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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1171/2022

ATA/210/2023 du 07.03.2023 ( FPUBL ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1171/2022-FPUBL ATA/210/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 mars 2023

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Romain Jordan, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ



EN FAIT

1) Madame A______, née le ______ 1993, a effectué l'école de police du 1er avril 2018 au 31 mars 2019. Elle a obtenu le brevet fédéral de policière en mars 2019 et a été engagée au sein de la police genevoise le 1er avril 2019, dans la fonction de policière 1.

La décision d'engagement, du 20 mars 2019, indiquait qu'elle était engagée pour deux ans à titre d'épreuve. Elle serait soumise à des évaluations. Au terme de cette période probatoire de deux ans, celle-ci pouvait être prolongée d'au maximum un an. Si la nomination n'était pas demandée à la fin de la période probatoire, l'engagement prenait fin d'office.

2) Mme A______ a effectué un premier stage au sein de la police de proximité, au poste de B______, du 28 avril au 30 septembre 2019, puis un deuxième au poste de C______ à partir du 1er octobre 2019, et un troisième au sein de D______ (sic ; ci-après : D______), à E______, à partir du 23 mars 2020.

3) Le compte rendu de l'entretien d'évaluation du 30 septembre 2019 (à six mois) comprend un critère évalué comme « très bon », dix évalués comme « bons », trois évalués comme « insatisfaisants », et un comme « largement insatisfaisant », à savoir la sécurité personnelle. L'évaluateur n'a pas fait de commentaires généraux.

Le compte rendu de l'entretien d'évaluation du 26 mars 2020 (à un an) comprend neuf critères évalués comme « bons », quatre évalués comme « insatisfaisants », et deux comme « largement insatisfaisants », à savoir la technique et tactique lors des interventions ainsi que l'utilisation des bases de données informatiques. Dans ses commentaires généraux, l'évaluateur a indiqué que « la gendarme A______ est une collègue qui manque manifestement de confiance en soi. Lors de son travail "en rue", elle est passablement stressée et perd ses moyens. Des retours réguliers lui ont été faits afin qu'elle puisse améliorer ces points. Néanmoins, elle a de la peine à corriger ses erreurs et ne semble pas toujours comprendre les remarques qui lui sont faites. Des objectifs intermédiaires lui ont été notifiés, mais ceux-ci n'ont pas été atteints. En effet, peu de temps après la notification, la gendarme A______ a eu un arrêt de travail. Lorsqu'elle a repris, son taux d'activité était de 50 % au groupe F______. De plus, au vu des événements, elle n'a pas terminé son stage à la date prévue. Il est à relever que les écrits de la gendarme A______ sont généralement bons ».

Le compte rendu de l'entretien d'évaluation du 24 septembre 2019 (à 18 mois) comprend un critère évalué comme « très bon », dix évalués comme « bons » et cinq évalués comme « insatisfaisants », aucun n'étant « largement insatisfaisant ». L'évaluateur a noté dans ses commentaires généraux que par rapport au moment de son arrivée à la E______, elle avait pris confiance en elle, qu'elle devait exprimer plus souvent son avis et pallier son manque « cruel » de curiosité dans son travail quotidien, qu'elle avait une bonne qualité rédactionnelle et qu'elle était très serviable.

4) Lors d'un entretien s'étant tenu le 3 mars 2021, Mme A______ a été informée par sa hiérarchie de ce que sa période probatoire était prolongée d'une année, soit jusqu'au 31 mars 2022.

Au vu de la baisse des activités dans le domaine E______, Mme A______ a été à nouveau affectée au poste de B______, affectation qui devait commencer le 21 avril 2021. Toutefois, à partir du 4 mars 2021, elle a été en arrêt de travail, d'abord pour cause de maladie puis de maternité.

5) Mme A______ a été en arrêt de travail, certificats médicaux à l'appui : du 16 octobre au 10 novembre 2019 ; du 24 janvier au 4 février 2020 ; du 18 février au 29 mars 2020 (à 50 % du 9 au 29 mars 2020) ; du 2 au 5 juillet 2020 ; du 30 septembre au 4 octobre 2020 ; du 25 au 28 janvier 2021. Elle a été absente pour cause de maladie, vacances et maternité du 4 mars 2021 au 31 mars 2022 au plus tôt. Elle a accouché le 15 décembre 2021, et a été en congé maternité à partir de cette date.

Pour la période du 4 mars au 15 décembre 2021, les certificats médicaux couvrant les incapacités de travail du 4 mars au 23 mars 2021, du 24 mars au 12 avril 2021, du 13 avril au 26 avril 2021, du 27 avril au 27 mai 2021, du 1er juin au 2 juillet 2021, du 10 juillet au 10 août 2021, du 11 août au 11 septembre 2021, du 21 septembre au 21 octobre 2021 et du 21 octobre au 21 novembre 2021 émanaient d'un psychiatre-psychothérapeute, et ceux couvrant les périodes du 8 juillet au 9 juillet 2021, du 12 septembre au 16 septembre 2021, du 17 septembre au 20 septembre 2021 et du 21 novembre au 15 décembre 2021 d'une gynécologue‑obstétricienne.

6) Par courrier du 8 mars 2022, la direction des ressources humaines (ci‑après : RH) de la police a communiqué à Mme A______ que ses rapports de service prendraient fin le 31 mars 2022.

Au vu de ses absences pour raisons médicales, puis de son congé maternité, il n'avait pas été possible à sa hiérarchie de l'évaluer sur une période suffisante, notamment sur les différents points à améliorer.

La période probatoire ne pouvant être prolongée qu'une seule fois, et sur décision de sa hiérarchie, il lui était communiqué que les termes de son contrat s'appliquaient et qu'en conséquence, conformément à l'art. 24 al. 2 du règlement général sur le personnel de la police du 16 mars 2016 (RGPPol - F 1 05.07), les rapports de service prendraient fin le 31 mars 2022.

7) Par acte posté le 8 avril 2022, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le courrier précité, concluant préalablement à ce que l'effet suspensif soit « notifié », et préalablement à l'annulation de la « décision » querellée, à ce que soient ordonnées la prolongation de sa période probatoire ainsi que sa réintégration, et à ce que soit constatée une discrimination au sens de l'art. 3 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (loi sur l’égalité, LEg - RS 151.1) à son encontre.

Ses absences pour raisons médicales étaient dues à une dépression qui trouvait son origine dans le harcèlement qu'elle avait subi lors de ses différents stages. Son premier maître de stage l'appelait « chérie » et la prenait dans ses bras, tandis que ses collègues ne cessaient de lui faire des remarques à propos de son mari qui était originaire du Kosovo. Lors de son deuxième stage, la hiérarchie avait une attitude toxique à son égard se traduisant notamment par des remarques misogynes et des moqueries incessantes. Cette ambiance malsaine et ces pressions psychologiques s'étaient graduellement intensifiées. Elle s'était adressée à une personne du service psychosocial de la police et avait été reçue par le chef de poste, qui lui avait cependant indiqué que le problème venait d'elle et qu'elle devait résister à la pression. Elle avait alors consulté un médecin, qui lui avait prescrit des antidépresseurs et l'avait mise en arrêt maladie pour deux semaines. L'ambiance lors de son troisième stage était moins délétère, mais ses collègues étaient toutefois au courant des difficultés qu'elle avait rencontrées auparavant « et s'en jouaient ». Elle avait connu un changement d'affectation au sein de D______, dont aucune trace ne figurait au dossier et dont les raisons lui échappaient. Aucune évaluation n'avait non plus été faite au cours de cette période, sans explication.

Elle était tombée enceinte en avril 2021. Le 3 juin 2021, son ex-compagnon l'avait frappée et projetée au sol. Ces violences domestiques avaient donné lieu à l'intervention d'une patrouille, ce dont son ancienne maîtresse de stage s'était plainte auprès de son nouveau maître de stage en des termes peu choisis. Elle avait alors été transférée au poste de B______, avec des activités de type administratif, mais cependant trop exigeantes pour une femme enceinte. Elle avait donc pris des vacances, puis avait été en arrêt maladie pour dépression, puis en « congé gynécologique » entre le 21 novembre et le 21 décembre 2021, et enfin en congé maternité à partir du 15 décembre 2021.

L'acte attaqué était une mesure individuelle et concrète qui la touchait directement et portait atteinte à ses droits et obligations.

L'absence de transparence dont faisait preuve sa hiérarchie quant aux lacunes qui lui étaient reprochées, la plaçait dans l'impossibilité de se déterminer sur ces constats, ce qui constituait une violation de son droit d'être entendue.

La prise en compte d'une absence pour cause de maternité pour justifier le fait que la période d'activité n'aurait pas été assez longue constituait une discrimination indirecte à raison du sexe et était contraire à la LEg. La période probatoire aurait dû être prolongée d'une période équivalant à celle de la grossesse.

C'était par un concours de circonstances qu'elle n'avait pas pu effectuer la totalité des trois ans d'épreuve prescrits par la loi, ni toutes les évaluations nécessaires. À l'inverse, le fait pour la police de prolonger sa période probatoire d'une durée équivalente à son incapacité de travail n'atteignait nullement l'intérêt public. Une telle décision aurait dû être prise au terme d'une correcte pesée des intérêts.

Enfin, lui reprocher ses absences, indépendantes de sa volonté et consécutives à un manque par sa hiérarchie de protection de sa personnalité, contrevenait à la bonne foi, étant rappelé que la prolongation de sa période probatoire avait été ordonnée en raison de la situation exceptionnelle liée à la pandémie de Covid-19.

8) Par décision du 19 mai 2022, la présidence de la chambre administrative a refusé de constater ou de restituer l’effet suspensif au recours ainsi que d'octroyer des mesures provisionnelles.

9) Le 27 mai 2022, la police s'en est rapportée à justice au sujet de la recevabilité du recours (sic) et a conclu à son rejet.

Les rapports de service avaient pris fin ex lege et selon son contrat d'engagement de durée déterminée. Le courrier attaqué n'était donc pas une décision, comme l'avait déjà admis la jurisprudence en 2010. Le recours devait donc être déclaré irrecevable.

En cas d'examen au fond, il n'y avait pas eu de violation du droit d'être entendu. Le 31 mars 2022, le service des ressources humaines (ci-après : RH) de la police avait transmis l'ensemble du dossier personnel de Mme A______ au conseil de cette dernière. Il était normal que les changements d'affectation n'y apparaissent pas, les stagiaires de police effectuant trois stages sans que des documents de changement d'affectation soient établis.

L'égalité entre hommes et femmes était respectée, dès lors que les incapacités médicales – qu'elles soient dues à la grossesse ou à une autre cause – étaient traitées de la même façon. Un homme qui aurait été absent pour raisons médicales pendant un temps équivalent – fût-ce pour une affection propre aux hommes, comme un problème prostatique – aurait ainsi été traité de la même manière.

Les prestations de Mme A______ avaient été évaluées, mais il ne lui avait pas été possible de surmonter ses lacunes pendant l'année de prolongation de période probatoire en raison de sa longue absence. Les lacunes mises en avant étaient clairement documentées dans les évaluations effectuées.

10) Le 1er juin 2022, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 1er juillet 2022 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

11) Le 1er juillet 2022, Mme A______ a persisté dans ses conclusions.

On ne comprenait pas en quoi l'évaluation effectuée le 24 septembre 2020 aurait pu conduire à une prolongation de la période probatoire le 3 mars 2021.

Son expérience de stage avait été traumatisante. Elle demandait à cet égard l'audition de deux anciennes stagiaires, Mesdames G______et H______, afin de confirmer ce point.

L'acte attaqué était une décision mettant fin aux rapports de service de manière définitive. Il convenait quoi qu'il en soit d'entrer en matière dans la mesure où la problématique soulevée relevait notamment de la LEg.

12) Le département ne s'est pas manifesté.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 39A de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 - LPAC - B 5 05, applicable par le biais de l'art. 18 al. 1 de la loi sur la police du 9 septembre 2014 - LPol - F 1 05).

2) Sauf exceptions prévues par la loi ou lorsque le droit fédéral ou une loi cantonale prévoit une autre voie de recours (art. 132 al. 8 LOJ), la chambre administrative statue sur les recours formés contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e et 57 LPA (art. 132 al. 2 LOJ).

3) a. Sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations (let. a), de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c ; art. 4 al. 1 LPA).

Pour qu'un acte administratif puisse être qualifié de décision, il doit revêtir un caractère obligatoire pour les administrés en créant ou constatant un rapport juridique concret de manière contraignante. Ce n'est pas la forme de l'acte qui est déterminante, mais son contenu et ses effets (ATA/1264/2019 du 21 août 2019 consid. 2b).

En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral (art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021), ce qui est également valable pour les cas limites, ou plus exactement pour les actes dont l'adoption n'ouvre pas de voie de recours. Ainsi, de manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2 ; 1C_113/2015 du 18 septembre 2015 consid. 2.2 ; ATA/1199/2019 du 30 juillet 2019 consid. 4b ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 783 ss ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7ème éd., 2016, p. 195 n. 874 ss ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, pp. 179 ss n. 2.1.2.1 ss et 245 n. 2.2.3.3).

Une décision tend à modifier une situation juridique préexistante. Il ne suffit pas que l'acte visé ait des effets juridiques, encore faut-il que celui-ci vise des effets juridiques. Sa caractéristique en tant qu'acte juridique unilatéral tend à modifier la situation juridique de l'administrée ou administré par la volonté de l'autorité, mais sur la base et conformément à la loi (ATA/784/2018 du 24 juillet 2018 consid. 2d ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 320 n. 876).

Les décisions doivent être désignées comme telles, motivées et signées, et indiquer les voies et délais de recours (art. 46 al. 1 LPA). Elles sont notifiées aux parties, le cas échéant à leur domicile élu auprès de leur mandataire, par écrit (art. 46 al. 2 1ère phr. LPA).

b. Aux termes de l'art. 30 LPol, intitulé « conditions d'admission », le département fixe les conditions d’entrée dans la police.

À l’issue de l’école de police, les policiers sont engagés par le Conseil d’État pour deux ans à titre d’épreuve ; durant cette période, ils sont soumis à des évaluations (art. 24 al. 1 RGPPol). Au terme de la période probatoire de deux ans, celle-ci peut être prolongée d’au maximum un an (art. 24 al. 2 RGPPol). Si la nomination n’est pas demandée au terme de la période probatoire, l’engagement prend fin d’office (art. 24 al. 3 RGPPol).

c. À teneur de l'art. 24 LPAC, qui se trouve dans la section 3 – autres membres du personnel – du chapitre II – fin des rapports de service –, lorsqu'un contrat est conclu pour une durée déterminée, les rapports de service prennent fin à l'échéance dudit contrat (al. 1). Lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chacune des parties peut mettre fin aux rapports de service en respectant le délai de congé. La personne concernée est entendue par l'autorité compétente ; elle peut demander que le motif de la résiliation lui soit communiqué (al. 2).

Il n'existe pas de droit au renouvellement du contrat de durée déterminée (ATA/560/2020 du 9 juin 2020 consid. 3b ; ATA/398/2012 du 26 juin 2012 consid. 6 ; ATA/840/2003 du 18 novembre 2003 consid. 3a). L'échéance d'un contrat de durée déterminée ne constitue pas un licenciement ou une sanction disciplinaire ; c'est un simple fait objectif qui n'est pas susceptible de recours (ATA/569/2010 du 31 août 2010 consid. 1a). Le courrier par lequel l'employeuse ou employeur rappelle l'échéance du contrat n'est donc pas une décision car il ne crée, ne modifie ou n'annule pas de droits ou d'obligations (ATA/768/2014 du 30 septembre 2014 consid. 2b ; ATA/142/2006 du 14 mars 2006 consid. 3). De même, un courrier qui ne se prononce pas sur la prolongation d'un contrat de travail ni n'y met fin, mais se rapporte à la fin d'un contrat de durée déterminée ne constitue pas une décision au sens de l'art. 4 LPA (ATA/742/2021 du 13 juillet 2021 consid. 6b).

d. Un intérêt à faire constater une discrimination à raison du sexe subsiste même si l'atteinte à la personnalité qui en découle a cessé et si le risque qu'une nouvelle atteinte se produise est quasi inexistant (ATF 131 II 361 consid. 1.2).

Dans un cas de fin des rapports de service à durée déterminée, soit un contrat d'auxiliaire dans l'administration cantonale, la chambre de céans a retenu que le courrier rappelant ce terme n'était pas une décision, mais qu'il convenait néanmoins d'entrer en matière dans la mesure où la problématique soulevée par la recourante s'inscrivait dans le cadre d'une discrimination liée à son handicap et à son sexe dans ses rapports de travail (ATA/775/2021 du 27 juillet 2021 consid. 4).

4) En l'espèce, le courrier attaqué ne constitue pas une décision. Conformément aux dispositions du RGPPol précitées, la recourante n'avait aucun droit à la prolongation de son stage de policière. Dès lors que sa nomination n'a pas été proposée par la hiérarchie, les rapports de travail ont pris fin le 31 mars 2022.

Cela étant, dans la mesure où une problématique de discrimination liée au sexe dans les rapports de travail est invoquée, il y a lieu d'entrer en matière – toutefois uniquement dans cette mesure, les autres griefs soulevés – en particulier quant à la prolongation de la période probatoire – étant irrecevables. L'objet du litige se limite dès lors à la question d'une éventuelle discrimination à raison du sexe au sens de la LEg, et aux éventuelles conséquences d'un tel constat le cas échéant.

5) La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue du fait l'impossibilité de se déterminer sur les constats de lacunes reprochées par l'intimée, et demande dans ses dernières écritures l'audition de deux témoins.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (ATF 137 IV 33 consid. 9.2), de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

b. La procédure administrative est en principe écrite, toutefois si le règlement et la nature de l'affaire le requièrent, l'autorité peut procéder oralement (art. 18 LPA). Le droit d'être entendu quant à lui ne comprend pas le droit à une audition orale (art. 41 LPA ; ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_51/2018 du 17 janvier 2019 consid. 4.1 ; ATA/1173/2020 du 24 novembre 2020 consid. 3a).

c. En l'occurrence, en tant qu'elle se plaint d'une violation du droit d'être entendue en lien avec les lacunes qui lui seraient reprochées, son grief n'a pas trait à son allégation de discrimination à raison du sexe, et est donc irrecevable.

Quant à l'audition des deux personnes demandées, elle a trait à l'ambiance au sein d'un des postes de police où la recourante a effectué son stage, et non à la question de la prise en compte ou non de sa maternité pour refuser la prolongation de la période probatoire. Cette demande n'est donc pas pertinente pour la solution du litige et sera dès lors refusée.

6) a. Selon l’art. 8 Cst., tous les êtres humains sont égaux devant la loi (al. 1). Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d'une déficience corporelle, mentale ou psychique (al. 2).

b. La LEg a pour but de promouvoir dans les faits l'égalité entre femmes et hommes (art. 1 LEg). Les dispositions en matière d'égalité dans les rapports de travail s'appliquent aux rapports de travail régis par le droit privé et par le droit public fédéral, cantonal ou communal (art. 2 LEg).

À teneur de l'art. 3 LEg, il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s'agissant de femmes, leur grossesse (al. 1). L'interdiction de toute discrimination s'applique notamment à l'embauche, à l'attribution des tâches, à l'aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et à la formation continue, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail (al. 2).

Une discrimination est dite directe lorsqu'elle se fonde explicitement sur le critère du sexe ou sur un critère ne pouvant s'appliquer qu'à l'un des deux sexes et qu'elle n'est pas justifiée objectivement. La discrimination est en revanche qualifiée d'indirecte lorsque le critère utilisé pourrait s'appliquer à l'un ou l'autre sexe, mais qu'il a ou peut avoir pour effet de désavantager une plus grande proportion de personnes d'un sexe par rapport à l'autre, sans être justifié objectivement (Message du Conseil fédéral du 24 février 1993 concernant la loi sur l'égalité, in FF 1993 I 1163 ss, spéc. p. 1210 ; ATF 145 II 161 consid. 4.3.5 ; 144 II 68 consid. 4.1 ; 142 II 49 et la jurisprudence citée ; Claudia KAUFMANN, Kommentar zum Gleichstellungsgesetz, n. 139 ss ad art. 3 LEg).

Quiconque subit une discrimination au sens de l'art. 3 LEg peut requérir le tribunal de faire cesser la discrimination, si elle persiste (art. 5 al. 1 let. b LEg).

c. Aux termes de l'art. 6 LEg, l'existence d'une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s'en prévaut la rende vraisemblable ; la présente disposition s'applique à l'attribution des tâches, à l'aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et à la formation continue, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail.

L'art. 6 LEg introduit un assouplissement du fardeau de la preuve par rapport au principe général de l'art. 8 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), dans la mesure où il suffit à la partie demanderesse de rendre vraisemblable l'existence de la discrimination dont elle se prévaut (ATF 130 III 145 consid. 4.2 ; 127 III 207 consid. 3b). Lorsqu'une discrimination liée au sexe a été rendue vraisemblable, il incombe à l'employeur d'apporter la preuve complète que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs (ATF 130 III 145 consid. 5.2 ; 127 III 207 consid. 3b). Ce mécanisme tend à éviter que des actions ne soient introduites à la légère. Ainsi, avant que le fardeau de la preuve ne soit mis à la charge de l'employeur, il faut que la personne qui invoque la LEg apporte des indices qui rendent vraisemblable l'existence d'une discrimination. Pour que cette condition soit réalisée, le juge n'a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments de la partie demanderesse ; il doit simplement disposer d'indices objectifs suffisants pour admettre que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu'il puisse en aller différemment (ATF 130 III 145 consid. 4.2 et les références citées).

d. S'agissant de l'état de santé, l'art. 5 RPAC prévoit que le membre du personnel doit jouir d'un état de santé lui permettant de remplir les devoirs de sa fonction (al. 1). Il peut en tout temps être soumis à un examen médical pratiqué sous la responsabilité du service de santé du personnel de l'État (al. 2). Suite à un examen médical, le médecin-conseil remet une attestation d’aptitude, d’aptitude sous conditions ou d’inaptitude à occuper la fonction. Il précise les contre‑indications qui justifient son attestation (al. 3).

7) En droit privé du travail, lorsque, pendant le temps d’essai, le travail est interrompu par suite de maladie, d’accident ou d’accomplissement d’une obligation légale incombant au travailleur sans qu’il ait demandé de l’assumer, le temps d’essai est prolongé d’autant (art. 335b al. 3 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220). En cas d'incapacité de travail pour cause de maladie durant la période d'essai, celle-ci se prolonge du nombre de jours ouvrables entiers pendant lesquels la personne n'a effectivement pas été en mesure de fournir sa prestation de travail ; la prolongation et la fin de la période d'essai se déterminent de telle façon que les jours d'absence effectifs soient travaillés (ATF 148 III 126 consid. 3 et 5.2.4-5.2.8).

8) En l'espèce, l'art. 24 RGPPol – tout comme la décision d'engagement de la recourante – prévoit de manière explicite que la période probatoire est de deux ans et peut être prolongée d’au maximum un an, et que si la nomination n’est pas demandée au terme de la période probatoire, l’engagement prend fin d’office. Cet article n'introduit dès lors pas de discrimination directe.

En revanche, on doit suivre la recourante lorsqu'elle allègue que la disposition précitée a induit dans son cas une discrimination indirecte à raison du sexe. En effet, quand bien même les diverses absences des hommes comme des femmes peuvent avoir pour conséquence l'impossibilité de procéder à une évaluation finale et donc la fin du stage sans nomination au sein de la police, en l'occurrence cette impossibilité d'évaluation fait suite à un traitement identique des absences dues à la grossesse – spécifiquement mentionnée à l'art. 3 LEg – et à la maternité de la recourante et à ses absences pour d'autres causes. L'employeur aurait ainsi dû, pour respecter l'art. 3 LEg – étant rappelé qu'il s'agit d'une disposition d'une loi fédérale, qui prime l'art. 24 RGGPol qui est contenu dans un règlement cantonal –, prolonger la période probatoire de la durée d'incapacité de travail de la recourante directement liée à sa grossesse et à sa maternité, soit du 21 novembre 2021 au 31 mars 2022 (soit quatre mois et dix jours), cette dernière date correspondant à la fin de son année probatoire supplémentaire.

Il découle de ce qui précède que le recours sera admis partiellement en tant qu'il est recevable. La recourante devra donc être réintégrée dans sa fonction de policière stagiaire pendant la durée précitée.

9) Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée à la recourante, qui y a conclu et s'est adjoint les services d'un mandataire (art. 87 al. 2 LPA).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet partiellement, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 8 avril 2022 par Madame A______ contre le courrier de la police du 8 mars 2022 ;

prolonge de quatre mois et dix jours la période probatoire de Madame A______, au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 2'000.- ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt  peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public, dès lors qu'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat de la recourante ainsi qu'au département de la sécurité, de la population et de la santé - police.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Payot Zen‑Ruffinen et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :