) Par décision du 28 octobre 2020, le département a délivré l'autorisation sollicitée (APA 309'361).

9) Le 26 novembre 2020, les époux A______ ont saisi le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) d'un recours contre cette décision, concluant à son annulation.

Le projet d'agrandissement impliquait la construction d'un mur en limite de propriété d'une hauteur de 4.5 m et d'une longueur de 10 m qui nuirait à l'harmonie architecturale des deux maisons mitoyennes et réduirait l'ensoleillement dans leur salon, particulièrement en hiver. Il aurait été préférable que les requérants agrandissent leur maison du côté sud de leur jardin, comme eux-mêmes l'avaient fait du côté nord de leur parcelle.

Cet agrandissement aurait un impact négatif de plusieurs centaines de milliers de francs sur la valeur de leur maison.

10) En date du 20 janvier 2021, les époux B______ ont conclu au rejet du recours. Préalablement, ils ont sollicité le retrait de l'effet suspensif.

Le retard dans l'exécution des travaux les obligerait à continuer à louer leur appartement actuel pour de nombreux mois, tout en devant payer les charges immobilières de leur nouvel immeuble qui devait leur servir de logement familial dès la fin des travaux. Ils subissaient donc un grave préjudice. Par ailleurs, le recours des époux A______ était dépourvu de chances de succès.

En invoquant l'art. 679 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) et une prétendue moins-value de CHF 500'000.- de leur bien qui serait causée par l'agrandissement litigieux, les époux A______ faisaient valoir des prétentions de droit civil que le TAPI n'avait pas la compétence de traiter.

L'agrandissement projeté au sud-est, soit le prolongement du rez-de-chaussée de 4.12 m vers le jardin sur une hauteur moyenne de 4 m, n'entraînerait pas une absence d'ensoleillement sur leur immeuble, ce qu'ils étaient dans l'impossibilité de démontrer.

Les époux A______ n'apportaient aucun élément démontrant que le département aurait abusé de son pouvoir d'appréciation en accordant l'autorisation de construire sur la base du préavis favorable de la CA.

11) Le 28 janvier 2021, le département a conclu au rejet du recours.

Dans la mesure où la CA était tenue de vérifier l’aspect architectural des constructions ainsi que leur intégration dans le quartier et s’était prononcée favorablement, après avoir demandé une modification de projet, il devait en être déduit que l’agrandissement contesté ne portait pas atteinte à l’harmonie architecturale des constructions et du quartier. L'agrandissement contesté ne constituait pas un mur en tant que tel, mais une extension ou, plus précisément, un décrochement de la maison existante.

Pour ce qui était de l’ensoleillement, en l’absence de quantification et de document étayant la perte alléguée, le reproche des époux A______ ne satisfaisait pas aux exigences posées par la jurisprudence.

Pour autant que le grief relatif à la perte de valeur de leur bien soit recevable, il ne pouvait être admis, une construction courante en zone villas et conforme à celle-ci n’étant pas susceptible d’engendrer une moins-value des fonds voisins.

12) Par décision du 4 février 2021, le TAPI a rejeté la requête de levée de l’effet suspensif au recours.

13) À l'appui de leur réplique du 15 mars 2021, les époux A______ ont produit une étude de perte d’ensoleillement réalisée par le bureau d’architecte E______ à Genève, datée du 12 mars 2021. Cette étude démontrait qu’aux équinoxes, le projet réduirait pendant plus de deux heures l’ensoleillement de leur salon et, pour les autres périodes de l'année, jusqu’à quatre heures. En hiver, leur salon se transformerait « en cave » du fait du peu de dégagement et de lumière dont il disposerait, ce qui constituait un inconvénient grave au sens de l’art. 14 al. 1 let. a de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Compte tenu de l’impact négatif du projet sur la valeur de leur maison, la décision querellée n’était pas admissible sous l’angle de la garantie constitutionnelle du droit de la propriété.

La CA avait préavisé favorablement le projet sur la base d’un dossier incomplet et en méconnaissant le caractère contigu de la construction. L’autorisation querellée n’étant aucunement motivée à ce sujet, il pouvait en être déduit que cette question n’avait pas été examinée soigneusement. Le département avait agi de manière arbitraire en autorisant le projet querellé.

14) Le département, dans une duplique du 29 mars 2021, a relevé que sur la base de l’étude produite par les époux A______, ce n’était de loin pas la totalité de leur habitation qui subirait une perte de l’ensoleillement. Sa durée n’était manifestement pas supérieure à celle considérée comme acceptable.

L’argument relatif à l’absence de mention ou de plan relatif à la contiguïté tombait à faux, dès lors que cette précision figurait expressément sur le préavis favorable de la CA et que la maison mitoyenne était représentée sur la quasi-totalité des plans.

15) Les époux B______, dans leur duplique du 6 avril 2021, ont contesté la valeur probante de l’étude d’ensoleillement produite, laquelle était viciée tant d’un point de vue de la méthodologie que des données utilisées. Elle contenait de nombreuses erreurs et ne permettait pas de déterminer quelles données ou cotes avaient été utilisées pour modéliser les visuels 3D. Elle pouvait avoir été réalisée sur la base de plans ne faisant pas partie de l’autorisation de construire querellée. Cette étude ne prouvait pas une perte d’ensoleillement totale de plus de deux heures aux équinoxes. Selon l’analyse de leur architecte, les époux A______ ne subiraient qu’une perte de moins de 10 % de la fenêtre de leur salon aux équinoxes. Cette pièce continuerait donc de disposer de suffisamment de lumière au cours de l’ensemble de l’année.

Faute de pouvoir démontrer que leur propriété subirait un inconvénient grave, c’était à tort que les époux A______ invoquaient un droit constitutionnel.

Le caractère contigu de la construction ressortait tant des plans que du descriptif du projet. Le dossier étant complet et les préavis favorables n’ayant pas à être motivés, c’était sans arbitraire que le département avait accordé l’autorisation querellée.

Ils ont notamment produit une étude d’impact sur l’ensoleillement établie par le bureau F______, datée du 30 mars 2021, ainsi qu’un courrier daté du 6 avril 2021 adressé au bureau E______, énumérant les « anomalies » relevées dans son rapport du 12 mars 2021.

16) Par courrier du 19 avril 2021, les époux A______ ont indiqué vouloir produire un nouveau rapport d’ensoleillement.

17) Par courrier du 27 avril 2021, les époux B______ ont demandé au TAPI de condamner les époux A______ au paiement d’une amende sur la base de l’art. 88 al.1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

18) Le 29 avril 2021, le TAPI a informé les parties qu’il n’accepterait plus d’écritures.

19) Le 3 mai 2021, les époux A______ ont produit une nouvelle étude de perte d’ensoleillement réalisée par le bureau G______ à H______ (France) - sur le même modèle que la précédente étude -, datée du 30 avril 2021.

20) Par jugement du 3 novembre 2021, le TAPI a rejeté le recours.

Les époux A______ ne pouvaient valablement se prévaloir d'un inconvénient grave en lien avec le projet de construction querellé.

Celui-ci devait prendre place dans une zone qui permettait la construction projetée, de sorte que les voisins devaient en principe souffrir une diminution d'ensoleillement de leur parcelle. La première étude produite était écartée de la procédure dans la mesure où ils en avaient déposé une seconde la remplaçant, à la suite des observations formulées par les époux B______ dans leur duplique du 6 avril 2021.

Cette seconde étude, du 30 avril 2021, faisait état d’une perte d’ensoleillement sur la façade Sud-Est de la villa des époux A______ de 29,6 % par jour en moyenne pour les mois de décembre et janvier. À teneur du graphique « Perte ou gain d’ensoleillement journalier absolus » présenté en page 7, cette perte équivalait quotidiennement à -0,37 heures, soit 22 minutes environ. Ainsi, ils n'établissaient pas que cette perte serait de plus de deux heures par jour, ni qu’elle recouvrirait la totalité de leur habitation.

L'étude déposée par les époux B______ établissait que l’ombre portée par leur projet recouvrirait 10 % au maximum d’une fenêtre située au rez-de-chaussée pendant 2-3 heures aux équinoxes. Pour le solstice d’hiver, l'ombre serait causée pendant 2-3 heures sur la majorité de la fenêtre en question et environ une heure sur son intégralité.

Ainsi, la perte d’ensoleillement causée par le projet litigieux demeurait dans les limites posées par la jurisprudence, étant par ailleurs relevé qu'elle n'avait d'impact que sur une fenêtre du rez-de-chaussée, façade sud-est, donnant sur l’espace séjour/salle à manger des époux A______ selon les plans produits, lequel disposait encore de trois grandes ouvertures, non touchées par l’agrandissement querellé.

Le grief d'une diminution de la valeur de leur bien-fonds ne pouvait être admis, s’agissant d’une question de droit privé, exorbitante à l’objet du litige, étant en outre rappelé qu’une construction conforme aux prescriptions de la zone, comme en l’espèce, n’était pas susceptible de causer une perte de valeur au fond voisin.

La CA, instance spécialisée en matière d’architecture et d’urbanisme, après avoir sollicité une modification du projet, avait rendu le 2 octobre 2020 un préavis favorable sans observation, n’émettant en particulier aucune réserve concernant une quelconque incompatibilité du projet avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, étant précisé qu’un tel préavis n’avait pas à être motivé. Au surplus, tous les autres préavis étaient favorables.

Le caractère contigu des constructions ressortait clairement de la description de l’objet de l’APA, mentionné en entête de chaque préavis. De plus, tous les plans de l’autorisation comportaient la maison des époux A______, permettant ainsi d’apprécier l’intégration du projet dans son contexte. La critique formulée par ces derniers s’agissant d'un dossier d’autorisation incomplet tombait ainsi à faux.

Au surplus, les époux A______ ne démontraient pas en quoi le préavis de la CA serait insoutenable ou encore fondé sur des considérations étrangères aux buts de protection de la loi.

Dans ces circonstances, il ne pouvait être retenu que le département aurait accordé l’autorisation litigieuse de manière arbitraire.

21) Les époux A______ ont formé recours contre ce jugement par actes expédiés à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), personnellement le 3 décembre 2021, respectivement via leur conseil le 6 décembre 2021. Ils ont conclu à l'annulation dudit jugement, de même qu'à celle de l'autorisation de construire du 28 octobre 2020.

Le TAPI avait excédé son pouvoir d'appréciation dans l'application des normes de la LCI et constaté les faits de manière erronée. Le simple critère quantitatif de la perte d'ensoleillement dans les jours d'hiver ne suffisait pas pour une appréciation adéquate de l'existence d'un inconvénient grave au sens de l'art. 14 al. 1 LCI. Le TAPI avait versé dans l'arbitraire en retenant que la clause d'esthétique de l'art. 15 LCI avait été respectée.

La question de l'ensoleillement devait être examinée par l'autorité avec un large pouvoir d'appréciation, en tenant compte des circonstances du cas. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le critère de deux heures n'avait pas une portée absolue et ne constituait pas à lui seul un élément décisif. L'impact dû à une perte d'ensoleillement ne s'appréciait pas de la même manière pour une pièce de vie ou une chambre à coucher par exemple. Il fallait y ajouter la localisation de l'immeuble, élément jusque-là négligé tant par la jurisprudence que la doctrine, alors que l'effet n'était notablement pas le même que l'on se trouve « à Crans-Montana, Lugano, Porrentruy ou Genève ». Or, l'ensoleillement quotidien moyen en hiver à Genève n'était que de 1,5 heure en décembre et de 2 heures en janvier. Ainsi, seule la perte en pourcentage d'ensoleillement devait guider l'autorité soit dans le cas concret, pour ces deux mois, de 29,6 % au minimum par jour, ce qui était énorme au vu du peu de soleil dont bénéficiait Genève durant cette période. Il s'agissait en l'espèce, la pièce de vie principale étant concernée, d'un inconvénient grave au sens de l'art. 14 al. 1 let. a LCI.

En lien avec l'art. 15 LCI et la particularité de constructions contigües, ils persistaient à soutenir que le projet litigieux n'avait pas été apprécié dans son intégration dans le contexte actuel. Un simple coup d'œil sur les simulations produites suffisait à constater qu'il romprait les symétries d'un quartier existant depuis un certain temps et serait d'une esthétique plus que douteuse. Le TAPI avait apprécié les faits de manière arbitraire en ne prenant pas ce facteur en considération.

22) Les époux B______ ont conclu le 6 janvier 2022 au rejet du recours, une manœuvre dilatoire pour faire échec à tout prix à leur projet, ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Ils revenaient sur le raisonnement, incompréhensible et en tout état infondé, des époux A______ quant à la perte d'ensoleillement alléguée, relevant notamment que Genève bénéficiait d'un ensoleillement meilleur que Berne et Zurich, cantons appliquant pourtant également les critères retenus par le Tribunal fédéral.

Les époux A______ formulaient des griefs en lien avec les art. 15 et 59 al. 3 LCI aussi vagues et généraux que leur compréhension des critères devant être appliqués en l'espèce.

23) Le département a conclu, le 11 janvier 2022, au rejet du recours.

Le TAPI avait à juste titre tenu compte non seulement du critère des deux heures de perte d'ensoleillement, qui n'était à lui seul pas décisif, mais également des circonstances du cas d'espèce, à savoir que la perte ne concernait pas la totalité de l'habitation des époux A______, ni même de la pièce concernée qui disposait de plusieurs ouvertures exclues de la perte d'ensoleillement, constats que ceux-ci ne remettaient pas en cause. Même à prendre en considération un pourcentage de perte d'ensoleillement, élément qui n'avait jamais été retenu par la jurisprudence, cela ne modifierait pas le constat du TAPI relatif à l'unique pièce concernée et aux autres apports de lumière dont elle disposait.

Les époux A______ ne remettaient pas en cause les éléments factuels qui avaient permis au TAPI de constater que le département et les instances de préavis, dont la CA, disposaient des informations nécessaires à analyser l'intégration du projet dans son contexte.

24) Le époux A______ n'ont pas fait usage de leur droit à la réplique.

25) Les parties ont été informées, le 22 février 2022, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) a. En vertu de l'art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b al. 1) ; les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi, non réalisée en l'espèce (let. b al. 2).

b. Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3). Il y a excès du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité dépasse le cadre de ses pouvoirs. En outre, celle-ci doit exercer son libre pouvoir d’appréciation conformément au droit, ce qui signifie qu’elle doit respecter le but dans lequel un tel pouvoir lui a été conféré, procéder à un examen complet de toutes les circonstances pertinentes, user de critères transparents et objectifs, ne pas commettre d’inégalité de traitement et appliquer le principe de la proportionnalité. Si elle ne respecte pas ces principes, elle abuse de son pouvoir (ATA/827/2018 précité consid. 2b ; ATA/845/2015 précité consid. 2b ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3ème éd., 2012, p. 743 ss et les références citées).

c. Une décision est arbitraire lorsqu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. L’arbitraire ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu’elle serait préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 128 I 177consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4P.149/2000 du 2 avril 2001 consid. 2 et les arrêts cités).

d. Selon une jurisprudence bien établie, chaque fois que l'autorité inférieure suit les préavis requis, la juridiction de recours doit s'imposer une certaine retenue, qui est fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/284/2016 du 5 avril 2016 consid. 7c ; ATA/109/2008 du 11 mars 2008 consid. 4 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 508 et la jurisprudence citée). Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/284/2016 précité consid. 7c ; ATA/51/2013 du 29 janvier 2013 consid. 5d).

3) Les recourants soutiennent que le projet querellé serait source d'un inconvénient majeur sous la forme d'une perte d'ensoleillement sur leur parcelle.

a. Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de préciser qu’en s’inspirant de la réglementation existante, une perte d’ensoleillement pour les bâtiments environnants due à une ombre qui recouvre la totalité de l’habitation ou du bien-fonds voisin, de deux heures au maximum, à l’équinoxe ou un jour moyen d’hiver était, en principe, admissible. Toutefois, la question devait être examinée par l’autorité avec un large pouvoir d’examen, compte tenu des circonstances locales. Le critère de deux heures ne saurait au surplus avoir une portée absolue et constituer à lui seul l’élément décisif (ATF 100 Ia 334 consid. 9b et 9d). Le Tribunal fédéral a également indiqué que dans la mesure où la construction projetée respectait les prescriptions applicables à la zone (indice d’utilisation du sol, gabarit, distances aux limites, etc.), il n'existait pas de droit du voisin à voir sa parcelle ensoleillée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_582/2012 du 9 juillet 2013 consid. 4.3).

b. La chambre de céans a précisé qu’en l’absence de réglementation cantonale en la matière, un inconvénient grave peut exister au sens de l’art. 14 al. 1 let. a LCI lorsque les nouvelles constructions occasionnent sur celles existantes une absence d'ensoleillement supplémentaire de deux heures, cette mesure étant prise par rapport à la date des équinoxes. Une perte plus importante est néanmoins admissible en fonction de l'intérêt public lié à la nouvelle construction (ATA/789/2002 du 10 décembre 2002). Il convient de noter que cette jurisprudence ne permet de tenir compte des ombres portées que sur les constructions déjà existantes, et non sur les bien-fonds sur lesquels elles se trouvent (ATA/684/2002 du 12 novembre 2002). Dans leur principe, ces règles jurisprudentielles sont applicables à toutes les zones (ATA/636/2015 du 16 juin 2015 ATA/1103/2021 du 19 octobre 2021).

Dans l'ATA/514/2018 du 29 mai 2018, la chambre administrative a considéré que la perte d'ensoleillement causée par un projet de surélévation, qui s'élevait au maximum, pour l'un des quatre bâtiments concernés, à 2,4 heures par jour en moyenne, n'était pas d'une amplitude permettant de considérer qu'il s'agissait d'un inconvénient grave au sens de l'art. 14 let. a LCI. Dans ce cas, il s’agissait d'immeubles construits du côté nord d'un îlot qui subissaient déjà l'ombre portée des bâtiments sis le long de la rue du Stand. Par ailleurs, la construction respectait les gabarits et distances, hormis celle découlant des limites de parcelles qui étaient uniquement liées au découpage de celles-ci (consid. 5).

c. Le Tribunal fédéral a encore précisé que toute projection d'ombre ne saurait constituer une atteinte à la propriété et qu’il appartenait dès lors à l'intéressé d'apporter la preuve du fait qu’il alléguait et, en particulier de quantifier la perte d'ensoleillement subie, puisqu'il tentait d'en déduire un droit (arrêt du Tribunal fédéral 1C_582/2012 du 9 juillet 2013 consid. 3.2).

d. En l'espèce, il ne figure au dossier aucune expertise sur cette problématique particulière d'ensoleillement, mais des études produites par les recourants et les intimés. Celle des recourants, datée du 30 avril 2021, fait état d’une perte d’ensoleillement sur la façade sud-est de la villa de 29,6 % par jour en moyenne pour les mois de décembre et janvier. À teneur du graphique « Perte ou gain d’ensoleillement journalier absolus » présenté en page 7, cette perte équivaut quotidiennement à -0,37 heures, soit 22 minutes environ. Les recourants ne remettent pas en cause que cette étude ne démontre nullement une perte d'ensoleillement quotidienne de plus de 2 heures par jour, ni qu’elle concernerait la totalité de leur villa.

L'étude produite par les recourants fait état d'une ombre induite par leur projet recouvrant 10 % au maximum d’une fenêtre située au rez-de-chaussée pendant 2-3 heures aux équinoxes. Pour le solstice d’hiver, l'ombre serait projetée pendant 2-3 heures sur la majorité de la fenêtre en question et environ 1 heure sur son intégralité. Cette étude s'avère plus favorable aux recourants dont le raisonnement sur une prise en considération du pourcentage de perte d'ensoleillement ne trouve aucun appui dans la loi ni dans la jurisprudence, ce qu'ils concèdent.

Les recourants ne remettent pas en cause le constat du TAPI selon lequel la perte d'ensoleillement n'aura d'impact que sur la plus petite fenêtre du rez-de-chaussée, façade sud-est, donnant sur leur espace séjour salle à manger après agrandissement, bien visible sur la photo figurant en p. 3 de l'étude du 30 avril 2021, et selon les plans produits. Cette pièce à vivre dispose de trois grandes ouvertures, non touchées par l’agrandissement querellé.

On peine à comprendre ensuite dans quelle mesure l'impact d'une perte d'ensoleillement devrait s'apprécier différemment à Genève, Berne ou Zurich.

Il sera enfin rappelé que le projet se trouve dans une zone qui permet la construction projetée, de sorte que les voisins doivent en principe souffrir une diminution d'ensoleillement de leur parcelle. Celle-ci, étant d’ailleurs limitée, elle ne saurait constituer un inconvénient grave pour les recourants.

Ce grief sera donc écarté.

4) Les recourants soutiennent que le projet litigieux n'aurait pas été apprécié dans son intégration dans le contexte. Ils se plaignent d'une violation de l’art. 15 LCI ; le TAPI aurait versé dans l'arbitraire.

a. L'art. 15 LCI dispose que le département peut interdire ou n'autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou son aspect extérieur nuirait au caractère ou à l'intérêt d'un quartier, d'une rue ou d'un chemin, d'un site naturel ou de points de vue accessibles au public (al. 1). La décision du département se fonde notamment sur le préavis de la CA ou, pour les objets qui sont de son ressort, sur celui de la CMNS. Elle tient compte également, le cas échéant, de ceux émis par la commune ou les services compétents du département (al. 2).

La clause d'esthétique de l'art. 15 LCI fait appel à des notions juridiques imprécises ou indéterminées, dont le contenu varie selon les conceptions subjectives de celui qui les interprète et selon les circonstances de chaque cas d'espèce ; ces notions laissent à l'autorité une certaine latitude de jugement. Lorsqu'elle estime que l'autorité inférieure est mieux en mesure d'attribuer à une notion juridique indéterminée un sens approprié au cas à juger, l'autorité de recours s'impose alors une certaine retenue. Il en va ainsi lorsque l'interprétation de la norme juridique indéterminée fait appel à des connaissances spécialisées ou particulières en matière de comportement, de technique, en matière économique, de subventions et d'utilisation du sol, notamment en ce qui concerne l'esthétique des constructions (ATA/1274/2017 du 12 septembre 2017 consid. 6 et la jurisprudence citée).

L'art. 15 LCI reconnaît au département un large pouvoir d'appréciation. Ce dernier n'est limité que par l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (ATA/1065/2018 du 9 octobre 2018 consid. 3e et la référence citée).

b. Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_476/2015 du 3 août 2016, consid. 4.3.1). Ils n'ont qu'un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l'autorité reste ainsi libre de s'en écarter pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur (ATA/1157/2018 du 30 octobre 2018 et les références citées). Toutefois, lorsqu'un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/873/2018 du 28 août 2018 et les références citées).

Cependant, la délivrance d'autorisations de construire demeure de la compétence exclusive du département, à qui il appartient de statuer en tenant compte de tous les intérêts en présence (ATA/1273/2017 du 12 septembre 2017 et les références citées).

c. Aux termes de l'art. 4 al. 1 loi sur les commissions d’urbanisme et d’architecture du 24 février 1961 (LCUA - L 1 55), la CA est consultative ; sous réserve des projets d'importance mineure et de ceux qui font l'objet d'un préavis de la CMNS, elle donne son avis en matière architecturale au département, lorsqu'elle en est requise par ce dernier, sur les projets faisant l'objet d'une requête en autorisation de construire.

d. Dans sa jurisprudence relative aux préavis de la CA, la chambre de céans a retenu qu'un préavis favorable n'a en principe pas besoin d'être motivé (ATA/1299/2019 du 27 août 2019 consid. 4 ; ATA/414/2017 du 11 avril 2017 confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 1C_297/2017 du 6 décembre 2017 consid. 3.4.2).

5) En l’espèce, les recourants ne sauraient être suivis lorsqu'ils soutiennent qu'en particulier la CA, dont le second préavis, du 12 octobre 2020, est favorable, sans observation, n'aurait pas pris en compte le caractère contigu des villas en cause. Cet aspect ressort en effet expressément dudit préavis au niveau de la description de l'objet, à savoir « agrandissement et rénovation d'une villa contiguë [ ] », de même que de l'extrait du plan cadastral et des divers plans au dossier.

Il ne peut être dit que la CA n'aurait pas examiné le projet dans son contexte puisqu'au terme de son premier préavis, elle a requis une diminution de la surface de la terrasse projetée. Par ailleurs et comme déjà relevé, il ressort de la photo figurant dans l'étude d'ensoleillement du mois d'avril 2021 que la villa des recourants a connu un agrandissement considérable, de sorte qu'il leur est difficile de soutenir valablement que dans le cas de l'agrandissement prévu par les intimés, la contiguïté des villas en cause et l'environnement dans lequel les immeubles sont situés, la clause d'esthétique serait violée, alors que tel n'aurait pas été le cas pour l'extension de la leur.

Ainsi, il ne découle pas du dossier que le département, en suivant notamment le préavis favorable de la CA, qui n'a pas besoin d'être motivé, aurait abusé de son pouvoir d'appréciation, étant rappelé que comme déjà exposé (supra consid. 2 d) la chambre de céans s’impose une certaine retenue lorsque l’autorité a suivi les préavis des commissions spécialisées.

Infondé, le recours sera rejeté.

6) Vu son issue, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA), de même qu'une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, en faveur des époux B______, solidairement entre eux, qui y ont conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 décembre 2021 par Madame et Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 novembre 2021 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge solidaire de Madame et Monsieur A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à Madame et Monsieur B______, solidairement entre eux, à la charge solidaire de Madame et Monsieur A______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Didier Prétôt, avocat des recourants, au département du territoire, à Me Timo Sulc, avocat des intimés, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Krauskopf et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :