Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/3108/2021

JTAPI/925/2022 du 07.09.2022 ( LCI ) , SANS OBJET

Descripteurs : PROCÈS DEVENU SANS OBJET;EFFET DÉVOLUTIF;DÉPENS
Normes : LPA.67.al1; LPA.67.al2; LPA.67.al3; LPA.87.al2; LPA.89.al3; RFPA.6
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3108/2021 LCI

JTAPI/925/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 7 septembre 2022

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______, Madame B______, Monsieur C______, Monsieur D______, Monsieur E______, Monsieur F______, Madame G______, Madame H______, Monsieur I______ et Madame J______, représentés par Me Paul HANNA, avocat, avec élection de domicile,

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE

K______ SA, représentée par Me Mark MULLER, avocat, avec élection de domicile


 

EN FAIT

1.             Par décision du 15 juillet 2021, publiée dans le Feuille d’avis officielle du même jour, le département du territoire (ci-après : le département) a délivré l’autorisation globale n° DD 1______, portant sur la construction de six villas contiguës (47.7% THPE) avec abattage d’arbres, sur la parcelle n° 2______ sise ______, sur la commune de L______.

2.             Madame et Monsieur A______, Madame J______, Monsieur E______, Messieurs D______ et C______, Madame G______, Monsieur F______, Madame H______, Madame B______, et Monsieur I______ (ci-après : les voisins) sont propriétaires de parcelles jouxtant la parcelle n° 2______ ou situées entre 20 et 40 mètres de celle-ci.

3.             Par acte du 14 septembre 2021, les voisins ont interjeté recours auprès du tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre l’autorisation de construire n° DD 1______ concluant principalement à son annulation.

4.             En date du 3 novembre 2021, K______ SA, est devenu propriétaire de la parcelle n° 2______.

5.             Le 17 janvier 2022, K______ SA et le département ont transmis au tribunal leurs observations sur le recours.

6.             Par courrier de leur conseil du 31 mars 2022, les voisins ont informé le tribunal qu’ils avaient appris que cinq nouveaux préavis avaient été demandés par K______ SA en date du 10 mars 2022. K______ SA et le département continuaient visiblement l’instruction de la cause à l’insu du tribunal. Le département n’avait par reconsidéré sa position dès lors que, dans ses écritures, il avait conclu au rejet du recours avec suite de frais et dépens. L’art. 67 al. 2 et 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) ne trouvait ainsi pas d’application.

7.             Le 4 avril 2022, les voisins ont répliqué aux observations de K______ SA et du département.

8.             Par courrier du 6 mai 2022, le département a informé le tribunal qu’il était en train d’instruire une version légèrement modifiée du projet litigieux, raison pour laquelle plusieurs nouveaux préavis avaient été sollicités. Il souhaitait éventuellement faire usage des possibilités offertes par l’art. 67 al. 2 LPA.

9.             Par courrier du 15 juin 2022, le département a informé le tribunal avoir procédé, à la demande de K______ SA, à l’instruction d’une version légèrement modifiée du projet litigieux. Au vu des nouveaux préavis sollicités, il avait, le même jour, délivré une nouvelle autorisation de construire annulant et remplaçant celle du
15 juillet 2021. Une copie de cette nouvelle décision était jointe à son envoi. Il proposait que la cause soit rayée du rôle et que les dépens soient compensés.

10.         Par courrier de leur conseil du 4 juillet 2022, les voisins ont fait valoir qu’à l’instar du tribunal, ils n’avaient pas été associés aux modifications apportées au projet. Ils n’étaient pas disposés à retirer leur recours dès lors que le département n’avait pas confirmé avoir renoncé à la première version du projet. De même, ils entendaient requérir des dépens puisque tant K______ SA que le département étaient à l’origine de la modification du projet ayant conduit à l’annulation de la décision du 15 juillet 2021.

11.         En réponse à ce dernier courrier, le 12 juillet 2022, le département a indiqué au tribunal considérer que les dépens devaient être compensés dans la mesure où aucune partie n’avait succombé.

12.         Par courrier de son conseil du 13 juillet 2022, K______ SA a précisé que le département avait annulé sa décision du 15 juillet 2022. Quant aux dépens et à l’émolument judiciaire, il convenait de les mettre à la charge des voisins dès lors que l’issue hypothétique de la procédure n’était pas évidente. Ils avaient ainsi pris le risque que celle-ci devienne sans objet, peu importe qui était à l’origine de la modification du projet. En effet, ils devaient savoir que la procédure de recours pouvait devenir sans objet en raison de modifications ultérieures du projet.

13.         Faisant suite à une demande du tribunal du 27 juillet 2022, par courrier du 11 août 2022, le département a transmis les documents déposés par K______ SA dans le cadre de la nouvelle instruction du dossier n° DD 1______.

Y figure, notamment, un courrier du conseil de K______ SA du 15 février 2022 adressé au département et requérant la reprise de l’instruction du dossier n° DD 1______ en vue d’une reconsidération et prononcé d’une nouvelle décision. A teneur de ce courrier, K______ SA, bien que contestant les arguments soulevés par les voisins dans le cadre du recours pendant au tribunal, déposait, « par prudence » un projet modifié afin de répondre au grief des voisins s’agissant de la violation du règlement relatif aux places de stationnement sur fonds privés ainsi qu’à celui contre l’installation des pompes à chaleur.

14.         Par courrier de son conseil du 19 août 2022, K______ SA a indiqué que les modifications apportées au projet répondaient aux griefs que les voisins avaient formulés dans leur recours du 14 septembre 2021, bien qu’ils étaient contestés. Pour le surplus, l’autorisation n° DD 1______ avait été annulée par le département de sorte que les conclusions formulées par les voisins dans leur recours étaient réalisées.

15.         Le 25 août 2022, les voisins ont adressé au tribunal leur détermination sur le courrier du département du 11 août 2022. La pratique du département posait la question de l’effet dévolutif incomplet du recours puisque ce dernier n’avait pas simplement demandé certaines clarifications auprès de certains services mais était allé beaucoup plus loin en instruisant un projet modifié qui avait nécessité le dépôt d’une série importante de documents. Ainsi, l’effet dévolutif incomplet ne permettait pas au département d’instruire un projet modifié qui nécessitait l’administration de nouvelles preuves. Enfin, les modifications apportées au projet n’avaient rien de minime car elles portaient sur la création de places de stationnement supplémentaires.

EN DROIT

1.            Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.            Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 LPA.

3.            Le présent litige porte sur la décision de l'autorité intimée d’annuler et remplacer sa décision du 15 juillet 2021 par une nouvelle décision.

4.            Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2c/aa ; ATA/157/2016 d
23 février 2016).

5.            Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. L’existence d’un tel intérêt s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATA/240/2016 du 15 mars 2016 ; ATA/1108/2015 du 14 octobre 2015).

6.            En cas de recours, le pouvoir de traiter d’une affaire passe à l’autorité de recours (art. 67 al. 1 LPA). Toutefois, l’autorité de première instance peut, en cours de procédure, reconsidérer ou retirer sa décision, par une nouvelle décision qu’elle notifiée aux parties et dont elle informe les autorités de recours (art. 67 al. 2 LPA). L’autorité de recours continue à traiter celui-ci, dans la mesure où la nouvelle décision ne l’a pas rendu sans objet (art. 67 al. 3 LPA).

7.            L'autorité de recours admettra que le recours est devenu sans objet lorsque la nouvelle décision crée un état de droit tel que l'intérêt juridique du recourant à ce qu'il soit statué sur le recours a disparu, ce qui arrive lorsque la nouvelle décision fait entièrement droit aux conclusions du recourant. Lors de cet examen, l'autorité de recours est ainsi liée par la nouvelle décision dans la mesure où elle correspond aux conclusions du recourant. Lorsque la nouvelle décision ne donne que partiellement gain de cause au recourant, le recours n'est privé de son objet que dans la même mesure. L'instruction se poursuit pour les points encore litigieux. Si la nouvelle décision aggrave la situation du recourant (reformatio in pejus), elle ne remplace pas la première, mais est considérée comme constituant le chef de conclusions de l'autorité intimée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_653/2012 du
28 août 2012 consid. 4.3.1).

8.            En l'espèce, les recourants ont conclu principalement devant le tribunal à ce que la décision querellée soit annulée.

Force est de relever que l’autorité intimée a rendu, le 15 juin 2022, une nouvelle décision, laquelle « annule et remplace celle du 15 juillet 2022 ». Cette dernière décision n’existe dès lors plus de sorte que la condition de l'intérêt des recourants à ce qu'il soit statué sur leur recours du 14 septembre 2021 fait défaut. Celui-ci n’ayant ainsi plus d’objet, la cause doit être rayée du rôle.

S’agissant de la question de l’effet dévolutif incomplet, celle-ci n’a pas à être tranchée dans le cadre de la présente procédure. En effet, tel que mentionné, le département a retiré la décision litigieuse ce que l’art. 67 al. 2 LPA prévoit précisément. Par ailleurs, cette manière de procéder ne lèse en rien les droits des recourants puisqu’une nouvelle décision a été rendue et publiée avec mention des voies de droits, permettant ainsi aux recourants de l’attaquer à nouveau pour faire valoir leurs arguments.

9.            Il s’agit ensuite de statuer sur les frais de la procédure, émoluments et indemnités.

10.        À teneur de l’art. 89 al. 3 LPA, la juridiction administrative fixe les frais de procédure, émoluments et indemnités.

11.        Selon l’art. 87 al. 2 LPA, elle peut, sur requête, allouer à la partie ayant eu entièrement ou partiellement gain de cause une indemnité pour les frais indispensables causés par le recours.

Le recourant a en principe droit à une indemnité de procédure - pour autant qu'il y ait conclu et ait exposé des frais pour sa défense - lorsque l'autorité retire sa décision et en prend une nouvelle qui va dans le sens de ses conclusions principales ou subsidiaires (cf. ATA/1484/2017 du 14 novembre 2017 ; ATA/1424/2017 du 18 octobre 2017).

12.        Aux termes de l’art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), intitulé
« indemnité », la juridiction peut allouer à une partie, pour les frais indispensables occasionnés par la procédure, y compris les honoraires éventuels d’un mandataire, une indemnité de CHF 200.- à CHF 10'000.-. La juridiction administrative doit statuer dans les limites de ce règlement et conformément au principe de la proportionnalité (ATA/1484/2017 du 14 novembre 2017).

13.        De jurisprudence constante, les décisions des tribunaux en matière de dépens n’ont pas à être motivées, l’autorité restant néanmoins liée par le principe général de l’interdiction de l’arbitraire (ATF 114 Ia 332 consid. 2b p. 334 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_245/2011 du 7 juillet 2011 consid. 2.2 ; ATA/1484/2017), étant précisé que lorsque l'objet du litige porte uniquement sur la question des dépens, il appartient au juge de motiver, même succinctement, sa décision en application de la jurisprudence relative à l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et au droit d'être entendu (arrêt du Tribunal fédéral 2D_35/2016 du 21 avril 2017 consid. 3.1) ;

Il ressort également de la jurisprudence établie de la Chambre administrative de la Cour de justice, que la juridiction saisie dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant à la quotité de l’indemnité allouée, celle-ci ne constituant qu’une participation aux honoraires d’avocat (ATA/1484/2017 ; ATA/430/2010 du
22 juin 2010 ; ATA/681/2009 du 22 décembre 2009 ; ATA/554/2009 du 3 novembre 2009 ; ATA/236/2009 du 12 mai 2009) ;

Cela résulte aussi, implicitement, de l'art. 6 RFPA dès lors que ce dernier plafonne l'indemnité à CHF 10'000.- (ATA/334/2018) ;

Enfin, la garantie de la propriété (art. 26 Cst.) n'impose nullement une pleine compensation du coût de la défense de la partie victorieuse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_152/2010 du 24 août 2010) ;

14.        Afin de déterminer le montant de l’indemnité, il convient de prendre en compte les différents actes d’instruction, le nombre d’échanges d’écritures et d’audiences ; quant au montant retenu, il doit intégrer l’importance et la pertinence des écritures produites et de manière générale la complexité de l’affaire (ATA/334/2018), étant précisé que la fixation des dépens implique une appréciation consciencieuse des critères qui découlent de l'esprit et du but de la réglementation légale (arrêt du Tribunal fédéral 2D_35/2016 précité consid. 6.2 et les réf. citées) ;

15.        En l’espèce, il sied tout d’abord de relever que l’autorité intimée a annulé sa décision du 15 juillet 2021 réalisant ainsi la conclusion principale des recourants. De plus, sa nouvelle décision va, au moins partiellement, dans le sens des griefs soulevés par les recourants puisque la société intimée a elle-même requis une nouvelle instruction de dossier et une modification de l’autorisation de construire en vue de répondre à certains des griefs des recourants.

Dans ces conditions, l’autorité intimée ne pourrait être suivie lorsqu’elle indique qu’aucune des parties n’a succombé.

16.        Les recourants ont fait appel aux services d’un mandataire pour assurer la défense de leurs intérêts et conclu à l’allocation d’une indemnité de procédure. La cause revêtait une certaine complexité et plusieurs griefs ont été soulevés. L'activité déployée devant le tribunal par ledit mandataire a consisté en la rédaction d'un mémoire de recours contenant seize pages de développement juridique ainsi que d’une réplique motivée juridiquement sur six pages. Il a également adressé plusieurs courriers au tribunal. Dans cette mesure, il se justifie d’allouer aux recourants, une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à la charge de l’autorité intimée et de la société intimée pour moitié chacune.

17.        Enfin, les recourants ne supporteront aucun émolument et leur avance de frais leur sera restituée.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             constate que le recours interjeté le 14 septembre 2021 par Madame et Monsieur A______, Madame J______, Monsieur E______, Messieurs D______ et C______, Madame G______, Monsieur F______, Madame H______, Madame B______, et Monsieur I______ contre la décision du département du 15 juillet 2021 est devenu sans objet ;

2.             raye la cause du rôle ;

3.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

4.             ordonne la restitution, à chaque recourant, de l'avance de frais de CHF 1'200.- ;

5.             condamne l'Etat de Genève, soit pour lui le département du territoire à payer aux recourants une indemnité de procédure de CHF 1’000.- ;

6.             condamne K______ SA à payer aux recourants une indemnité de procédure de CHF 1’000.- 

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Endri GEGA

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière