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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1116/2023

JTAPI/84/2024 du 31.01.2024 ( LCI ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : SUSPENSION DE LA PROCÉDURE;PERMIS DE CONSTRUIRE;SIGNATURE;FORMALISME EXCESSIF;PROPORTIONNALITÉ;SERVITUDE
Normes : LPA.14; Cst..29.al2; RCI.11.al4
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1116/2023 LCI

JTAPI/84/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 31 janvier 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Diane SCHASCA, avocate, avec élection de domicile

 

contre

 

B______

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             Les copropriétaires de la parcelle n° 1______ de la commune de C______, qui abrite un bâtiment destiné à l’habitation disposant d’un garage souterrain et ayant pour adresse ______[GE], ont constitué la propriété par étages « B______ » (ci-après : PPE).

2.             Monsieur A______ est titulaire de dix servitudes personnelles et cessibles de jouissance exclusive portant sur onze places de parking sises au sein de cette parcelle.

Elles consistent en l’usage de places de stationnement en sous-sol qui s’exercent dans les limites de l’assiette représentée par la trame de couleur bleue (chiffres nos 8 à 17), une servitude de passage à pied et pour tous véhicules partiellement exclusive qui s’exerce dans les limites de l’assiette représentée par la trame n° C02 de couleur verte, une servitude de passage à pied partiellement exclusive qui s’exerce dans les limites de l’assiette représentée par la trame n° C02 de couleur jaune, lettre A, et une servitude de passage à pied partiellement exclusive qui s’exerce dans les limites de l’assiette représentée par la trame n° C02 de couleur jaune, lettre B, du plan de servitude établi par Monsieur D______, ingénieur géomètre officiel, le 17 novembre 2016, modifié le 18 avril 2017, et inscrites au registre foncier le ______ 2017 sous 2______.

3.             Le 14 septembre 2021, suite à une dénonciation, un dossier d’infraction (I-3______) a été ouvert par le département du territoire (ci-après : le département) à l’encontre de M. A______.

4.             Par décision du 1er juillet 2022, le département lui a interdit d’utiliser les locaux sis au sous-sol de la PPE (places de parkings) jusqu’au rétablissement d’une situation conforme au droit et de libérer ces derniers de tout matériel entreposé, le tout avec effet immédiat.

5.             Par acte du 15 juillet 2022, M. A______ a interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant, notamment, à son annulation.

Ce recours, accompagné d’un chargé de trente-deux pièces, a été ouvert sous le numéro de cause A/4______.

6.             Par décisions des 25 août 2022 (DITAI/5______) et 9 octobre 2023 (DITAI/6______), le tribunal a, d’accord entre les parties, suspendu cette procédure.

7.             Le 1er septembre 2022, par l’entremise de son architecte, le recourant a déposé une requête en régularisation de la situation ayant mené à l’ouverture du dossier I-3______ auprès du département ; il a ainsi requis un changement d’affectation d’un garage en dépôt de vin.

Il a désigné son architecte en tant que mandataire, a indiqué être le requérant et la PPE être le propriétaire. Il a notamment produit le formulaire A08, soit le registre des signatures ; sa signature et celle de son mandataire figuraient sur ce formulaire, mais aucune signature n’y était apposée pour le compte du propriétaire.

8.             Lors de l’instruction de cette demande, enregistrée sous la référence APA 7______, les préavis usuels ont été requis et émis.

En particulier, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a requis, en date du 12 septembre 2022, la modification du projet et la production de pièces complémentaires, dont le formulaire A08. Le 7 novembre 2022, la DAC a une nouvelle fois demandé que le projet soit modifié et que des pièces complémentaires soient fournies, notamment le formulaire A08. Le 19 décembre 2022, après que le recourant ait indiqué le 29 novembre 2022 ne pas pouvoir fournir le formulaire A08 du fait que les copropriétaires refusaient, à son sens injustement et sans donner de raison valable, de donner leur accord au changement d’affectation, la DAC a préavisé défavorablement dans la mesure où la requête n’était pas signée par le propriétaire adéquat.

9.             Le 22 février 2023, le département a refusé de délivrer l’autorisation de construire APA 7______, considérant que le projet n’était pas conforme à l’at. 11 al. 4 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01).

10.         Par acte du 24 mars 2023, le recourant a interjeté recours contre cette décision auprès du tribunal, concluant à ce que soit ordonné, avant tout acte d’instruction, la suspension de l’instruction du recours jusqu’à droit jugé au civil dans la procédure C/8______. En cas de reprise de l’instruction et préalablement, il a requis un transport sur place, en présence de son architecte et de Monsieur E______, chef de service de la police du feu, ainsi que sa comparution personnelle et l’audition de son architecte, de son épouse et de Madame F______, administratrice de la PPE pour le compte de la régie en charge. Principalement, il a conclu à l’annulation de la décision entreprise.

Œnologue et vigneron genevois, il était l’exploitant de l’entreprise viticole du domaine « G______ », à C______. La mise en bouteille du vin issu de son exploitation et la vente s’effectuaient dans des locaux sis ______[GE], tandis que le dépôt, l’étiquetage et la mise en carton des bouteilles de vin avait lieu dans un local sis dans le garage souterrain situé sur la parcelle n° 1______. Ce local offrait une place de surface de travail et de stockage de presque 300 m2, conservait une température de stockage idéale variant entre 12 et 16° selon les saisons ainsi qu’une humidité constante ; cela permettait de conserver toutes les qualités et propriétés du vin qui y était stocké, à savoir entre entre 25’000 et 75’000 bouteilles, le fruit de trois années de vendange. Il se trouvait aussi à moins de 40 m du point de vente et à seulement 343 m du lieu de mise en bouteille.

Depuis le 13 juin 2018, il était titulaire de dix servitudes personnelles et cessibles de jouissance exclusive portant sur onze places de parking nos 8 à 17 sur 23 dans le garage souterrain. Au moment de l’acquisition de ces places, leur configuration était déjà celle d’aujourd’hui, à savoir un local fermé par une porte « coupe-feu ». Au moment de la cession, il avait dûment informé les vendeurs que la servitude ne serait pas utilisée en tant que parking, mais pour le dépôt, l’étiquetage et la mise en carton des bouteilles de vin de sa production viticole. Peu après la cession de ces servitudes, Mme F______ et trois représentants des copropriétaires s’y étaient rendus pour faire le tour des locaux et des installations et constater leur usage ; ils n’avaient fait aucun commentaire particulier. Ainsi, depuis qu’il était titulaire des servitudes de parking et d’un commun accord avec la PPE, il y avait entreposé et stocké des bouteilles de vin ainsi que des machines nécessaires à l’étiquetage des bouteilles et à la gestion du stock.

En mars 2021, alors qu’une convention pour formaliser l’utilisation des locaux avait été établie en 2020, il avait été informé que les copropriétaires avaient, à l’unanimité, décidé que les servitudes devaient retrouver leur destination d’origine. Un très court délai lui avait été imparti pour vider l’ensemble de l’espace afin que ce dernier retrouve sa destination d’origine. En outre, lors de l’assemblée générale ordinaire du 4 avril 2022 (ci-après : AGO), les copropriétaires avaient décidé de s’opposer à l’APA 7______. Il avait déposé une action en annulation de cette décision, qui était notamment constitutive d’un abus de droit manifeste ; cette procédure civile (cause C/8______) venait d’être introduite par devant le Tribunal de première instance (ci-après : TPI).

Malgré de nombreuses recherches, il n’avait pas trouvé un local privé offrant autant d’espace de stockage et les mêmes propriétés de conservation du vin. De plus, aucune des solutions alternatives recherchées n’était réalisable. S’il devait libérer les locaux, les milliers de bouteilles stockées s’altéreraient irrémédiablement et deviendraient impropres à la consommation et à la vente, tout le stock de matière sèche personnalisée (capsules de surbouchage pour les bouteilles, cartons pour les bouteilles, étuis et étiquettes notamment) serait perdu dans la mesure où celui-ci ne pouvait pas être vendu/cédé à d’autres exploitants et la production complète devrait être arrêtée, faute de disposer d’un endroit où stocker le vin.

Au demeurant, il s’était vu attribuer par sa défunte mère, à titre de partage, les parcelles faisant partie de l’exploitation agricole, au regard notamment de sa qualité d’exploitant. Cette succession avait toutefois fait l’objet d’une contestation devant le TPI par sa sœur, qui était également l’une des copropriétaires de la PPE.

Dans la procédure connexe pendante sous A/4______, le département avait accepté de suspendre l’instruction dans la mesure où le résultat de la procédure civile en cours était déterminant pour l’issue de la cause. Tel était aussi le cas en l’espèce, seul le refus abusif de la part de la PPE de signer le registre des signatures nécessaire à la forme pour valider la requête empêchait le département de délivrer l’autorisation de changement d’affectation, tous les services ayant donné des préavis positifs. La décision querellée procéderait d’un formalisme excessif, ne reposerait sur aucun intérêt public et violerait le principe de la proportionnalité.

11.         Ce recours, accompagné d’un chargé de quarante-trois pièces, a été ouvert sous le numéro de cause A/9______.

12.         Dans leurs observations du 5 avril 2023, les copropriétaires ont conclu à ce que l’ensemble des demandes du recourant soit rejeté, qu’il lui soit ordonné d’utiliser sa servitude de parking comme un parking et qu’il soit condamné à assumer tous les frais inhérents avec cette procédure, tels que l’avis de droit et les éventuels frais supplémentaires de leur régie.

Sans leur accord, le recourant stockait du vin en quantité industrielle dans le garage et y faisait des activités d’étiquetage. Il avait effectué des modifications non conformes et non autorisées au bâtiment (comme obstruer les aérations du parking par exemple), sans jamais apporter les preuves que celles-ci ne nuisaient pas au bâtiment à long terme ; son argument de réversibilité ne démontrait pas l’absence de conséquences sur le bâtiment. L’exploitation et les modifications non conformes étaient intolérables étant donné que le recourant ne possédait qu’une servitude de parking, la seule qui avait fait l’objet d’un accord de leur part. Les promoteurs du projet n’étaient d’ailleurs pas en mesure de vendre légalement au recourant autre chose qu’un parking. Ils refusaient de transformer une partie de leur PPE en local commercial, refus confirmé lors de l’AGO, lequel avait été validé par le TPI. Leur décision avait été prise sur une base légale solide, à savoir un avis de droit, ce qui démontrait qu’elle n’avait rien d’émotionnel. Il était choquant de lire qu’ils auraient été manipulés par une des copropriétaires de la PPE.

Un chargé de dix pièces a été produit en annexe de ces observations.

13.         Le 11 avril 2023, le département a donné son accord à la suspension de la présente procédure.

14.         Le 27 avril 2023, faisant suite à une demande du tribunal, le recourant a produit copie de l’action en contestation de la décision de AGO qu’il avait introduite devant le TPI le 22 mars 2023.

15.         Le 11 mai 2023, le recourant a fait valoir qu’aucune décision en force n’avait été rendue, dans la procédure civile, en faveur des copropriétaires, qui validerait la décision prise lors de l’AGO. Leur conclusion concernant la mise à sa charge de ses frais antérieurs à la procédure administrative et sans aucun lien avec celle-ci était infondée et irrecevable. Il persistait dans sa demande de suspension de la présente procédure administrative.

16.         Le 25 mai 2023, les copropriétaires ont informé le tribunal qu’ils étaient opposés au projet que le recourant tentait de leur imposer et que la décision négative avait été rendue de manière conforme au droit, le département n’ayant pas à se mêler du litige civil opposant les parties, lequel ne saurait nullement différer l’instruction de la procédure de recours. Le recourant se plaignait en vain d’un prétendu formalisme excessif puisque la stricte application des règles de procédure se justifiait par leur intérêt digne de protection et la cohérence dans l’application du droit. Ils priaient le tribunal de se prononcer sans délai et de ne pas différer le rétablissement d’une situation conforme au droit : s’il ne tenait pas compte de leur refus de suspendre la procédure, le procédé visant à déposer une autorisation en faisant fi de l’opposition explicite des propriétaires, pour ensuite gagner du temps de manière procédurière, serait validé.

17.         Dans ses observations du 30 mai 2023, le département a conclu au rejet du recours.

Le dossier présentait tous les éléments nécessaires - ainsi qu’ils ressortaient des écritures des parties, des pièces que celles-ci avaient produites et de son dossier - à l’établissement des faits pertinents pour traiter les griefs soulevés par le recourant et statuer sur le litige. Il n’y avait dès lors pas lieu de procéder au transport sur place, ni à l’audition des parties citées.

Le refus de régulariser le changement d’affectation n’était ni disproportionné ni constitutif de formalisme excessif. Les copropriétaires s’étaient clairement opposés au projet de changement d’affectation d’un garage en dépôt de vin, si bien que leur refus de signer la requête en autorisation de construire constituait à lui seul un motif valable pour refuser le projet. En effet, dans ces conditions, l’exigence imposée par l’art. 11 al. 4 RCI ne pouvait être remplie. Alors qu’il était en droit de refuser la requête en changement d’affectation pour ce seul motif, il avait néanmoins instruit la requête, allant au-delà des exigences des art. 11 al. 4 et 13 al 1 RCI ; aucune violation du principe de la proportionnalité ne saurait donc être retenue en lien avec la décision litigieuse. Il n’appartenait ni au département ni au tribunal de s’immiscer dans les conflits de droit privé existants entre copropriétaires, si bien que les éventuels motifs ayant amené la PPE à refuser le projet ne pouvaient être pris en considération. La législation genevoise en matière de police des constructions n’avait pas pour objet de veiller au respect des droits réels, notamment des servitudes.

18.         Par réplique du 31 juillet 2023, dans le délai prolongé octroyé par le tribunal, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Au bénéfice d’une servitude personnelle et cessible de jouissance exclusive des onze places de parkings, il avait bien la maîtrise juridique du fonds.

Les copropriétaires ne donnaient aucune justification à leur opposition à sa demande de régularisation et ne justifiaient d’aucun intérêt digne de protection, étant noté que l’usage actuel qu’il faisait de ses servitudes était moins dangereux et moins nuisible que l’affectation originelle des parkings et la situation était aisément réversible.

Dans ce sens, les mesures d’instruction sollicitées étaient de nature à éclairer le tribunal sur le caractère abusif de la position des copropriétaires. Leur refus de suspendre la présente procédure alors que son sort dépendait de la décision du TPI civil - puisque si la décision de l’AGO venait à être annulée, le refus de signer la demande d’autorisation de construire n’aurait plus de fondement -constituait l’abus manifeste d’un droit procédural.

19.         Par duplique du 16 août 2023, les copropriétaires ont persisté dans leurs conclusions.

Le recourant semble oublier que la maîtrise juridique du fonds couvrait non seulement la jouissance et l’usage, mais également le droit de disposer du fonds qui n’appartenait manifestement pas au titulaire de la servitude. Par ses affirmations, il confirmait se comporter comme le propriétaire des lieux, faisant fi des intérêts et de leur volonté.

L’usage d’un parking et l’exploitation d’une entreprise n’étaient évidemment pas de même nature et leur choix de refuser un tel changement d’affectation ne saurait en aucun cas être considéré comme abusif de leur part. Ils ne souhaitaient pas transformer ou réaffecter le garage souterrain et n’avaient aucune autre justification à donner ; ils s’étaient longuement exprimés à ce sujet dans le cadre de la procédure civile.

Les mesures d’instruction, sans aucune pertinence puisqu’ils étaient libres de refuser les travaux, étaient uniquement dilatoires. En tout état, Mme F______ n’était pas mandatée pour les représenter dans ce litige.

La décision querellée ne prêtait aucunement flanc à la critique au moment de son prononcé puisqu’ils s’opposaient aux travaux souhaités par M. A______. De plus, les autorités administratives n’étaient pas concernées par les éventuels litiges civils.

20.         Par duplique du 4 octobre 2023, dans le délai prolongé octroyé par le tribunal, le département a persisté dans les développements et conclusions de ces observations du 30 mai 2023.

Le recourant réitérait sa demande de transport sur place, alléguant que cette mesure d’instruction permettrait d’avoir une vue d’ensemble des modifications apportées aux servitudes et de constater que l’usage de celles-ci serait moins dangereux que l’affectation originelle du parking. Ces éléments n’étaient toutefois pas pertinents pour la résolution du présent litige et le dossier contenait tous les éléments permettant au tribunal de statuer, étant réitéré que l’abus de droit invoqué relevait d’un conflit de droit privé entre les parties dans lequel il n’appartenait ni au département ni au tribunal de s’immiscer.

Le recourant tentait de sous-entendre qu’en tant que bénéficiaire d’une servitude, il aurait une maîtrise juridique de la parcelle excédant celle de la PPE. Cet argument, étayé par aucune base légale ou jurisprudentielle, devait être écarté, jouissance ne valant pas maîtrise.

21.         Dans des écritures du 17 octobre 2023, le recourant s’est encore prononcé sur les dupliques des copropriétaires et du département.

22.         Les griefs et arguments formulés par les parties, ainsi que les éléments résultant des pièces versées à la procédure, seront repris et discutés, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » ci-dessous.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

Le recourant est effectivement destinataire de la décision querellée.

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Les arguments formulés par les parties à l’appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (ATF 145 IV 99 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1C_136/2021 du 13 janvier 2022 consid. 2.1 et les références citées), étant rappelé que, saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office et que s’il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/84/2022 du 1er février 2022 consid. 3).

5.             En tout premier lieu, le recourant sollicite la suspension de la présente cause dans l’attente du jugement du TPI dans la cause C/8______, alléguant que si la décision de l’AGO venait à être annulée, le refus de signer la demande d’autorisation de construire n’aurait plus de fondement. Les copropriétaires s’y opposent.

6.             Selon l’art. 14 al. 1 LPA lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions. Cette disposition est une norme potestative et son texte clair ne prévoit pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu’une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie (ATA/444/2023 du 26 avril 2023 consid. 3.1).

La suspension de la procédure ne peut pas être ordonnée chaque fois que la connaissance du jugement ou de la décision d’une autre autorité serait utile à l’autorité saisie, mais seulement lorsque cette connaissance est nécessaire parce que le sort de la procédure en dépend (ATA/630/2008 du 16 décembre 2008 consid. 5). Une procédure ne saurait dès lors être suspendue sans que l’autorité saisie ait examiné les moyens de droit qui justifieraient une solution du litige sans attendre la fin d’une autre procédure. Il serait en effet contraire à la plus élémentaire économie de procédure et à l’interdiction du déni de justice formel fondée sur l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) d’attendre la décision d’une autre autorité, même si celle-ci est susceptible de fournir une solution au litige, si ledit litige peut être tranché sans délai sur la base d’autres motifs (ATA/812/2021 du 10 août 2021 consid. 2a).

7.             En l’espèce, le recourant ne rend pas vraisemblable que le sort de la procédure civile aurait une influence concrète sur le litige à trancher dans la mesure où l’annulation de la décision de l’AGO, pour autant qu’elle soit effectivement prononcée par le TPI, n’impliquerait pas forcément que les copropriétaires se prononcent en faveur du changement d’affectation que le recourant souhaite obtenir par le biais de sa demande de construire et qu’ils signent ainsi le formulaire A08.

Le tribunal n’accédera donc pas à sa demande de suspension de la procédure, étant rappelé la formulation potestative de l’art. 14 LPA.

8.             Préalablement, le recourant sollicite un transport sur place et son audition ainsi que celle de diverses personnes.

9.             Le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 Cst. comprend, classiquement, le droit, pour l’intéressé, de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 149 I 91 consid. 3.2 ; 145 I 167 consid. 4.1 ; 142 II 218 consid. 2.3).

Ce droit ne s’étend toutefois qu’aux éléments pertinents pour décider de l’issue du litige et le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_159/2020 du 5 octobre 2020 consid. 2.2.1).

En revanche, le droit d’être entendu ne confère pas celui de l’être oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_392/2022 du 26 octobre 2022 consid. 4.2 ; cf. aussi art. 41 in fine LPA). Dans la règle, l’audition d’un membre d’une instance spécialisée ne se justifie pas lorsque cette instance a émis un préavis versé à la procédure (ATA/1279/2023 du 28 novembre 2023 consid. 2.1 ; ATA/934/2019 du 21 mai 2019 consid. 2, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 1C_355/2019 du 29 janvier 2020 consid. 3.1 et 3.2). Enfin, ce droit ne confère pas le droit à la tenue d’une inspection locale, en l’absence d’une disposition cantonale qui imposerait une telle mesure d’instruction, ce qui n’est pas le cas à Genève (ATF 120 Ib 224 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_243/2013 du 27 septembre 2013 consid. 3.2.1).

10.         En l’espèce, le tribunal estime que le dossier contient les éléments suffisants et nécessaires à l’établissement des faits pertinents permettant au tribunal de statuer sur le recours en connaissance de cause, étant rappelé que le motif fondant le refus de l’autorisation querellée est l’absence d’un accord des copropriétaires au projet litigieux. Dans ces circonstances et dans la mesure où il n’existe pas un droit à l’accomplissement de tels actes d’instruction, il ne sera ni procédé à un transport sur place, ni à la comparution personnelle du recourant, ni à l’audition de Mme F______, de l’épouse du recourant et de l’architecte de ce dernier. Ces actes ne peuvent en effet apporter des éléments pertinents pour décider de l’issue du litige.

11.         En substance, le recourant est d’avis que le refus des copropriétaires de signer la requête de son autorisation de construire constitue un abus de droit et qu’une violation de l’art. 11 al. 4 RCI ne peut ainsi être invoquée. Dans ce contexte, la décision querellée procéderait en outre d’un formalisme excessif, ne reposerait sur aucun intérêt public et violerait le principe de la proportionnalité.

12.         Conformément à l’art. 2 LCI, les demandes d’autorisation sont adressées au département (al. 1). Le règlement d’application détermine les pièces qui doivent être déposées par le demandeur et les indications que celui-ci doit fournir concernant les objets destinés à occuper le sous-sol de façon permanente (al. 2).

En application de l’art. 2 al. 2 LCI, le Conseil d’État a prévu, à l’art. 11 al. 4 RCI, que toutes les demandes d’autorisations de construire devaient être datées et signées par le propriétaire de l’immeuble intéressé, ainsi que par le requérant ou l’éventuel mandataire professionnellement qualifié.

Les demandes ne sont valablement déposées et, partant, l’autorité saisie, que si les prescriptions concernant les documents et pièces à joindre ont été respectées et si l’émolument d’enregistrement a été acquitté. Les dossiers incomplets sont retournés pour complément. Ils ne sont pas enregistrés (art. 13 al. 1 RCI).

13.         Selon la jurisprudence, une requête déposée en vue de la délivrance d’une autorisation de construire doit émaner, ou du moins avoir l’assentiment préalable et sans équivoque, du propriétaire de la parcelle concernée. Il ne s’agit pas d’une simple prescription de forme, car elle permet de s’assurer que les travaux prévus ne sont pas d’emblée exclus et que le propriétaire qui n’entend pas réaliser lui-même l’ouvrage y donne à tout le moins son assentiment de principe (arrêt du Tribunal fédéral 1C_7/2009 du 20 août 2009 consid. 5.2 ; ATA/1459/2019 du 1er octobre 2019 consid. 2 ; ATA/1157/2018 du 30 octobre 2018 consid. 5g ; ATA/321/2018 du 10 avril 2018 consid. 3b et l’arrêt cité). Ainsi, la signature du propriétaire du fonds a également comme but d’obtenir l’assurance que celui qui a la maîtrise juridique du fonds consent aux travaux et à tous les effets de droit public qui en découlent (arrêt du Tribunal fédéral 1C_846/2013 du 24 juin 2014 consid. 7.2 ; ATA/85/2022 du 1er février 2022 consid. 11 b).

14.         La procédure d’autorisation de construire a en principe pour seul but de déterminer si le projet de construction est conforme aux prescriptions de droit public. En revanche, la personne du demandeur de permis de construire, notamment son droit civil de construire, n’est pas au premier plan. Les autorités de la construction ne sont donc pas habilitées à suspendre le traitement des demandes de permis de construire simplement parce qu’elles ont des doutes sur le droit de construire du requérant. Elles peuvent toutefois refuser d’examiner des demandes de permis de construire lorsque le droit civil de construire du requérant fait manifestement défaut ou que le projet de construction viole manifestement les droits de propriété de tiers (cf. arrêts 1C_455/2022 du 5 juin 2023 consid. 5.3 ; 1C_393/2021 du 20 mai 2022 consid. 2.5 ; 1C_13/2020 du 13 octobre 2020 consid. 3.1 ; 1C_116/2013 du 11 octobre 2013 consid. 5.2 ; chaque fois avec renvois).

15.         Dans le système juridique suisse, le droit réel confère à son titulaire la maîtrise d’un bien, c’est-à-dire la possibilité d’obtenir directement (sans l’intervention de tiers) les utilités que ce bien peut procurer. Selon que la maîtrise conférée est totale ou partielle, on distingue la propriété et les autres droits réels ou droits réels limités (Paul-Henri STEINAUER, Les droits réels, Tome I, 2019, n. 28 p. 58).

La propriété est le droit conférant la maîtrise totale et exclusive d’une chose ou d’un animal, dans les limites de l’ordre juridique. Le droit de propriété comporte la faculté d’user de l’objet du droit, c’est-à-dire de s’en servir, de jouir de cet objet, c’est-à-dire d’en percevoir les fruits, et d’en disposer, juridiquement (aliénation) ou matériellement (destruction, transformation). On distingue, selon que la propriété a un ou plusieurs titulaires, la propriété individuelle et la propriété collective, laquelle peut notamment revêtir la forme de la copropriété, dont la copropriété par étages constitue un cas particulier (Paul-Henri STEINAUER, op. cit., n. 29-31 p. 58-59).

Les droits réels limités sont les droits qui confèrent une maîtrise partielle sur une chose ou un animal (qui en général appartient à autrui). La maîtrise conférée peut permettre d’avoir l’usage et/ou la jouissance de l’objet du droit, ou de bénéficier de la garantie représentée par la valeur de cet objet. Les servitudes, qui procurent à leur titulaire l’usage et/ou la jouissance de l’objet du droit, sont l’un des trois types de droits réels limités (Paul-Henri STEINAUER, op. cit., n. 34-36 p. 59-60).

16.         Le droit de superficie constitue un cas particulier. Il s’agit en effet d’une servitude en vertu de laquelle une personne a la faculté d’avoir ou de faire des constructions, soit sur le fonds grevé, soit au-dessous. Il donne ainsi le moyen de dissocier la propriété du fonds de la propriété des constructions qui s’y trouvent au moment de la constitution ou qui sont édifiées par la suite: en dérogation au principe de l’accession énoncé à l’art. 667 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), ces constructions sont la propriété du titulaire du droit de superficie, conformément à l’art. 675 al. 1 CC (ATF 141 II 326 consid. 6.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_985/2022 du 28 septembre 2023 consid. 3.3.3.1).

17.         L’on est en présence d’un formalisme excessif lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi et complique de manière insoutenable l’application du droit matériel ou entraîne une sanction sévère et disproportionnée (ATF 149 IV 9 consid. 7.2 ; 149 III 12 consid. 3.3.1 ; ATA/561/2003 du 23 juillet 2003).

18.         Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive. En outre, ce principe interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 145 I 297 consid. 2.4.3.1 et les références citées).

19.         La législation cantonale en matière de police des constructions a pour but d’assurer la conformité des projets présentés aux prescriptions en matière de constructions et d’aménagements, intérieurs et extérieurs, des bâtiments et des installations. Elle réserve expressément le droit des tiers. Selon les principes généraux du droit, il n’appartient donc pas à l’administration de s’immiscer dans les conflits de droit privé pouvant s’élever entre le requérant d’une autorisation de construire et un opposant, celle-ci n’ayant pas pour objet de veiller au respect des droits réels et notamment des servitudes (art. 3 al. 6 LCI ; ATA/439/2021 du 20 avril 2021 consid. 8a ; ATA/307/2021 du 9 mars 2021 consid. 4a ; ATA/1334/ 2019 du 3 septembre 2019 consid. 3b).

20.         En l’espèce, force est pour le tribunal de constater que les servitudes acquises en juin 2018 par le recourant ne constituent pas, ainsi qu’il résulte de leur libellé, de droits de superficie, mais de simples servitudes d’usage de places de stationnement et de passage à pied été/ou pour tous véhicules. Il s’agit donc de droits réels limités.

Partant, le recourant nécessite l’accord des propriétaires de la parcelle, à savoir en l’espèce celui des copropriétaires, pour déposer valablement une autorisation de construire, ainsi qu’il résulte de l’art. 11 al. 4 RCI et de la jurisprudence précitée. Or, ceux-ci ont refusé de consentir au changement d’affectation en cause, de sorte que le département n’avait pas d’autre choix, dans la mesure où une des conditions légales n’étaient pas réalisées, de refuser d’octroyer l’autorisation de construire sollicitée. Ce faisant, il n’a manifestement pas versé dans un formalisme excessif ni violé le principe de la proportionnalité, mais a simplement respecté le texte légal en vigueur. Il sied de préciser que les motifs ayant mené les copropriétaires à refuser d’accorder au recourant leur assentiment pour le changement d’affectation requis n’a pas trait au droit des constructions, mais à un conflit de droit privé entre le recourant et les copropriétaires, lequel ne relève pas de la compétence du tribunal de céans et dans lequel il ne lui appartient donc pas de s’immiscer.

Dans ces circonstances, c’est à juste titre que le département a rendu la décision litigieuse, de sorte que les places de stationnement ne peuvent être utilisées que dans leur affectation initiale.

21.         Mal fondé, le recours sera rejeté.

22.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

23.         Les intimés n'étant pas représentés par un avocat, aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 24 mars 2023 par Monsieur A______ contre la décision du département du territoire du 22 février 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Gwénaëlle GATTONI, présidente, Oleg CALAME et Aurèle MULLER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

La greffière