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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2717/2024

JTAPI/112/2025 du 31.01.2025 ( OCIRT ) , REJETE

ADMIS par ATA/995/2025

Descripteurs : ACTIVITÉ LUCRATIVE INDÉPENDANTE
Normes : LEI.19; LCOf.15
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2717/2024

JTAPI/112/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 31 janvier 2025

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, représentés par Me Murat Julian ALDER, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL

 


EN FAIT

1.             C______ Sàrl est une société à responsabilité limitée inscrite le ______ 2020 au registre du commerce de Genève. Elle a notamment pour but la fourniture de services dans les domaines de la gastronomie et de l'hôtellerie; l'exploitation de restaurant, d'hôtel, de boulangerie de confiserie ou d'autres entreprises semblables; la fabrication et le commerce de produits alimentaires et de boissons; la commercialisation d'applications, de matériel et d'équipement en lien avec la restauration.

2.             C______ Sàrl exploite depuis 2022 le restaurant « D______ » sis ______[GE].

3.             Monsieur B______, né le ______ 1983 et son épouse, Madame A______, née le ______ 1984 sont ressortissants turcs.

4.             Selon leurs déclarations, ils sont arrivés en Suisse le 3 janvier 2017.

5.             Leur fille E______ est née à ______ le ______ 2018.

6.             B______ est l’unique associé-gérant de C______ Sàrl.

7.             Du 14 novembre 2018 au 13 novembre 2023, A______ a bénéficié d’une autorisation de séjour (permis B-OASA) obtenue le 14 novembre 2018 en qualité de « travailleuse détachée » à Genève pour une entreprise se trouvant hors de l’UE/AELE, à savoir F______, Turquie. Cette autorisation de séjour est arrivée à échéance le 13 novembre 2023.

Son époux et sa fille ont quant à eux bénéficié de permis de séjour au titre de regroupement familial. En particulier, B______ a été mis au bénéfice d'une autorisation de courte durée (permis L-OASA) du 3 janvier 2017 au 31 décembre 2018, puis d'une autorisation de séjour (permis B-OASA) échue au 13 novembre 2023.

8.             D'après son curriculum vitae (ci-après: CV), B______ a travaillé durant plusieurs années, et ce jusqu’en 2016, pour F______ en Turquie et à Dubaï.

Il est titulaire d’un certificat de cuisine de base délivré par l'école G______ le 20 avril 2021. Le 31 janvier 2022, il a obtenu le diplôme de cafetier, restaurateur et hôtelier prévu à l'art. 9 let. c de la loi genevoise sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement (ci-après: LRDBHD). Depuis 2022, il gère le restaurant « D______ ».

9.             Le 13 avril 2022, les époux A______ et B______ et C______ Sàrl ont conclu un contrat de prêt de CHF 140'000.- avec la H______ (ci-après : la H______).

10.         Le 18 juillet 2023, sous le plume de leur conseil, les époux A______ et B______ ont déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) une requête en octroi anticipé d'une autorisation d'établissement (permis C).

11.         Par courrier du 3 octobre 2023 adressé au conseil des intéressés, l’OCPM a relevé que B______ ne remplissait pas les conditions de délivrance d’une autorisation d’établissement à titre anticipé dans la mesure où il faisait l’objet d’une infraction à la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01). Toutefois, l’OCPM se déclarait disposé à prolonger son autorisation de séjour et à délivrer une autorisation d’établissement en faveur de A______ et de leur fille.

12.         Par nouvelle « décision » du 10 octobre 2023, « annulant et remplaçant [notre] décision du 3 octobre 2023 », l’OCPM a fait part aux époux A______ et B______ de son intention de ne pas donner une suite favorable à leur demande, au motif que les conditions de délivrance d'une autorisation d'établissement à titre anticipé n'étaient pas remplies. Leurs autorisations de séjour respectives ne présentaient pas un caractère durable, A______ étant au bénéfice d'un titre de séjour pour travailleur détaché auprès d’une entreprise se trouvant hors de l’UE/AELE et B______ étant titulaire d'une autorisation de séjour obtenue dans le cadre du regroupement familial avec son épouse. Par ailleurs, B______ faisait l’objet d’une infraction à la LCR, notifiée le 25 mai 2023, qui ne permettait pas de retenir une intégration suffisante durant les cinq dernières années.

Afin d’examiner le renouvellement de leurs autorisations de séjour, A______ était invitée à donner des informations sur son activité professionnelle actuelle auprès de F______ et de fournir des justificatifs récents à ce sujet.

Dans un second temps, vu que A______ exerçait une activité professionnelle en tant que travailleuse détachée depuis bientôt cinq ans, l’OCPM transmettrait son dossier à l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) afin que ce dernier vérifie si les conditions relatives aux travailleurs détachés étaient toujours remplies.

Enfin, sur demande écrite des intéressés dans les 30 jours, une décision formelle pourrait être rendue.

13.         Par courrier du 10 novembre 2023, dans le cadre de l’exercice de leur droit d’être entendu, les époux A______ et B______ ont fait parvenir leurs observations à l’OCPM. Ils concluaient à la délivrance d'une autorisation d'établissement en leur faveur et celle de leur fille.

14.         Par courrier daté du 16 février 2024, l’OCPM a confirmé aux intéressés qu’il était opposé à la délivrance d’une autorisation d'établissement en leur faveur. Il s’est également déclaré défavorable au renouvellement de leurs autorisations de séjour et envisageait de prononcer leur renvoi de Suisse. Un délai de 30 jours leur était imparti pour exercer par écrit leur droit d’être entendu.

15.         Par courrier du 19 mars 2024 adressé à l’OCPM, les époux ont fait valoir leurs observations, persistant intégralement dans leurs conclusions en octroi anticipé d’une autorisation d’établissement. Subsidiairement, ils ont conclu au renouvellement de leurs autorisations de séjour « avec effet immédiat ». En tout état, ils sollicitaient le prononcé d’une décision sujette à recours dans les plus brefs délais.

Il ressortait des états financiers de C______ Sàrl, au 30 novembre 2023, que le résultat pour l’exercice clôturé à cette date présentait un bénéfice de CHF 167'947.- contre une perte de CHF 65'169.- en 2022. Le total des produits nets de ventes de biens et de prestations de services était passé de CHF 144'786.- en 2022 à CHF 918'859,06 en 2023. Quant au total des charges de personnel, il était passé de CHF 76'379,91 en 2022 à CHF 311'746.58 en 2023.

Du 12 septembre au 12 octobre 2023, C______ Sàrl avait publié une offre d’emploi pour un poste de directeur du restaurant « D______ » sur la plateforme I______. Elle avait reçu 59 dossiers de candidatures dont 19 remplissaient les critères de sélection. Six personnes avaient été reçues pour un entretien et deux candidats avaient effectué un essai d’un mois. Aucune de ces deux personnes n’avait cependant suffisamment de connaissances en culture et cuisine turques, raison pour laquelle B______ occupait lui-même provisoirement ce poste de directeur. Il souhaitait toutefois se concentrer sur l’activité de développement de la société et du restaurant.

Les rapports de travail entre A______ et F______ ayant pris fin le 31 décembre 2023, B______ souhaitait engager son épouse au service de la société C______ Sàrl afin que cette dernière puisse le remplacer à la direction du restaurant « D______ ». Ils entendaient ainsi exploiter cet établissement sous la forme d’une entreprise familiale.

16.         Par courriel du 23 avril 2024 adressé à l’OCPM, les époux A______ et B______ ont donné leur accord au transfert de leur dossier à l’OCIRT en vue de l’examen de l’octroi d’une autorisation de séjour avec activité lucrative.

17.         Par courrier du 26 avril 2024, l’OCIRT a informé B______ que l’OCPM lui avait transmis le dossier de demande d’autorisation de travail en sa faveur, pour raison de compétence, et lui a imparti avec délai de dix jours pour lui transmettre des renseignements complémentaires, à savoir : une nouvelle lettre de motivation correspondant à la demande, c'est-à-dire à une requête en autorisation de séjour contingentée avec activité lucrative indépendante au sens de l'art. 19 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), qui démontrait le respect des conditions légales (y compris une source de revenus suffisante et autonome) ; le plan d'affaires avec prévisions chiffrées sur trois ans, année par année (y compris en terme d'effectif) et l'effectif actuel indiquant le nombre d'employés, leur nationalité et leur degré d'occupation.

18.         Par pli du 24 mai 2024, les époux A______ et B______ ont fourni à l’OCIRT une nouvelle lettre de motivation afférente à l'octroi d'une autorisation de séjour (permis B).

B______ souhaitait engager son épouse au service de sa société C______ Sàrl, afin qu'elle reprenne la direction du restaurant (poste qu’il occupait actuellement).

Selon le compte de résultats transmis à l’OCIRT le 20 mai 2024, le chiffre d'affaires de la société s'élevait à CHF 945'779.- au 31 décembre 2023 Les prévisions relatives au chiffre d'affaires pour l'année 2024 étaient de CHF 1’330'225.- puis de CHF 1'596’270.- pour 2025 et de CHF 1'755'897.- pour 2026. D'après la fiche de salaire de juin 2023, B______ percevait un salaire mensuel de CHF 5'000.- bruts.

A l’appui de leur dossier, ils ont encore produit une copie de l'annonce de recherche d’un « Restaurant Manager » publiée sur le site I______ avec un début d'activité prévu au plus tard en septembre 2023.

19.         Par courriel du 4 juin 2024, l'OCIRT a fait savoir au mandataire des époux A______ et B______ que la commission tripartite avait examiné la demande déposée en faveur de B______. Elle était disposée à entrer en matière sur l'octroi en sa faveur d'un permis L de douze mois, étant souligné, qu’en principe, l'autorité intimée n'accordait pas d'autorisation pour la gestion ou la direction de restaurants. Ce permis L permettrait à la société de poursuivre son développement. Dans deux ans au plus tard ou en novembre 2025 au plut tôt (au vu de l'échéance du permis de B______), la commission tripartite se prononcerait sur la transformation du permis L en permis B, en fonction du développement de la société, de l'atteinte des objectifs annoncés et de l'intérêt économique pour Genève. Enfin, C______ Sàrl devait se mettre à jour avec ses obligations fiscales (impôt à la source).

Un délai de dix jours était accordé au requérant pour confirmer si cette approche lui convenait.

20.         Par courriel du 9 juin 2024, sous la plume de leur conseil, les époux A______ et B______ ont indiqué à l’OCIRT qu’ils refusaient la proposition de la commission tripartite. Pour le surplus, ils persistaient dans les termes et conclusions de leur courrier du 24 mai 2024.

21.         Par décision du 19 juin 2024, l’OCIRT, après un second examen du dossier par la commission tripartite, a refusé l'octroi de l'autorisation sollicitée en faveur de B______, au motif que les conditions de l'art. 19 LEI n’étaient pas remplies. En particulier, la demande ne présentait pas un intérêt économique suffisant.

En principe, il n’accordait pas d'autorisation pour la gestion de restaurants. A titre exceptionnel et pour tenir compte des éléments particuliers du dossier, il avait proposé à B______ la délivrance d’un permis L. Cette autorisation aurait permis à la société de poursuivre son développement et à la commission tripartite pour l'économie de suivre cette évolution et l'atteinte des objectifs annoncés. Or, cette proposition avait été rejetée. Enfin, l'employeur n'était pas en règle avec l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) par rapport au paiement de l’impôt à la source. En conséquence, le dossier était retourné à l’OCPM.

22.         Par acte du 21 août 2024, sous la plume de leur conseil, M. B et Mme A______ (ci-après : les recourants) ont interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI ou le tribunal) concluant principalement, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à ce qu’il soit ordonné à l’OCIRT de délivrer une autorisation de séjour (permis B) en leur faveur ainsi que celle de leur fille. Subsidiairement, ils ont conclu au renvoi de la cause à l’autorité intimée pour nouvelle décision. A titre préalable, ils ont demandé à ce que le tribunal ordonne à l’OCIRT de produire les procès-verbaux des séances de la commission tripartite pour l’économie consacrées à leur demande d’autorisations de séjour.

B______ avait ouvert le seul restaurant ______ turc de Genève, contribuant incontestablement à la diversification de l’économie régionale. Cet établissement avait en outre fait l’objet de bonnes critiques dans un article du journal ______ et dans le guide ______. Il était par ailleurs soutenu par la H______ et employait actuellement huit salariés. Sa demande présentait dès lors indubitablement un intérêt économique suffisant au sens de l’art. 19 LEI.

Certes, C______ Sàrl faisait l’objet de retards de versements des impôts à la source pour l’année 2023 mais un arrangement de paiement avait été demandé à l’AFC. En tout état, cette question fiscale ne concernait que la société et ne pouvait justifier une décision négative concernant le statut des recourants en Suisse.

La décision querellée portait également atteinte à leur vie privée et familiale au sens de l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). Ils résidaient en Suisse depuis plus de sept ans et y avait créé leur foyer. Leur fille était d’ailleurs née à Genève.

Par ailleurs, en empêchant le recourant d’exploiter son restaurant et d’exercer son métier, dont il était passionné, la décision entreprise violait le principe constitutionnel de la liberté économique au sens de l’art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

Enfin, l’autorité intimée s’était contentée d’affirmer que la demande ne présentait pas un intérêt économique suffisant, sans motivation ni démonstration alors que tel n’était pas le cas. Cette affirmation était dès lors contraire au principe de la bonne foi et arbitraire. Pour ce motif également, ils souhaitaient que l’OCIRT produise les extraits des séances de la commission tripartite consacrées à leur demande.

23.         Par courriel du 22 octobre 2024, l’AFC a confirmé à l’OCIRT son préavis défavorable.

24.         Dans ses observations du 28 octobre 2024, l’OCIRT a conclu au rejet du recours. Il a produit son dossier.

Il existait déjà 2383 entreprises actives dans la restauration à Genève. Le recourant proposait donc un service déjà suffisamment fourni sur le territoire genevois.

En 2023, sa société comptait six employés. A teneur du dossier, elle prévoyait d’employer huit personnes en 2024 et dix personnes pour les années 2025 et 2026. La condition de création de places travail pour la main d’œuvre locale n’était donc pas réalisée. Enfin, les questions des investissements substantiels et des nouveaux mandats pour l’économie helvétique n’avaient pas été démontrées ni même abordées par le recourant.

Quant aux chiffres d’affaires annoncés, leurs montants restaient modestes et l’entreprise avait même fait état de pertes chiffrées à CHF 65'159.- en 2022. Au vu de cette première année d’activité difficile, la progression de l’entreprise et les chiffres d’affaires annoncés ne paraissaient nullement garantis. En tout état, les montants prévus étaient insuffisants pour reconnaitre un intérêt économique suffisant qui justifierait la prise d’une unité de contingent cantonal. La demande ne présentait donc pas d’intérêt économique au sens de l’art. 19 LEI.

Enfin, pour tenir compte des circonstances particulières du dossier, notamment le contrat de prêt conclu avec la H______, et en accord avec ses directives, la commission tripartite avait proposé au recourant l’octroi d’un permis L de douze mois, prolongeable en fonction du niveau d’atteinte des objectifs et de l’effet durable positif escompté par l’implantation de l’entreprise. Or, les recourants avaient rejeté cette opportunité. Le recourant était dès lors malvenu d’invoquer une violation de l’art. 27 Cst., et le fait d’être « empêché » d’exercer son métier, étant rappelé que le fait d’être inscrit au registre du commerce comme associé-gérant de C______ Sàrl ne lui conférait aucun droit quant à une prise d’activité. A cet égard, il devait être considéré comme un nouveau demandeur d’emploi.

25.         Les recourants ont répliqué le 16 décembre 2024, persistant dans les termes et conclusions de leur recours.

Ils ont pour l’essentiel repris les arguments déjà invoqués dans leurs écritures précédentes, tout en soulignant que le restaurant « D______ » était le seul restaurant ______ turc de Suisse. Il contribuait dès lors à la diversification de l’économie régionale.

Pour le surplus, l’argument du préavis défavorable de l’AFC ne pouvait être suivi dans la mesure où celle-ci avait accordé un arrangement de paiement à C______ Sàrl. Enfin, la décision attaquée semblait résulter du fait qu’ils avaient décliné la proposition de l’autorité intimée de leur délivrer des permis L. Or, un tel permis, de courte durée, aurait constitué une dégradation de leur statut légal en Suisse.

Enfin, dans le courrier accompagnant leur réplique, ils ont sollicité leur comparution personnelle et répété qu’ils demandaient la production des procès-verbaux des séances de la commission tripartite consacrées à leur demande.

A l’appui de leurs écritures, ils ont produit un courrier de l’AFC du 20 septembre 2024 accordant un arrangement de paiement à C______ Sàrl, soit six versements de CHF 2'421.70 pour régler en un semestre une créance de CHF  14'530.20.

26.         L’OCIRT a dupliqué le 9 janvier 2025, maintenant intégralement les conclusions de ses observations du 28 octobre 2024.

Pour le surplus, concernant la question du préavis défavorable de l’AFC, le montant dû relatif à l'impôt à la source pour l'année 2023 n'avait pas encore été totalement versé à l'autorité compétente, raison pour laquelle la réserve n'était pas levée.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail en matière de marché du travail (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ  - E 2 05  ; art. 3 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

5.             L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'elle ou il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/185/2020 du 18 février 2020 consid. 2b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/85/2022 du 1er février 2022 consid. 3a ; ATA/4418/2019 du 23 mars 2021, consid.10b).

6.             Quant à l'autorité de recours, elle n'examine pas les prétentions et les griefs qui n'ont pas fait l'objet du prononcé de l'instance inférieure, sous peine de détourner sa mission de contrôle, de violer la compétence fonctionnelle de cette autorité-ci, d'enfreindre le principe de l'épuisement des voies de droit préalables et, en définitive, de priver les parties d'un degré de juridiction (ATA/648/2016 du 26 juillet 2016 consid. 2b).

7.             Lorsqu’un étranger ne possède pas de droit à l'exercice d'une activité lucrative, une décision cantonale préalable concernant le marché du travail est nécessaire pour l'admettre en vue de l'exercice d'une activité lucrative (art. 40 al. 2 LEI). Dans le canton de Genève, la compétence pour rendre une telle décision est attribuée à l'OCIRT (art. 6 al. 4 du règlement d'application de la loi fédérale sur les étrangers, du 17 mars 2009 - RaLEtr - F 2 10.01). L’OCPM reçoit et traite les demandes d'autorisation d'admission pour d'autres motifs que ceux relevant de l’exercice d’une activité lucrative (art. 8 RaLEtr).

8.             En l’occurrence, la décision attaquée concerne le refus de l’OCIRT de délivrer une autorisation de séjour avec activité lucrative indépendante à B______, en application de l’art. 19 LEI.

Dans leur recours, les époux A______ et B______ concluent principalement à l’annulation de cette décision et à ce qu’il soit ordonné à l’OCIRT de délivrer une autorisation de séjour non seulement en faveur du recourant, mais également en faveur de son épouse et de leur fille. Cette conclusion, en tant qu’elle concerne A______ et l’enfant E______, doit cependant être déclarée irrecevable, car exorbitante à l’objet du litige. De plus, la compétence pour se prononcer sur cette question ne relève pas de l’OCIRT, mais de l’OCPM, l’autorité intimée n’étant compétente qu’en matière de marché du travail. Il n'y a ainsi pas lieu d'examiner la situation de la famille sous l’angle de l’art. 8 CEDH, cet examen devant le cas échéant faire l'objet d'une demande propre, traitée par l'OCPM.

Pour le surplus, la question de la qualité pour recourir de A______ contre la décision de refus de l’OCIRT d’octroyer une autorisation de travail pour indépendant à son époux pourra rester ouverte, ce dernier étant légitimé à recourir contre la décision dont il est le destinataire.

Le recours sera donc déclaré recevable.

9.             A titre préalable, les recourants reprochent à l’OCIRT d’avoir violé leur droit d’être entendus en ne motivant pas l’absence d’intérêt économique pour la Suisse retenue dans sa décision. Ils sollicitent en outre leur audition et la production des procès-verbaux de la séance de la commission tripartite durant laquelle la demande de B______ a été examinée.

10.         Garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l’autorité de recours n’est pas possible, l’annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2 ; 135 I 279 consid. 2.6.1 ; 135 I 187 consid. 2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_529/2016 du 26 octobre 2016 consid. 4.2.1 ; 5A_681/2014 du 14 avril 2015 consid. 31 ; ATA/289/ 2018 du 27 mars 2018 consid. 2b). Ce moyen doit dès lors être examiné en premier lieu (ATF 137 I 195 consid. 2.2).

11.         Il comprend notamment le droit, pour l'intéressé, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités). Ce droit ne s’étend toutefois qu’aux éléments pertinents pour décider de l’issue du litige et le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_159/2020 du 5 octobre 2020 consid. 2.2.1).

12.         Par ailleurs, il ne confère pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (art. 41 in fine LPA ; ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_901/2014 du 27 janvier 2015 consid. 3).

13.         Le droit d'accès au dossier n'est pas sans limite. En effet, l'art. 26 de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD – A 2 08) prévoit une série d'exceptions au principe du droit d'accès (art. 24 al. 1 LIPAD). En particulier, les notes échangées entre es membres d’une autorité collégiale ou entre ces derniers et leurs collaborateurs (art. 26 al. 3 LIPAD) et les documents à la communication desquels le droit fédéral ou une loi cantonale fait obstacle (art. 26 al. 4 LIPAD) sont exclus du droit d’accès.

14.         La loi sur les commissions officielles du 18 septembre 2009 (LCOf – A 2 20) s’applique aux commissions officielles dépendant du Conseil d’Etat, de la chancellerie d’Etat ou d’un département, qui sont instituées par une loi, un règlement ou un arrêté, et dont l’activité revêt un caractère consultatif, de préavis ou décisionnel, à l’exception de l’activité juridictionnelle. Selon l'art. 15 al. 1 LCOf, toutes les séances de commission et de sous-commissions font l’objet de procès-verbaux, qui ne sont pas publics. La jurisprudence retient, sur la base de l'art. 15 al. 1 LCOf, que ces procès-verbaux constituent des projets de décisions et se rapportent ainsi uniquement à la formation de l’opinion des membres de l’autorité. Ils ne peuvent dès lors pas être transmis aux parties (ATA/830/2022 du 23 août 2022 consid. 3c; ATA/940/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5).

15.         Le droit d'être entendu implique aussi pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que l'autorité ou le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; ATF 137 II 266 consid. 3.2 ; ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; ATF 134 I 83 consid. 4.1 ; ATA/967/2016 du 15 novembre 2016 consid. 2b).

16.         En l’espèce, le tribunal estime que le dossier contient les éléments suffisants et nécessaires, tel qu'ils ressortent des écritures des parties, des pièces produites et du dossier de l'autorité intimée, pour statuer sur le litige, de sorte qu'il n'apparaît pas utile de procéder à l’audition des recourants. Par ailleurs, si la décision litigieuse est certes succincte, elle demeure néanmoins parfaitement claire et ne nécessite pas de plus amples développements. En effet, elle mentionne la base légale applicable, soit l'art. 19 LEI, ainsi que les motifs de refus, à savoir l’absence d’intérêt économique suffisant et le fait que l’employeur n’était pas en règle avec l’AFC (impôt à la source). Ces éléments ont d’ailleurs permis aux recourants, sous la plume de leur conseil, de motiver leur recours de manière complète et, en particulier, d’y exposer de manière approfondie les raisons pour lesquelles ils estimaient qu’une autorisation devait être délivrée à B______. L'autorité intimée s'est également expliquée plus en détail, d’abord dans ses observations, puis dans sa duplique et les recourants ont eu l’occasion de répliquer. Il convient de préciser à cet égard qu'un éventuel défaut de motivation peut être réparé par la prise de position de l'autorité intimée, suite à un recours, si l'administré se voit offrir la possibilité de s'exprimer à son sujet et que l'autorité de recours peut examiner librement les questions de fait et de droit (cf. ATF 133 I 201 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_272/2010 du 16 mars 2011 consid. 2.6.2 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1577 p. 522 et les arrêts cités), tel qu'en l'espèce. Dès lors, ils n’ont subi aucun préjudice procédural.

Enfin, conformément à la jurisprudence précitée relative à l'art. 15 al. 1 LCOf, les recourants ne peuvent prétendre à la production des procès-verbaux de la commission, documents internes à l’administration qui n’ont pas à être remis aux parties.

En conséquence, le droit d'être entendu des recourants n'a pas été violé et il ne sera pas donné suite à la demande de comparution personnelles des parties. De même, la conclusion préalable en production des procès-verbaux de la commission sera rejetée.

17.         Selon l’art. 11 LEI, tout étranger qui entend exercer en Suisse une activité lucrative doit être titulaire d’une autorisation, quelle que soit la durée de son séjour ; il doit la solliciter auprès de l’autorité compétente du lieu de travail envisagé (al. 1). Est considérée comme activité lucrative toute activité salariée ou indépendante, qui procure normalement un gain, même si elle est exercée gratuitement (al. 2).

18.         Lorsqu’un étranger ne possède pas de droit à l’exercice d’une activité lucrative, une décision cantonale préalable concernant le marché du travail est nécessaire pour l’admettre en vue de l’exercice d’une activité lucrative (art. 40 al. 2 LEI).

19.         Aux termes de l’art. 83 al. 1 let. a de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), avant d'octroyer une première autorisation de séjour ou de courte durée en vue de l'exercice d'une activité lucrative, l'autorité cantonale du marché du travail décide si les conditions sont remplies pour exercer une activité lucrative salariée ou indépendante au sens des art. 18 à 25 LEI.

20.         La procédure d’obtention d’autorisation est réglée à Genève aux art. 6 al. 1 à 7 du règlement d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 9 mars 2009 (RaLEtr - F 2 10.01).

21.         Selon l'art. 2 al. 1 OASA, qui concrétise l'art. 19 LEI (admission en vue d'une « activité lucrative indépendante »), est considérée comme activité lucrative indépendante toute activité exercée par une personne dans le cadre de sa propre organisation, librement choisie, dans un but lucratif, soumise à ses propres instructions matérielles et à ses propres risques et périls. Cette organisation librement choisie peut être gérée par exemple sous la forme d'un commerce, d'une fabrique, d'un prestataire de service, d'une industrie ou d'une autre affaire (cf. ATF 140 II 460 consid. 4.1.3).

22.         Les définitions de « l'activité lucrative indépendante » utilisées par d'autres autorités dans leurs champs de compétences (impôts, assurances sociales, etc.) n'entrent pas en considération. Est déterminante, en matière migratoire, la définition figurant à l'art. 2 OASA (cf. directives OLCP, ch. 4.1.2).

23.         La jurisprudence a retenu qu'une personne, seule et unique associée d'une société à responsabilité limitée exerce une activité lucrative indépendante (cf. ATAF C-7286/2008 du 9 mai 2011 consid. 6.1). Le tribunal de céans a fait sienne cette appréciation (cf. JTAPI/1109/2013 du 9 octobre 2013). Il a également jugé qu'un associé d'une société à responsabilité limitée détenant dix-huit des vingt parts sociales apparaissait comme le principal acteur de la société, de sorte que son activité équivalait à celle d'un indépendant (JTAPI/1082/2013 du 8 octobre 2013). Il a par ailleurs considéré comme étant de nature indépendante l'activité d'une personne qui était le seul membre présent en Suisse du conseil d'une fondation et qui disposait de la signature individuelle, alors que les deux autres membres étaient domiciliés à l'étranger et qu'ils ne disposaient que d'une signature collective à deux avec elle (JTAPI/1334/ 2013 du 10 décembre 2013).

24.         La jurisprudence fédérale a détaillé la notion d'activité lucrative indépendante sous l'angle du droit communautaire et retenu que les critères permettant de la distinguer de l'activité lucrative dépendante étaient similaires aux critères du droit suisse (ATF 140 II 460 consid. 4.1).

25.         En l'espèce, dès lors qu'il est l'unique actionnaire de C______ Sàrl, l’activité de B______ est déployée dans le cadre exclusif de sa propre organisation. De plus, il travaille à ses propres risques et périls, ne serait-ce que de façon indirecte, puisqu'il est le seul « propriétaire » de C______ Sàrl. Sa demande doit dès lors être analysée sous l’angle de l’exercice d’une activité lucrative indépendante (art. 19 LEI), ce qui n’est au demeurant pas contesté.

26.         Selon l’art. 19 LEI, un étranger peut être admis en vue de l'exercice d'une activité lucrative indépendante aux conditions suivantes : son admission sert les intérêts économiques du pays (let. a) ; les conditions financières et les exigences relatives à l'exploitation de l'entreprise sont remplies (let. b) ; il dispose d'une source de revenus suffisante et autonome (let. c) ; les conditions fixées aux art. 20 et 23 à 25 LEI sont remplies (let. d).

Ces conditions doivent être remplies de manière cumulative (cf. arrêts du TAF F-4755/2018 du 27 janvier 2021 consid. 4.3 in fine).

27.         En raison de sa formulation potestative, cette disposition ne confère aucun droit à la délivrance d'une telle autorisation de séjour (arrêts du Tribunal fédéral 2C_56/2016 du 20 janvier 2016 consid. 3 ; 2D_4/2015 du 23 janvier 2015 consid. 3 ; 2C_541/2012 du 11 juin 2012 consid. 4.2) et les autorités compétentes bénéficient d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de son application (cf. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 5.1 ; C-5420/2012 du 15 janvier 2014 consid. 6.2 ; ATA/1660/2019 du 12 novembre 2019 consid. 4b).

28.         L'octroi d'une autorisation de travail en vue de l'exercice d'une activité lucrative indépendante ne peut être admis que s'il est prouvé qu'il en résultera des retombées durables positives pour le marché suisse du travail (intérêts économiques du pays). On considère notamment que le marché suisse du travail tire durablement profit de l'implantation d'une entreprise, lorsque celle-ci contribue à la diversification de l'économie régionale dans la branche concernée, obtient ou crée des places de travail pour la main d'œuvre locale, procède à des investissements substantiels et génère de nouveaux mandats pour l'économie suisse (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-968/2019 du 16 août 2021 consid. 5.3.1). Dans une première phase (création et édification de l'entreprise), les autorisations idoines sont délivrées pour deux ans (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-4160/2013 du 29 septembre 2014 ; Minh Son NGUYEN/ Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. 2 : LEtr, Berne, 2017, p. 146 et les références citées ; SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, Séjour avec activité lucrative [Chapitre 4], 2013, état au 1er janvier 2025 [ci-après : directives du SEM], ch. 4.3.1, 4.7.2.1 et 4.7.2.2).

29.         Dans un arrêt du 22 février 2022, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a retenu que les prévisions d’emploi de six personnes à l’horizon 2023 ne pouvaient être considérées comme remplissant la condition de création de places pour la main-d'œuvre locale (ATA/184/2022, consid. 8.g).

30.         La notion d'« intérêt économique du pays », formulée de façon ouverte, concerne au premier chef le domaine du marché du travail. Il s’agit, d’une part, des intérêts de l’économie et de ceux des entreprises. D’autre part, la politique d’admission doit favoriser une immigration qui n’entraîne pas de problèmes de politique sociale, qui améliore la structure du marché du travail et qui vise à plus long terme l’équilibre de ce dernier (Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la loi sur les étrangers, in FF 2002 3469 ss, p. 3485 s. et 3536). En particulier, les intérêts économiques de la Suisse seront servis lorsque, dans un certain domaine d’activité, il existe une demande durable à laquelle la main d’œuvre étrangère en cause est susceptible de répondre sur le long terme (arrêts du Tribunal administratif fédéral F-4226/207 du 8 octobre 2019 consid. 4.5.1 ; C-5912/2011 du 26 août 2015 consid. 7.1 ; et les références citées ; ATA/1363/2020 du 22 décembre 2020 consid. 8e ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5d). L'art. 3 al. 1 LEI concrétise le terme en ce sens que les chances d'une intégration durable sur le marché du travail suisse et dans l'environnement social sont déterminantes. L'activité économique est dans l'intérêt économique du pays si l'étranger offre par là une prestation pour laquelle il existe une demande non négligeable et qui n'est pas déjà fournie en surabondance (ATA/184/2022 du 22 février 2022 consid. 8e et les références citées ; Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. 2 : LEtr, 2017, p. 145 s. et les références citées).

31.         Selon les directives établies par le SEM, qui ne lient pas le juge mais dont celui-ci peut tenir compte pour assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré pour autant qu'elles respectent le sens et le but de la norme applicable (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-968/2019 du 16 août 2021 consid. 5.4.2 ; ATA/1198/2021 du 9 novembre 2021 consid. 7b), lors de l’appréciation du cas, il convient de tenir compte en particulier de la situation sur le marché du travail, de l’évolution économique durable et de la capacité de l’étranger concerné à s’intégrer. Il ne s’agit pas de maintenir une infrastructure avec une main-d’œuvre peu qualifiée disposée à travailler pour de bas salaires, ni de soutenir des intérêts particuliers. Par ailleurs, les étrangers nouvellement entrés dans le pays ne doivent pas faire concurrence aux travailleurs en Suisse en provoquant, par leur disposition à accepter de moins bonnes conditions de rémunération et de travail, un dumping salarial et social (directives du SEM, ch. 4.3.1; arrêt du Tribunal administratif fédéral F-4226/ 2017 du 8 octobre 2019 consid. 4.5.1 ; ATA/1198/2021 du 9 novembre 2021 consid. 7b).

32.         Afin de permettre à l'autorité d'examiner les conditions financières et les exigences liées à l'exploitation de l'entreprise, les demandes doivent être motivées et accompagnées des documents conformément à la liste de vérification des annexes à fournir (cf. directives du SEM, ch. 4.8.11) et d’un plan d’exploitation. Celui-ci devra notamment fournir des indications sur les activités prévues, l'analyse de marché (business plan), le développement de l’effectif du personnel (plans quantitatif et qualitatif) et les possibilités de recrutement, ainsi que les investissements prévus, le chiffre d’affaires et le bénéfice escomptés. Les liens organisationnels avec d’autres entreprises sont également à indiquer. L’acte constitutif de l’entreprise et/ou extrait du registre du commerce sont à joindre (directives du SEM, ch. 4.7.2.3). L’autorisation doit également s’inscrire dans les limites du contingent fixé par le Conseil fédéral (art. 20 LEI), selon un nombre maximum fixé dans l’annexe 2 OASA, à savoir 91 permis B pour 2024 et 92 permis B pour 2025.

33.         En l’espèce, l'analyse à laquelle a procédé l'OCIRT, qui dispose en la matière d'un large pouvoir d'appréciation, n'apparaît pas fondée sur des éléments dépourvus de pertinence, négligeant des facteurs décisifs ou guidée par une appréciation insoutenable des circonstances, que ce soit dans son approche ou dans son résultat.

En particulier, sous l'angle de l'art 19 LEI, l'autorité intimée a retenu à juste titre que les arguments développés par les recourants étaient insuffisants pour permettre de considérer que l’admission de la demande servirait les intérêts économiques helvétiques au sens de la loi et de la jurisprudence.

Tout d’abord, il n’a pas été démontré que l’activité du recourant au sein de de sa société - soit en l’occurrence l'exploitation du restaurant turc « D______ » - revêtirait une originalité particulière dans le paysage économique genevois et contribuerait ainsi à sa diversification. Aucun élément au dossier ne permet d'affirmer que l'offre actuelle serait insuffisante à Genève dans ce domaine d'activité, la recherche effectuée par l’OCIRT auprès du registre du commerce en utilisant le terme « restaurant » démontrant au contraire qu'il existe déjà pléthore d’entreprises actives dans le domaine de la restauration à Genève. Il en va de même du nombre de restaurants spécialisés dans la cuisine turque.

Par conséquent, faute pour les recourants d’avoir démontré l’existence d’une réelle demande en lien avec l’activité et les services qu’elle entend proposer, respectivement développer, le tribunal retiendra que ceux-ci sont déjà fournis en suffisance sur le territoire genevois.

La condition de la création de places de travail ne paraît pas non plus réalisée. Les recourants ont indiqué que la société employait six personnes et qu’elle souhaitait engager quatre personnes supplémentaires à l’horizon 2025/2026. Or, comme cela ressort de la jurisprudence précitée, de telles prévisions sont modestes et insuffisantes pour permettre l'octroi d’une autorisation avec activité lucrative indépendante dans le canton de Genève, notamment en raison de l'exiguïté du contingent cantonal. On ne saurait dès lors considérer que l'activité de la société et de B______ permettrait la création d'un nombre d'emplois significatif qui aurait des retombées positives et durables sur le marché suisse du travail.

Par ailleurs, les recourants ne sont pas parvenus à démontrer que les activités déployées permettraient de générer de nouveaux mandats pour l'économie suisse, étant souligné que les retombées fiscales de l’activité de la société et l’imposition des recourants sont irrelevantes, la soumission des particuliers et entreprises aux taxes fiscales étant une obligation légale qui s’impose à chaque entité/personne concernée. Il doit pour le surplus être relevé que les investissements déjà effectués ne confèrent aucun droit à obtenir une nouvelle autorisation de séjour avec activité lucrative en Suisse (art. 6 al. 2 OASA) et ce, quel que soit le montant de l’investissement concerné.

S'agissant du chiffre d'affaires prévisionnel, les montants présentés à l’autorité intimée, à savoir CHF 1’330'225.- pour 2024, CHF 1'596'270.- pour 2025 et CHF  1'755'897.- pour 2026, sont à nouveau insuffisants pour reconnaître un intérêt économique au sens de l'art. 19 LEI, compte tenu notamment de l'exiguïté du contingent cantonal. En tout état, l’existence de retombées économiques positives pour les recourants ne suffit pas encore à considérer qu'elles le sont également pour l'économie suisse.

En conclusion, la délivrance du permis requis servirait en réalité les intérêts privés des recourants, en particulier ceux du recourant, actionnaire unique de C______ Sàrl, et non pas les intérêts économiques de la Suisse, conformément à l'exigence de l'art. 19 let. a LEI. En effet, il n'apparaît pas qu'il en résulterait des retombées durables positives pour le marché suisse du travail ou que celui-ci tirerait durablement profit de l'admission de B______ par sa contribution à la diversification de l'économie régionale dans la branche concernée, la création de places de travail pour la main-d’œuvre locale, des investissements substantiels et de nouveaux mandats pour l'économie helvétique.

34.         La première condition cumulative de l'art. 19 LEI n'étant pas réalisée, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres conditions de cette disposition, ni les autres arguments des recourants, étant rappelé que, compte tenu de l'exiguïté des contingents du canton de Genève, la commission tripartite est contrainte de ne retenir que les demandes qui se démarquent par un fort intérêt économique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Pour le surplus, il sera rappelé que, même si C______ Sàrl a négocié un arrangement de paiement, l’AFC a émis un préavis défavorable à la demande, les paiements de l’impôt à la source n’étant pas encore à jour.

35.         Le recourant se plaint également d'une violation de sa liberté économique au sens de l'art. 27 Cst.

36.         Selon la jurisprudence, dans la mesure où un travailleur indépendant étranger n'a droit à aucune autorisation de séjour en vertu de la législation fédérale ou d'un traité international, comme en l'espèce, il ne peut se plaindre de la violation de l'art. 27 Cst. (ATF 131 I 223 consid. 1.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_62/2015 du 14 octobre 2015 consid. 3).

Ce grief sera dès lors rejeté.

37.         En dernier lieu, et comme déjà dit supra, concernant les éléments avancés en lien avec la situation administrative de la famille SUN, il convient de rappeler que l'objet du litige porte sur le refus de l'OCIRT de délivrer une autorisation de séjour à l’année avec activité lucrative (permis B) à B______. Il n’y a donc pas lieu d’examiner ici la situation des autres membres de sa famille, cet examen devant, le cas échéant, faire l'objet d'une demande d’autorisation de séjour propre, traitée par l’OCPM.

38.         Au vu de ce qui précède, l'appréciation que l'autorité intimée a faite de la situation des recourants ne prête aucunement flanc à la critique. Dans ces conditions, le tribunal, qui doit faire preuve de retenue et respecter la latitude de jugement conférée à l'OCIRT, ne saurait en corriger le résultat en fonction d'une autre conception, sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit de faire (art. 61 al. 2 LPA ; cf. aussi ATF 140 I 201 consid. 6.1 et les références citées).

39.         En conclusion, entièrement mal fondé, le recours sera rejeté et la décision contestée confirmée.

40.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

41.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 21 août 2024 par Madame A______ et Monsieur B______ contre la décision de l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 19 juin 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de Madame A______ et Monsieur B______, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière