Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2692/2021

ATA/1284/2021 du 23.11.2021 ( LAVI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2692/2021-LAVI ATA/1284/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 novembre 2021

2ème section

 

dans la cause

 

Mineur A______
représenté par Me Vincent Spira, avocat

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ (ci-après : A______), né le ______ 2017, a été victime le 26 juillet 2017 d’un traumatisme violent (coup avec un objet ou chute provoquée) infligé par sa mère, Mme B______.

A______ a été amené le même jour par ses parents aux urgences pédiatriques des Hôpitaux universitaires genevois (ci-après : HUG), où les médecins, qui n’avaient pas été informés du traumatisme subi, ont suspecté une méningite et procédé à une ponction lombaire, après laquelle l’état de conscience de A______ s’est détérioré et a conduit à son admission au bloc opératoire, où un scanner a mis en évidence un hématome cérébral massif consécutif à une fracture du crâne.

2) Le 10 janvier 2020, le Tribunal correctionnel a déclaré Mme B______ coupable de lésions corporelles simples (art. 123 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0), d’exposition (art. 127 CP) et de lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 1 et 2 CP) et l’a condamnée à une peine privative de liberté de deux ans assortie du sursis, a renoncé à ordonner son expulsion de Suisse et l’a condamnée à verser à A______ la somme de CHF 80'000.- au titre de la réparation de son tort moral au sens de l’art. 47 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220).

Selon les experts, les lésions avaient été causées par un geste d’une certaine violence, comme de projeter l’enfant à terre ou contre un mur, ou par une chute d’une certaine hauteur, comme par exemple d’un balcon haut de 3 m. Elles remontaient de quelques minutes à quelques heures avant l’admission aux HUG. Les jours de A______ avaient concrètement été mis en danger. Il était beaucoup plus probable que la ponction lombaire ait causé les lésions permanentes et durables dont souffrait A______ que le seul traumatisme subi.

A______ avait subi une craniotomie et un drainage de l’hématome. Il présentait une encéphalopathie post-ischémique, soit une lésion du cerveau consécutive à un manque d’apport de sang, associée à une spasticité des quatre membres. Il était sorti des HUG à fin novembre 2017 et avait été pris en charge par l’institut C______. Il avait progressé sur le plan cognitif mais demeurait limité dans ses possibilités motrices (peu de motricité volontaire, pas de station autonome assise ni debout, troubles du tonus musculaire pouvant entraîner des rétractations, probable problème de déglutition, frustrations résultant d’un écart entre les possibilités cognitives et motrices).

Le jugement est entré en force.

3) Le 25 mai 2020, Me Vincent SPIRA, agissant en qualité de curateur de A______, a déposé une demande d’indemnisation auprès de l’instance d’indemnisation LAVI (ci-après : l’instance d’indemnisation).

Mme B______ avait volontairement et dans son propre intérêt dissimulé au personnel du service des urgences pédiatriques des HUG qu’elle avait infligé un coup violent sur la tête de son fils ou qu’elle l’avait projeté sur une surface dure, de sorte que les médecins avaient suspecté une méningite et procédé à une ponction lombaire, laquelle était médicalement contre-indiquée lors d’un traumatisme crânien, laquelle avait péjoré l’état neurologique de A______.

A______ souffrait de séquelles graves et importantes, durables et pour certaines irréversibles, soit notamment une encéphalopathie post-ischémique associée à une spasticité des quatre membres, une hypotonie du tronc et une hypertonie des membres. Il existait par ailleurs un gros décalage entre l’atteinte motrice et son niveau cognitif. A______ présentait un trouble persistant du tonus avec des difficultés de préhension de la main droite. Il n’avait pas encore acquis de coordination bimanuelle. Il se déplaçait à quatre pattes et ne pouvait se déplacer debout qu’avec un soutien. Il n’avait pas acquis de station assise ou debout indépendante et devait porter des attelles lorsqu’il était debout. L’atteinte motrice aurait pour conséquence de limiter sa mobilité tout au long de sa vie et des moyens auxiliaires (fauteuil roulant, déambulateur, attelles) seraient nécessaires, le pronostic d’une marche autonome demeurant réservé.

A______ ne pourrait jamais avoir l’enfance insouciante et épanouie des autres enfants de son âge, ni même une enfance normale. Il serait limité dans ses jeux et loisirs, ne se sentirait jamais comme les autres et cette situation aurait inévitablement un impact sur sa vie sociale. Son équilibre psychologique demeurait incertain. Il serait restreint dans le choix et l’exercice d’une profession. Il nécessiterait un suivi médical ainsi qu’une assistance durant toute sa vie et ne serait ni ne se sentirait jamais entièrement indépendant.

Mme B______ était assistée par l’Hospice général et ne serait pas en mesure de verser CHF 80'000.- à son fils. Une indemnité de CHF 80'000.- devait être octroyée à ce dernier par l’instance d’indemnisation.

4) Le 2 juillet 2020, l’instance d’indemnisation a entendu Me Inès FRENCH, excusant Me SPIRA.

La situation de A______ n’avait pas tellement évolué depuis son entrée à C______. Il ne pouvait se tenir assis ni debout et avait besoin d’assistance permanente. Sur le plan cognitif, il réalisait que les choses n’étaient pas normales. Les pronostics des médecins étaient peu encourageants : il ne pourrait probablement pas marcher sans moyens auxiliaires. Il suivait des thérapies pour soulager les douleurs mais les séquelles semblaient irréversibles. Sa mère lui rendait visite à C______. On ne savait toujours pas s’il s’agissait d’un acte volontaire ou pas de sa part. Elle n’avait rien admis par rapport à sa volonté de faire du mal à son enfant mais le juge pénal l’avait reconnue coupable. Elle ne présentait pas de problèmes psychologiques.

5) Le 21 janvier 2021, l’instance d’indemnisation a entendu la Dre D______, médecin consultant de C______.

A______ présentait une atteinte motrice des quatre membres, le bras gauche étant moins touché. Il pouvait s’appuyer sur son bras droit mais n’avait presque pas de préhension de la main droite. Il pouvait prendre des objets et s’alimenter avec la main gauche. À bientôt quatre ans, il était autonome pour ce qui était de manger et de boire, comme un enfant de son âge. Il était capable de dessiner avec quelques détails. La motricité n’était pas parfaite. Il avait une spasticité du membre inférieur et aurait des attelles et recevrait peut-être des injections de botox. Il se développait comme un enfant de son âge. Pour le langage, certains aspects étaient en dessous de la norme. Il ne comprenait pas très bien les phrases complexes, notamment avec des relatives. Il était à l’école toute la journée. Il allait en garderie une demi-journée par semaine et était bien intégré avec les autres enfants. Il pouvait s’exprimer verbalement avec des phrases simples et communiquer par pictogrammes. Il n’avait pas de problèmes de communication. Il était désormais capable de se déplacer à quatre pattes, alors qu’à son âge il devait normalement pouvoir marcher. Il aurait bientôt un rollateur postérieur pour l’aider à marcher. À plus long terme, le neurologue pourrait indiquer s’il y aurait un espoir qu’il marche un jour. Il passait ses journées à C______ et rentrait le soir à la maison. C’était un enfant très curieux et avide d’apprendre, très actif sur le plan intellectuel et qui avait de l’humour. On pouvait imaginer qu’il suivrait une scolarité ordinaire avec l’accompagnement d’un éducateur. On ne pouvait faire de pronostic pour le futur, mais il paraissait qu’il pourrait développer ses fonctions intellectuelles malgré son handicap physique. Il ne manifestait pas de symptômes de tristesse mais avait plutôt envie d’apprendre et de progresser.

6) Par ordonnance du 1er juillet 2021, l’instance d’indemnisation a alloué à A______ la somme de CHF 40'000.- à titre de réparation du tort moral.

Les agissements dénoncés avaient eu de graves répercussions sur la vie de A______, qui souffrait désormais d’une paralysie cérébrale avec une atteinte spastique des quatre membres et avait dû être placé au centre de jour de la fondation C______. Le pronostic d’une marche autonome était réservé et il aurait besoin de moyens auxiliaires pour se déplacer. Il ne présentait pas de difficultés majeures sur le plan cognitif et du langage, il était doté d’un excellent éveil cognitif, d’une appétence communicative d’un intérêt exploratoire.

7) Par acte remis au guichet le 18 août 2021, Me SPIRA a recouru pour le compte de A______ auprès de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce que la somme de CHF 70'000.- soit octroyée à son pupille.

L’autorité avait excédé son pouvoir d’appréciation. La décision attaquée n’expliquait pas en quoi la situation de A______, pourtant particulièrement tragique, ne fondait pas une réparation morale aussi élevée que ce que permettait la loi et ce que recommandait l’office fédéral de la justice. Elle n’indiquait pas si l’atteinte était grave et justifiait une indemnité allant de CHF 20'000.- à CHF 50'000.-, ou gravissime et justifiait une indemnité allant de CHF 50'000.- à CHF 70'000.-. Le Tribunal correctionnel avait fixé l’indemnité pour tort moral à CHF 80'000.-. Il était choquant que la décision tire argument du développement normal sur le plan cognitif et du langage pour « contraster » la gravité de l’atteinte et réduire l’indemnité allouée.

8) Le 26 août 2021, l’instance d’indemnisation s’est rapportée aux considérants de sa décision.

9) Le 31 août 2021, le curateur de A______ a indiqué qu’il n’avait, dans ces conditions, aucune réplique à communiquer.

10) Le 2 septembre 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 19 de la loi d’application de la LAVI du 11 février 2011 - LaLAVI - J 4 10 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b) ; les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

Le recourant reproche à l’instance d’indemnisation d’avoir excédé son pouvoir d’appréciation et violé la loi.

b. La loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (loi sur l’aide aux victimes, LAVI - RS 312.5) est entrée en vigueur le 1er janvier 2009, abrogeant la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 4 octobre 1991 (aLAVI).

La LAVI révisée poursuit le même objectif que l'aLAVI, à savoir assurer aux victimes une réparation effective et suffisante dans un délai raisonnable (Message du Conseil fédéral concernant l’aLAVI du 25 avril 1990, FF 1990 II p. 909 ss, not. 923 ss ; ATF 134 II 308 consid. 5.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_571/2011 du 26 juin 2012 consid. 4.2). Elle maintient notamment les trois
« piliers » de l'aide aux victimes, soit les conseils, les droits dans la procédure pénale et l'indemnisation, y compris la réparation morale (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6701).

À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVI, toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle a droit au soutien prévu par la loi.

b. Selon l'art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l'atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 CO s'appliquent par analogie. La réparation morale constitue désormais un droit (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6742).

Le système d'indemnisation instauré par la LAVI et financé par la collectivité publique n'en demeure pas moins subsidiaire par rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation que la victime possède déjà (art. 4 LAVI ;
ATF 131 II 121 consid. 2 ; 123 II 425 consid. 4b/bb). Les prestations versées par des tiers à titre de réparation morale doivent être déduites du montant alloué par l’instance LAVI (art. 23 al. 3 LAVI). La victime doit ainsi rendre vraisemblable qu’elle ne peut rien recevoir de tiers ou qu’elle ne peut en recevoir que des montants insuffisants (ATF 125 II 169 consid. 2cc p. 175).

La LAVI prévoit un montant maximum pour les indemnités, arrêté à CHF 70'000.- pour la réparation morale à la victime elle-même (art. 23 al. 2
let. a LAVI). Le législateur n'a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle a subi (ATF 131 II 121 consid. 2.2 ; 129 II 312 consid. 2.3 ; 125 II 169 consid. 2b/aa). Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une allocation ex aequo et bono (arrêt du Tribunal fédéral 1C_48/2011 du 15 juin 2011 consid. 3 ; ATA/973/2015 précité consid. 4c ; ATA/699/2014 précité consid. 4c).

La LAVI prévoit un plafonnement des indemnisations pour tort moral, laissant une large liberté d’appréciation au juge pour déterminer une somme équitable dans les limites de ce cadre (ATF 117 II 60 ; 116 II 299 consid. 5a).

La chambre administrative se fonde sur la jurisprudence rendue en la matière, et, vu le renvoi opéré par l’art. 22 al. 1 LAVI, sur la jurisprudence rendue en matière d’indemnisation du tort moral sur la base de l’art. 49 CO (SJ 2003 II p. 7) ou, le cas échéant, l’art. 47 CO, étant précisé que, au sens de cette disposition, des souffrances psychiques équivalent à des lésions corporelles (arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2012 du 10 juillet 2012). Le système d’indemnisation du tort moral prévu par la LAVI répond à l’idée d’une prestation d’assistance et non pas à celle d’une responsabilité de l’État ; la jurisprudence a ainsi rappelé que l’utilisation des critères du droit privé est en principe justifiée, mais que l’instance LAVI peut au besoin s’en écarter (ATF 129 II 312 consid 2.3 ; 128 II 49 consid. 4.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_244/2015 du 7 août 2015 consid. 4.1) ou même refuser le versement d’une réparation morale. Une réduction du montant de l’indemnité LAVI par rapport à celle octroyée selon le droit privé peut en particulier résulter du fait que la première ne peut pas tenir compte des circonstances propres à l’auteur de l’infraction (ATF 132 II 117 consid. 2.2.4 et 2.4.3).

L’ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l’atteinte – ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle-ci, quoique grave, peut n’avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances – et de la possibilité d’adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d’une somme d’argent (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 129 IV 22 consid. 7.2 ; 115 II 158 consid. 2).

Sa détermination relève du pouvoir d’appréciation du juge. En raison de sa nature, elle échappe à toute fixation selon des critères mathématiques (ATF 117 II 60 consid. 4a/aa et les références citées). L’indemnité pour tort moral est destinée à réparer un dommage qui, par sa nature même, ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d’argent. C’est pourquoi son évaluation chiffrée ne saurait excéder certaines limites. Néanmoins, l’indemnité allouée doit être équitable. Le juge en proportionnera donc le montant à la gravité de l’atteinte subie et il évitera que la somme accordée n’apparaisse dérisoire à la victime. S’il s’inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles (ATF 129 IV 22 consid. 7.2 ; 125 III 269 consid. 2a ; 118 II 410 consid. 2a).

c. Selon le Conseil fédéral, les montants alloués sont calculés selon une échelle dégressive indépendante des montants accordés habituellement en droit civil, même si ceux-ci peuvent servir à déterminer quels types d’atteintes donnent lieu à l’octroi des montants les plus élevés. La fourchette des montants à disposition est plus étroite qu'en droit civil, les montants les plus élevés devant être réservés aux cas les plus graves, sans quoi il ne serait pas possible de traiter différemment des situations différentes, ce qui serait contraire au principe de l'égalité de traitement. Pour la victime, Les montants proches du plafond sont à réserver aux cas les plus graves, qui coïncident en règle générale avec une invalidité à 100 %. Les montants attribués pour des atteintes à l’intégrité corporelle pourraient dès lors se situer dans les ordres de grandeur suivants : de CHF 55'000.- à CHF 70'000.- lorsque la mobilité et/ou les fonctions intellectuelles et sociales sont très fortement réduites (par ex. tétraplégie) ; de CHF 40'000.- à CHF 55'000.- lorsque la mobilité et/ou les fonctions intellectuelles et sociales sont fortement réduites (par ex. paraplégie, cécité ou surdité totale) ; de CHF 20'000.- à CHF 40'000.- en cas de mobilité réduite, de perte d’une fonction ou d’un organe importants (par ex. hémiplégie, perte d’un bras ou d’une jambe, atteinte très grave et douloureuse à la colonne vertébrale, perte des organes génitaux ou de la capacité de reproduction, grave défiguration) ; moins de CHF 20'000.- en cas d’atteintes de gravité moindre (par ex. perte du nez, d’un doigt, de l’odorat ou du goût (FF 2005 6683 pp. 6745 et 6746).

Ces montants ont été repris dans les directives de l'office fédéral de la justice (ci-après : OFJ), à savoir le Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale à titre d'aide aux victimes d'infractions à l'intention des autorités cantonales en charge de l'octroi de la réparation morale à titre de LAVI, rédigé en octobre 2008 (ci-après : le guide). Ce guide a été entièrement remanié et s'intitule désormais « Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale selon la LAVI » du 3 octobre 2019 (accessible à l’adresse https://www.bj.admin.ch/bj/fr/ home/aktuell/news/2019/2019-10-03.html). Selon celui-ci, une indemnité de CHF 20'000.- à CHF 50'000.- correspond à des atteintes corporelles graves avec séquelles permanentes et traumatisme psychique sévère dus à des actes d’une violence exceptionnelle, comme par exemple des cicatrices aliénantes, un traumatisme crânien sévère, la perte d’un œil, d’un bras ou d’une jambe, des lésions critiques et douloureuses de la colonne vertébrale ou la perte de l’ouïe. Une indemnité de CHF 50'000.- à CHF 70'000.- est allouée pour des atteintes corporelles gravissimes entraînant une incapacité de travail permanente, comme par exemple une tétraplégie, des lésions cérébrales gravissimes ou la perte des deux yeux (p. 9). Sont pris en compte pour la fixation du montant, au titre des conséquences directes de l’acte, l’intensité, l’ampleur et la durée des séquelles physiques (douleurs, opérations, cicatrices), l’intensité, l’ampleur et la durée des séquelles psychiques, la durée du traitement, du séjour à l’hôpital ou de la psychothérapie, la durée de l’incapacité de travail, la mise en danger de la vie et la durée de persistance de ce danger, l’altération considérable du mode de vie, les conséquences sur la vie privée ou professionnelle la situation de dépendance. Au titre du déroulement de l’acte et de ses circonstances, sont pris en compte la cruauté, l’utilisation d’armes ou d’objets dangereux, l’ampleur et l’intensité de la violence, la durée et la fréquence de l’acte, la période durant laquelle il a été commis, la commission regroupe, la commission dans un cadre protégé (logements, lieu de travail, foyer, etc.) ainsi que les pressions sur la victime pour la forcer à garder le secret. La situation de la victime est également prise en compte, sous l’angle de l’âge, en particulier lorsqu’elle est mineure, de sa vulnérabilité particulière (par exemple handicap psychique ou cognitif) ou encore de la relation de confiance ou de dépendance entre elle et l’auteur (p. 10).

Ces directives ne sauraient certes lier les autorités d'application. Toutefois, dans la mesure où elles concrétisent une réduction des indemnités LAVI par rapport aux sommes allouées selon les art. 47 et 49 CO, elles correspondent en principe à la volonté du législateur et constituent une référence permettant d'assurer une certaine égalité de traitement, tant que le Conseil fédéral n'impose pas de tarif en application de l'art. 45 al. 3 LAVI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_583/2016 précité consid. 4.3). Dans un souci d'application uniforme et équitable de la loi, il peut être tenu compte des recommandations qui y sont mentionnées (ATA/595/2020 du 16 juin 2020 consid. 8b).

d. Constitue un abus du pouvoir d’appréciation le cas où l’autorité reste dans le cadre fixé par la loi, mais se fonde toutefois sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 ; ATA/1276/2018 du 27 novembre 2018 consid. 4d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 515). Il y a excès du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité dépasse le cadre de ses pouvoirs. En outre, celle-ci doit exercer son libre pouvoir d’appréciation conformément au droit, ce qui signifie qu’elle doit respecter le but dans lequel un tel pouvoir lui a été conféré, procéder à un examen complet de toutes les circonstances pertinentes, user de critères transparents et objectifs, ne pas commettre d’inégalité de traitement et appliquer le principe de la proportionnalité. Si elle ne respecte pas ces principes, elle abuse de son pouvoir (ATA/827/2018 précité consid. 2b ; ATA/845/2015 précité consid. 2b ; Pierre MOOR/ Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3ème éd., 2012, p. 743 ss et les références citées).

e. En l’espèce, il ressort des informations les plus récentes communiquées par la Dre D______ que A______ a subi une atteinte motrice des quatre membres, le bras gauche étant moins touché, et peut s’appuyer sur son bras droit mais n’a presque pas de préhension de la main droite. Il peut toutefois prendre des objets et s’alimenter avec la main gauche, est autonome pour ce qui est de manger et de boire et capable de dessiner avec quelques détails. Sa motricité n’est pas parfaite et il souffre d’une spasticité du membre inférieur ; il aura des attelles et recevra peut-être des injections de botox. Il se développe toutefois comme un enfant de son âge. Pour le langage, certains aspects sont certes en dessous de la norme et il ne comprend pas très bien les phrases complexes, notamment avec des relatives. Cependant, il est bien intégré avec les autres enfants et peut s’exprimer verbalement avec des phrases simples et communiquer par pictogrammes. Il n’a pas de problèmes de communication. Il est capable de se déplacer à quatre pattes, et à plus long terme, le neurologue pourra indiquer s’il y a un espoir qu’il marche un jour. Surtout, A______ est un enfant très curieux et avide d’apprendre, très actif sur le plan intellectuel et qui a de l’humour. Selon la Dre D______, on pouvait envisager qu’il suivra une scolarité ordinaire avec l’accompagnement d’un éducateur. On ne peut faire de pronostic pour le futur, mais il semble selon elle qu’il pourra développer ses fonctions intellectuelles malgré son handicap physique. Il ne manifestait pas de symptômes de tristesse mais avait plutôt envie d’apprendre et de progresser.

Les atteintes subies par A______ sont certes graves. Elles n’atteignent toutefois pas le degré des atteintes gravissimes entraînant une incapacité de travail permanente et justifiant l’adoption de la fourchette la plus élevée des indemnisations. Par ailleurs, A______ présente sans doute des séquelles permanentes, mais il ne ressort pas de la procédure et son curateur ne soutient pas, qu’il subit un traumatisme psychique sévère ni que l’acte qu’il a subi relève d’une violence si exceptionnelle au sens de la jurisprudence.

L’indemnisation correspond ainsi à la fourchette de CHF 20'000.- à CHF 50'000.-, sans toutefois que les circonstances les plus graves propres à
celle-ci ne soient toutes réunies.

En fixant l’indemnité à CHF 40'000.-, l’instance d’indemnisation a tenu compte de manière appropriée du fait que A______ ne présentait pas de difficulté majeure sur le plan cognitif, mais était doté d’un excellent éveil cognitif, d’une appétence communicative et d’un intérêt exploratoire. Elle n’a commis ni excès ni abus de son pouvoir d’appréciation.

Contrairement à ce que soutient le recourant, l’instance d’indemnisation a motivé la fixation de l’indemnité par la prise en compte de ces circonstances moins tragiques, de sorte qu’il se comprend qu’elle a choisi la fourchette de CHF 20'000.- à CHF 50'000.- et à l’intérieur de celle-ci tenu compte des circonstances pour arrêter ex aequo et bono l’indemnité à CHF 40'000.-.

L’autorité n’a ainsi commis ni excès ni abus de son pouvoir d’appréciation en fixant l’indemnité.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

3) La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera prélevé (art. 30 al. 1 LAVI et 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant vu le rejet de son recours (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 août 2021 par le mineur A______ représenté par son curateur, Me Vincent Spira, contre la décision de l’instance d’indemnisation LAVI du 1er juillet 2021 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au mineur A______, pour lui son curateur Me Vincent Spira, à l'instance d'indemnisation LAVI ainsi qu’à l’office fédéral de la justice.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Krauskopf et Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :