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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/581/2022

JTAPI/1414/2022 du 19.12.2022 ( OCPM ) , ADMIS

Descripteurs : CAS DE RIGUEUR
Normes : LEI.30.al2; OASA.31
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/581/2022

JTAPI/1414/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 décembre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Gian Luigi BERARDI, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1997, est ressortissant de Géorgie.

2.             Le 28 juillet 2021, par l'intermédiaire de son mandataire, il a saisi l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) d'une demande d'autorisation de séjour pour cas individuel d'extrême gravité.

Fils unique, il avait vécu en Géorgie jusqu'à l'âge de 6 ans, puis avait déménagé à B______ (Ukraine) avec ses parents. Son père était décédé le 7 mai 2013. Sa mère, Madame C______, était alors venue en Suisse pour travailler et avait confié son fils à son grand-père paternel, en Géorgie, afin qu'il puisse terminer son école obligatoire, qu'il avait achevée en juillet 2014. En octobre 2014, il était venu rejoindre sa mère à Genève et avait été scolarisé dans le cadre de l'Accueil du post-obligatoire (ACPO) jusqu'en juin 2016, puis avait été inscrit en classe d'insertion professionnelle. Dans ce cadre, durant le printemps 2017, il avait effectué des stages d'agent de voyage, de dessinateur-architecte et d'employé de commerce, à chaque fois durant quelques jours, à l'entière satisfaction de ses professeurs. Dès août 2017, il avait effectué deux stages de longue durée au D______, d'abord à l'Espace Entreprise du 29 août 2017 au 19 janvier 2018, puis du 22 janvier au 26 juin 2018, au sein du département logistique (en obtenant une moyenne d'évaluation de 5,5) puis au département communication (en obtenant une moyenne d'évaluation de 5,1). L'établissement lui avait délivré une attestation selon laquelle il avait donné pleine et entière satisfaction à ses formateurs, qui le recommandaient sans réserve à tout employeur. A la rentrée 2018-2019, il avait accompli avec succès la première année à l'Ecole de commerce en vue de l'obtention d'un certificat fédéral de capacité (CFC) d'employé de commerce – B. Il avait effectué deux nouveaux stages d'août 2019 à janvier 2020, puis de novembre à décembre 2020 en intégrant la E______. Il n'avait cependant pas obtenu son CFC en juin 2021. S'il avait réussi la partie théorique, il avait échoué de peu à la partie pratique et se présenterait à nouveau en juin 2022. Dans l'intervalle, il avait pu obtenir un nouvel apprentissage d'agent relation-client d'une durée de trois ans, dès le 30 août 2021. Il ne faisait l'objet d'aucune poursuite, son casier judiciaire était vierge, il n'avait jamais émargé à l'assistance de l'Hospice général et ses primes d'assurance-maladie ainsi que ses frais d'étude étaient pris en charge par des fonds privés. En outre, il produisait à l'appui de sa demande des attestations de trois ressortissants suisses décrivant ses qualités ainsi que son intégration en Suisse, de même que son attachement à la vie politique et culturelle genevoise et suisse.

Sur le plan juridique, il a relevé qu'il vivait en Suisse depuis sept ans et y avait passé une partie de son adolescence et le début de sa vie d'adulte, période essentielle pour la formation de la personnalité et pour son intégration sociale et culturelle en Suisse. Il avait démontré sa volonté de prendre part à la vie économique. Certes, il n'était pas encore autonome sur le plan financier, mais il n'avait jamais émargé à l'assistance sociale. Par ailleurs, à l'exception d'un oncle paternel avec lequel il n'entretenait aucune relation, il ne disposait plus de membres de sa famille en Géorgie, son grand-père paternel était décédé le 17 juin 2017), étant rappelé qu'il avait quitté ce pays lorsqu'il était encore mineur. Il rencontrerait des difficultés insurmontables de réintégration en cas de renvoi dans son pays. Pour les mêmes raisons, ses attaches avec la Suisse apparaissaient désormais prépondérantes.

3.             Par décision du 22 janvier 2022, l'OCPM a rejeté la demande de M. A______ et prononcé son renvoi de Suisse. La durée de son séjour en Suisse était relativement courte au sens de la jurisprudence courante. Selon le système d'information de l'OCPM, sa mère n'avait jamais résidé à Genève et aucun lien de filiation n'était établi. Sa mère avait tout au plus obtenu un permis G valable du 12 mai au 31 novembre 2015. Par ailleurs, il avait achevé sa scolarité obligatoire dans son pays d'origine, où il avait passé son enfance et son adolescence loin de sa mère. Il n'avait pas vécu à Genève avec elle, de sorte que l'on ne pouvait pas retenir qu'il formait avec elle une cellule familiale stable et de longue durée et que l'on ne pouvait appliquer à son cas la durée de 5 ans prévue dans ces cas. Son intégration en Suisse n'était pas déterminante au point de devoir admettre que la réintégration dans son pays d'origine soit insurmontable. Son intégration sociale ou professionnelle n'était pas marquée au point d'admettre qu'il ne pourrait pas quitter la Suisse sans être confronté à des obstacles insurmontables. Il n'avait finalement pas obtenu son CFC au mois de juin 2021. Bien qu'il soit arrivé en Suisse en étant mineur, son cas devait être traité comme celui d'un requérant majeur au moment du dépôt de sa demande d'autorisation de séjour.

4.             Contre cette décision, M. A______ (ci-après : le recourant) a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) par acte du 18 février 2022, concluant à son annulation et à ce que l'OCPM soit invité à préaviser favorablement son dossier auprès du secrétariat d'Etat aux migrations (SEM). A titre préalable, il demandait la suspension de la procédure jusqu'à l'obtention des résultats de son CFC d'employé de commerce en juin 2022.

Aux faits qu'il avait déjà énoncés dans ses écritures du 28 juillet 2021, il a ajouté que l'enseignement qu'il avait suivi en Géorgie, était dispensé en russe et qu'il avait poursuivi sa scolarité dans cette langue à B______. Il n'avait suivi en Géorgie qu'une année de scolarité à l'âge de six ans et une autre à son retour en Géorgie en 2014, de sorte qu'il maîtrisait très superficiellement la langue géorgienne à l'oral et ne savait pas la lire, les alphabets géorgien et cyrillique étant totalement différents.

S'il avait obtenu son CFC en juin 2021, l'OCPM aurait vaisemblablement accepté de régulariser sa situation administrative, puisque dans la pratique, la plupart des jeunes étrangers qui avaient suivi une formation initiale se voyaient finalement délivrer une autorisation de séjour durable. La jurisprudence qui prévoyait qu'un séjour de sept à huit ans ne suffisait pas à lui seul à fonder une dérogation aux conditions d'admission s'appliquait avant tout aux adultes et ne pouvait être transposée telle quelle s'agissant d'un séjour passé en Suisse en tant qu'adolescent ou jeune adulte. On ne pouvait donc soutenir que son cas devait être traité comme celui d'un requérant majeur. Par ailleurs, même s'il ne cohabitait plus avec sa mère (pour des raisons de place indépendantes de leur volonté), il n'en restait pas moins que sa mère avait toujours maintenu avec lui des liens affectifs étroits et continuait de participer à l'entretien de son fils grâce aux revenus tirés de son activité dans l'économie domestique à Genève. La décision litigieuse se révélait d'autant plus rigoureuse qu'il aurait pu se prévaloir de l'opération Papyrus même s'il était déjà majeur au moment de l'entrée en vigueur de ce programme en 2017, vu que sa mère participait alors à son entretien. Par ailleurs, la décision litigieuse passait sous silence l'entrave sensible que constituerait, pour sa réintégration en Géorgie, le fait qu'il ne savait pas lire l'alphabet géorgien. Il fallait également tenir compte du fait qu'il n'aurait aucun repère ni aucune formation propre à son pays d'origine, non plus qu'aucun soutien familial.

5.             Le 7 avril 2022, le recourant a fait parvenir au tribunal un courriel attestant de la réussite de son examen oral en vue de son CFC d'employé de commerce.

6.             Par écriture du 13 avril 2022, l'OCPM a conclu au rejet du recours, renvoyant pour l'essentiel aux motifs de la décision litigieuse. Par ailleurs, son intégration en Suisse n'était pas particulièrement bonne. Depuis son arrivée en Suisse en 2014, il n'avait achevé aucune formation et n'exerçait pas d'activité lucrative lui permettant de réaliser un revenu propre. Il n'avait pas non plus démontré avoir tissé des liens particuliers avec la Suisse. Quant à ses liens familiaux avec la Suisse, ils étaient inexistants.

7.             Par écritures du 11 mai 2022, le recourant a relevé que l'OCPM n'avait pas fait cas de la réussite de son examen oral en vue de l'obtention de son CFC. Cette réussite permettait de faire un pronostic favorable sur l'obtention prochaine de son CFC d'employé de commerce.

8.             Par courrier du 3 juin 2022, l'OCPM a indiqué n'avoir pas d'observations complémentaires à formuler.

9.             Le 4 juillet 2022, le recourant a adressé au tribunal la copie de son bulletin de notes indiquant que son CFC d'employé de commerce – formation initiale de base, lui était délivré.

10.         Le 15 août 2022, il a fait parvenir au tribunal copie d'un contrat d'apprentissage d'agent relation client CFC conclu le 27 juillet 2021 avec l'office pour l'orientation, la formation professionnelle et continue, au sein de la F______, du 30 août 2021 au 29 août 2024. Il a également produit trois fiches de salaire pour la période de mai à juillet 2022, faisant état de revenus variables entre CHF 683.- et CHF 1'367.-, ainsi que des attestations actualisées d'absence d'aide sociale et de poursuites.

11.         Le 2 septembre 2022, il a encore adressé au tribunal copie d'une attestation de bénévolat que lui avait délivré la G______ le 31 août 2022, indiquant qu'il avait accompli 20 heures en donnant entière satisfaction dans l'accomplissement de ses responsabilités et en ayant fait preuve d'une grande implication et de professionnalisme dans les tâches qui lui avaient été confiées.

12.         Enfin, par courrier du 28 septembre 2022, le recourant a adressé au tribunal copie de son CFC lui-même.

13.         Tous ces documents ont été au fur et à mesure transmis par le tribunal à l'OCPM en copie, pour information. L'OCPM n'y a pas réagi.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (cf. art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants de Géorgie.

Selon l'art. 30 al. 1 let. b LEI, il est possible de déroger aux conditions d'admission d'un étranger en Suisse pour tenir compte d'un cas individuel d'extrême gravité.

L'art. 31 al. 1 OASA, dans sa teneur avant le 1er janvier 2019, prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), du respect de l'ordre juridique suisse (let. b), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière, ainsi que de sa volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f), ainsi que des possibilités de sa réintégration dans l'État de provenance (let. g).

4.             Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, de sorte que les conditions pour la reconnaissance de la situation qu'ils visent doivent être appréciées de manière restrictive et ne confèrent pas un droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1 ; ATA/121/2021 du 2 février 2021 consid. 7c ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1020/2017 du 27 juin 2017 consid. 5b ; cf. aussi arrêts du Tribunal fédéral 2C_602/2019 du 25 juin 2019 consid. 3.3 ; 2C_222/2017 du 29 novembre 2017 consid. 1.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (cf. ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/121/2021 du 2 février 2021 consid. 7c ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c).

L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire le requérant aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique qu'il se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'il tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question, et auxquelles le requérant serait également exposé à son retour ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par le requérant à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1131/2017 du 2 août 2017 consid. 5e).

La reconnaissance de l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité implique que les conditions de vie et d'existence de l'étranger doivent être mises en cause de manière accrue en comparaison avec celles applicables à la moyenne des étrangers. En d'autres termes, le refus de le soustraire à la réglementation ordinaire en matière d'admission doit comporter à son endroit de graves conséquences. Le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu'il y soit bien intégré, tant socialement et professionnellement, et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d'extrême gravité. Encore faut-il que sa relation avec la Suisse soit si étroite que l'on ne puisse exiger qu'il vive dans un autre pays, notamment celui dont il est originaire. À cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage qu'il a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exception (ATF 130 II 39 consid. 3 ; 124 II 110 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C 754/2018 du 28 janvier 2019 consid. 7.2 ; 2A 718/2006 du 21 mars 2007 consid. 3 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral C-6956/2014 du 17 juillet 2015 consid. 6.1 ; C_5414/2013 du 30 juin 2015 consid. 5.1.3 ; C_6726/2013 du 24 juillet 2014 consid. 5.3 ; ATA/181/2019 du 26 février 2019 consid. 13d ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8).

5.             Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'une telle situation, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en oeuvre dans son pays d'origine, une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse et la situation de ses enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d'études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n'arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l'aide sociale ou des liens conservés avec le pays d'origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral F-2584/2019 du 11 décembre 2019 consid. 5.3 ; F-6510/2017 du 6 juin 2019 consid. 5.6 ; F-736/2017 du 18 février 2019 consid. 5.6 et les références citées ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1130/2017 du 2 août 2017 consid. 5b).

Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2 ; 2A.166/2001 du 21 juin 2001 consid. 2b/bb ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-912/2015 du 23 novembre 2015 consid. 4.3.2 ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1538/2017 du 28 novembre 2017 ; ATA/465/2017 du 25 avril 2017 ; ATA/287/2016 du 5 avril 2016). La durée du séjour (légal ou non) est ainsi un critère nécessaire, mais pas suffisant, à lui seul, pour la reconnaissance d'un cas de rigueur. La jurisprudence requiert, de manière générale, une très longue durée (ATA/1538/2017 du 28 novembre 2017 ; Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. II : LEtr, 2017, p. 269 et les références citées).

6.             S'agissant de l'intégration professionnelle, elle doit revêtir un caractère exceptionnel au point de justifier, à elle seule, l'octroi d'une autorisation de séjour en dérogation aux conditions d'admission. Le requérant doit posséder des connaissances professionnelles si spécifiques qu'il ne pourrait les utiliser dans son pays d'origine ou doit avoir réalisé une ascension professionnelle remarquable, circonstances susceptibles de justifier à certaines conditions l'octroi d'un permis humanitaire (arrêt du Tribunal fédéral 2A543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral F-3298/2017 du 12 mars 2019 consid. 7.4 et les références citées ; ATA/775/2018 du 24 juillet 2018 consid. 4d ; ATA/882/2014 du 11 novembre 2014 consid. 6d et les arrêts cités).

Lorsqu'une personne a passé toute son enfance, son adolescence et le début de sa vie d'adulte dans son pays d'origine, elle y reste encore attachée dans une large mesure. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet. Il convient de tenir compte de l'âge du recourant lors de son arrivée en Suisse, et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, de la situation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter ses connaissances professionnelles dans le pays d'origine (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-646/2015 du 20 décembre 2016 consid. 5.3).

Il est parfaitement normal qu'une personne ayant effectué un séjour prolongé en Suisse s'y soit créé des attaches, se soit familiarisée avec le mode de vie de ce pays et maîtrise au moins l'une des langues nationales. Le fait qu'un ressortissant étranger se soit toujours comporté de manière correcte, qu'il ait tissé des liens non négligeables avec son milieu et qu'il dispose de bonnes connaissances de la langue nationale parlée au lieu de son domicile ne suffit ainsi pas pour qualifier son intégration socio-culturelle de remarquable (cf. not. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-7467/2014 du 19 février 2016 consid. 6.2.3 in fine ; C-2379/2013 du 14 décembre 2015 consid. 9.2 ; C-5235/2013 du 10 décembre 2015 consid. 8.3 in fine).

L'intégration socio-culturelle n'est donc en principe pas susceptible de justifier à elle seule l'octroi d'une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Néanmoins, cet aspect peut revêtir une importance dans la pesée générale des intérêts (cf. not. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-541/2015 du 5 octobre 2015 consid. 7.3 et 7.6 ; C-384/2013 du 15 juillet 2015 consid. 6.2 et 7 ; Actualité du droit des étrangers, 2016, vol. I, p. 10), les lettres de soutien, la participation à des associations locales ou l'engagement bénévole pouvant représenter des éléments en faveur d'une intégration réussie, voire remarquable (cf. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-74672014 du 19 février 2016 consid. 6.2.3 in fine ; C-2379/2013 du 14 décembre 2015 consid. 9.2 ; C-5235/2013 du 10 décembre 2015 consid. 8.3 in fine ; cf. aussi Actualité du droit des étrangers, 2016, vol. I, p. 10).

7.             Dans le cadre de l'exercice de leur pouvoir d'appréciation, les autorités compétentes doivent tenir compte des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration (art. 96 al. 1 LEI).

8.             En l'espèce, la décision litigieuse retient en substance, tout d'abord, que la durée du séjour en Suisse du recourant n'est pas d'une durée suffisante pour que ce seul aspect suffise pour déroger aux conditions d'admission ; ensuite, que son intégration en Suisse n'est pas exceptionnelle au point que son renvoi constituerait pour lui un véritable déracinement ; enfin, que son retour dans son pays n'entraînerait pas des difficultés de réintégration insurmontables.

9.             Cette appréciation découle cependant d'une approche non seulement incomplète des circonstances du cas d'espèce, mais qui n'examine pas non plus la situation du recourant dans son ensemble. Elle aboutit en fin de compte à un résultat qui n'apparaît pas acceptable.

10.         Certes, le recourant n'a pas vécu en Suisse durant une très longue durée, puisqu'il y est arrivé en octobre 2014, ce qui signifie qu'au moment de sa demande d'autorisation de séjour en juillet 2021, il y séjournait depuis pas tout à fait 7 ans. La décision litigieuse retient notamment, sans que cela paraisse critiquable, que cette demande devait être traitée comme venant d'un majeur, puisque le recourant avait alors atteint la majorité. En revanche, l'autorité intimée ne tire aucune conséquence du fait que le recourant est arrivé en Suisse alors qu'il n'avait que 17 ans. Certes, il avait alors franchi l'essentiel de l'adolescence, mais il n'en demeure pas moins qu'à la fin de cette période, le jeune adulte passe encore par une autre période de formation de sa personnalité, lorsqu'il commence à se stabiliser et progressivement à s'installer de manière tout à fait autonome dans l'existence. On ne saurait minimiser l'importance de cette période, durant laquelle l'individu établit des repères essentiels de son avenir d'adulte. Or, c'est en Suisse, spécialement à Genève, que le recourant, en passant tout d'abord par un cursus scolaire d'intégration, puis en poursuivant une formation complète d'employé de commerce désormais achevée avec succès, s'est construit de l'âge de 17 ans à l'âge de 24 ans, lorsqu'il a déposé sa demande d'autorisation. Même si cette circonstance ne suffit pas en soi pour admettre une intégration telle qu'elle ne pourrait être rompue sans graves conséquences, elle mérite cependant une attention particulière.

11.         Pour le reste, il est vrai, comme le constate à juste titre la décision litigieuse, que s'agissant de l'intégration socio-professionnelle du recourant, elle peut être qualifiée de très bonne, mais qu'elle ne revêt aucun caractère exceptionnel au sens où l'entend la jurisprudence susmentionnée. On relèvera tout de même que le recourant est désormais inséré professionnellement, au terme d'une formation qui lui a permis d'obtenir un CFC d'employé de commerce, qu'il n'a jamais occupé la justice et qu'il ne fait l'objet d'aucune poursuite ni n'a jamais dépendu de l'aide sociale. Tout ceci constitue un ensemble d'éléments très favorables en terme d'intégration, au sens de l'art. 58a LEI. Il convient de relever à cet égard que, par la force des choses, la décision litigieuse ne tient pas compte du fait que le recourant a désormais achevé sa formation professionnelle, mais qu'il s'agit désormais de prendre cet aspect en considération (ATA/1001/2021 du 28 septembre 2021 et réf. cit.).

12.         S'agissant des conséquences qu'auraient pour le recourant son retour dans son pays d'origine, la décision litigieuse passe sous silence le fait que, d'une part, il n'a séjourné dans son propre pays que durant sept années au total, soit de sa naissance à l'âge de six ans, puis entre ses 16 et 17 ans et, d'autre part, qu'il n'a aucune connaissance de l'alphabet géorgien (qu'il ne peut donc ni lire ni écrire) et n'a qu'une maîtrise rudimentaire de la langue parlée. Ces éléments ne sont au demeurant pas contestés par l'autorité intimée. Il n'est pas non plus contesté que le recourant n'a désormais pour seule famille, dans son pays d'origine, qu'un oncle éloigné. Ainsi, même si le recourant n'a pas vécu durant une durée particulièrement longue en Suisse, cette durée est cependant désormais supérieure à celle qu'il a passée au total dans son pays d'origine, à la différence que la période qu'il a vécue en Géorgie comprend les six premières années de son existence, qui n'ont qu'un impact très faible sur son appartenance à ce pays, alors que les huit années qu'il a vécues à ce jour en Suisse concernent son existence de 17 à 25 ans et se sont concrétisées par une très bonne intégration socioprofessionnelle.

13.         Non seulement son rattachement avec la Suisse apparaît-il ainsi beaucoup plus important que celui qui le lie à la Géorgie, mais en outre, son retour dans ce dernier pays s'accompagnerait de graves conséquences, puisque non seulement il perdrait, au moins pour partie, le bénéfice de la formation qu'il a suivie en Suisse, mais qu'en outre, il se retrouverait sérieusement handicapé par le fait de ne maîtriser que la langue russe, mais à peine la langue géorgienne et pas du tout sa lecture ou son écriture, alors que le russe, qui n'est de toute manière parlé que par une partie de la population, est en outre en déclin en Géorgie ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Langues_en_Géorgie; consulté le 19 décembre 2022).

14.         Il découle de l'ensemble de ces circonstances, qui n'ont pas toutes été prises en compte et encore moins mises en relation les unes avec les autres par la décision litigieuse, que l'autorité intimée a ainsi mésusé de son pouvoir d'appréciation, ce qui aboutit à un résultat choquant.

15.         Il conviendra ainsi d'admettre le recours et d'annuler la décision litigieuse en renvoyant le dossier à l'autorité intimée à fin qu'elle préavise favorablement à l'attention du SEM la demande d'autorisation de séjour du recourant.

16.         Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

17.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 800.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

18.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 18 février 2022 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 18 janvier 2022 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision rendue par l'office cantonal de la population et des migrations le 18 janvier 2022 et renvoie le dossier à cette autorité afin qu'il y donne suite au sens des considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

5.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’office cantonal de la population et des migrations, à verser au recourant une indemnité de procédure de CHF 800.- ;

6.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève,

 

La greffière