Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/208/2024

JTAPI/46/2024 du 22.01.2024 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : DÉTENTION POUR INSOUMISSION;MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS)
Normes : LEI.78
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/208/2024 MC

JTAPI/46/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 22 janvier 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Pascal DE LUCIA, avocat

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1972 et originaire de Turquie, a déposé une demande d'asile en Suisse le 18 avril 2022.

2.             Par décision du 26 septembre 2022, le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) a rejeté sa demande et prononcé le renvoi de l’intéressé, lui octroyant un délai au jour suivant l'entrée en force de sa décision pour quitter la Suisse, faute de quoi le renvoi pourrait être exécuté sous la contrainte. Le SEM a chargé le canton de Genève de procéder à l'exécution de cette décision.

3.             Par arrêt du 10 mars 2023, le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) a rejeté le recours formé contre cette décision.

4.             Le 20 mars 2023, le SEM a fixé M. A______ un nouveau délai au 3 avril 2023 pour quitter la Suisse.

5.             Au cours d'un entretien avec l'office cantonal de la population et des migrations
(ci-après : OCPM) le 17 mai 2023, il a été rappelé à l’intéressé qu'il était tenu de quitter immédiatement la Suisse et qu’en cas de non-collaboration à l'organisation de son départ, une détention administrative pourrait être ordonnée.

6.             Par décision du 21 septembre 2023, l’OCPM a chargé les services de police de procéder à l'exécution du renvoi de M. A______ à destination de la Turquie.

7.             Le 28 septembre 2023, le SEM a informé les services de police genevois qu'un document d'identité était disponible pour M. A______ et qu'un vol pouvait être réservé en sa faveur.

8.             Les services de police ont immédiatement procédé à la réservation d'un vol, qui a été confirmé pour le 12 octobre 2023 au départ de Genève.

9.             Par ordonnance du 6 octobre 2023, le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : Tribunal) a autorisé les services de police à perquisitionner le logement de M. A______, soit au B______.

10.         Le 12 octobre 2023, à 7h40, après que la perquisition a eu lieu au domicile de M. A______, un ordre de placement pris en vertu des art. 9 et 19 de la loi sur l'usage de la contrainte et de mesures policières dans les domaines relevant de la compétence de la Confédération du 20 mars 2008 (LUsC - RS 364), a été rendu par le commissaire de police, en vue de prendre le vol de ligne réservé pour le même jour à 10h40, au départ de Genève. Cet ordre était valable jusqu'au décollage de l'avion.

11.         M. A______ ayant refusé d'embarquer à bord dudit vol, il a été remis en mains des services de police qui ont procédé à son arrestation le 12 octobre 2023, prévenu d'empêchement d'accomplir un acte officiel au sens de l'art. 286 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et de séjour illégal au sens de l'art. 115 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). Il ressort du rapport d'arrestation que l’intéressé avait catégoriquement refusé de sortir de sa cellule à l’aéroport en expliquant qu'il était en danger de mort dans son pays d'origine.

12.         Le 13 octobre 2023, M. A______ a été condamné par ordonnance pénale pour séjour illégal puis remis entre les mains des services de police.

13.         Le même jour à 11h35, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de deux mois.

A cette occasion, l’intéressé a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi.

14.         Entendu le 16 octobre 2023 par le tribunal, M. A______ a déclaré qu'il souhaitait faire témoigner différentes personnes mais qu'il n'avait leurs numéros de téléphone que sur son téléphone portable qu'il n'avait pas sur lui. Ces personnes pourraient témoigner du fait qu'il travaillait comme directeur puis directeur adjoint chez C______ qui correspondait au mouvement D______. Les bureaux avaient été fermés et le matériel séquestré par le gouvernement turc en 2015 déjà. Il avait donné les mêmes explications lorsqu'il avait déposé sa demande d'asile en 2022. Le SEM ne lui avait pas demandé s'il avait des témoins à faire entendre. Il ne les avait pas évoqués dans la procédure devant le TAF mais avait donné à son avocat un certificat de C______ relatif à son appartenance à ce mouvement. Certains des témoins cités vivaient à Genève. Son conseil a conclu à l'annulation de l'ordre de mise en détention administrative et à sa mise en libération immédiate. Il a produit des extraits WIKIPEDIA concernant le mouvement D______ et la tentative de coup d'État en 2016 en Turquie.

La représentante du commissaire de police a produit une proposition de réservation de vol pour le 2 novembre 2023. D'après le registre SYMIC, qu'elle avait pu consulter avant l'audience mais dont elle n'avait pas pu imprimer d'extrait, cette proposition avait été confirmée.

15.         Par jugement du 16 octobre 2023, le Tribunal a confirmé l’ordre de mise en détention pour une durée de deux mois, soit jusqu’au 12 décembre 2023 inclus (JTAPI/1______/2023).

L’intéressé faisait l'objet d'une décision de renvoi et avait refusé de prendre l'avion le 12 octobre 2023. Il avait confirmé son refus lors de son audition, de sorte que le principe de sa détention, qui était le seul moyen d'assurer le renvoi, devait être confirmé. Il ne pouvait, dans le cadre de la présente procédure, instruire et évaluer lui-même le lien éventuel entre M. A______ et le mouvement C______, ainsi que le risque concret que ce lien, s'il était avéré, ferait peser sur la vie ou l'intégrité du précité.

16.         Par décision du 31 octobre 2023, le SEM a rejeté la demande de réexamen formée par l'intéressé contre sa décision de renvoi du 26 septembre 2022.

Tant son parcours au Kazakhstan que ses activités professionnelles et associatives eu Turquie, ainsi que sa qualité de sympathisant du mouvement D______/C______ étaient des éléments connus qui avaient fait l'objet d'une analyse approfondie par le SEM et le TAF, sans être mis en doute. Les deux autorités étaient toutefois arrivées à la conclusion que ces faits n'étaient pas suffisants à établir le bien-fondé d'une crainte de persécution future en cas de retour en Turquie. Cette analyse ne saurait être modifiée par la production d'anciens documents de preuve, déposés tardivement au sujet d'éléments connus, ou par des documents de portée générale, même nombreux. Dès lors, l'intéressé n'avait pas démontré l'existence d'indices concrets et sérieux permettant d'admettre qu'il risquait d'être l'objet d'une mesure de persécution déterminante pour la reconnaissance de la qualité de réfugié en raison de ses liens passés avec le mouvement (D______/C______ (consid. 2). En l'état, l'exécution de son renvoi s'avérait licite, raisonnablement exigible et possible (consid. 3).

17.         Par arrêt du 1er novembre 2023, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) a rejeté le recours formé par M. A______ à l'encontre du jugement du tribunal du 16 octobre 2023 (ATA/2______/2023).

Faisant valoir que l'exécution du renvoi l’exposerait à des risques pour son intégrité physique et sa vie, l'intéressé ne s'en prenait pas à la détention, mais uniquement à son renvoi. Or, ce dernier ne faisait pas l'objet de l'examen des juges de la détention administrative, à moins que la décision de renvoi apparaisse manifestement inadmissible, à savoir arbitraire ou nulle. Tel n’était toutefois pas le cas en l’espèce, le SEM, puis le TAF, ayant procédé à un examen circonstancié de la situation de l'intéressé et constaté que l'exécution de son renvoi était licite, notamment parce qu'il ne démontrait pas qu'il existait pour lui un véritable risque concret et sérieux d'être victime de tortures ou de traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays. Certes, il avait déposé auprès du SEM une demande de réexamen de la décision de rejet de sa demande d’asile mais cette demande ne permettait pas de surseoir à son renvoi.

18.         Le 2 novembre 2023, l'intéressé s'est opposé à un vol DEPA à destination de la Turquie.

19.         Par requête du 27 novembre 2023, l’OCPM a demandé la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de trois mois, faisant valoir qu'il était inscrit sur le prochain vol spécial à destination de la Turquie.

20.         Le 5 décembre 2023, le greffe du tribunal a reçu un chargé de pièces du conseil de M. A______ comprenant l'accusé de réception du recours formé au TAF le 21 novembre 2023 contre la décision du SEM du 31 octobre 2023 et divers documents en lien avec l'organisation terroriste D______/E______.

21.         Lors de l'audience du 5 décembre 2023 devant le tribunal, M. A______ a déclaré toujours s'opposer à son retour en Turquie au vu de la conjoncture actuelle, car un retour en Turquie serait dangereux pour lui. Comme déjà expliqué, il était considéré par les politiques de son pays comme un terroriste, ce qu’il n’était pas.

Son conseil a détaillé les pièces qu'il avait précédemment remises et exposé qu'elles étaient des nouvelles pièces qu'il avait également produites dans le cadre de son recours au TAF.

Le représentant de l'OCPM a expliqué qu'ils n'avaient pas de date pour le vol spécial mais qu'ils étaient confiants qu'il aurait lieu dans le délai de prolongation de la détention, soit d'ici au 12 mars 2024. Ils n'avaient pas connaissance d'une ordonnance du TAF qui suspendrait le renvoi. Il a demandé la confirmation de la demande de prolongation pour une durée de trois mois. Le conseil de M. A______ a plaidé et conclu à sa mise en liberté immédiate. Sur quoi la cause a été gardée à juger.

22.         Par jugement du 7 décembre 2023 (JTAPI/3______/2023), le tribunal a admis la demande de prolongation la détention administrative de M. A______ formée pour une durée de trois mois, soit jusqu'au 12 mars 2024 inclus.

23.         Le 11 décembre 2023, le TAF a rejeté le recours interjeté par l'intéressé contre la décision du SEM du 31 octobre 2021, rejetant sa demande de réexamen de la décision de rejet d'asile et de renvoi prononcée par le SEM le 26 septembre 2022, laquelle était entrée en force et exécutoire.

24.         Par arrêt du 21 décembre 2023 (ATA/4______/2023), la chambre administrative a rejeté le recours formé par M. A______ à l'encontre du jugement du tribunal du 7 décembre 2023, relevant en substance que la situation n’avait pas évolué depuis son précédent examen, le 1er novembre 2023

25.         Le 15 janvier 2024, M. A______ a fait échouer le vol qui devait le reconduire – sous escorte policière (vol DEPA) – en Turquie.

26.         Par courriel du même jour, faisant suite à une demande de l’OCPM, le SEM a expliqué que les vols spéciaux à destination de la Turquie étaient, pour l'heure, toujours impossibles, au minimum jusqu’aux élections fin mars 2024 mais probablement au-delà. Ils étaient en contact avec l’Ambassade à Ankara pour trouver une solution.

27.         Le 19 janvier 2024, à 14h25, le commissaire de police a ordonné la mise en détention administrative pour insoumission de M. A______ pour une durée d'un mois sur la base de l'art. 78 al. 1 LEI (détention pour insoumission).

Entendu dans ce cadre, M. A______ a déclaré qu'il n'entendait toujours pas retourner en Turquie. Cet acte a été soumis le même jour au tribunal en vue du contrôle de sa légalité.

28.         Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a confirmé qu'il s’opposait à son renvoi en Turquie, pour les motifs déjà invoqué. Il n’avait pas de faits nouveaux à communiquer au tribunal depuis l’examen de sa situation par la chambre administrative.

La représentante du commissaire de police a confirmé que les vols spéciaux vers la Turquie n’étaient momentanément pas possibles. En revanche, un renvoi par vol DEPA ou DEPU restait possible. M. A______ avait été reconnu par les Autorités turques comme ressortissant de ce pays. Un laisser-passer lui avait été délivré en vue de l'exécution de son renvoi. Elle a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative pour une durée d’un mois.

Le conseil de M. A______ a expliqué n’avoir pas de pièces ou d'éléments nouveaux à verser au dossier concernant la situation de son client. Il s’était toutefois entretenu ce matin avec son précédent conseil, lequel lui avait indiqué qu'il reprendrait le dossier et qu'il entendait s'adresser à un confrère en Turquie afin de démontrer les dangers auxquels M. A______ serait confronté en cas de renvoi dans ce pays. Il imaginait que son confrère verserait à la procédure le résultat de ses démarches. Il s’en rapportait à justice s'agissant du principe de la détention administrative pour insoumission.

EN DROIT

1.            Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.            Il statue ce jour dans le délai de 96 heures que lui imposent les art. 78 al. 4 LEI et 9 al. 3 LaLEtr.

3.            Il se prononce au terme d'une procédure orale (art. 9 al. 5 LaLEtr) ; il peut confirmer, réformer ou annuler la décision du commissaire de police ; le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l'étranger (art. 9 al. 3 LaLEtr).

4.            Le tribunal est aussi en soi compétent pour prolonger la détention administrative en vue du renvoi ou de l'expulsion (cf. art. 7 al. 4 let. e LaLEtr).

5.            Aux termes de l'art. 78 al. 1 LEI, si l'étranger n'a pas obtempéré à l'injonction de quitter la Suisse dans le délai prescrit et que la décision exécutoire de renvoi ou l'expulsion ne peut être exécutée en raison de son comportement, il peut être placé en détention pour insoumission afin de garantir qu'il quittera effectivement le pays, pour autant que les conditions de sa détention en vue du renvoi ou de l'expulsion ne soient pas remplies et qu'il n'existe pas d'autre mesure moins contraignante susceptible de conduire à l'objectif visé.

La cause pour l'inexécution du renvoi ou de l'expulsion doit résider dans le comportement de l'étranger. Cela peut être son manque de collaboration, qui peut concerner autant son identification que l'obtention des documents de voyage, ou son refus de quitter sans force le pays (cf. Gregor CHATTON/Laurent MERZ, in Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE [éd.], Code annoté de droit des migrations - vol. II : LEtr, 2017, p. 834 ; cf. aussi ATA/1517/2017 du 21 novembre 2017 consid. 5c).

6.            Le but de la détention pour insoumission est de pousser un étranger tenu de quitter la Suisse à changer de comportement, lorsqu'à l'échéance du délai de départ, l'exécution de la décision de renvoi entrée en force ne peut être assurée sans la coopération de celui-ci malgré les efforts des autorités (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_984/2013 du 14 novembre 2013 consid. 3.1 ; 2C_1089/2012 du 22 novembre 2012 consid. 2.2). La détention pour insoumission apparaît ainsi comme une ultima ratio, dans la mesure où il n'existe plus d'autres mesures permettant d'aboutir à ce que l'étranger présent illégalement en Suisse puisse être renvoyé dans son pays (ATF 140 II 409 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_188/2020 du 15 avril 2020 consid. 7.1 ; 2C_984/2013 du 14 novembre 2013 consid. 3.1 ; 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1).

7.            Conformément aux conditions fixées à l'art. 78 al. 1 LEI, il faut, pour qu'une telle détention soit ordonnée, qu'une décision de renvoi ou d'expulsion soit entrée en force, que la personne concernée ne s'y soit pas conformée dans le délai imparti et que l'exécution de celle-ci échoue en raison du comportement reprochable de l'intéressé (cf. not. arrêts du Tribunal fédéral 2C_188/2020 du 15 avril 2020 consid. 7.2 ; 2C_1038/2018 du 7 décembre 2018 consid. 2.2). En outre, la détention en vue du renvoi (art. 76 LEI) ne doit plus être possible et il ne doit pas y avoir d'autres moyens moins contraignants pour atteindre le but visé (cf. not. arrêts du Tribunal fédéral 2C_188/2020 du 15 avril 2020 consid. 7.2 ; 2C_1038/2018 du 7 décembre 2018 consid. 2.2).

8.            Les objectifs de la détention en vue du renvoi ou de l'expulsion ne sont donc pas les mêmes que ceux de la détention pour insoumission. Alors que la première tend à permettre l'exécution du renvoi ou de l'expulsion en évitant que l'étranger disparaisse (cf. art. 76 LEI), la seconde vise à obtenir un changement de comportement chez l'intéressé et ne se justifie que si sa détention en vue du renvoi ou de l'expulsion n'est plus possible. Ces deux détentions trouvent du reste une base différente dans la CEDH : la première est assimilée à une détention régulière d'une personne contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH, tandis que la seconde est conçue comme une mesure tendant à garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi selon l'art. 5 par. 1 let. b CEDH dans ce contexte (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 133 II 97 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_538/2010 du 19 juillet 2010 consid. 4.3.2 ; cf. aussi arrêt 2C_280/2021 du 22 avril 2021 consid. 2.2.1).

9.            A teneur de l'art. 78 al. 2 LEI, la détention pour insoumission peut être ordonnée pour une période d’un mois. Moyennant le consentement de l’autorité judiciaire cantonale et dans la mesure où l’étranger n’est pas disposé à modifier son comportement et à quitter le pays, elle peut être prolongée de deux mois en deux mois. Elle ne doit pas excéder - avec la détention en vue du renvoi et la détention en phase préparatoire - dix-huit mois (art. 78 al. 2 LEI et 79 al. 1 et 2 LEI ;
ATF 140 II 409 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_188/2020 du 15 avril 2020 consid. 7.3).

10.        La détention pour insoumission doit en tous les cas respecter le principe de la proportionnalité, ce qui suppose d'examiner l'ensemble des circonstances pour déterminer si elle paraît appropriée, ainsi que nécessaire, et s'il existe un rapport raisonnable entre les moyens (la détention) et le but visé (le changement de comportement) (cf. ATF 140 II 409 consid. 2.1 ; 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 II 201 consid. 2.2.2 ; 134 I 92 consid. 2.3.2 ; 133 II 97 consid. 2.2). Le refus explicite de collaborer de la personne concernée est un indice important, mais d'autres éléments entrent aussi en compte (ATF 135 II 105 consid. 2.2.2 ; 134 II 201 consid. 2.2.4). Ainsi, le comportement de l'intéressé, la possibilité qui lui est offerte de mettre concrètement lui-même fin à sa détention s'il coopère, ses relations familiales ou le fait qu'en raison de son âge, son état de santé ou son sexe, il mérite une protection particulière, peuvent aussi jouer un rôle (ATF 135 II 105 consid. 2.2.2 ; 134 I 92 consid. 2.3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_188/2020 du 15 avril 2020 consid. 7.4 ; 2C_1038/2018 du 7 décembre 2018 consid. 2.3).

11.        Conformément à l'art. 78 al. 6 LEI, la détention pour insoumission est levée dans les cas suivants : un départ de Suisse volontaire et dans les délais prescrits n'est pas possible, bien que l'étranger se soit soumis à l'obligation de collaborer avec les autorités (let. a), le départ de Suisse a lieu dans les délais prescrits (let. b), la détention en vue du renvoi ou de l'expulsion est ordonnée (let. c), une demande de levée de la détention est déposée et approuvée (let. d).

12.        L'art. 78 al. 6 let. a LEI prévoit, par opposition à l'art. 80 al. 6 let. a LEI, que la détention pour insoumission est levée si un départ de Suisse volontaire et dans les délais prescrits n'est pas possible, bien que l'étranger se soit soumis à l'obligation de collaborer avec les autorités. En d'autres termes, tant que l'impossibilité du renvoi dépend de la volonté de l'étranger de collaborer avec les autorités, celui-ci ne peut pas se prévaloir de l'art. 80 al. 6 let. a LEI en cas de détention pour insoumission. Il ne peut faire valoir l'impossibilité du renvoi pour justifier sa libération que si cette situation n'est pas en lien avec son obligation de collaborer en application de l'art. 78 al. 6 let. a LEI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_639/2011 du 16 septembre 2011 consid. 4.1 ; 2C_624/2011 du 12 septembre 2011 consid. 3 ; cf. aussi Gregor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 39 ad art. 78 p. 843). Le refus constant et catégorique de collaborer du détenu ne permet à lui seul pas d'en déduire que la détention pour insoumission n'est pas ou plus propre à atteindre son but ; il ne s'agit que d'un élément à prendre en considération parmi l'ensemble des circonstances, sous peine d'aboutir au résultat que le maintien en détention serait d'autant moins justifié que la personne refuse avec force son renvoi ou son expulsion (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_188/2020 du 15 avril 2020 consid. 7.9 ; 2C_984/2013 du 14 novembre 2013 consid. 3.2 et les arrêts cités ; cf. aussi ATA/226/2014 du 8 avril 2014).

13.        Sous l'angle de l'art. 80 al. 6 let. a LEI, si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion s'avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles, la détention dans l'attente du renvoi ou de l'expulsion ne peut plus être justifiée par une procédure d'éloignement en cours ; de plus, elle est contraire à l'art. 5 par. 1 let. f CEDH (cf. ATF 130 II 56 consid. 4.1.1 ; 122 II 148 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_634/2020 et 2C_635/2020 du 3 septembre 2020 consid. 6.1 ; 2C_597/2020 du 3 août 2020 consid. 4.1). Ces raisons doivent être importantes (« triftige Gründe »), l'exécution du renvoi ou de l'expulsion devant être qualifiée d'impossible lorsque le rapatriement est pratiquement exclu, même si l'identité et la nationalité de l'étranger sont connues et que les papiers requis peuvent être obtenus (arrêts du Tribunal fédéral 2C_634/2020 et 2C_635/2020 du 3 septembre 2020 consid. 6.1 ; 2C_597/2020 du 3 août 2020 consid. 4.1 ; 2C_672/2019 du 22 août 2019 consid. 5.1 et les arrêts cités). Il s'agit d'évaluer la possibilité d'exécuter la décision de renvoi ou d'expulsion dans chaque cas d'espèce. Le facteur décisif est de savoir si l'exécution de l'éloignement semble possible dans un délai prévisible, respectivement raisonnable, avec une probabilité suffisante. La détention viole l'art. 80 al. 6 let. a LEI, ainsi que le principe de proportionnalité, lorsqu'il y a de bonnes raisons de penser que tel ne pourra pas être le cas (ATF 130 II 56 consid. 4.1.3 et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_280/2021 du 22 avril 2021 consid. 2.2.2 ; 2C_634/2020 et 2C_635/2020 du 3 septembre 2020 consid. 6.1 ; 2C_597/2020 du 3 août 2020 consid. 4.1). Sous l'angle de l'art. 80 al. 6 let. a LEI, la détention ne doit être levée que si la possibilité de procéder au refoulement est inexistante ou hautement improbable et purement théorique, mais pas s'il y a une chance sérieuse, bien que mince, d'y procéder (cf. ATF 130 II 56 consid. 4. 1. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_280/2021 du 22 avril 2021 consid. 2.2.2 ; 2C_634/2020 et 2C_635/2020 du 3 septembre 2020 consid. 6.1 ; 2C_597/2020 du 3 août 2020 consid. 4.1).

14.        Il n'y a pas d'impossibilité si la personne concernée peut partir volontairement, c'est-à-dire s'il n'y a pas d'obstacles techniques à cet égard ; il en va de même si le refoulement forcé est exclu, mais que le départ volontaire s'avère techniquement possible ; la détention pour insoummission est dès lors inadaptée, si tant l'expulsion que le départ volontaire s'avèrent objectivement impossibles (arrêt du Tribunal fédéral 2C_280/2021 du 22 avril 2021 consid. 2.2.4 et l'arrêt cité).

15.        Selon l'art. 83 al. 4 LEI, l'exécution de la décision de renvoi peut ne pas être raisonnablement exigée si le renvoi de l'étranger dans son pays d'origine ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale. Une mise en danger concrète de l'intéressé en cas de retour dans son pays d'origine peut ainsi constituer une raison rendant impossible l'exécution du renvoi (cf. ATF 125 II 217 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_672/2019 du 22 août 2020 consid. 5.1 ; 2C_672/2019 du 22 août 2019 consid. 5.1).

16.        De jurisprudence constante, en matière de mesures de contrainte, la procédure liée à la détention administrative ne permet pas, sauf cas exceptionnels, de remettre en cause le caractère licite de la décision de renvoi ou d'expulsion (ATF 129 I 139 consid. 4.3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_672/2019 du 22 août 2020 consid. 5.1; 2C_932/2017 du 27 novembre 2017 consid. 3.2). Les objections y relatives doivent être invoquées et examinées par les autorités compétentes lors des procédures ad hoc et ce n'est que si cette décision apparaît manifestement inadmissible, soit arbitraire ou nulle, qu'il est justifié de lever la détention en application de l'art. 80 al. 6 let. a LEI, étant donné que l'exécution d'un tel ordre illicite ne doit pas être assurée par les mesures de contrainte (arrêts du Tribunal fédéral 2C_672/2019 du 22 août 2020 consid. 5.1 ; 2C_672/2019 du 22 août 2019 consid. 5.1 ; 2C_383/2017 du 26 avril 2017 consid. 3).

17.        En l'occurrence, M. A______ fait l’objet d’une décision de renvoi du 26 septembre 2022, entrée en force, qu’il n’a toujours pas exécutée. Son retour en Turquie est en soi possible et pourrait être effectué très rapidement puisque les autorités de ce pays l'ont reconnu comme étant l'un de leurs ressortissants. Il a toutefois refusé d’embarquer à bord des vols DEPU puis DEPA qui avaient été réservés en vue de son départ et a confirmé ce jour encore son opposition à son renvoi. Ces circonstances constituent typiquement celles qui autorisent une mise en détention pour insoumission au sens de l’art. 78 LEI et aucune des situations visées par l'art. 78 al. 6 LEI n'est réalisée, étant rappelé que les vols spéciaux à destination de la Turquie ne sont provisoirement pas possibles et que la collaboration de l'intéressé est ainsi indispensable.

Par ailleurs, l'intérêt public à son renvoi de Suisse continue de justifier sa privation de liberté et aucune autre mesure moins incisive ne serait envisageable pour l'amener à modifier son comportement. Il pourrait au demeurant lui-même décider qu'il y soit mis un terme en acceptant de retourner en Turquie.

La mesure litigieuse est aussi conforme au principe de célérité, l'autorité compétente ayant à ce jour entrepris les démarches utiles pour assurer l'exécution de son renvoi.

Concernant l’impossibilité du renvoi alléguée par M. A______ du fait des risques encourus dans son pays d’origine, elle a été écartée par la chambre administrative dans son arrêt précité du 21 décembre 2023, renvoyant aux examens circonstanciés de la situation de l’intéressé réalisés par le SEM, puis le TAF. Aucun nouvel élément du dossier ne permet de s’écarter de cette appréciation.

Enfin, la période de détention d'un mois décidée par le commissaire de police respecte le cadre légal fixé par l'art. 78 al. 2 1ère phr. LEI et la durée totale de la détention - de dix-huit mois - prévue par la loi n'est de loin pas atteinte.

18.        Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative pour insoumission de M. A______ pour une durée d'un mois.

19.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l'ordre de mise en détention administrative pour insoumission émis le 19 janvier 2024 à 14h25 par le commissaire de police à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 18 février 2024 inclus ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le 22 janvier 2024

 

Le greffier