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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/904/2022

JTAPI/941/2022 du 01.09.2022 ( AMENAG ) , REJETE

Descripteurs : LOGEMENT;ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ;RECONSIDÉRATION
Normes : LPA.48; LGZD.5.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/904/2022 AMENAG

JTAPI/941/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 1er septembre 2022

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, représentés par Me Christian de PREUX, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OCLPF

 


EN FAIT

1.             Madame A______ et Monsieur B______ travaillent chez C______ à la route des D______ 1______ à Genève.

Ils sont locataires d’un appartement de quatre pièces de 89,4 m2 sis 2______, quai du E______ depuis le 15 août 2019.

2.             Le 19 février 2019, le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a délivré une autorisation de construire DD 3______ portant sur la construction d’un immeuble de logements soumis au régime de la PPE destiné à la vente, parcelles n°s 4______ et 5______ de la commune d’F______, sises en zone de développement 3 (PLQ n° 6______).

3.             Le 15 octobre 2019, Mme A______ et M. B______ ont signé une promesse de vente et d’achat portant sur un appartement de 98 m2 PPE et 16 m2 de balcon au 4ème étage dudit immeuble, laquelle a été inscrite au Registre foncier le 16 octobre 2019.

4.             Le 1er février 2021, l’office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) a rendu une décision provisoire de vente indiquant notamment que les logements de l’immeuble étaient destinés à la vente au sens de l’art. 5 al. 1 let. b de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) et devaient être occupés par leurs propriétaires sauf justes motifs agréés par le département.

5.             Le 7 avril 2021, Mme A______ et M. B______ ont adressé à l’OCLPF une demande de dérogation à l’obligation d’habiter personnellement leur logement.

Ils ont expliqué en substance que, du fait de la pandémie, ils avaient dû travailler principalement à leur domicile depuis avril 2020 et qu’une normalisation de leurs conditions de travail n’était pas attendue avant la fin de l’année 2021, voire au-delà. Leur premier enfant était né en avril 2020. L’intégralité de leur appartement était utilisée pour leur travail, y compris la cuisine, car leurs activités professionnelles respectives ne leur permettaient pas de travailler dans la même pièce ni de travailler ailleurs pour des questions de confidentialité, ce qu’ils avaient constaté depuis septembre 2020 à la fin du congé maternité de Mme A______.

De plus, ils n’avaient pas trouvé de place en crèche pour leur enfant à F______ et n’en avaient pas non plus obtenu en G______, raison pour laquelle ils avaient une garde à la maison. Ils se retrouvaient donc à trois adultes et un enfant dans l’appartement.

Ils souhaitaient obtenir une dérogation temporaire à l’obligation d’habiter leur appartement, le temps que la situation sanitaire s’améliore.

6.             Mme A______ et M. B______ ont signé un acte définitif de vente de l’appartement à F______ le 6 mai 2021, inscrit au Registre foncier le 7 mai 2021.

En page 14 de l’acte, il était stipulé que les acheteurs connaissaient la teneur des art. 5 al. 1 let. b, 8A et 9 LGZD lesquels visaient à restreindre les acquisitions d’appartements en zone de développement aux seuls propriétaires les occupant personnellement, sauf justes motifs agréés par le département – soit moyennant une décision de celui-ci, en force, avant toute libération des lieux. Il était précisé que « Dans cet esprit, l’acquéreur atteste qu’il acquerra l’appartement objet des présentes pour en faire son domicile et sa résidence principale ».

7.             Par décision du 1er juillet 2021, l’OCLPF a retenu que les motifs exposés par Mme A______ et M. B______ dans leur demande du 7 avril 2021 n’étaient pas constitutifs de justes motifs et qu’ils devaient dès lors occuper, de manière effective et intense, leur logement.

Leur demande était fondée sur le fait que leur futur appartement ne serait pas adéquat pour faire du télétravail comme l’imposait leur employeur, que ce dernier les obligeait à travailler uniquement à leur domicile et qu’il ne prévoyait pas de normalisation des conditions de travail avant la fin de l’année 2021.

De plus, ils n’avaient pas d’autre solution de garde qu’une garde à domicile de leur enfant, leur demande de place en crèche à F______ ayant été jugée prématurée.

Ces circonstances ne pouvaient être qualifiées d’imprévisibles au moment de l’acquisition de leur appartement : ils avaient finalement trouvé une place en crèche, la crise sanitaire avait un caractère provisoire et justifiait un effort d’aménagement transitoire de leur logement, le télétravail n’était plus obligatoire et il appartenait à leur employeur de tenir compte des impératifs légaux de propriétaires de logement destinés à la vente et soumis à la LGZD.

8.             Par acte du 29 juillet 2021, Mme A______ et M. B______ ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal). Le recours a cependant été déclaré irrecevable par jugement du 20 septembre 2021 (JTAPI/7______).

9.             Par courrier du 1er octobre 2021, l’OCLPF a accordé à Mme A______ et M. B______ un délai échéant au plus tard fin janvier 2022 pour occuper l’appartement à F______ ou, à défaut, l’avoir aliéné.

La grossesse récente de Mme A______ n’était pas un argument susceptible de modifier sa position. Un logement de 98 m2 était amplement suffisant pour accueillir un ménage de deux adultes et deux enfants, le fait de ne pas le considérer comme adéquat relevant de la pure convenance personnelle, ce qui ne pouvait être retenu valablement comme un juste motif de dérogation. En effet, une dérogation impliquait la survenance d’un évènement imprédictible indépendant de la volonté des requérants, étant précisé qu’une telle exception à l’obligation d’occuper son logement ne saurait s’étendre au-delà de la durée du contrôle étatique : tel n’était pas le cas de la naissance d’un enfant, lequel était appelé à vivre sous le même toit que ses parents pendant de très nombreuses années.

10.         Le 14 octobre 2021, Mme A______ et M. B______, par l’intermédiaire de leur conseil, ont déposé auprès de l’OCLPF une demande de reconsidération de la décision du 1er juillet 2021, concluant à leur audition et à ce qu’une dérogation à occuper leur logement leur soit accordée.

Ils souhaitaient dans un premier temps que l’OCLPF leur indique si son courrier du 1er octobre 2021 devait être considéré comme une décision afin qu’ils puissent, cas échéant, faire valoir leurs droits.

Plus de deux mois et demi après la signature du contrat de vente, Mme A______ était tombée enceinte, avec un terme prévu en mars 2022 : il s’agissait dès lors d’un fait nouveau. Ils avaient obtenu une place à la crèche des H______ à compter du 16 août 2021 pour leur ainé et la garantie d’en avoir une pour leur enfant à naître à la rentrée 2022. En l’absence de dérogation, ils devraient résilier leur contrat d’accueil avec la crèche, celle-ci étant très éloignée de leur lieu de travail et de domicile, sans n’avoir aucune place dans une crèche de la commune d’F______ ; ils devraient dès lors mettre en place un système de garde à domicile, avec les inconvénients que cela comportait avec le télétravail et leur obligation de confidentialité. La personne s’occupant actuellement de leur enfant ainé ayant résilié son contrat, l’OCLPF ne pouvait les obliger à aller habiter à F______.

Le télétravail n’était plus obligatoire et leur employeur les autorisait à télétravailler à raison de deux jours par semaine, ce que Mme A______ faisait en raison de sa grossesse. M. B______ télétravaillait quant à lui à raison d’une journée par semaine ; au vu de leur activité, ils devaient travailler dans une pièce fermée pouvant être verrouillée et inaccessible à toute personne. Ils avaient aménagé leur actuel appartement pour cela, mais cet aménagement était impossible dans le futur logement.

Pour terminer, ils avaient apporté de nombreuses plus-values à l’appartement : ils avaient bel et bien l’intention d’y emménager lorsqu’ils avaient signé la promesse de vente et d’achat, ainsi que la vente et étaient dès lors de bonne foi.

11.         Ils ont transmis des compléments à leur demande le 21 décembre 2021 : la crise sanitaire n’avait pas un caractère provisoire et vu la péjoration de la situation, leur employeur leur avait imposé d’exercer intégralement leurs obligations professionnelles depuis leur domicile.

12.         Par décision du 17 février 2022, l’OCLPF est entré en matière sur la demande de reconsidération de Mme A______ et M. B______ et l’a rejetée, confirmant leur obligation d’habiter leur logement à F______, avec un délai au 31 août 2022 pour ce faire.

Ayant pu s’exprimer par écrit, leur audition n’était pas nécessaire.

Au jour de la décision, le télétravail avait été abrogé. Rien ne s’opposait à ce que M. B______ exerce l’entier de son activité professionnelle sur son lieu de travail et que Mme A______ suive les recommandations de son médecin et télétravaille deux jours par semaine, le télétravail d’une seule personne dans le logement étant possible selon leur argumentation.

L’arrivée de leur second enfant n’était pas déterminant et il leur appartenait d’explorer toutes les pistes en vue d’identifier une solution de garde alternative à celle d’une crèche, en particulier celle d’une garde à domicile ou celle d’un accueil familial de jour au domicile d’une personne dûment autorisée.

Enfin, il n’y avait aucun élément permettant de soupçonner de la part des intéressés un comportement contraire à la bonne foi.

13.         Par acte du 21 mars 2022, Mme A______ et M. B______ (ci-après: les recourants), sous la plume de leur conseil, ont recouru contre cette décision auprès du tribunal, concluant à l’annulation de la décision, le tout sous suite de frais et dépens. Ils ont en partie repris leur argumentation.

Depuis la signature de la promesse de vente et d’achat, ils s’étaient pleinement investis dans la construction et les finitions de leur appartement à F______, ayant dépensé plusieurs milliers de francs de plus-value. Ils s’acquittaient également d’intérêts hypothécaires et de nombreux frais.

Ils ne pouvaient garder la place en crèche pour leur enfant à venir qu’à la condition qu’eux-mêmes et leur enfant soient domiciliés sur le territoire de la G______ et que leur travail s’y trouve aussi ; en cas de déménagement dans leur appartement d’F______, ils ne rempliraient plus les conditions permettant le maintien du contrat de garde. La distance entre la crèche et F______ les empêchait aussi de conserver les places de crèche. Aucune place n’était garantie par les institutions I______ de la petite enfance en raison de longues listes d’attente. Ils ne pouvaient compter sur leur famille habitant à plus de 500 km. Une garde des enfants était par ailleurs impossible à domicile du fait que l’appartement était trop petit en cas de retour du télétravail. Enfin, s’ils ne trouvaient pas de solution de garde, un des époux devrait arrêter de travailler, ce qui mettrait en péril leur stabilité financière.

Après avoir dû télétravailler à différents rythmes, leur employeur avait réintroduit à partir du 17 février 2022 un régime autorisant le télétravail à raison de deux jours maximum par semaine, ce qu’ils faisaient. Il fallait toutefois rester prudent sur le futur.

Au moment de l’acquisition de l’appartement, ils ne savaient pas que leur foyer allait prochainement s’agrandir puisque l’enfant à naître n’était pas encore conçu. Ils se trouvaient dès lors dans une situation tout à fait semblable à celle d’une famille recomposée dont le nombre de personnes du foyer augmentait. De plus, leur appartement à F______ n’était pas adéquat pour accueillir deux adultes et deux enfants puisque la surface totale de l’appartement était de 10 m2 inférieur à leur appartement actuel. Les chambres étaient plus petites, de sorte qu’une fois les lits et les armoires installés dans la future chambre des enfants, ils n’auraient plus de place pour jouer. Cette inadéquation de la surface de la chambre perdurera lorsqu’ils grandiront. L’appartement « de 78.2 m2 » ne pouvait donc accueillir un ménage de quatre personnes, ce d’autant plus s’il y avait une garde d’enfants à domicile et s’ils devaient refaire du télétravail – dont l’obligation avait été levée quelques jours avant la notification de la décision.

L’OCLPF ne pouvait uniquement se fonder sur la situation sanitaire telle qu’elle était au moment de rendre sa décision mais devait tenir compte de l’évolution à court et moyen terme et l’avis des experts permettant de soutenir que la crise sanitaire n’était pas terminée.

Enfin, si la dérogation ne leur était pas accordée, ils seraient contraints de vendre l’appartement, ce qui engendrerait des coûts très importants. Ils avaient clairement l’intention d’emménager dans leur appartement lors de la signature de l’acte de vente du 6 mai 2021 et y emménageront lorsque leurs enfants auront quitté le foyer.

14.         L’OCLPF a répondu au recours le 23 mai 2022 et conclu à son rejet.

Selon la jurisprudence, les circonstances imprévisibles ne devaient pas être en voie de se réaliser au moment de l’acquisition du logement. Or, au moment de la signature de l’acte de vente le 6 mai 2021, les recourants connaissaient les exigences de leur employeur liées au télétravail et le fait que leur logement serait, selon eux, inadapté à l’exercice de leur activité professionnelle. De plus, les exigences imposées pendant la crise avaient indéniablement un caractère provisoire de sorte qu’une dérogation pendant toute la durée du contrôle étatique comme les recourants le sollicitaient n’était pas justifiée et ne l’était toujours pas.

Concernant la grossesse de la recourante, on pouvait légitimement se demander si les recourants avaient réellement exclu l’arrivée d’un autre enfant au vu de l’écart entre le moment de l’achat de l’appartement et celui lors duquel ils ont appris la grossesse. En outre, les recourants estimaient que leur logement serait adéquat au moment où leurs enfants auraient quitté le foyer, soit, en retenant la date de la majorité de leur plus jeune enfant en 2040, échéance qui ne saurait être validée.

Les allégations liées aux places de crèche prétendument « assurées » à leurs enfants à la crèche des H______ ne présentaient aucun lien avec la présente procédure. De plus, la dérogation ne saurait non plus être accordée pour toute la durée en lien avec la garde de leurs enfants puisqu’au plus tard à quatre ans ils intègreront l’école.

Enfin, la situation des familles recomposées qui, selon la jurisprudence, pouvait être rattachée au cas de divorce, ne pouvait être mutatis mutandis appliquée au cas d’un couple qui reste ensemble et dont la famille s’agrandit au fil du temps. En effet, dans le cas d’une famille qui s’agrandit, le nombre d’enfants est voulu alors que dans le cas des familles recomposées, le nombre d’enfants résulte d’un état de fait créé suite au divorce.

Accorder une dérogation à l’obligation d’occuper un logement régi par la LGZD à l’ensemble des couples dont la famille s’agrandit peu de temps après l’acquisition serait contraire au but de la loi : d’une part, l’acquisition du logement serait effectuée dans la perspective d’un logement à court terme et d'autre part, cette acquisition et la dérogation qui s’en suivrait au moment de l’agrandissement de la famille priverait d’autres familles appartenant à la classe moyenne d’accéder à la propriété.

15.         Par écriture du 15 juin 2022, les recourants ont maintenu leur argumentation et leurs conclusions.

16.         L’OCLPF en a fait de même le 5 juillet 2022.

17.         Le détail de l’argumentation des parties et le contenu des pièces sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/902/2015 du 1er septembre 2015 consid. 3b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/1145/2015 du 27 octobre 2015 consid. 4b et les arrêts cités).

4.             Selon l'art. 48 al. 1 LPA, les demandes en reconsidération de décisions prises par les autorités administratives sont recevables lorsqu'un motif de révision au sens de l'art. 80 let. a et b LPA existe (let. a) ou lorsque les circonstances se sont modifiées dans une mesure notable depuis la première décision (let. b).

5.             Contrairement à l'art. 80 let. b LPA (auquel renvoie l'art. 48 let. a LPA), qui prévoit comme motif de reconsidération des faits ou des moyens de preuve nouveaux et importants que le recourant ne pouvait connaître ou invoquer dans la procédure précédente (faits « nouveaux anciens »), l'art. 48 let. b LPA permet de faire valoir une modification notable des circonstances survenue après la prise de la décision litigieuse.

Par modification notable des circonstances, il faut entendre des faits nouveaux « nouveaux » (vrais nova), c'est-à-dire survenus après la prise de la décision litigieuse, et qui modifient de manière importante l'état de fait ou les bases juridiques sur lesquels l'autorité a fondé sa décision, justifiant par-là sa remise en cause (ATA/1620/2019 du 5 novembre 2019 consid. 3a ; ATA/159/2018 du 20 février 2018 consid. 3a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, p. 491 n. 1422).

6.             Une demande de reconsidération ne doit pas permettre de remettre continuellement en cause des décisions entrées en force et d'éluder les dispositions légales sur les délais de recours (ATF 138 I 61 consid. 4.5 ; 136 II 177 consid. 2.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 1417). C'est pourquoi, en principe, l'administré n'a aucun droit à ce que l'autorité entre en matière sur sa demande de reconsidération, sauf si une telle obligation de l'autorité est prévue par la loi ou si les conditions particulières posées par la jurisprudence sont réalisées (ATF 120 Ib 42 consid. 2b ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1417). La procédure de reconsidération ne constitue pas un moyen de réparer une erreur de droit ou une omission dans une précédente procédure (ATF 111 Ib 209 consid. 1).

7.             La jurisprudence a ainsi admis qu'une autorité doit obligatoirement entrer en matière sur une demande de reconsidération notamment si les circonstances se sont modifiées dans une mesure notable depuis la dernière décision (ATF 138 I 61, 72-73 ; 136 II 177, 181).

Une modification notable des circonstances au sens de l'art. 48 al. 1 let. b LPA doit être suffisamment motivée, en ce sens que l'intéressé ne peut pas se contenter de l'alléguer, mais doit expliquer, en substance, en quoi les faits dont il se prévaut représenteraient un changement notable des circonstances depuis la décision entrée en force ; à défaut, l'autorité de première instance n'entre pas en matière et déclare la demande irrecevable (ATA/573/2013 du 28 août 2013 consid. 4).

8.             Saisie d'une demande de reconsidération, l'autorité examine préalablement si les conditions de l'art. 48 LPA sont réalisées. Si tel n'est pas le cas, elle rend une décision de refus d'entrer en matière qui peut faire l'objet d'un recours dont le seul objet est de contrôler la bonne application de cette disposition (ATF 136 II 177 consid. 2.1 ; 117 V 8 consid. 2 ; 109 Ib 246 consid 4a ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1430). Si lesdites conditions sont réalisées, ou si l'autorité entre en matière volontairement sans y être tenue, et rend une nouvelle décision identique à la première sans avoir réexaminé le fond de l'affaire, le recours ne pourra en principe pas porter sur ce dernier aspect. Si la décision rejette la demande de reconsidération après instruction, il s'agira alors d'une nouvelle décision sur le fond, susceptible de recours. Dans cette hypothèse, le litige a pour objet la décision sur réexamen et non la décision initiale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_319/2015 du 10 septembre 2015 consid. 3 ; 2C_406/2013 du 23 septembre 2013 consid. 4.1).

Si la juridiction de recours retient la survenance d'une modification des circonstances, elle doit renvoyer le dossier à l'autorité intimée afin que celle-ci le reconsidère (Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2148), ce qui n'impliquera pas nécessairement que la décision d'origine sera modifiée (cf. Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1429).

9.             En l’espèce, le DT est entré en matière sur la demande de reconsidération déposée par les recourants, tendant à obtenir une dérogation à leur obligation d’occuper de manière effective et intense leur logement à F______ et l’a rejetée.

10.         La zone de développement a pour l'essentiel comme objectif de favoriser la construction de logements répondant à un besoin d'intérêt public (ATA/1325/2017 du 26 septembre 2017 ; Alain MAUNOIR, Les zones de développement dans le canton de Genève, in RDAF 1998 I p. 266 et 267). La LGZD fixe les conditions applicables à l'aménagement et à l'occupation rationnelle des zones de développement affectées à l'habitat, aux commerces et aux autres activités du secteur tertiaire (art. 1 LGZD). La délivrance d'une autorisation de construire selon les normes d'une zone de développement est subordonnée à l'adoption préalable par le Conseil d'État d'un PLQ au sens de l'art. 3 LGZD et des conditions particulières applicables au projet imposées notamment à l'art. 5 LGZD (affectation à des besoins d'intérêt général ; art. 2 al. 1 let. a et b LGZD).

11.         Dès l'origine - en ayant d'abord eu d'autres intitulés -, la LGZD a été conçue comme un instrument de lutte contre la pénurie de logements et la spéculation immobilière. Il a été considéré que le déclassement de parcelles résultant de l'application des normes d'une zone de développement, au lieu de celles de la zone primaire, produisait une plus-value devant aussi profiter à la collectivité publique, autrement dit en échange de laquelle le promoteur-constructeur et, partant, le propriétaire des parcelles devaient concéder des sacrifices, notamment « sous la forme de création de logements à des conditions raisonnables » (MCG 1957 II 1386, 1390). Les limitations de loyers, restreignant le rendement des opérations immobilières, devaient se répercuter sur les prix des terrains constructibles que les promoteurs-constructeurs étaient disposés à payer et, partant, auxquels les propriétaires pouvaient les vendre (MGC 1962 IV 2508 s.).

12.         Les amendements successifs apportés à cette loi ont consisté à veiller à ce que la création de la zone de développement de l'agglomération urbaine, en libérant des terrains en vue de la construction de logements, ne se traduise pas par une spéculation allant à fins contraires de la politique menée par l'État. Dans cette optique, un contrôle des prix des terrains en zone de développement a été introduit. De même, l'État a obtenu un droit de préemption légal sur les terrains dans cette zone. Dans ce but, l'État contrôle le prix des terrains, le coût de construction des immeubles, le type de logements à construire, le prix de vente éventuel ou encore le montant du loyer futur des logements construits, le type et les loyers devant répondre aux besoins prépondérants de la population (François BELLANGER, Déclassement et autres mesures de planification dans le canton de Genève, in Planification territoriale Droit fédéral et spécificités cantonales, 2013 p. 93 ; Alain MAUNOIR, Les zones de développement dans le canton de Genève, in RDAF 1998 I, p. 276).

13.         Des dysfonctionnements de plusieurs ordres ont été constatés dans le cadre d'opérations en propriété par étages (ci-après : PPE) en zone de développement : certains appartements étaient loués au maximum du loyer fixé par l'Etat, puis vendus au prix du marché à l'issue de la période de contrôle. Des lots entiers étaient ainsi acquis par les mêmes personnes, ce qui privait la classe moyenne de l'accès à la propriété d'un logement (arrêt du Tribunal fédéral 1C_529/2015 du 5 avril 2016 consid. 4.3; ACST/16/2015 et ACST/17/2015 précités, consid. 4d).

14.         Pour mettre fin à ces pratiques, l'IN 156 a été lancé le 19 mai 2014 prévoyant un dispositif, dont la clé de voûte consistait en une obligation d'occupation personnelle imposée aux propriétaires de logements en PPE situés en zone de développement (cf. art. 5 al. 1 let. b in fine LGZD ; ACST/16/2015 et ACST/17/2015 précités, consid. 4d). Amputée de ses dispositions transitoires invalidées par la chambre constitutionnelle de la Cour de Justice (ACST/16/2015 et ACST/17/2015 confirmé par le Tribunal fédéral dans son arrêt 1C_529/2015), les nouvelles dispositions légales sont entrées en vigueur le 19 novembre 2016.

15.         Ainsi, selon l'art. 5 al. 1 let. b LGZD, issu de cette initiative, la délivrance de l'autorisation de construire est subordonnée à la condition que les bâtiments d'habitation destinés à la vente, quel que soit le mode d'aliénation (notamment cession de droits de copropriété d'étages ou de parties d'étages, d'actions ou de parts sociales) répondent, par le nombre, le type et le prix des logements prévus, à un besoin prépondérant d'intérêt général les logements destinés à la vente doivent être occupés par leur propriétaire, sauf justes motifs agréés par le département. Sont notamment considérés comme des justes motifs :

1)   des circonstances imprévisibles au moment de l'acquisition du logement, soit, notamment, le divorce des acquéreurs, le décès, la mutation temporaire dans un autre lieu de travail ou un état de santé ne permettant plus le maintien dans le logement ;

2)   le fait que le propriétaire du bien-fonds ait reçu le ou les appartements concernés en paiement du prix du terrain pour permettre la construction de logements prévus sur son bien-fonds ou une circonstance d'échange analogue ;

3)   une situation sur le marché du logement ne permettant pas de trouver un acquéreur au prix contrôlé et admis par l'Etat.

16.         La chambre constitutionnelle, dans son arrêt du 2 novembre 2015 (ACST/17/2015, cons. 20e) a relevé que la disposition considérée (art. 5 al. 1 let. b ch. 1 LGZD) restreint doublement l’admission comme justes motifs des situations qu’elle cite, en posant l’exigence que les situations visées aient été imprévisibles, et ce au moment de l’acquisition du logement. Prise au pied de la lettre, en plus de produire les conséquences le cas échéant de la violation de l’obligation d’habiter, cette double condition commanderait de refuser de déroger à cette obligation par exemple à l’employé d’une société multinationale sachant qu’il sera très certainement muté provisoirement à l’étranger durant les années à venir, parce que c’est la politique de son entreprise, ou à la personne âgée dont l’état de santé se dégraderait à tel point qu’elle ne pourrait plus demeurer dans son logement, parce que ceci n’est imprévisible à aucun moment de la vie. Les exemples précités fournissent cependant eux-mêmes la justification que seule une interprétation très restrictive devrait être faite de cette exigence d’imprévisibilité au moment de l’acquisition du logement, en tant qu’ils sont mentionnés comme des circonstances imprévisibles constituant de justes motifs de déroger à l’obligation d’habiter. Il s’imposerait de retenir qu’un refus d’une dérogation dans de telles situations ne serait fondé que si elles étaient concrètement en voie de se réaliser lors de l’acquisition du logement, au point que cette acquisition viserait manifestement d’autres fins que l’habitation personnelle des acquéreurs. Un tel refus ne serait pas excessif au regard de la finalité admissible de l’obligation d’habiter. C’est au demeurant à l’administration qu’il incomberait de prouver le caractère prévisible de ces situations au moment de l’acquisition, en vertu de la maxime inquisitoire prévalant en matière administrative (art. 19 ss LPA), sans préjudice du devoir de coopération des intéressés en tant que parties (art. 22 ss LPA).

Cet arrêt a été confirmé par le Tribunal fédéral dans son arrêt 1C_529/2015 du 5 avril 2016, lequel a précisé que la liste de justes motifs est clairement exemplative, comme cela ressort de l'emploi de l'adverbe « notamment » à l'art. 5 al. 1 let. b LGZD. La chambre constitutionnelle avait estimé à juste titre qu'une dérogation n'était envisageable que dans la mesure où les circonstances nouvelles n'étaient pas déjà prévisibles au moment de l'acquisition, comme cela ressort du ch. 1° de la disposition qui mentionne les cas de décès, de divorce et de mutation temporaire. Lorsque le changement de situation est envisagé au moment de l'acquisition, il est évident que celle-ci n'est pas effectuée dans la perspective d'un logement à long terme, ce qui apparaît contraire aux buts de la réglementation (consid. 4.6).

17.         En l’espèce, les recourants ont signé une promesse de vente et d’achat portant sur un appartement de 4 pièces de 98 m2 de surface PPE, avec un balcon de 16 m2 à F______ le 15 octobre 2019. Le 7 avril 2021, ils ont sollicité auprès de l’OCLPF une dérogation à l’obligation d’habiter leur appartement, expliquant que cet appartement ne correspondait plus à leurs besoins du fait de l’obligation que leurs employeurs leur avaient imposée de faire du télétravail. De plus, leur enfant était gardé à la maison car ils n’avaient pas réussi à trouver une place en crèche : ils étaient dès lors trois adultes et un enfant dans l’appartement.

Malgré cette demande à laquelle aucune réponse n’avait encore été donnée par l’OCLPF, les recourants ont signé l’acte définitif de vente et d’achat le 6 mai 2021, lequel a été enregistré au Registre foncier le lendemain.

La dérogation leur a été refusée par décision de l’OCLPF du 1er juillet 2021, laquelle est entrée en force. Ce dernier a retenu que le fait de devoir faire du télétravail et que leur enfant soit gardé à la maison ne constituaient pas des circonstances qualifiées d’imprévisibles au moment de l’acquisition de leur appartement.

Dans leur demande de reconsidération du 14 octobre 2021, ils ont fait valoir que la recourante était tombée enceinte de leur second enfant – ce qui n’était pas prévu -, qu’ils avaient trouvé une place à la crèche des H______ pour leur ainé et que, bien que le télétravail n’était plus obligatoire, la recourante en faisant encore à raison de deux jours par semaine sur conseil de son médecin et le recourant de un jour par semaine : la configuration de leur appartement à F______ ne le permettrait toutefois plus eu égard à leurs obligations de confidentialité.

Il apparait aujourd’hui que l’obligation de faire du télétravail en raison de la situation sanitaire n’existe plus et ce depuis le 17 février 2022 ; au moment de la signature de l’acte de vente de l’appartement, les recourants connaissaient les exigences de leur employeur en matière de télétravail – notamment en lien avec des questions de confidentialité -, lesquelles n’ont pas changé entre la demande de dérogation du 5 avril 2021 et celle de la reconsidération du 14 octobre 2021. Dès lors qu’aucun changement n’est intervenu depuis le refus de dérogation, lequel est entré en force, c’est à juste titre que l’OCLPF a retenu qu’il n’y avait pas matière à reconsidération sur ce point. Le tribunal relèvera au surplus qu’à ce jour il n’y a plus aucune obligation de télétravailler, et que la recourante ayant accouché, si l’un des deux époux continue à faire du télétravail, c’est un choix de pure convenance personnelle qui ne peut justifier une dérogation à l’obligation d’habiter leur logement.

Concernant l’arrivée d’un second enfant dans la famille, même si elle semblait inattendue, il n’apparait pas qu’il s’agisse d’un évènement totalement imprévisible. De plus, l’appartement des recourants, de 98 m2 de surface PPE – et non 78.2 m2 comme indiqué dans leurs écritures - est nettement suffisant pour accueillir une famille de quatre personnes, ce d’autant plus que la chambre des enfants est légèrement plus grande dans le nouvel appartement que dans l’appartement loué et que la surface totale de l’appartement l’est également (98 m2 pour le nouvel appartement et 89.4 m2 pour l’actuel)

Enfin, la difficulté de trouver des places en crèche dans le canton de Genève n’est assurément pas un événement imprévisible mais une réalité connue des recourants depuis la naissance de leur premier enfant et à laquelle de très nombreuses familles sont confrontées ; cas échéant, si de nouvelles places ne pouvaient être trouvées proches de leur appartement à F______, il leur appartiendrait de trouver un autre mode de garde, comme ils l’avaient fait avant de pouvoir placer leur ainé à la crèche de H______ – étant souligné qu’une garde à domicile est tout à fait envisageable dans un logement de 98 m2 avec deux parents travaillant à l’extérieur. Le tribunal soulignera par ailleurs que la question de la garde des enfants n’est que temporaire puisque dans trois ans et demi leurs deux enfants seront scolarisés.

18.         Au vu de ce qui précède, c’est à juste titre que l’OCLPF a refusé de reconsidérer sa décision de refus de déroger à l’obligation pour les recourants d’habiter leur logement à F______.

19.         Mal fondé, le recours sera rejeté.

20.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 21 mars 2022 par Madame A______ et Monsieur B______ contre la décision du département du territoire du 17 février 2022 ;

2.             le rejette  ;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Bénédicte MONTANT et Julien PACOT, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière