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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2420/2021

ATA/1191/2021 du 09.11.2021 ( NAT ) , REJETE

Recours TF déposé le 09.12.2021, rendu le 07.01.2022, IRRECEVABLE, 1D_6/2021
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2420/2021-NAT ATA/1191/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 novembre 2021

 

dans la cause

 

Mme A______

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS



EN FAIT

1) Mme A_______, née le ______ 1977, de nationalité B_______, a déposé le 4 mai 2017 un questionnaire relatif à la procédure de naturalisation ordinaire auprès du secteur naturalisation de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM).

Dans un autre formulaire reçu par l’OCPM le 31 décembre 2017, Mme A_______ a indiqué être arrivée en Suisse suite au mariage, son conjoint s’appelant C_______, né le ______ 1971, de nationalité suisse, le mariage ayant eu lieu le 13 août 2016 à D_______. Elle indiquait également exercer la profession de taxatrice à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC).

Elle a produit à l’appui de sa demande de naturalisation plusieurs documents, notamment une attestation du test de validation des connaissances d’histoire, de géographie et des institutions suisses et genevoises, un courrier du 14 juin 2017 du secteur naturalisations, des documents concernant les impôts de son couple selon lesquels ils avaient versé pour les impôts cantonaux et communaux 2016 (ci-après : ICC 2016) une somme de CHF 5'353.55 et pour l’impôt fédéral direct 2016 (ci-après : IFD 2016) une somme de CHF 176.-, une attestation de l’AFC du 19 décembre 2017 mentionnant une somme de CHF 7'240.- d’acomptes non versés, un arrangement ayant été accordé aux époux qui devaient verser la somme de CHF 550.- par mois de décembre 2017 à fin août 2018.

Selon un extrait des poursuites au 31 décembre 2017, Mme A_______ faisait l’objet de quatorze poursuites et trois actes de défaut de biens après saisie, le premier datant du 10 décembre 2001 et les deux autres de 2006. Quant à ses poursuites, la première datait du 27 novembre 2012 et la dernière du 12 septembre 2017. Ces poursuites totalisaient plus de CHF 19'000.- et les actes de défaut de biens plus de CHF 5'500.-. Une attestation de l’Université Ouvrière de Genève mentionnait que Mme A_______ avait un niveau de français oral supérieur à celui requis en vue de l’obtention de la naturalisation.

2) Par décision du 13 juillet 2018, le secteur naturalisations de l’OCPM a refusé d’engager la procédure de naturalisation de Mme A_______ aux motifs que son dossier ne comportait pas les documents suivants :

- attestation de l’administration fiscale certifiant l’acquittement intégral de ses impôts ;

- attestation de l’office des poursuites certifiant l’absence de poursuites en force et d’actes de défaut de biens des cinq dernières années.

3) Le 13 août 2018, Mme A_______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), contre cette décision concluant à son annulation.

4) Par arrêt du 5 novembre 2019, la chambre administrative a admis le recours, annulé la décision de l’OCPM du 13 juillet 2018 et renvoyé la cause à cet office pour traitement et éventuelle instruction complémentaire et le cas échéant, transmission au Conseil d’État pour décision.

Si l’instruction des conditions de l’art. 12 de la loi sur la nationalité genevoise du 13 mars 1992 (LNat - A 4 05) appartenait à l’OCPM, l’appréciation de la réalisation de ces critères relevaient de la compétence du Conseil d'État qui devait statuer sur les demandes de naturalisations (art. 18 LNat et 21 du règlement d’application de la loi sur la nationalité genevoise ; RNat - A 4 05.01).

5) Suite à cet arrêt, l’OCPM a procédé à l’instruction de la demande de naturalisation ordinaire de Mme A_______ avec effet rétroactif au 31 décembre 2017.

6) Le 26 novembre 2020, Mme A_______ a été auditionnée par une enquêtrice de l’OCPM par visio-conférence. Selon le rapport d’enquête portant sur cette audition, la candidate devait à l’AFC la somme de CHF 587.40 pour l’ICC 2018 et CHF 2'041.75 pour l’ICC 2019. Selon une attestation de l’office des poursuites et faillites du 8 janvier 2020, elle faisait l’objet de poursuites pour un montant total de CHF 35'800.-. Par ailleurs, il n’y avait rien à signaler concernant le respect de l’ordre juridique suisse. Son casier judiciaire était vierge. Elle parlait parfaitement le français et avait tout naturellement tissé un réseau d’amitiés.

Concernant le domaine « sens civique », le rapport exposait que, questionnée à ce sujet, la candidate n’avait pas été capable de dire sur quoi porteraient les prochaines votations du 29 novembre 2020 (dimanche suivant l’interrogatoire). Sur les sujets de septembre 2020, elle avait répondu que le peuple avait voté sur Schengen et les frontières sans pouvoir développer le sujet et qu’elle avait oublié tous les autres sujets. Questionnée au sujet du système démocratique suisse et de ses particularités, la seule réponse de la candidate avait été l’évocation des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire). Sur le point de savoir qui représentait ces pouvoirs au niveau fédéral, elle avait répondu que c’étaient les cantons. Selon l’enquêtrice, la candidate n’avait pas pu démontrer un sens civique suffisant ou du moins une préparation à l’entretien. Pour ce motif, l’enquêtrice a émis un préavis défavorable et proposé la mise en suspens de la demande de naturalisation de Mme A_______.

7) S’étant plainte directement auprès du Conseiller d’État en charge du département de la sécurité, de l’emploi et de la santé par courrier du 26 novembre 2020, en faisant part de ses doléances quant au traitement de sa demande de naturalisation et de l’intention de l’OCPM de prononcer une décision de mise en suspens, Mme A_______ a été à nouveau entendue par vidéo-conférence le 29 janvier 2021. Elle a alors demandé que son dossier ne soit pas mis en suspens mais directement soumis au Conseil d’État pour décision. Elle a réitéré cette volonté par un courriel du 19 mars 2021 au service des naturalisations. Elle a allégué être à jour avec ses paiements d’impôts. Concernant ses dettes, elle a expliqué être à jour dans le paiement de son assurance-maladie et avoir conclu un arrangement pour les factures antérieures cumulées jusqu’en juin 2021.

8) Par décision du 14 juin 2021, l’OCPM a déclaré suspendre l’instruction de la demande de naturalisation de Mme A_______ jusqu’au 13 juin 2024 au maximum, afin de lui permettre de combler les carences constatées. Il s’agissait d’une part de régler les poursuites dont elle faisait encore l’objet, soit pour les cinq dernières années quatre oppositions pour un montant de CHF 9'171.10, onze poursuites pour un montant de CHF 19'063.53 et un commandement de payer de CHF 226.95, soit un montant total de CHF 28'461.58, étant précisé que pendant les vingt dernières années, elle avait fait l’objet de soixante-six actes de défaut de biens suite à saisie non éteints pour un montant total de CHF 101'907.81.

Concernant son intérêt civique, elle devait améliorer ses connaissances, notamment au sujet des votations récentes et du système démocratique suisse.

9) Par acte déposé le 14 juillet 2021, Mme A_______ a recouru auprès de la chambre administrative contre la décision de l’OCPM du 14 juin 2021. Elle en a demandé l’annulation.

Bien que l’autorité lui ait donné trois ans pour combler les carences constatées, elle n’arriverait pas à rembourser ses dettes, du moment que son mari et son fils étaient à la recherche d’un emploi. Elle avait pu terminer le 30 juin 2021 son arrangement de paiement avec sa caisse-maladie mais ne pouvait pas éteindre les autres dettes, de sorte qu’elle était obligée de signer des arrangements. Par ailleurs, le commandement de payer de CHF 219.- avait été réglé. Elle s’interrogeait sur la logique de faire passer aux candidats un test, notamment sur les institutions suisses et genevoises, alors qu’elle avait déjà passé avec succès un test avec un taux de réussite de 40 sur 45 portant sur les institutions suisses et par la suite, les mêmes questions lui avaient été posées.

10) Le 8 septembre 2021, l’OCPM a conclu au rejet du recours. Contrairement à une décision de refus de naturalisation, la décision de mise en suspens ne mettait pas définitivement fin à la procédure. La recourante avait donc la possibilité d’améliorer ses carences d’intégration au cours des trois prochaines années, tant concernant sa réputation financière que son sens civique. Elle pourrait en tout temps demander la reprise de la procédure si elle estimait qu’elle avait dans l’intervalle comblé ses carences. Quant à l’évaluation du sens civique lors de l’entretien de naturalisation, elle ne se rapportait pas aux connaissances théoriques sur le système suisse, qui étaient effectivement évaluées lors du test des connaissances générales préalable, mais sur l’intérêt personnel que le candidat portait à la vie politique et sociétale en Suisse, notamment à Genève et dans sa commune de résidence. Il s’agissait là de questions concrètes portant sur les membres du gouvernement cantonal, le nom du maire de la commune de résidence ou des thèmes de société débattus dans les médias ou les récentes votations. Au vu des réponses données par la recourante lors de l’entretien du 26 novembre 2020, l’enquêtrice en avait déduit qu’elle se désintéressait de la vie politique suisse, de sorte qu’elle n’avait pas un sens civique assez développé pour utiliser par la suite de manière adéquate son statut de ressortissante suisse, notamment au niveau de la participation au processus politique.

11) Le 6 octobre 2021, Mme A_______ a persisté dans ses conclusions. Il lui était impossible de rembourser l’intégralité de ses dettes. Elle se félicitait d’avoir pu régler les problèmes avec sa caisse-maladie et d’avoir payé la somme du seul commandement de payer en sa possession. Il était compliqué de trouver un arrangement avec tous les créanciers et cela prendrait du temps. Concernant l’entretien du 26 novembre 2020, elle s’en voulait beaucoup mais cela pouvait arriver à tout le monde. Elle avait par ailleurs perdu son petit frère le 19 février 2020 et avait accumulé pas mal de stress.

12) La cause a été gardée à juger le 12 octobre 2021.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le présent litige porte sur la conformité au droit de la suspension de la procédure de naturalisation, décidée par le secteur naturalisations de l'OCPM le 14 juin 2021, au motif que la recourante n’avait pas réglé la totalité de ses dettes et n’avait pas démontré un intérêt civique suffisant.

3) S'agissant du droit applicable à la présente affaire, l'art. 50 al. 1 de la loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN - RS 141.0) dispose que l'acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s'est produit. Les demandes déposées avant l'entrée en vigueur de ladite loi sont traitées conformément aux dispositions de l'ancien droit jusqu'à ce qu'une décision soit rendue (art. 50 al. 2 LN).

La demande de naturalisation de l’intéressée ayant été reçue par l'autorité compétente à fin décembre 2017, soit avant l'entrée en vigueur de la nouvelle LN, elle doit être traitée en application de l'ancien droit.

4) En matière de naturalisation (ordinaire) des étrangers par les cantons, la Confédération édicte des dispositions minimales et octroie l'autorisation de naturalisation (art. 38 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101). Elle dispose d'une compétence concurrente à celle des cantons. Une réinterprétation de cette disposition constitutionnelle a conduit à admettre que la compétence dont dispose la Confédération lui permet de fixer des principes et, ainsi, de prévoir dans la loi des conditions dites « maximales », que les cantons sont tenus de respecter et qu'ils ne peuvent outrepasser.

Les dispositions de l'aLN contenant des conditions formelles et matérielles minimales en matière de naturalisation ordinaire, les cantons peuvent définir des exigences concrètes en matière de résidence et d'aptitude supplémentaires, en respectant toutefois le droit supérieur, pour autant qu'ils n'entravent pas l'application du droit fédéral, par exemple en posant des exigences élevées au point de compliquer inutilement la naturalisation ou de la rendre tout simplement impossible (ATF 139 I 169 consid. 6.3 ; 138 I 305 consid. 1.4.3 ; 138 I 242 consid. 5.3 ; ATA/417/2016 précité consid. 5a).

Bien que ni le droit fédéral ni le droit cantonal n'accordent en principe aux candidats étrangers un droit subjectif à la naturalisation, il n'en reste pas moins que les procédures et les décisions de naturalisation doivent respecter les droits fondamentaux et que ce respect peut en principe être contrôlé par les tribunaux (ATA/179/2013 du 19 mars 2013 consid. 6 et les références citées).

5) En vertu de l'art. 29 al. 1 Cst., toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable. Selon le Tribunal fédéral, le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 135 I 6 consid. 2.1 ; 130 V 177 consid. 5.4.1). L'excès de formalisme peut résider dans la règle de comportement qui est imposée au plaideur ou dans la sanction qui est attachée à cette règle (ATF 132 I 249
consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_145/2014 du 1er mai 2014 consid. 3.1).

En tant que tel, le respect des règles de procédure est indispensable pour assurer l'égalité devant la loi et la sécurité du droit. Le principe postule une sorte d'application du principe de la proportionnalité, sous l'angle de l'exigence d'un rapport raisonnable entre le but poursuivi et les moyens employés à cette
fin (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, Les droits fondamentaux, 3ème éd., 2013, n. 1316). Dans l'exercice de ses compétences, toute autorité administrative est tenue de respecter le principe de la proportionnalité découlant des art. 5 al. 2 et 36
al. 3 Cst., qui commande que la mesure étatique en cause soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu'elle soit dans un rapport raisonnable avec l'atteinte aux droits des particuliers qu'elle entraîne (ATF 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 140 II 194 consid. 5.8.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8D_1/2014 du 4 février 2015
consid. 5.3.2 ; ATA/1285/2015 du 1er décembre 2015 consid. 3e).

6) De jurisprudence constante, la chambre administrative est habilitée à revoir, à titre préjudiciel et à l'occasion de l'examen d'un cas concret, la conformité des normes de droit cantonal au droit fédéral (ATA/319/2018 du 10 avril 2018 consid. 6a et les arrêts cités ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3ème éd., 2012, p. 345 ss n. 2.7.3). Cette compétence découle du principe de la primauté du droit fédéral sur le droit des cantons, ancré à l'art. 49 al. 1 Cst. (ATF 138 I 410 consid. 3.1 ; ATA/614/2017 du 30 mai 2017 consid. 4). D'une manière générale, les lois cantonales ne doivent rien contenir de contraire à la Cst., aux lois et ordonnances du droit fédéral (ATF 141 V 455 consid. 6.1 p. 462 et l'arrêt cité ; ATA/43/2016 du 19 janvier 2016 et les arrêts cités ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 1, 3ème éd., 2013, p. 786 ss
n. 2337 ss). Le contrôle préjudiciel permet de déceler et de sanctionner la violation par une loi ou une ordonnance cantonale des droits garantis aux citoyens par le droit supérieur. Toutefois, dans le cadre d'un contrôle concret, seule la décision d'application de la norme viciée peut être annulée (ATA/1200/2017 du 22 août 2017 consid. 6a ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., p. 352 ss n. 2.7.4.2).

7) Dans la procédure ordinaire de naturalisation, la nationalité suisse s'acquiert par la naturalisation dans un canton et une commune (art. 12 al. 1 aLN). Elle implique pour le candidat l'obtention d'une autorisation fédérale de naturalisation délivrée par l'office compétent (art. 12 al. 2 aLN) et l'octroi de la naturalisation cantonale et communale par les autorités cantonales et communales, en fonction des conditions et des règles de procédure déterminées par la législation du canton concerné (art. 15a al. 1 aLN).

Selon la jurisprudence, toutes les conditions de naturalisation doivent être remplies tant au moment du dépôt de la demande que lors de la délivrance de la décision de naturalisation (ATF 140 II 65 consid. 2.1 ; 128 II 97 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_454/2017 du 16 mai 2018 consid. 4.2).

8) Au niveau fédéral, les conditions de la naturalisation sont énoncées aux art. 14 (conditions d'aptitude, matérielles) et 15 (conditions de résidence, formelles) aLN. Aux termes de l'art. 14 aLN, pour obtenir la nationalité suisse, l'étranger doit en particulier s'être intégré dans la communauté suisse (let. a), s'être accoutumé au mode de vie et aux usages suisses (let. b), se conformer à l'ordre juridique suisse (let. c) et ne pas compromettre la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (let. d).

a. Selon le Message du Conseil fédéral du 26 août 1987 concernant la révision de la loi sur la nationalité du 23 mars 1990 (FF 1987 III 285, 296), le candidat à la naturalisation doit avoir bonne réputation en matière pénale et en matière de poursuites et faillites. De plus, son comportement lors de l'exercice de ses droits et de l'accomplissement de ses devoirs doit pouvoir être pris en compte. D'après le Message du Conseil fédéral du 4 mars 2011 concernant la révision totale de la loi fédérale sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse (FF 2011 2639, 2647), le respect de l'ordre juridique comprend notamment le respect de décisions des autorités et l'observation des obligations de droit public ou des engagements privés (par exemple, absence de poursuites ou de dettes fiscales, paiement ponctuel des pensions alimentaires).

b. Dans le domaine de la nationalité, le secrétariat d'État aux migrations
(ci-après : SEM) a établi le « Manuel sur la nationalité pour les demandes jusqu'au 31.12.2017 » (ci-après : Manuel ; consultable sur internet à l'adresse « https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/publiservice/weisungen-kreisschreiben/ buergerrecht.html »), qui est applicable ratione temporis en conformité avec l'art. 50 LN et dont la chambre de céans, bien qu'elle n'y soit pas liée, peut tenir compte au titre de l'expression d'une pratique (ATA/269/2019 du 19 mars 2019 consid. 6i et les références citées). Le chapitre 4 du Manuel porte sur les conditions générales et les critères de naturalisation (ci-après : chapitre 4 du Manuel). Concernant la condition de l'aptitude à la naturalisation, les critères matériels sont généralement identiques pour l'ensemble des modes de naturalisation (ex : le respect de l'ordre juridique ou l'absence de menace pour la sûreté intérieure ou extérieure) ou au moins comparables (ex : intégration selon l'art. 14 aLN pour la naturalisation ordinaire et intégration selon l'art. 26 aLN pour la naturalisation facilitée ; chapitre 4 du Manuel, p. 3).

Le terme d'intégration comprend une vaste gamme de critères, parmi lesquels figure la conformité à l'ordre juridique suisse. Dans chaque cas, il est indispensable de procéder à une évaluation générale de la situation en matière d'intégration, en tenant compte de la situation personnelle du requérant, notamment aussi de facteurs tels que l'âge, la formation, les handicaps, etc. Les conditions d'intégration requises sont en règle générale examinées lors d'un entretien entre le requérant et l'autorité compétente pour la naturalisation. Certains cantons exigent la passation de tests de langue et de naturalisation (chapitre 4 du Manuel, p. 24). Dans le cadre d'une naturalisation ordinaire, la vérification de l'intégration incombe largement aux cantons, de sorte que le rôle de la Confédération se limite fondamentalement à vérifier si le requérant se conforme à l'ordre juridique suisse et s'il ne compromet pas la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (chapitre 4 du Manuel, p. 26). S'agissant de la conformité à la législation suisse, applicable tant pour la naturalisation ordinaire que la naturalisation facilitée, il s'agit, d'après la pratique, d'un critère se référant tant à la situation en matière de droit pénal qu'à la réputation financière (chapitre 4 du Manuel, p. 34). Une réputation financière exemplaire inclut, selon le SEM, l'absence d'actes de défaut de biens et de poursuites, mais aussi la satisfaction aux obligations fiscales à l'égard de la collectivité (chapitre 4 du Manuel, p. 40).

c. Dans une affaire concernant une réglementation du canton de Bâle-Ville, selon laquelle une personne n'est pas intégrée si entre autres elle ne respecte pas ses obligations financières, le Tribunal fédéral a rejeté le recours constitutionnel subsidiaire d'un couple recourant contre le refus de leur demande de naturalisation ordinaire. Il n'était pas arbitraire, du point de vue du résultat, d'estimer que la condition de l'intégration n'était alors pas remplie. Toutefois, se baser uniquement sur des paiements ouverts ou des dettes non réglées – faisant l'objet de poursuites mais ne concernant pas des arriérés d'impôts – ne constituait pas un motif suffisant pour affirmer qu'il y avait non-respect de l'ordre juridique suisse (arrêt du Tribunal fédéral 1D_3/2012 du 29 avril 2013 consid. 2.6).

Dans une autre affaire, le Tribunal fédéral a confirmé le rejet d'une demande de naturalisation ordinaire par une commune vaudoise. Selon la loi cantonale, pour demander la naturalisation vaudoise, l'étranger doit entre autres, outre les conditions posées par le droit fédéral, « être prêt à remplir ses obligations publiques ». Lors du dépôt de sa demande, le requérant faisait l'objet de poursuites pour un montant de presque CHF 38'000.- et d'actes de défaut de biens à hauteur d'environ CHF 24'600.-. La juridiction cantonale avait également relevé qu'au vu des montants dus par l'intéressé à ses créanciers, l'autorité communale pouvait raisonnablement estimer que les conditions de la demande ne seraient pas remplies dans un délai d'un an au plus et renoncer à suspendre la procédure. Le refus de la naturalisation étant fondé sur le fait que l'intéressé avait des dettes qu'il n'établissait pas pouvoir honorer dans l'année qui suivait, le Tribunal fédéral a jugé que cette motivation n'était ni arbitraire ni discriminatoire (arrêt du Tribunal fédéral 1D_6/2016 du 5 janvier 2017 consid. 4).

D'après le Tribunal fédéral, lorsqu'il s'agit d'examiner l'intégration d'un candidat à la naturalisation, notamment son intégration locale, les autorités cantonales et communales bénéficient d'un large pouvoir d'appréciation dont la Haute Cour ne revoit l'exercice qu'avec retenue. Selon la jurisprudence, il ne se justifie toutefois pas de faire de l'intégration locale le seul critère d'intégration déterminant. Il est ainsi indispensable, dans chaque cas particulier, de procéder à une évaluation générale et d'examiner la réalisation de ces différents critères à la lumière de la situation personnelle et sociale du recourant (arrêt du Tribunal fédéral 1D_2/2017 du 22 mars 2017 consid. 3.1).

9) À Genève, le candidat à la naturalisation doit remplir les conditions fixées par le droit fédéral et celles fixées par le droit cantonal (art. 1 let. b de la loi sur la nationalité genevoise du 13 mars 1992 - LNat - A 4 05, dans sa teneur actuelle et dans sa teneur antérieure à la dernière modification législative entrée en vigueur le 4 avril 2018 - ci-après : aLNat). Selon l'art. 210 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), l'État facilite la naturalisation des personnes étrangères. La procédure est simple et rapide. Elle ne peut donner lieu qu'à un émolument destiné à la couverture des frais.

a. Le candidat doit notamment remplir les conditions d'aptitude prévues à l'art. 12 LNat, à savoir : avoir avec le canton des attaches qui témoignent de son adaptation au mode de vie genevois (let. a) ; respecter la sécurité et l'ordre publics (let. b ; cf. la teneur de l'art. 12 let. b aLNat : ne pas avoir été l'objet d'une ou de plusieurs condamnations révélant un réel mépris des lois) ; jouir d'une bonne réputation (let. c) ; avoir une situation permettant de subvenir à ses besoins et à ceux des membres de sa famille dont il a la charge (let. d) ; ne pas être, par sa faute ou par abus, à la charge des organismes responsables de l'assistance publique (let. e) ; s'être intégré dans la communauté genevoise et respecter les droits fondamentaux garantis par la Cst-GE.

Selon le rapport de la commission des droits politiques chargée d'étudier le projet de loi à l'origine de la LNat, la bonne réputation est le fait d'être honorablement connu de son entourage au sens large et dans la société. Elle se définit négativement comme « le fait d'avoir enfreint dans un passé récent, les lois régissant la vie des hommes en société, d'avoir heurté au mépris d'autrui les conceptions générales répandues, connues comme des valeurs, et formant la conscience juridique ou morale de la majorité de la population ». Un soin tout particulier est donc apporté à l'examen de la manière dont le candidat respecte les valeurs auxquelles la population est attachée (MGC 1992 9/I p. 934 citant un ATA du 4 février 1976 L.P. contre officier de police). L'autorité est ainsi amenée à prendre en considération les faits passés en vue de déterminer la réputation d'une personne (Céline GUTZWILLER, Droit de la nationalité et fédéralisme en Suisse, thèse, 2008, p. 244 ; ATA/179/2013 du 19 mars 2013 consid. 13).

En vertu de l'art. 54 al. 1 LNat, le Conseil d'État est chargé d'édicter le règlement d'application de la LNat.

b. Sous l'intitulé « Introduction de la requête », l'art. 11 RNat précise les documents qui doivent obligatoirement accompagner la demande de naturalisation (al. 1 à al. 5).

Parmi les documents obligatoires en vertu de l'art. 11 al. 1 RNat, figurent : une attestation de l'administration fiscale, datant de moins de trois mois, certifiant que le candidat a intégralement acquitté ses impôts (let. c) ; une attestation de l'office cantonal des poursuites, datant de moins de 3 mois, certifiant qu'il n'a fait l'objet d'aucune poursuite en force ni acte de défaut de biens dans les 5 ans
(let. d) ; un extrait du casier judiciaire central, datant de moins de 3 mois, ne comportant aucune condamnation révélant un réel mépris de nos lois (let. e).

À teneur de l'art. 11 al. 6 RNat, la procédure de naturalisation est engagée si : la durée du séjour répond aux normes fédérales et cantonales (let. a) ; tous les documents requis sont présentés (let. b) ; le candidat est au bénéfice d'un titre de séjour valable (let. c) ; le séjour en Suisse du candidat n'a pas subi d'interruption de fait de plus de six mois (let. d).

c. L'étranger adresse sa demande de naturalisation au Conseil d'État (art. 13 al. 1 LNat). Selon l'art. 14 al. 1 LNat, le Conseil d'État délègue au département chargé d'appliquer la loi la compétence de procéder à une enquête sur la personnalité du candidat et sur celle des membres de sa famille ; il s'assure notamment que les conditions fixées à l'art. 12 de la loi sont remplies. Le département de la sécurité, de l'emploi et de la santé est chargé de l'application de la LNat (art. 1 al. 1 RNat). Il délègue cette tâche au service cantonal des naturalisations sous réserve - in casu non pertinente - des attributions conférées au service état civil et légalisations (art. 1 al. 2 RNat).

Le département procède à l'enquête prescrite par la loi (art. 13 al. 1 RNat).

Une enquête sur la personnalité du candidat et les membres de sa famille est conduite par un enquêteur assermenté du département ou de la commune (art. 15 al. 1 RNat). L'enquête constate les aptitudes du candidat à se faire naturaliser (art. 15 al. 2 RNat).

L’accoutumance au mode de vie et aux usages suisses découlant de l’art. 14 let. b LN suppose certaines connaissances importantes sur le pays et les habitants pour pouvoir participer à la vie politique suisse, notamment aux votations en qualité de citoyen, des connaissances sur les fondements du système politique et social suisse sont nécessaires. Dès lors, une enquête concernant le sens civique pour s’assurer que le recourant pourra user de manière adéquate de son statut, en particulier des droits de participation au processus politique est nécessaire (ATF 137 I 235 consid. 3.1).

La procédure peut être suspendue par le département jusqu'à amélioration notoire des carences constatées lors de l'enquête (art. 13 al. 6 RNat).

10) En l’espèce, il résulte de la décision du 14 juin 2021 que les carences résultant de l’enquête menée au sujet de la recourante sont d’une part, les poursuites pour plusieurs milliers de francs dont elle fait encore l’objet et d’autre part, le manque d’intérêt civique résultant de ses réponses aux questions de l’enquêtrice lors de l’entretien du 26 novembre 2020. Dans son recours, la recourante ne remet pas en cause la réalité de ses carences, mais elle déplore le fait que sa bonne volonté à régler ses dettes n’ait pas été prise en compte. En effet, elle a pu rembourser intégralement sa caisse-maladie et se mettre à jour avec les paiements d’arriérés d’impôts. Par ailleurs, elle travaille actuellement comme taxatrice avec un salaire net de CHF 4'426.75 à 100 % (salaire 2020).

Il résulte de l’extrait du registre des poursuites versé à la procédure que la recourante a accumulé des actes de défaut de biens pour un total de CHF 101'907.80 pendant les derniers vingt ans, ce qui signifie que sa situation est obérée depuis son arrivée en Suisse, soit en 1999. La plupart des poursuites concernent des dettes envers l’assurance-maladie, des factures Billag ainsi qu’une créance envers Intrum SA de CHF 7'151.95 pour laquelle elle a fait opposition en 2014. Dès lors, si la réputation financière exemplaire inclut l’absence d’actes de défaut de biens et de poursuites, il n’est pas impossible que pendant le délai de trois ans qui lui a été octroyé, la recourante puisse grâce à son salaire acquitter une bonne partie de ses dettes, de sorte que sa situation pourrait être réévaluée postérieurement. Le deuxième point, concernant le sens civique, apparaît clairement insuffisant selon le rapport d’enquête versé à la procédure. En effet, la recourante n’a pas été capable d’indiquer quels étaient les sujets des prochaines votations de la semaine en cours ni les sujets récents et n’a pas pu citer quelles sont les principales institutions en Suisse. Ce manque de préparation que la recourante a admis pourra être facilement comblé en vue d’un prochain entretien.

Dès lors, au vu de ces deux points de carence, il ne peut pas être reproché à l’autorité intimée d’avoir pris une décision disproportionnée en suspendant l’instruction de la demande de naturalisation de la recourante. Au contraire, cela lui laisse un délai assez long pour remédier à ses carences notamment sur le premier point concernant ses dettes qui totalisent actuellement CHF 26'461.58.

Par ailleurs, si la recourante devait être en mesure d’améliorer plus vite ses carences, elle pourra en tout temps demander la reprise de l’enquête (art. 14
al. 2 RNat).

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

11) Aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA), la procédure étant par ailleurs gratuite s'agissant d'une décision en matière de naturalisation (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 juillet 2021 par Mme A_______ contre la décision de l’office cantonal de la population et des migrations du 14 juin 2021 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Mme A_______ ainsi qu'à l'office cantonal de la population et des migrations.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et Tombesi, juges.

 

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :