Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1584/2016

ATA/614/2017 du 30.05.2017 ( DIV ) , ADMIS

Recours TF déposé le 06.07.2017, rendu le 12.03.2018, PARTIELMNT ADMIS, 9C_484/2017
Normes : LAMal.25a.al5; OPAS.7; OPAS.7a.al1; LSDom.22; LSDom.23; LSDom.9.al2
Résumé : Conformément à la LAMal et en application des principes énoncés par le Tribunal fédéral, le canton a l'obligation de prendre en charge le financement résiduel des soins prodigués par les infirmiers indépendants admis à pratiquer à charge de la LAMal et non couverts par les assureurs-maladie, ni par les patients. En l'absence de réglementation cantonale fixant un tarif forfaitaire pour chaque type de prestations et afin de garantir le principe de l'égalité de traitement, le tarif horaire de CHF 123.-, appliqué aux infirmiers indépendants de la Coopérative des Soins Infirmiers, doit être appliqué à tous les infirmiers indépendants autorisés à pratiquer dans le canton pour les prestations relevant de l'assurance obligatoire des soins.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1584/2016-DIV ATA/614/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 mai 2017

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Ariane Ayer, avocate

contre

DÉPARTEMENT DE L'EMPLOI, DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SANTÉ



EN FAIT

1) Madame A______ exerce comme infirmière indépendante dans le canton de Genève au bénéfice d'une autorisation de pratiquer à charge de la loi fédérale sur l’assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10), fournissant des prestations relevant de ladite loi au domicile des patients.

2) Par courrier du 30 janvier 2015, adressé au Conseiller d'État en charge du département de l'emploi, des affaires sociales et de la santé (ci-après : DEAS), le Groupe des intérêts communs de l’Association suisse des infirmiers et infirmières (ci-après : ASI) des infirmières indépendantes de Genève (ci-après : GiiGe) a sollicité « la prise en charge par le canton de Genève de la part résiduelle des honoraires pour les soins de longue durée prodigués à des patients domiciliés dans le canton, depuis le 1er janvier 2011 et pour l’avenir, sur la base des tarifs admis pour les autres infirmiers dans le canton et sans condition additionnelle à celles liées à leur droit de pratique cantonal et à leur autorisation de pratiquer à la charge de la LAMal ».

3) Par courrier du 27 mars 2015, n’indiquant pas de voie ni de délai de recours et concernant le « financement résiduel cantonal – soins prodigués par des infirmières indépendantes », le DEAS a indiqué qu’il n’y avait pas de réallocation possible de subventions non dépensées dans le domaine des soins à domicile pour les années 2011 à 2013. En outre, le budget 2015 ne prévoyait pas d’augmentation des dépenses pour les soins effectués par les infirmières du GiiGe, et le DEAS n’avait pas de marge de manœuvre pour un financement en dehors du cadre légal cantonal.

Seuls les organismes et les indépendants, reconnus d’utilité publique, pouvaient se voir accorder une aide ou une indemnité financière par l’État. Le canton avait conclu un contrat avec la Coopérative des Soins Infirmiers (ci-après : CSI), à laquelle les infirmières du GiiGe pouvaient s’associer pour exercer leur activité dans d’autres conditions. Le canton respectait la liberté de commerce et d’entreprise de ces dernières, qui connaissaient la loi cantonale et les conditions économiques lorsqu’elles s’étaient engagées dans leur activité.

4) Par acte du 4 mai 2015, plusieurs infirmières et infirmiers indépendants, dont Mme A______, ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce courrier, concluant à son annulation, à l’allocation inconditionnelle dès le 1er janvier 2011 de la part résiduelle cantonale aux infirmiers autorisés à pratiquer à titre indépendant dans le canton de Genève et autorisés à facturer leurs prestations à la charge de la LAMal, et, en particulier, à l’allocation d’une part résiduelle cantonale, telle que prévue par la LAMal, pour les années 2011, 2012 et 2013, dont notamment CHF 115'456.90 à Mme A______, ainsi qu’à l’allocation d’une indemnité de procédure.

Dans la mesure où la demande du 30 janvier 2015 était globale, les noms des personnes concernées n’étaient pas mentionnés.

5) Par arrêt du 12 janvier 2016 (ATA/15/2016), la chambre administrative a déclaré irrecevable le recours des infirmiers au motif que le courrier du DEAS du 27  mars  2015 ne constituait pas une décision individuelle, faute d'examen ciblé des prétentions et de la situation de chaque infirmier concerné.

6) Par courrier du 3 février 2016, le GiiGe, au nom de plusieurs infirmiers indépendants dont Mme A______, a demandé au DEAS qu'une décision formelle et individuelle soit rendue pour chaque infirmier.

7) Par décision du 18 avril 2016, le DEAS a rejeté la requête de remboursement de la part résiduelle des soins de Mme A______ qu’elle avait chiffré à CHF 115'456.90, au motif notamment que cette dernière exerçait sa profession à titre purement indépendant et n'était pas reconnue d'utilité publique. Ses prétentions n'étaient d'ailleurs pas clairement établies.

8) Par acte posté le 18 mai 2016, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre cette décision en concluant à son annulation et au versement de CHF 115'456.90.

Son droit au financement résiduel cantonal devait être reconnu dès le 1er  janvier 2011.

La législation fédérale imposait aux cantons l’obligation de couvrir la part résiduelle des coûts effectifs des soins prodigués par les fournisseurs de prestations admis par la LAMal non couverts par les assureurs-maladie ni par les patients. Le canton de Genève n’avait pas le droit de refuser le versement de la part résiduelle cantonale à un fournisseur de prestations autorisé à pratiquer à charge de la LAMal en fixant des conditions additionnelles. Les cantons étaient toutefois autorisés à fixer des forfaits pour le remboursement de la part cantonale résiduelle. À Genève, le coût des prestations de soins des infirmiers indépendants avait été fixé à CHF 123.- par heure.

Elle sollicitait uniquement le paiement de la part résiduelle et non une aide discrétionnaire ou une subvention de l’État, comme l'avait retenu à tort le DEAS.

Les montants revendiqués étaient moins élevés que ceux versés aux infirmiers de la CSI, compte tenu de la participation plus élevée des patients. La part résiduelle avait été calculée sur la base du tarif horaire reconnu par le canton, accordé aux adhérents de la CSI. Les prestations avaient fait l’objet d’une contribution des assureurs-maladie et correspondaient aux déclarations effectuées chaque année par la recourante dans le cadre des statistiques cantonales, qui reflétaient le travail des infirmières du GiiGe auprès des patients du canton de Genève.

Elle était discriminée dans l’exercice de sa profession. Bien que ses activités soient strictement identiques en termes de soins LAMal, la part résiduelle qui lui était due était inférieure à celle des adhérents de la CSI, la contribution des patients de ces derniers étant de 10 % et celle des leurs de 20 %. À cela s’ajoutait une discrimination importante pour les patients, privés de facto du libre choix du fournisseur de prestations.

À l’appui de son recours, elle a versé plusieurs documents à la procédure, dont notamment:

- l’arrêté du Conseil d’État 05209-2010 du 23 juin 2010 prévoyant que la contribution personnelle de l’assuré aux coûts des soins dispensés en ambulatoire par des prestataires subventionnés s’élevait au maximum à 10 % de la contribution maximale de l’assurance obligatoire des soins (ci-après : AOS) ;

- le contrat de prestations 2012-2015 du 15 août 2011, par lequel l’État de Genève s’était engagé à verser à la CSI une aide financière de CHF 1'795'269.- en 2012, CHF 1'902'939.- en 2013, CHF 2'017'155.- en 2014 et CHF 2'138'214.- en 2015, sous réserve de l’accord du Grand Conseil dans le cadre de l’approbation annuelle du budget ;

- un tableau répertoriant le nombre d’heures d’évaluation et conseils (ci-après : soins A), d’examens et traitements (ci-après : soins B) et de soins de base (ci-après : soins C) fournies en 2011, 2012 et 2013 par plusieurs infirmiers indépendants, dont notamment Mme A______. La part cantonale, calculée avec un tarif horaire de CHF 123.-, étant de CHF 27.25 par heure pour les soins A, CHF 41.65 pour les soins B et CHF 52.45 pour les soins C, le total de la part résiduelle cantonale pour la recourante pour les trois années considérées s’élevait à CHF 115'457.-. Les données figurant dans le tableau étaient appuyées par des « Tableau[x] permettant une estimation du remboursement du solde résiduel à la charge du canton pour les années 2011, 2012 et 2013 à remplir à l’aide des statistiques de l’aide et des soins à domicile » du GiiGe ainsi que des tableaux de statistiques, remplis par la recourante ;

- une liste des remboursements pour les soins de longue durée pour chaque année en cause pour lesquels la part résiduelle devait lui être remboursée.

9) Le 8 juillet 2016, le DEAS a conclu au rejet du recours.

Afin de bénéficier d’un financement étatique, les organisations d’aide et de soins à domicile et les infirmiers indépendants devaient être reconnus d’utilité publique par le canton, ce qui n’était pas le cas de la recourante, au contraire des infirmiers de la CSI. En contrepartie du financement étatique, le canton exigeait certaines prestations, comme l’obligation de travailler le week-end ou la nuit, d’assumer une permanence et de prendre en charge tous types de patients. La recourante n'était pas soumise auxdites obligations, ni au contrôle de l’État sur le volume des prestations et la qualité des soins offerts. Il n’était pas possible de faire fi des ressources des cantons, qui devaient assurer à la population un accès aux soins tout en respectant des contraintes d’ordre budgétaire. Le canton avait décidé de subventionner des infirmiers et institutions reconnus d’utilité publique par le biais de contrats de prestations, comme avec la CSI, et renoncé à apporter une aide financière à ceux ayant fait le choix d’exercer leur profession de manière totalement libérale. Faute de remplir les conditions fixées par le droit cantonal, la recourante ne pouvait prétendre à des prestations financières de la part de l’État.

Le tarif horaire de CHF 123.- n’était pas applicable stricto sensu à la recourante. Même à le considérer comme applicable par analogie, il n’était entré en vigueur que le 1er janvier 2012, de sorte que les demandes portant sur une période antérieure devaient être rejetées. La recourante ne subissait pas de préjudice du fait de la différence des contributions maximales de 10 % et 20 %, laquelle était à la charge du patient. Faute de produire les justificatifs permettant de vérifier le bien-fondé de ses créances, la recourante ne pouvait prétendre au paiement des montants réclamés.

10) Par réplique du 14 octobre 2016, Mme A______ a persisté dans ses conclusions.

Le contrôle de la qualité et du caractère économique des prestations fournies par les infirmiers indépendants était du ressort des assureurs-maladie, dès lors qu’il s’agissait de prestations en lien avec l’assurance-maladie obligatoire.

À l'appui de sa réplique, elle a versé à la procédure l'intégralité des factures envoyées aux assureurs maladie durant la période allant du 1er  janvier  2011 au 31 décembre 2013, ainsi que les décomptes des assureurs ou les preuves de paiement des montants facturés par lesdits assureurs. Des tableaux récapitulatifs des prestations fournies étaient également annexés.

11) Par duplique du 28 octobre 2016, le DEAS a persisté dans ses conclusions.

Le tarif horaire de CHF 123.- facturé par la CSI n'était pas applicable à la recourante, laquelle ne faisait partie d'aucune structure administrative et était totalement indépendante et autonome, pouvant ainsi limiter ses frais. Cette dernière n'avait d'ailleurs pas démontré ses coûts réels, faute de production des factures adressées aux patients ainsi que de la preuve de ses charges effectives.

12) Le 11 novembre 2016, Mme A______ a déposé des observations.

Elle a produit un courrier du département des affaires régionales, de l'économie et de la santé (ci-après : DARES), devenu depuis lors le DEAS, du 30  juillet 2012 qui fixait, suite à l'échec des négociations tarifaires entre Tarifsuisse SA, la CSI et la section genevoise de l'ASI, un forfait de CHF 123.- l'heure pour les prestations fournies par les infirmières indépendantes de la CSI et de la section genevoise de l'ASI en matière de soins aigus et de transition (ci-après : SAT). Ce coût horaire tenait compte du temps non facturable (travail administratif, relations avec les médecins et autres professionnels de la santé, etc.), qui représentait un tiers du temps de travail d'un infirmier, ainsi que des charges relatives aux prestations de soins, et correspondait bien au seul coût des prestations dispensées. Il était inférieur au tarif de CHF 185.- applicable aux prestations SAT dispensées par la Fondation des services d'aide et de soin à domicile (ci-après : FSASD) et Spitex, raison pour laquelle il était possible que le coût de CHF 123.- soit sous-estimé, compte tenu des surcoûts engendrés par les SAT.

13) Le 13 décembre 2016, le DEAS a déposé des observations complémentaires.

Le tarif de CHF 123.- s'appliquait uniquement pour les prestations SAT fournies par les infirmiers et infirmières indépendants de la CSI et de la section genevoise de l'ASI. Tout financement résiduel en faveur de la recourante calculé sur la base de ce montant serait manifestement trop élevé.

14) Le 13 janvier 2017, Mme A______ s'est encore déterminée.

Le tarif horaire de CHF 123.-, identique pour les soins de longue durée et les SAT, lui était applicable, étant membre de la section genevoise de l'ASI. Un décompte de la CSI produit démontrait que ce montant était versé aux infirmiers affiliés à la CSI sans différenciation des prestations fournies à charge de la LAMal.

15) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

16) Le détail de l'argumentation des parties sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12  septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur le refus du DEAS de rembourser le « financement résiduel » à la recourante ainsi que sur le montant de ce financement.

3) La recourante fonde ses prétentions sur l'art. 25a al. 5 LAMal ainsi que sur le principe de la primauté du droit fédéral.

4) De jurisprudence constante, la chambre administrative est habilitée à revoir, à titre préjudiciel et à l’occasion de l’examen d’un cas concret, la conformité des normes de droit cantonal au droit fédéral (ATA/582/2015 du 9 juin 2015
consid. 5a et les arrêts cités ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/
Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3ème éd., 2012, p. 345 ss
n. 2.7.3). Cette compétence découle du principe de la primauté du droit fédéral sur le droit des cantons, ancré à l’art. 49 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) (ATF 138 I 410 consid. 3.1 p. 414 ; ATA/43/2016 du 19 janvier 2016 consid. 4a). D’une manière générale, les lois cantonales ne doivent rien contenir de contraire à la Cst., ainsi qu'aux lois et ordonnances du droit fédéral (ATF 127 I 185 consid. 2 p. 187 ; ATA/43/2016 précité ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 1, 3ème éd., 2013, p. 786 n. 2337 ss). Le contrôle préjudiciel permet de déceler et de sanctionner la violation par une loi ou une ordonnance cantonales des droits garantis aux citoyens par le droit supérieur. Toutefois, dans le cadre d'un contrôle concret, seule la décision d'application de la norme viciée peut être annulée (ATA/43/2016 précité ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., p. 352 ss n. 2.7.4.2).

5) La loi fédérale du 13 juin 2008 sur le nouveau régime de financement des soins (RO 2009 3517), entrée en vigueur le 1er janvier 2011, a notamment complété la LAMal d'un nouvel art. 25a, dont l'al. 5 a la teneur suivante :

« Les coûts des soins qui ne sont pas pris en charge par les assurances sociales ne peuvent être répercutés sur la personne assurée qu'à hauteur de 20 % au plus de la contribution maximale fixée par le Conseil fédéral. Les cantons règlent le financement résiduel ».

6) L'ordonnance sur les prestations dans l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie du 29 septembre 1995 (OPAS - RS 832.112.31) fixe les tarifs des soins remboursés par l'AOS et dispensés par les fournisseurs de prestations identifiés à l'art. 7 OPAS. S'agissant du personnel infirmier (art. 7 al. 1 let. a OPAS), l'assurance prend en charge, selon l'art.  7a  al.  1  OPAS, en vigueur depuis le 1er janvier 2011 (RO  2009 3527), un montant fixé par heure qui s'élève à CHF 79.80 pour l'évaluation et les conseils, CHF 65.40 pour les examens et les traitements et CHF  54.60 pour les soins de base.

Ainsi l'art. 25a LAMal prévoit-il une répartition tripartite des frais des soins ambulatoires : les assureurs-maladie prennent en charge une contribution forfaitairement fixée par l'OPAS, l'assuré prend en charge au maximum 20 % de cette contribution, le taux étant déterminé par le droit cantonal, et le canton s'acquitte de la part résiduelle des coûts des soins prodigués (ATF 138 I 410).

7) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il découle des mots « les cantons règlent », figurant à l’art. 25a al. 5 in fine LAMal, que la loi fédérale oblige ces derniers à adopter une réglementation expresse ou à mettre la législation existante en conformité avec le nouveau système fédéral de répartition des coûts de la santé (arrêt du Tribunal fédéral 2C_728/2011 du 23 décembre 2011
consid. 3.3).

L'art. 25a al. 5 LAMal garantit que les coûts des soins résiduels, à savoir l'intégralité des frais effectifs que ni l’AOS ni l'assuré ne prendraient à leur charge, soient assumés par les collectivités publiques, soit par le canton ou, si ce dernier décide de les mettre également à contribution, par les communes
(ATF 138 I 410 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_219/2012 du
22 octobre 2012 consid. 4.2 ; 2C_228/2011 du 23 juin 2012 consid. 3.2.1 ; 2C_728/2011 précité consid. 3.4).

Les cantons disposent d'une large marge d'appréciation relative aux modalités de prise en charge de la part cantonale, en particulier dans le but de leur permettre d'intervenir sur les prestataires de soins de santé, afin que ces derniers maîtrisent au mieux le coût des soins à l'aune de l'art. 32 LAMal ; l'art. 25a LAMal ne s'oppose ainsi pas par principe à une tarification forfaitaire de la part résiduelle (ATF 138 I 410 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_219/2012 précité consid. 4.2).

Cela étant, le Tribunal fédéral a précisé, dans le cas des établissements médico-sociaux (ci-après : EMS), que le droit social fédéral imposait désormais aux cantons de couvrir les coûts des soins résiduels auprès de tous les EMS autorisés à facturer leurs prestations à l’assurance-maladie obligatoire, sans autres conditions (ATF 138 I 410 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_219/2012 précité consid. 4.2). Les cantons conservent une marge de manœuvre importante leur permettant de définir la planification sanitaire applicable à leur territoire, ainsi que d’imposer le cas échéant des charges et des conditions aux fournisseurs de soins pour les admettre sur la liste des prestataires autorisés à pratiquer à la charge de l’assurance-maladie obligatoire. Cependant, une fois la liste LAMal établie, les cantons sont alors seulement tenus de veiller, directement ou en déléguant (partiellement) cette tâche aux communes, à ce que les coûts des soins relatifs aux prestations fournies par les établissements figurant sur cette liste et qui, d'après l'art. 25a al. 5 LAMal, ne sont pris en charge ni par les assurances sociales ni par les assurés, soient entièrement couverts par l'État. Les cantons ne peuvent donc plus soumettre le principe de la prise en charge financière de la part résiduelle des EMS figurant sur la liste LAMal à des conditions et exigences additionnelles, le principe du versement de la part résiduelle étant non seulement impératif mais également inconditionnel. Il leur est en revanche permis, dans les limites fixées par le droit social fédéral, de réglementer les modalités de prise en charge de la part cantonale, par exemple en introduisant une tarification forfaitaire couvrant les coûts globaux, dans le but de favoriser l'économicité des coûts (ATF  140 V 58 ; 138 I 410 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_219/2012 précité consid. 4.3 et 5.2).

Le Tribunal fédéral a également retenu, dans un cas concernant des infirmiers, que le canton qui ne prendrait pas entièrement à sa charge le coût résiduel, le cas échéant tarifé, des soins dispensés par les infirmières et infirmiers, violerait le droit social fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 2C_228/2011 précité), l'intention du législateur en adoptant le nouveau mode de financement des soins consistant à favoriser la prise en charge ambulatoire par rapport à la prise en charge hospitalière (ATF 142 V 94 consid. 5 ; 141 V 446 consid. 7.4).

8) À Genève, la loi d’application de la LAMal du 29 mai 1997 (LaLAMal - J 3 05) ne prévoit rien à propos du financement résiduel. Le législateur cantonal a fixé dans la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03) et dans la loi sur le réseau de soins et le maintien à domicile du 26  juin  2008 (LSDom - K 1 06), ainsi que dans leurs règlements d'application respectifs, les conditions devant être remplies par les infirmiers et infirmières exerçant à titre indépendant pour bénéficier du paiement de la part résiduelle.

9) La LSDom a ainsi été modifiée afin de tenir compte de la modification de la LAMal, qui établit comme principe que les cantons assument le financement résiduel (MGC 2009-2010/XI A 13640). Ces derniers doivent par conséquent notamment désigner les prestataires des soins à domiciles éligibles pour percevoir un versement étatique (MGC 2009-2010/XI A 13640).

Selon la LSDom, les bénéficiaires des indemnités ou des aides financières accordées par l'État doivent poursuivre un but d'utilité publique (art. 23 LSDom).

Aux termes de l’art. 22 LSDom, poursuivent un but d'utilité publique les organisations privées d'aide et de soins à domicile, les structures intermédiaires privées et les infirmières et infirmiers pratiquant à titre indépendant qui :

a)  correspondent aux besoins de la planification sanitaire cantonale ;

b)  font partie du réseau de soins ;

c)  sont autorisés en qualité de professionnels de la santé ou d'institution de santé au sens de la LS ;

d)  appliquent les tarifs des prestations de maintien à domicile approuvés ou fixés par le Conseil d'État ;

e)  poursuivent une politique salariale conforme aux conventions collectives, ou, à défaut, répondent aux normes appliquées dans le canton aux professions concernées ;

f)  consacrent une part prépondérante de leur activité au maintien à domicile ;

g)  suivent ou offrent à leur personnel une formation continue et permanente adéquate.

La LSDom prévoit que le DEAS définit les partenaires et établit le plan stratégique du réseau de soins qu’il soumet pour approbation au Conseil d’État (art. 9 al. 2 let. a LSDom). Le DEAS décide également du financement des activités liées au réseau de soins (let. c) et valide les règles communes de fonctionnement des partenaires du réseau de soins (let. e).

10) Le DEAS fonde son refus de remboursement du financement résiduel sur la LSDom. Il estime que, en qualité d'infirmière indépendante ne faisant pas partie de la CSI, la recourante ne peut pas être reconnue d’utilité publique et n'a ainsi pas droit au paiement résiduel de ses coûts.

Dans ses observations, le DEAS a expliqué que le canton de Genève doit assurer à la population l’accès aux soins tout en respectant des contraintes notamment budgétaires. Or, l’État ne peut pas exercer son contrôle sur le volume des prestations offertes par la recourante, ni sur la qualité des soins offerts, dès lors que, exerçant sa profession de manière libérale, elle travaille en toute indépendance.

En l'espèce, la recourante ne sollicite pas une aide discrétionnaire de l'État ou une subvention. Elle demande le financement de la part résiduelle due selon l'art. 25a LAMal. L'intimé se réfère à tort à la LSDom afin de rejeter les prétentions de la recourante, dès lors que cette loi fonde le principe de subventions discrétionnaires versées par le canton à des fournisseurs de prestations remplissant des conditions spécifiques. Le financement résiduel ne constitue pas une subvention pouvant être octroyée sous conditions, mais bien une obligation pour le canton de participer aux coûts de soins dispensés par les fournisseurs de prestations admis à pratiquer à charge de la LAMal.

Or, il est établi que la recourante est autorisée à facturer certaines de ses prestations à l’AOS, si bien que, conformément à la jurisprudence citée ci-dessus, le canton ne peut pas soumettre les modalités de la prise en charge de la part résiduelle à des conditions additionnelles. Il peut cependant intervenir auprès de la recourante, afin de vérifier le volume et la qualité des prestations fournies, instaurer une tarification raisonnable ou un système de forfait. Le canton doit en effet pouvoir conserver un contrôle des coûts, l’ensemble du réseau de soins cantonal devant répondre à des exigences d’économie, dans le but d’assurer la pérennité du système de santé (ATA/379/2016, ATA/378/2016 et ATA/377/2016 du 3 mai 2016).

Conformément à la jurisprudence, le financement résiduel ne peut pas être refusé à un prestataire de services pour des motifs budgétaires cantonaux ou en faveur d'un groupe de professionnels à l'exclusion d'autres. Par conséquent, si le canton autorise une infirmière indépendante à pratiquer les soins à domicile, il doit entrer en matière sur le principe du remboursement de la part résiduelle, comme en l'espèce. Le principe du versement de la part résiduelle est ainsi acquis et le recours sera admis sur ce point.

11) Reste à examiner l'existence et le montant du « financement résiduel » pour la recourante.

En effet, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, pour pouvoir retenir une incompatibilité du droit cantonal avec le droit fédéral, encore faudrait-il constater que les tarifs fixés à l'art. 7a al. 1 let. a à c OPAS ne suffisent pas à couvrir le coût effectif des prestations fournies par ces professionnels (ATF 142 V 94 consid. 5 ; 141 V 446 consid. 7.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_228/2011 précité).

12) Le canton de Genève a établi, dans son règlement fixant le tarif-cadre des prestations fournies par les infirmières et infirmiers indépendants de la CSI et de la section genevoise de l'ASI en matière de soins aigus et de transition du 10  janvier 2013 (RTCISAT – J 3 05.22), un montant forfaitaire de CHF  123.- par heure pour les SAT. Il s'agit des trois types de soins (soins A, soins B et soins C) pris en charge par l'AOS, après un séjour hospitalier et sur prescription d'un médecin de l'hôpital (art.  7 al.  3 OPAS). Le règlement ne prévoit pas de de différenciation selon le type de prestations fournies au sens de l'art. 7 al. 2 OPAS.

À titre comparatif, les cantons de Vaud et Fribourg ont fixé, par ordonnance, le tarif horaire des coûts des soins, couvrant le financement résiduel, pour les prestations prodiguées par des infirmiers indépendants, en différenciant le type de prestations fournies (soins A, soins B et soins C) (arrêté du Conseil d'État du canton de Vaud du 23 mai 2012 fixant les montants destinés à couvrir la part du coût, non prise en charge par l'assurance-maladie [financement résiduel], des soins effectués par des infirmiers et infirmières exerçant de façon professionnellement indépendante et par des organisations de soins à domicile privées ; ordonnance du 1er avril 2014 modifiant l'ordonnance sur le nouveau régime de financement des soins du Conseil d'État du canton de Fribourg).

Comme évoqué par le DARES dans son courrier du 30  juillet  2012, le tarif genevois de CHF 123.- tient compte du temps non facturable (travail administratif, relations avec les médecins et autres professionnels de la santé, etc.), qui représente un tiers du temps de travail d'un infirmier, ainsi que des charges relatives aux prestations de soins. Ce montant, correspondant au seul coût des prestations dispensées, est inférieur au tarif de CHF 185.- applicable aux prestations SAT dispensées par exemple par la FSASD. Le DARES avait d'ailleurs admis qu'il était fort possible que le coût de CHF 123.- fût sous-estimé, sachant qu'une prise en charge SAT engendrait des surcoûts.

Il ressort d'ailleurs des pièces produites par la recourante que le versement du financement résiduel cantonal pour toutes les prestations effectuées par des infirmiers indépendants de la CSI est calculé sur la base d'un tarif horaire de CHF  123.-. Il apparaît que ce montant forfaitaire minimal a été calculé, de manière standardisé, pour l'ensemble des infirmiers indépendants du canton de Genève, sur la base d'un modèle développé par l'ASI Suisse utilisé pour l'ensemble des cantons.

En l'absence de réglementation telle que dans le canton de Vaud et de Fribourg différenciant le type de prestations, et afin de garantir le principe de l'égalité de traitement, ce tarif forfaitaire doit être appliqué à tous les infirmiers indépendants autorisés à pratiquer dans le canton de Genève pour les prestations relevant de l'art. 7 OPAS.

Il est ainsi établi qu'il existe en l'occurrence, s'agissant des soins prodigués par les infirmiers indépendants, un « financement résiduel ».

13) Le RTCISAT est entré en vigueur le 1er janvier 2012. Concernant l'année 2011, en l'absence de réglementation prise par le canton en application de la LaMAL et conformément aux tarifs appliqués aux autres infirmiers indépendants exerçant dans le canton, le même forfait doit être appliqué à la recourante afin de garantir le principe de l'égalité de traitement.

14) En outre, la recourante a produit tous les décomptes en lien avec les soins pris en charge par l'AOS justifiant ainsi des prestations fournies pour lesquelles elle réclame le remboursement du financement résiduel.

Pour ces motifs, le recours sera admis et la décision du DEAS du 18  avril  2016 sera annulée. Un montant de CHF 115'456.90, calculé selon les principes développés ci-dessus, sera versé par le DEAS à la recourante, à titre de remboursement des coûts des soins résiduels pour les années 2011 à 2013. Il ne sera pas alloué d’intérêts moratoires, la recourante n’y ayant, en tout état de cause, pas conclu (art. 69 al. 1 LPA).

15) Vu l’issue du recours, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA) ; dans la mesure où la recourante a dû recourir aux services d’un avocat et où elle y a conclu, une indemnité de procédure de CHF 1’000.- lui sera allouée, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 mai 2016 par
Madame A______ contre la décision du département de l'emploi, des affaires sociales et de la santé du 18 avril 2016 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé du 18  avril 2016 ;

dit que l'État de Genève devra verser à Madame A______ un montant de CHF 115'456.90 à titre de remboursement des coûts des soins résiduels pour les années 2011 à 2013 ;

l'y condamne en tant que de besoin ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à Madame A______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17  juin  2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Ariane Ayer, avocate de la recourante, ainsi qu'au département de l'emploi, des affaires sociales et de la santé.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :