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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1638/2022

JTAPI/154/2023 du 08.02.2023 ( OCPM ) , ADMIS

Descripteurs : ENFANT;CAS DE RIGUEUR
Normes : LEI.30.al1.letb; OASA.31.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1638/2022

JTAPI/154/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 8 février 2023

 

dans la cause

 

Madame A______, agissant en son nom et celui de son enfant mineure B______, représentées par CSP-CENTRE SOCIAL PROTESTANT, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Madame A______, née le ______ 1983, est ressortissante de Philippines. Elle a donné naissance à Genève, le ______ 2018, à sa fille B______.

2.             Le 17 janvier 2019, elle a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande d'autorisation de séjour pour cas individuel d'extrême gravité.

Issue d'une fratrie de dix enfants, elle avait grandi dans une famille qui vivait misérablement à C______, dans un petit village d'une région de montagne. Comme ses parents ne parvenaient pas à nourrir tous leurs enfants, elle avait été envoyée auprès d'une tante pour laquelle elle avait travaillé contre de la nourriture. Après plusieurs années, elle avait décidé de partir à D ______, dans l'espoir de pouvoir étudier et parallèlement de subvenir à ses propres besoins et ceux de ses parents. Son salaire n'avait cependant pas suffi et elle avait dû renoncer à ses études. Elle était ensuite partie à E______, mais elle s'était retrouvée à travailler jusqu'à épuisement pour un salaire de misère, tout en étant maltraitée. Au bout de trois ans d'une vie d'esclave, elle était retournée aux Philippines, puis avait décidé de partir en Europe, dans le but de soutenir ses plus jeunes frères encore scolarisés et le reste de sa famille. Elle était arrivée à Genève en juillet 2015 et avait trouvé un emploi en tant que garde d'enfants. Deux ans plus tard, en juin 2017, elle avait rencontré Monsieur F______, ressortissant libanais établi à Berne. Une relation amoureuse s'était établie entre eux et M. F______ lui avait promis qu'ils se marieraient bientôt. Elle était devenue enceinte et son fiancé, après avoir pris peur et lui avoir demandé d'avorter, avait fini par organiser un mariage religieux à la mosquée des H______ (dont elle a produit des photos). Cependant, M. F______ avait ensuite cessé de s'intéresser à elle et l'avait laissée seule, sans lui apporter aucun soutien. De même, elle avait accouché seule, malgré la promesse du père qu'il serait présent. Après la naissance, celui-ci avait tout de même accueilli la mère et l'enfant chez lui à Berne, mais les avait quelques temps plus tard renvoyées à Genève, ne supportant pas les pleurs de sa fille. Une action en paternité serait prochainement introduite à Genève. Un retour aux Philippines serait pour elle extrêmement préjudiciable, vu l'opprobre qui entourait les mères célibataires dans ce pays très catholique. Elle serait certainement reniée par sa famille.

3.             Par courriel du 10 août 2020, l'OCPM a interpellé l'Ambassade suisse à G______ afin de connaître la situation des mères célibataires aux Philippines et en particulier afin de savoir si elles étaient stigmatisées ou si elles étaient acceptées dans la société philippines.

4.             Par courriel du 11 août 2020, l'Ambassade a répondu, sous la signature d'un attaché consulaire, qu'en "général, les mères célibataires ne sont pas stigmatisées. C'est très commun que seulement un parent est en charge pour les enfants et normalement sont supportés dans la société philippines. C'est clair qu'il y a aussi des exceptions".

5.             Par courrier du 4 septembre 2020, Mme A______ a adressé à l'OCPM copie du jugement rendu le 27 juillet 2020 par le Tribunal de première instance de Genève, constatant la paternité de M. F______ sur l'enfant B______ et le condamnant au paiement d'une contribution d'entretien de CHF 500.-. Mme A______ a précisé en outre que M. F______, au bénéfice d'une autorisation d'établissement en Suisse, n'entretenait aucun contact avec sa fille.

6.             Par courrier du 12 octobre 2020, Mme A______ a encore produit auprès de l'OCPM copie de ses dernières fiches de salaire, lesquelles faisaient état, de mai à juillet 2020, d'un revenu net de CHF 1'114.-, ainsi que de son contrat de travail avec un particulier en tant que femme de ménage, pour un horaire hebdomadaire moyen de 12 heures.

7.             Dans le cadre de l'exercice de son droit d'être entendue, Mme A______ a encore produit, le 14 septembre 2021, copie d'une attestation des Transports publics genevois (TPG) attestant de l'achat d'abonnements mensuels ou annuels couvrant toute la période de juillet 2015 à janvier 2017, puis celles de décembre 2018 à février 2019, d'octobre à novembre 2019, d'avril à juillet 2020 et de janvier à septembre 2021. Elle a produit également une attestation de la société I______ faisant état de nombreux versements effectués par elle à destination des Philippines entre juillet 2015 et mai 2017, une attestation de l'Hospice général du 7 septembre 2021 indiquant qu'elle n'avait jamais fait appel à l'aide sociale depuis 2017 et enfin un extrait bancaire faisant état d'un versement en sa faveur de CHF 550.- de la part de M. F______ en date du 27 août 2021.

8.             Par courrier du 1er novembre 2021, elle a encore fourni à l'OCPM copie de son attestation de réussite du test de langue FIDE en français en niveau A1, établie le 26 octobre 2021.

9.             Par décision du 22 avril 2022, l'OCPM a refusé de préaviser favorablement auprès du secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) la demande d'autorisation de séjour de Mme A______ et a prononcé son renvoi de Suisse, ainsi que celui de sa fille.

La précitée indiquait être arrivée en Suisse en 2015, mais sans fournir aucun justificatif de cette allégation. Quand bien même il faudrait retenir cette date, il s'agirait d'un séjour relativement court (6 ans) et elle n'avait pas démontré une intégration socioprofessionnelle particulièrement marquée. L'extrême pauvreté aux Philippines ne représentait pas un motif permettant de considérer son cas comme d'extrême gravité, dans la mesure où il ne s'agissait pas d'une difficulté qui lui était propre. Renseignement pris auprès de l'Ambassade de Suisse aux Philippines, il apparaissait que les femmes seules avec un enfant n'étaient pas stigmatisées. Enfin, le regroupement familial en faveur de sa fille auprès de son père n'était pas possible, puisqu'elle n'entretenait aucune relation avec lui. Mme A______ pourrait être aidée par ses nombreux frères et sœurs restés aux Philippines pour se réintégrer.

10.         Par acte du 19 mai 2022, Mme A______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à son annulation sous suite de frais et dépens.

Aux faits déjà mentionnés plus haut, elle a ajouté que sa fille, qui avait fréquenté la crèche depuis plusieurs années, allait entamer l'école primaire au mois d'août.

Cela faisait sept ans qu'elle vivait en Suisse. Si son niveau de français n'était pas particulièrement élevé, il correspondait à celui qui était requis. Son intégration professionnelle était excellente, puisqu'elle travaillait depuis son arrivée en Suisse à l'entière satisfaction de ses employeurs, ce qui lui permettait d'offrir à sa fille une grande stabilité. Elle vivait certes très simplement, mais pouvait offrir à sa fille une vie digne et couvrir tous ses besoins. Concernant sa réintégration dans son pays d'origine, elle avait quitté les Philippines environ 15 auparavant, ne parvenant pas à assurer ses besoins primaires. Sa famille, très catholique, l'avait rejetée à la naissance de sa fille, du fait qu'elle était née hors mariage. En outre, ses parents, ainsi que ses frères et sœurs, qu'elle avait longtemps soutenus financièrement, vivaient dans une très grande misère et elle ne pourrait donc pas en attendre le moindre soutien affectif ou économique. L'OCPM se contentait de renvoyer à la situation sociale des mères célibataires parce que l'ambassade suisse estimait que cela ne constituait pas un problème. En réalité, du fait de l'interdiction du divorce, liée à une mainmise et une conception très conservatrice, voire fondamentaliste du catholicisme dans le pays, les mères célibataires étaient en effet nombreuses aux Philippines. Cela ne signifiait cependant pas qu'elles étaient acceptées par la société. Elles restaient au contraire largement mis à l'écart et stigmatisées, en particulier dans les campagnes. Cette mise à l'écart avait des répercussions directes sur l'accès au travail, les mères étant plus touchés que les autres catégories de la population par la très grande pauvreté. La crise du Covid-19 n'avaient fait qu'aggraver la situation, ainsi qu'en témoignait un article consacré à ce sujet («The abandonment of Single Mothers in the Philippines : Duterste's failings exposed by COVID-19 »), qu'elle produisait. Dans ces circonstances, sa réintégration dans son pays, d'où elle était absente depuis de très nombreuses années, ainsi que celle de sa fille, ne pouvait qu'être compromise. A cela s'ajoutait qu'actuellement, elle pouvait subvenir à ses besoins et ceux de sa fille grâce à son travail, mais également grâce à la pension versée par le père de l'enfant. En cas de renvoi, non seulement elle ne pourrait très probablement plus assurer les besoins de sa fille par le biais de son travail, mais elle ne pourrait plus bénéficier de la contribution d'entretien que lui versait aujourd'hui le père. En effet, vu le comportement que ce dernier avait adopté jusque-là, il était manifeste qu'il cesserait sous le moindre prétexte de verser ce qu'il devait et elle n'aurait alors plus aucun moyen de le contraindre à le faire.

11.         L'OCPM a répondu au recours en concluant à son rejet. La recourante ayant déclaré être arrivée en Suisse en juillet 2015 à l'âge de 31 ans, son séjour sur le territoire suisse ne pouvait être considéré comme relativement long. En outre, son séjour s'était déroulé en partie dans l'illégalité avant d'être simplement toléré. La recourante ne se prévalait pas une ascension professionnelle ni d'une immersion poussée, pas plus que de l'établissement de liens à ce point profonds avec son environnement genevois qu'un retour aux Philippines apparaîtrait comme excessivement rigoureux. Elle invoquait principalement le niveau de vie précaire dans son pays, ainsi que la stigmatisation à laquelle elle-même et sa fille devraient faire face en cas de retour. Ces éléments n'apparaissaient cependant pas suffisants pour justifier l'octroi d'un titre de séjour ou encore remettre en cause leur envoi, dans la mesure où il s'agissait de circonstances sociales affectant l'ensemble de ses concitoyennes de se trouvant dans la même situation aux Philippines, sans qu'il ait été démontré que les recourantes puissent être visées personnellement de manière plus grave et concrète.

12.         La recourante a répliqué par écritures du 3 août 2022.

S'agissant de la question de l'intégration professionnelle exceptionnelle, cette approche constituait une discrimination des personnes modestes n'ayant pas accès aux études supérieures et excluait ainsi de manière choquante les personnes actives dans des domaines professionnels non qualifiés, répondant pourtant à un besoin économique manifeste.

Par ailleurs, l'OCPM semblait reconnaître le risque de stigmatisation auquel elle-même et sa fille seraient exposées en cas de retour aux Philippines. Toutefois, l'OCPM retenait qu'elles ne seraient pas plus discriminées que leurs concitoyennes se trouvant dans une situation identique. Il ne faisait pas de sens de comparer la situation de deux mères célibataires entre elles, dans la mesure où elles appartenaient toutes deux à un groupe social faisant l'objet d'exclusion ou de dépréciation. L'autorité aurait au contraire dû admettre qu'elles étaient elles-mêmes visées de manière plus grave et concrète que leurs concitoyennes qui, elles, n'appartenaient pas à un groupe souffrant d'exclusion.

13.         Par courrier du 22 août 2022, l'OCPM a informé le tribunal qu'il n'avait pas d'observations complémentaires à formuler.

 

 

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             L'objet du litige est la décision de l'autorité intimée de refuser de considérer que la recourante et sa fille se trouvent dans une situation individuelle d'extrême gravité et de préaviser favorablement leur dossier auprès du SEM.

4.             La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (cf. art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants des Philippines.

Selon l'art. 30 al. 1 let. b LEI, il est possible de déroger aux conditions d'admission d'un étranger en Suisse pour tenir compte d'un cas individuel d'extrême gravité.

L'art. 31 al. 1 OASA, dans sa teneur avant le 1er janvier 2019, prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), du respect de l'ordre juridique suisse (let. b), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière, ainsi que de sa volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f), ainsi que des possibilités de sa réintégration dans l'État de provenance (let. g).

5.             Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, de sorte que les conditions pour la reconnaissance de la situation qu'ils visent doivent être appréciées de manière restrictive et ne confèrent pas un droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1 ; ATA/121/2021 du 2 février 2021 consid. 7c ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1020/2017 du 27 juin 2017 consid. 5b ; cf. aussi arrêts du Tribunal fédéral 2C_602/2019 du 25 juin 2019 consid. 3.3 ; 2C_222/2017 du 29 novembre 2017 consid. 1.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (cf. ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/121/2021 du 2 février 2021 consid. 7c ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c).

L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire le requérant aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique qu'il se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'il tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question, et auxquelles le requérant serait également exposé à son retour ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par le requérant à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1131/2017 du 2 août 2017 consid. 5e).

La reconnaissance de l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité implique que les conditions de vie et d'existence de l'étranger doivent être mises en cause de manière accrue en comparaison avec celles applicables à la moyenne des étrangers. En d'autres termes, le refus de le soustraire à la réglementation ordinaire en matière d'admission doit comporter à son endroit de graves conséquences. Le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu'il y soit bien intégré, tant socialement et professionnellement, et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d'extrême gravité. Encore faut-il que sa relation avec la Suisse soit si étroite que l'on ne puisse exiger qu'il vive dans un autre pays, notamment celui dont il est originaire. À cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage qu'il a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exception (ATF 130 II 39 consid. 3 ; 124 II 110 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C 754/2018 du 28 janvier 2019 consid. 7.2 ; 2A 718/2006 du 21 mars 2007 consid. 3 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral C-6956/2014 du 17 juillet 2015 consid. 6.1 ; C_5414/2013 du 30 juin 2015 consid. 5.1.3 ; C_6726/2013 du 24 juillet 2014 consid. 5.3 ; ATA/181/2019 du 26 février 2019 consid. 13d ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8).

6.             Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'une telle situation, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine, une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse et la situation de ses enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d'études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n'arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l'aide sociale ou des liens conservés avec le pays d'origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral F-2584/2019 du 11 décembre 2019 consid. 5.3 ; F-6510/2017 du 6 juin 2019 consid. 5.6 ; F-736/2017 du 18 février 2019 consid. 5.6 et les références citées ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1130/2017 du 2 août 2017 consid. 5b).

Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2 ; 2A.166/2001 du 21 juin 2001 consid. 2b/bb ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-912/2015 du 23 novembre 2015 consid. 4.3.2 ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1538/2017 du 28 novembre 2017 ; ATA/465/2017 du 25 avril 2017 ; ATA/287/2016 du 5 avril 2016). La durée du séjour (légal ou non) est ainsi un critère nécessaire, mais pas suffisant, à lui seul, pour la reconnaissance d'un cas de rigueur. La jurisprudence requiert, de manière générale, une très longue durée (ATA/1538/2017 du 28 novembre 2017 ; Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. II : LEtr, 2017, p. 269 et les références citées).

7.             S'agissant de l'intégration professionnelle, elle doit revêtir un caractère exceptionnel au point de justifier, à elle seule, l'octroi d'une autorisation de séjour en dérogation aux conditions d'admission. Le requérant doit posséder des connaissances professionnelles si spécifiques qu'il ne pourrait les utiliser dans son pays d'origine ou doit avoir réalisé une ascension professionnelle remarquable, circonstances susceptibles de justifier à certaines conditions l'octroi d'un permis humanitaire (arrêt du Tribunal fédéral 2A543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral F-3298/2017 du 12 mars 2019 consid. 7.4 et les références citées ; ATA/775/2018 du 24 juillet 2018 consid. 4d ; ATA/882/2014 du 11 novembre 2014 consid. 6d et les arrêts cités).

Lorsqu'une personne a passé toute son enfance, son adolescence et le début de sa vie d'adulte dans son pays d'origine, elle y reste encore attachée dans une large mesure. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet. Il convient de tenir compte de l'âge du recourant lors de son arrivée en Suisse, et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, de la situation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter ses connaissances professionnelles dans le pays d'origine (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-646/2015 du 20 décembre 2016 consid. 5.3).

Il est parfaitement normal qu'une personne ayant effectué un séjour prolongé en Suisse s'y soit créé des attaches, se soit familiarisée avec le mode de vie de ce pays et maîtrise au moins l'une des langues nationales. Le fait qu'un ressortissant étranger se soit toujours comporté de manière correcte, qu'il ait tissé des liens non négligeables avec son milieu et qu'il dispose de bonnes connaissances de la langue nationale parlée au lieu de son domicile ne suffit ainsi pas pour qualifier son intégration socio-culturelle de remarquable (cf. not. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-7467/2014 du 19 février 2016 consid. 6.2.3 in fine ; C-2379/2013 du 14 décembre 2015 consid. 9.2 ; C-5235/2013 du 10 décembre 2015 consid. 8.3 in fine).

L'intégration socio-culturelle n'est donc en principe pas susceptible de justifier à elle seule l'octroi d'une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Néanmoins, cet aspect peut revêtir une importance dans la pesée générale des intérêts (cf. not. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-541/2015 du 5 octobre 2015 consid. 7.3 et 7.6 ; C-384/2013 du 15 juillet 2015 consid. 6.2 et 7 ; Actualité du droit des étrangers, 2016, vol. I, p. 10), les lettres de soutien, la participation à des associations locales ou l'engagement bénévole pouvant représenter des éléments en faveur d'une intégration réussie, voire remarquable (cf. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-74672014 du 19 février 2016 consid. 6.2.3 in fine ; C-2379/2013 du 14 décembre 2015 consid. 9.2 ; C-5235/2013 du 10 décembre 2015 consid. 8.3 in fine ; cf. aussi Actualité du droit des étrangers, 2016, vol. I, p. 10).

8.             Dans le cadre de l'exercice de leur pouvoir d'appréciation, les autorités compétentes doivent tenir compte des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration (art. 96 al. 1 LEI).

9.             En l'espèce, la recourante affirme être arrivée en Suisse en juillet 2015, ce que l'autorité intimée, dans sa réponse au recours, ne semble pas réellement remettre en cause. Pour sa part, le tribunal constate qu'un faisceau d'indices suffisants concourt à le démontrer. En effet, l'attestation des TPG produite par la recourante indique que celle-ci a acheté des abonnements mensuels ou annuels couvrant toute la période de juillet 2015 à janvier 2017. De nombreux versements d'argent effectués à destination des Philippines recouvrent la même période en se prolongeant jusqu'à mai 2017. C'est également à la fin de cette période, soit en juin 2017, qu'elle dit avoir rencontré le futur père de sa fille, ce qui paraît tout à fait vraisemblable étant donné que celle-ci a dû être conçue autour de la période d'octobre-novembre 2017, soit environ 5 mois après cette rencontre. La conception de cette enfant a ensuite été suivie d'un mariage religieux à la mosquée des H______, que la recourante a démontré au moyen de photographies. Quelques mois plus tard, en juillet 2018, la recourante a accouché de sa fille à Genève. L'attestation des TPG indique à nouveau l'achat d'abonnement durant les périodes de décembre 2018 à février 2019, d'octobre à novembre 2019, d'avril à juillet 2020 et de janvier à septembre 2021. Il est peu probable que la recourante, qui participait en outre à une procédure judiciaire à Genève en vue de la constatation de la paternité de son enfant, se soit rendue aux Philippines après à la naissance de sa fille, du moins pour une période supérieure à de simples vacances. Outre qu'un tel voyage aurait impliqué des frais relativement conséquents que le niveau de vie très modeste de la recourant lui aurait difficilement permis, une absence prolongée de Genève aurait par ailleurs signifié une perte de gain significative qu'elle ne se serait sans doute pas permise. On peut donc raisonnablement retenir que la recourante séjourne régulièrement à Genève depuis juillet 2015, c'est-à-dire depuis maintenant près de huit ans.

Certes, il ne s'agit pas d'une très longue durée au sens de la jurisprudence rappelée plus haut, du moins pas d'une durée permettant à elle seule de retenir l'existence d'un cas d'extrême gravité en faisant abstraction des critères d'intégration. Néanmoins, il s'agit déjà d'une durée significative, dont il conviendra de tenir compte dans l'appréciation globale de la situation de la recourante.

10.         S'agissant de son intégration professionnelle, la recourante, qui travaille dans le domaine de l'économie domestique, n'a pas démontré avoir acquis des compétences telles qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre en cas de retour dans son pays d'origine. Son argumentation relative à la discrimination que subiraient sous cet angle les personnes qui, comme elle, n'ont pas eu la possibilité de poursuivre des études et qui par conséquent, en principe, ne connaissent pas une ascension professionnelle particulièrement remarquable, ne tient pas compte du fait que ce critère a été développé par la jurisprudence afin de tenir compte des conséquences rigoureuses qu'entraînerait, pour une personne ayant bénéficié d'une telle ascension, l'éventuelle impossibilité de mettre à profit l'expérience acquise en Suisse et d'en perdre tous les profits en cas de retour dans le pays d'origine. Pour ce qui concerne les personnes qui n'ont pas effectué une telle progression professionnelle en Suisse, le retour dans le pays d'origine ne saurait en principe avoir de graves conséquences sur ce plan-là, de sorte que l'on ne saurait voir dans cette question une quelconque discrimination.

Par conséquent, sur le plan de son intégration professionnelle, le retour de la recourant dans son pays d'origine n'entraînerait pas de conséquence particulièrement rigoureuse.

11.         Il en va de même de son intégration sociale qui, même si elle peut être qualifiée de bonne (notamment par sa maîtrise suffisante de la langue française, par l'absence de poursuites ou de dettes, par son autonomie financière complète et enfin par l'absence de toute mention au casier judiciaire ou dans les dossiers de police), ne revêt pas non plus le caractère exceptionnel défini par la jurisprudence susmentionnée.

12.         En revanche, sous l'angle de sa réintégration dans son pays d'origine, la situation de la recourante présente une problématique particulière, en tant qu'il s'agit d'une mère célibataire. Ainsi que cela ressort non seulement de l'article qu'elle a produit – lui-même documenté par de nombreuses sources référencées –, mais également d'autres articles ou études accessibles sur internet (par exemple : https://www.herdin.ph/index.php?view= research&cid=70581 ; https://paregiver.com/2022/06/23/how-systemic-discrimination-and-outmoded-governement-policies-led-to-an-increase-number-of-single-parents-in-philippines/; https://vid.brage.unit.no/vid-xmlui/handle/11250/2825396 ; consultés le 7 février 2023), les mères célibataires aux Philippines, qui comptent environ 13 millions de personnes, font face à de graves difficultés du fait des diverses discriminations dont elles font l'objet et se retrouvent pour ce motif dans les catégories les plus démunies et misérables de la société. Les indications contraires données par l'Ambassade de Suisse à G______, qui tiennent, à teneur du dossier, en trois phrases lapidaires et dénuées de tout développement, se trouvent complètement en porte-à-faux avec les informations qu'il est possible de trouver en une rapide recherche sur internet, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'en tenir compte.

Le raisonnement tenu par l'autorité intimée au sujet du fait qu'en cas de retour dans son pays, la recourante ne se trouverait pas dans une situation différente de celle des autres mères célibataires vivant aux Philippines, fait non seulement abstraction de la menace d'être exposées à la misère qui pèse concrètement sur la recourante et sa fille, mais procède également, en réalité, d'un amalgame entre la situation de la population philippines en général et la situation spécifique de la recourante. Ce n'est pas parce qu'au sein d'une population entière, une catégorie particulière de personnes est spécifiquement exposée à de graves difficultés socio-économiques, qu'il se justifie d'en faire abstraction. Cela se justifie d'autant moins lorsqu'une telle situation résulte d'une forme de ségrégation ou de discrimination systémique, quelle que soit l'origine raciale, politique, idéologique ou religieuse du phénomène.

La menace qui pèse sur la recourante est d'autant plus concrète que, comme elle le relève avec pertinence, son départ de Suisse s'accompagnerait très vraisemblablement de la cessation, de la part du père de sa fille, du paiement de la contribution d'entretien versée pour cette dernière, étant donné les réticences dont celui-ci a fait preuve pour assumer jusqu'ici ses responsabilités.

13.         En conclusion, en tenant compte à la fois du fait que la recourante séjourne en Suisse depuis bientôt huit ans, que sa fille, âgée de bientôt cinq ans, n'a jusqu'ici connu que la Suisse, et qu'elles seraient toutes deux, selon toute vraisemblance, exposées en cas de retour aux Philippines au risque d'être plongées dans une très grande précarité, il ne se justifiait pas que l'autorité intimée refuse de soumettre leur situation au SEM avec un préavis positif.

14.         Par conséquent, le recours sera admis et la décision litigieuse annulée, le dossier étant retourné à l'autorité intimée pour la suite qu'il conviendra d'y donner.

15.         Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). L'avance de frais de CHF 500.- sera restituée à la recourante.

16.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

17.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 19 mai 2022 par Madame A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 22 avril 2022 ;

2.             l'admet ;

3.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

4.             ordonne la restitution à la recourante de son avance de frais de CHF 500.- ;

5.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’office cantonal de la population et des migrations à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 1'000.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève,

 

La greffière