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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/390/2024

JTAPI/1072/2024 du 29.10.2024 ( LDTR ) , REJETE

Descripteurs : RÉNOVATION D'IMMEUBLE;CHAMBRE;DROIT ACQUIS
Normes : LCI.52; RGL.1.al4; RGL.1.al5; RGL.7.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/390/2024 et A/391/2024 LDTR

JTAPI/1072/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 29 octobre 2024

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Paul HANNA, avocat, avec élection de domicile

 

contre

 

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.      A______ SA (ci-après : la société) est propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de B______, sise en zone de développement 3, sur laquelle est érigée un bâtiment d’habitation ayant pour adresse ______[GE].

2.             Depuis le 1er mars 2014, l’appartement situé au 5ème étage de ce bâtiment (ci-après : l’appartement) a été occupé par les époux C______ et D______, puis par les époux E______ et F______.

3.             Le 23 mars 2023, l’office cantonal du logement et de la planification foncière
(ci-après : OCLPF), qui dépend du département du territoire (ci-après : le département), a informé la société avoir été averti que des travaux auraient été effectués en 2014 dans l’appartement précité et que cette situation était susceptible de constituer une infraction à la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Un délai d’un mois lui était octroyé pour faire parvenir ses éventuelles observations et explications.

4.             Le 24 avril 2023, par le biais de son conseil, la société a répondu qu’une procédure civile par devant la juridiction des baux et loyers portant sur la fixation du loyer initial (les locataires requéraient la fixation judiciaire du loyer et sa baisse) était en cours et elle a sollicité une suspension de l’instruction du dossier en attente de droit jugé, subsidiairement une prolongation du délai pour faire parvenir ses observations.

5.      Le 1er septembre 2023, le département, soit pour lui l’office des autorisations de construire, a informé la société que l’OCLPF lui avait transmis le dossier et qu’il avait ouvert à son encontre la procédure d’infraction I-2______. Il lui a ordonné de requérir une autorisation de construire visant à régulariser la totalité des travaux entrepris sans autorisation dans l’appartement.

6.             Le 30 octobre 2023, dans le délai prolongé à sa demande au motif que les travaux auraient été effectués avant qu’elle n’acquière la parcelle et qu’il lui était nécessaire d’éclaircir divers éléments, la société a déposé auprès du département une demande d’autorisation de construire en procédure accélérée visant à régulariser les travaux effectués sans autorisation en 2014 dans l’appartement en cause.

7.             Par décision du ______ 2023, le département a délivrée l’autorisation sollicitée, qui avait été enregistrée sous la référence APA 3______. En son chiffre 7, cette décision stipulait que les conditions figurant dans les préavis de l’OCLPF du 24 novembre 2023 et de la police du feu du 13 décembre 2023 devaient être strictement respectées et faisaient partie intégrante de l’autorisation.

8.             À teneur du préavis précité de l’OCLPF, les dispositions de la LDTR devaient être respectées (condition n° 1) ; s’agissant de la régularisation de travaux déjà réalisés, le loyer de l’appartement de quatre pièces situé au 5ème étage était fixé rétroactivement au maximum CHF 13’620.- par an, soit CHF 3’405.- la pièce par an. Ce loyer était appliqué pour une durée de trois ans à partir de la remise en location après la fin de travaux, soit à partir du 1er avril 2014 (condition n° 2) ; toute modification devait faire l’objet d’une demande complémentaire (condition n° 3).

Selon le préavis précité de la police du feu, conformément à l’art. 2 let. a de la norme 1-15f « Norme de protection incendie » de l’association des établissements cantonaux d’assurance incendie (AEAI), le bâtiment devait être rendu conforme en proportion aux prescriptions de protection incendie (condition n° 1) ; l’appartement devait former un compartiment coupe-feu conforme à la directive de protection incendie 15-15f « Distances de sécurité incendie, systèmes porteurs et compartiments coupe-feu », équipé d’une porte palière EI 30. Si la porte palière actuelle n’était pas EI 30 ou qualifiée résistante au feu T 30 selon les anciennes prescriptions, elle serait remplacée par une porte EI 30 ou améliorée selon la note technique n° 008 de la fédération suisse du secteur des portes de manière à atteindre la résistance au feu exigée (condition n° 2) ; les parois des gains techniques impactées par les travaux seraient obturées de manière à résister au feu. Les éventuelles trappes de visite seraient EI 30, hormis dans les bâtiments de faible et moyenne hauteur, dans lequel la gaine était compartimentée horizontalement à chaque niveau, dans ce cas un couvercle RF1 était suffisant. Les ouvertures et trémies de câblage et de tuyaux seraient obturées de façon à résister au feu conformément à l’article 3.5 (condition n° 3).

9.             Par acte du 30 janvier 2024, la société a interjeté recours contre cette décision du ______ 2023 auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant, sous suite de frais et dépens, à sa modification en réformant, d’une part, la condition n° 2 de l’OCLPF en ce sens que l’appartement était un logement de cinq pièces et non de quatre pièces et, d’autre part, la condition n° 1 et le deuxième volet de la condition n° 2 du préavis de la police du feu en ce sens que les normes incendies appliquées étaient celles en vigueur en 2014.

Elle avait acquis la parcelle et son immeuble par acte de vente notarié enregistré au registre foncier le 20 mars 2014. Au moment de l’acquisition, elle s’était fiée aux pièces relatives à l’appartement le décrivant comme un logement de cinq pièces, dont le contrat de bail à loyer du 1er juin 1981 et les avis de modification de loyer de 1981 à 1989 ; aucun document n’établissait que l’appartement contenait moins de cinq pièces. Les travaux sans autorisation dans l’appartement avaient été engagés par l’ancien propriétaire, de sorte qu’elle n’en était pas responsable. Ces travaux, dans le cadre desquels le nombre de pièces n’avait pas été modifié, étaient toujours en cours lors de l’achat ; ils s’étaient achevés en mars 2014. Elle n’était pas active à Genève et elle ignorait les procédures applicables. La Régie du Mail qui avait géré la mise en location de bout en bout, n’avait jamais identifié la moindre difficulté et n’avait pas procédé à la moindre mise en garde de potentiels risques en lien avec ces travaux. Cette régie ne sollicitait pas à l’époque d’autorisations de construire pour le type de travaux réalisés.

Le plan de l’appartement annexé à l’autorisation APA 4______, établi par un bureau d’architectes, mentionnait la surface de chaque espace de l’appartement, soit le « séjour » de 20,45 m2, le « manger » de 7,55 m2, la « cuisine » de 9,42 m2, les « WC » de 1,08 m2, la « SDB » de 4,60 m2, le « réduit » de 4,09 m2, la « chambre 1 » de 12,45 m2, la « chambre 2 » de 10,46 m2 et le couloir d’entrée de 17,37 m2. Selon le préavis de l’OCLPF, le comptage des pièces au calcul du futur loyer se fondait sur le règlement d’exécution de la loi générale sur le logement et la protection des locataires (RGL - I 4 05.01). Toutefois, toute la documentation historique relative à l’appartement, nécessairement approuvée par l’administration genevoise, établissait que l’appartement comportait cinq pièces. Cet état de fait perdurait depuis plus de trente ans et les travaux engagés en 2013 et terminés en 2014 ne l’avaient pas modifié. Il y avait dès lors un droit acquis concernant la qualification de cinq pièces. En tout état, l’appartement avait cinq pièces au sens du RGL. D’une part, le critère de la surface nette minimum était rempli, l’appartement ayant une surface de 60,33 m2, donc plus que les 59 m2 requis. D’autre part, il y avait quatre pièces et demie habitables, toutes possédant une fenêtre, soit la cuisine de 9,42 m2, le séjour de 20,45 m2, la salle à manger de 7,55 m2 (une demi-pièce), la chambre 1 de 12,45 m2 et la chambre 2 de 10,46 m2. Toutes ces pièces étaient séparées par des portes ou tout du moins des portes coulissantes, de sorte qu’elles étaient distinctes. Ainsi, l’appartement remplissait les conditions de surface nette minimum et du nombre minimum de pièces habitables distinctes pour être considéré comme un logement de cinq pièces. La modification de la deuxième condition du préavis de l’OCLPF transformerait aussi le loyer à fixer rétroactivement pour une durée de trois ans à partir du 1er avril 2014.

Il n’y avait pas de disposition particulière d’exemption d’applicabilité du droit antérieur dans les deux normes 1-15f et 15-15f. Bien que l’autorisation de construire datait de 2023, le principe de non-rétroactivité de la loi était applicable puisque les faits pertinents étaient les travaux ayant eu lieu en 2014. En fait, l’autorisation de construire ne servait qu’à régulariser la situation de 2014 en se basant sur les modalités à l’époque. Toute interprétation différente irait à l’encontre de l’art. 8 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst - RS 100), engendrerait un traitement inégal et plus sévère, n’incitant pas un propriétaire à régulariser sa situation. Ce raisonnement était d’autant plus démontré car le premier volet de la condition n° 2 prévoyait l’application des anciennes dispositions en la matière et donc de la non-rétroactivité (tout du moins) impérative de la norme.

Ce recours, accompagné d’un chargé de onze pièces, a été ouvert sous le numéro de cause A/391/2024.

10.         Par décision du ______ 2023, le département a retenu que le loyer fixé à la condition n° 2 du préavis de l’OCLPF était applicable, avec effet rétroactif, pour une durée de trois ans dès la remise en location après la fin des travaux, soit à partir du 1er avril 2014. Partant, il a ordonné à la société de rétablir une situation conforme au droit en procédant à l’établissement d’un nouvel avis de fixation du loyer initial (formule officielle) respectant la condition n° 2 du préavis de l’OCLPF repris au chiffre 7 de l’autorisation de construire APA 3______ et au remboursement du
trop-perçu des locataires concernés, à savoir CHF 2’730.- aux époux D______ et CHF 46’410.- aux époux F______.

11.         Par acte du 1er février 2024, la société a interjeté recours contre cette décision du ______ 2023 auprès du tribunal, concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation en tant qu’elle lui ordonnait d’établir un nouvel avis de fixation du loyer initial et de procéder à un remboursement aux époux D______ et F______ et à ce qu’il soit constaté que l’appartement était un logement de cinq et non de quatre pièces. Préalablement, elle a requis la suspension de la procédure jusqu’à droit connu sur son recours du 30 janvier 2024.

La recourante a repris ses écritures du 30 janvier 2024, faisant valoir que le nombre de pièces (cinq) était un droit acquis au vu de la documentation existante et qu’en tout état, selon le droit en vigueur, le nombre de pièces de l’appartement était de cinq pièces.

Ce recours, accompagné d’un chargé de treize pièces, a été ouvert sous le numéro de cause A/390/2024.

12.         Le 9 février 2024, le département a indiqué que la jurisprudence avait déjà eu l’occasion de préciser qu’il ne se justifiait pas de suspendre la procédure relative à l’ordre de remise en état jusqu’à droit connu sur l’autorisation de construire, mais qu’il se justifiait plutôt de joindre les causes. Il estimait qu’il ne se justifiait point de faire droit à la requête de suspension de la recourante.

13.         Dans ses observations du 8 avril 2024, le département a conclu au rejet des deux recours, s’en rapportant à justice quant à leur recevabilité.

S’agissant du recours du 30 janvier 2024, il a fait valoir que la recourante ne saurait être suivie lorsqu’elle prétendait que l’appartement était composé de cinq pièces. De jurisprudence constante, il convenait d’appliquer l’art. 1 RGL pour calculer le nombre de pièces au sens de la LDTR, de sorte que le propriétaire ou son architecte/ingénieur ne pouvait pas calculer le nombre de pièces selon ses propres critères ou ceux d’autres normes. Selon les plans visés ne varietur, l’appartement comprenait deux chambres distinctes de 12,45 m2 respectivement 10,46 m2, une cuisine de 9,42 m2, un séjour de 20 m2 ainsi qu’une salle à manger de 7,55 m2. Or, le séjour et la salle à manger ne constituaient qu’une seule pièce, étant ouverts l’un sur l’autre et non fermés par un dispositif de porte ou un autre type de cloisonnement. Ils ne pouvaient donc être comptabilisés comme deux pièces. Au sujet du principe de non-rétroactivité, la jurisprudence rappelait qu’une demande d’autorisation de bâtir déposée sous l’empire du droit ancien était examinée en fonction des dispositions en vigueur au moment où l’autorité statue sur cette demande, même si aucune disposition légale ou réglementaire ne le prévoyait. Dès lors, dans la mesure où l’autorisation de construire APA 3______ avait été déposée le 30 octobre 2023, c’était à juste titre que les normes litigieuses avaient été appliquées. En tout état de cause, selon les art. 121 et 122 LCI, une construction devait remplir en tout temps les conditions de sécurité, notamment en matière de police du feu.

S’agissant du recours du 1er février 2024, il a fait valoir que le grief invoqué par la recourante ainsi que la conclusion tendant à la constatation du nombre de pièces contenues dans l’appartement étaient irrecevables. La décision querellée portant sur un ordre de remise en état, ces éléments n’entraient pas dans l’objet du litige et étaient exorbitants à la cause.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 25 janvier 1996 et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             À teneur de l’art. 70 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), l’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

3.             En l’occurrence, les recours interjetés dans les causes nos A/390/2024 et A/391/2024 reposent sur un complexe de faits semblables et liés, de sorte qu’ils soulèvent des questions connexes. Le département s’est d’ailleurs implicitement déclaré favorable à la jonction des causes dans ses écritures du 9 février 2024.

Il se justifie dès lors, au vu des éléments rappelés ci-dessus et par souci d’économie de procédure, d’ordonner leur jonction sous le numéro de cause A/390/2024.

4.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, les recours sont recevables au sens des art. 60 et 62 à 65 LPA.

5.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 146 V 16 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 6.1.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

6.             Les arguments formulés par les parties à l’appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (ATF 145 IV 99 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1C_136/2021 du 13 janvier 2022 consid. 2.1 et les références citées), étant rappelé que, saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office et que s’il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/84/2022 du 1er février 2022 consid. 3).

7.             En premier lieu, la recourante soutient que l’appartement comporte cinq pièces, et non quatre pièces, au sens du RGL.

Elle soutient également que le nombre de pièces résultait de toute la documentation historique relative à l’appartement qui avait été nécessairement approuvée par l’administration genevoise, de sorte qu’elle bénéficiait d’un droit acquis ne pouvant plus être remis en question.

8.             Selon l’art. 52 LCI, toute pièce pouvant servir à l’habitation doit avoir en principe 9 m2, mais au minimum 6 m2 de surface (al. 1). Elle doit être aérée et éclairée par un jour vertical ouvrant sur l’extérieur (al. 2).

9.             Selon l’art. 1 al. 5 RGL, la détermination du nombre de pièces d’un logement implique l’observation des critères fixés dans le tableau ci-dessous ainsi que l’assurance d’un usage confortable du logement, démontrée au moyen d’un plan meublé, pour le nombre d’occupants visé ci-après :

Nombre de pièces du logement, cuisine comprise

4

4,5

5

5,5

6

Surface nette minimum (m2)

49

56

59

66

69

Nombre minimum de pièces habitables distinctes

3

3,5

4

4,5

5

Nombre d’occupants moyen

3

4

4

5

5

L’art. 1 al. 4 RGL précise que pour le calcul du nombre de pièces des logements, il est tenu compte de la surface nette, telle que définie à l’art. 4 du présent règlement. Celui-ci stipule, en son alinéa 1, que par surface nette du logement, il faut entendre l’addition des surfaces des pièces, d’au moins 9 m2, et des demi-pièces, d’au moins 6 m2, habitables du logement et de la cuisine, ainsi que du laboratoire.

Selon l’art. 7 al. 1 let. a RGL, par pièces distinctes, il faut entendre les pièces pouvant être fermées l’une de l’autre par un dispositif fourni.

10.         Pour calculer le nombre de pièces au sens de la LDTR, le département se réfère à l’art. 1 RGL, qui s’applique au calcul du nombre de pièces des logements soumis à la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05), sauf des logements d’utilité publique. La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) admet depuis de très nombreuses années que, dans la mesure où les buts poursuivis par la LDTR et la LGL relèvent d’un même souci de préserver l’habitat et de lutter contre la pénurie de logements à Genève, on peut parfaitement appliquer la disposition précitée, par analogie, au calcul du nombre de pièces selon la LDTR (cf. not. ATA/334/2014 du 13 mai 2014 confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_323/2014 du 10 octobre 2014 ; ATA/328/2013 du 28 mai 2013 ; ATA/826/2012 du 11 décembre 2012 ; ATA/645/2012 du 25 septembre 2012 ; ATA/570/2010 du 31 août 2010 ; ATA/322/2008 du 17 juin 2008).

Il en résulte que le propriétaire ou son architecte/ingénieur ne peut pas calculer le nombre de pièces selon ses propres critères ou ceux d’autres normes (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR, Démolition, transformation, rénovation, changement d’affectation et aliénation, Immeubles de logements et appartements, 2014, n° 6.2 p. 144).

11.         Le RGL, entré en vigueur le 1er octobre 1992, est applicable aux immeubles admis au bénéfice de la loi du 28 juin 1974 ainsi que l’une des lois abrogées en application de l’art. 33 de ladite loi, sous réserve des dispositions particulières fixées par le Conseil d’État pour chacun de ces immeubles (art. 88 RGL).

La chambre administrative a déjà eu l’occasion d’appliquer l’art. 1 RGL à des immeubles construits bien avant l’entrée en vigueur de celui-ci
(cf. not. ATA/334/2014 du 13 mai 2014 ; ATA/641/2013 du 1er octobre 2013; ATA/645/2012 du 25 septembre 2012 ; ATA/859/2010 du 7 décembre 2010).

Partant, sous réserve de la protection des droits acquis, il n’y a pas lieu de revenir sur la question de l’applicabilité du RGL au cas d’espèce, ce que la recourante ne conteste d’ailleurs pas.

12.         Le terme de droits acquis désigne un ensemble hétérogène de droits des administrés envers l’État dont la caractéristique commune est qu’ils bénéficient d’une garantie particulière de stabilité. Des droits acquis peuvent être conférés par la loi lorsque celle-ci les qualifie comme tels ou lorsqu’elle garantit leur pérennité, soit si le législateur a promis dans la loi que celle-ci ne serait pas modifiée ou sera maintenue telle quelle pendant un certain temps (ATF 143 I 65 ; 134 I 23 ; 128 II 112 consid. 10.b.aa).

Un droit acquis peut également être créé par une décision individuelle. À titre exemplatif, il est noté qu’une autorisation de construire ne crée pas de droit acquis. La catégorie la plus commune de droit acquis est issue des contrats entre l’État et les administrés. C’est notamment le cas des droits fixés dans une concession (Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 256, n. 758-762).

Un droit acquis peut être créé dans les mêmes conditions que par la loi par une décision individuelle. On notera à cet égard que le simple octroi d’une autorisation de police comme, par exemple, une autorisation de construire ne crée pas de droits acquis. En tant que telle, la répétition de décisions successives de contenu identique n’en fait pas non plus des droits acquis. La catégorie la plus importante de droits acquis est constituée de ceux qui sont créés par un contrat entre l’État et les administrés. La stabilité particulière du droit est ici fondée sur le principe pacta sunt servanda (ATA/1168/2023 du 31 octobre 2023 consid. 6.3). L’autorité doit avoir voulu exclure toute suppression ou restriction ultérieure du droit par une modification législative (ATA/350/2018 du 17 avril 2018 consid. ).

13.         En l’espèce, force est pour le tribunal de constater, à la lecture du plan établi par le bureau d’architecte, que le séjour de 20 m2 et la salle à manger de 7,55 m2 ne constituent qu’une seule pièce dans la mesure où ils sont ouverts l’un sur l’autre et non fermés par un dispositif de porte ou un autre type de cloisonnement. Partant, c’est à juste titre que l’OCLPF et le département ont considéré que le séjour et la salle à manger ne peuvent pas être comptabilisés comme deux pièces. Il sied de relever que le couloir d’entrée de 17,37 m2 ne comporte pas un jour vertical ouvrant sur l’extérieur, de sorte qu’il ne peut être comptabilisé comme une pièce. Partant, l’appartement se compose de quatre pièces, à savoir 1) chambre 1, 2) chambre 2, 3) cuisine et 4) séjour - salle à manger.

En outre, il ne ressort pas du dossier que l’État ait donné une quelconque garantie à la recourante que le décompte du nombre de pièces ne serait jamais modifié. La recourante ne le prétend d’ailleurs pas, arguant simplement que la documentation historique relative à l’appartement retenant que celui-ci comportait cinq pièces avait été nécessairement approuvée par l’administration genevoise. Or, outre que cette allégation n’est pas établie à satisfaction de droit, la simple prise de connaissance de la part de l’État d’un bail ou d’autre document relevant du droit civil n’implique nullement un engagement de sa part à ne jamais modifier les éléments qui en résultent.

Ce grief sera donc écarté.

14.         La recourante soutient qu’en vertu du principe de non-rétroactivité, les normes
1-15f et 15-15f ne seraient pas applicables et qu’il fallait utiliser les dispositions en vigueur en 2014.

15.         Selon l’art. 121 al. 1 LCI, une construction, une installation et, d’une manière générale, toute chose doit remplir en tout temps les conditions de sécurité et de salubrité exigées par la présente loi, son règlement d’application ou les autorisations délivrées en application de ces dispositions légales et réglementaires.

Cette disposition est applicable à toutes les constructions, quelle que soit la date de leur établissement (art. 120 LCI).

16.         Selon un principe général de droit intertemporel, les dispositions légales applicables à une contestation sont celles en vigueur au moment où se sont produits les faits juridiquement déterminants pour trancher celle-ci. Liée aux principes de sécurité du droit et de prévisibilité, l’interdiction de la rétroactivité des lois résulte du droit à l’égalité de traitement (art. 8 Cst), de l’interdiction de l’arbitraire et de la protection de la bonne foi (art. 5 et 9 Cst). L’interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l’application d’une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur, car les personnes concernées ne pouvaient, au moment où ces faits se sont déroulés, connaître les conséquences juridiques découlant de ces faits et se déterminer en connaissance de cause. Une exception à cette règle n’est possible qu’à des conditions strictes, soit en présence d’une base légale suffisamment claire, d’un intérêt public prépondérant, et moyennant le respect de l’égalité de traitement et des droits acquis. La rétroactivité doit en outre être raisonnablement limitée dans le temps (ATF 144 I 81 consid. 4.1 ; 138 I 189 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 du 9 janvier 2024 consid. 6.1 destiné à publication).

En revanche, le fait de tenir compte d’événements passés pour régler de façon nouvelle une situation future ne constitue pas une rétroactivité (proprement dite). Ne constitue pas non plus une rétroactivité de la loi son application, dès son entrée en vigueur, à un état de chose qui, bien qu’ayant pris naissance dans le passé, se prolonge au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit, à des situations durables nées sous l’ancien droit ; cette rétroactivité improprement dite est en principe admise, sous réserve du respect des droits acquis (ATF 146 V 364 consid. 7.1 ; 144 I 81 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 du 9 janvier 2024 consid. 6.1 destiné à publication).

17.         Selon la jurisprudence, lorsqu’une personne demande à l’État une autorisation ou un avantage, le droit déterminant est le droit en vigueur au moment où l’autorité statue en première instance (ATF 107 Ib 133 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_949/2019 du 11 mai 2020 consid. 4.2). Ce principe vaut également si la situation juridique a été créée par un fait antérieur au changement législatif (ATF 133 II 97 consid. 4.1).

En droit de la construction, une demande d’autorisation de bâtir déposée sous l’empire du droit ancien est ainsi examinée en fonction des dispositions en vigueur au moment où l’autorité statue sur cette demande, même si aucune disposition légale ou réglementaire ne le prévoit : les particuliers doivent en effet toujours s’attendre à un changement de réglementation (ATF 101 1b 299 ; ATA/56/2013 du 29 janvier 2013 consid. 7). En statuant sur une demande d’autorisation suivant des prescriptions devenues obligatoires après son dépôt, le juge ne tombe pas dans l’arbitraire ni ne viole une disposition impérative pas plus que la garantie de la propriété (ATF 107 1b 138).

18.         En l’espèce, la demande d’autorisation de construire APA 3______ a été déposée le 30 octobre 2023, de sorte que c’est à juste titre que le département a appliqué les normes litigieuses, ce d’autant plus que celles-ci répondent à un intérêt public prépondérant et que l’intimée ne peut se prévaloir, ainsi que noté ci-dessus, d’aucun droit acquis.

Aucune violation du principe de non-rétroactivité ne pouvant être reproché au département, ce grief sera écarté.

19.         Mal fondés, les recours seront rejetés et les décisions entreprises confirmées.

20.         Cette issue rend sans objet la demande de suspension de la procédure jusqu’à droit connu sur le recours du 30 janvier 2024.

21.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 1’500.- ; il est couvert par les avances de frais de CHF 1’800.- versées à la suite du dépôt des recours.

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             ordonne la jonction des causes A/390/2024 et A/391/2024 sous le numéro de cause A/390/2024 ;

2.             déclare recevables les recours interjetés les 30 janvier et 1er février 2024 par A______ SA contre les décisions du département du territoire des respectivement ______ et ______ 2023 ;

3.             les rejette ;

4.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1’500.-, lequel est couvert par les avances de frais ;

5.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 300.- ;

6.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Gwénaëlle GATTONI, présidente, Manuel BARTHASSAT, François HILTBRAND, Diane SCHASCA et Romaine ZÜRCHER, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier