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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/871/2022

JTAPI/285/2022 du 22.03.2022 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION;MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS)
Normes : LEI.76.al1.letb.ch1; LEI.75.al1.leth
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/871/2022 MC

JTAPI/285/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 22 mars 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Philippe KOHLER, avocat

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Le 3 février 2022, M. A______, né le ______ 2000, originaire d’Albanie, a été appréhendé par les services de police genevois.

Il ressort notamment du rapport de police établi à cette occasion qu’il avait été observé en train de se livrer au trafic d’héroïne. Lors de la fouille de sécurité effectué sur M. A______, ce dernier était en possession des sommes de CHF 433.90 et EUR 51.40, d'un téléphone portable non signalé volé ainsi que de 76,1 g brut d'héroïne conditionnés en 15 sachets minigrips.

Lors de son audition par la police, M. A______ a reconnu avoir vendu un sachet d'héroïne et remis un sachet « canicrotte » à un homme juste avant son interpellation. Il a expliqué avoir vendu en tout 10 sachets d'héroïne, d'un poids de 50 g, depuis son arrivée en Suisse pour le compte d'un inconnu et que la majorité de l'argent retrouvé sur lui provenait de ce trafic. Pour le surplus, il a ajouté n’avoir aucun moyen légal de subsistance, qu’il était arrivé en Suisse quatre jours auparavant pour trouver un emploi, après avoir quitté son pays natal et avoir transité par différents pays en Europe dont l'Italie et la France. Il n’avait ni famille, ni attache particulière en Suisse en général et à Genève en particulier.

2.             Prévenu d'infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) (trafic d'héroïne) et à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), il a été mis à disposition du Ministère public sur ordre du commissaire de police, puis maintenu en détention provisoire dans l'attente de son jugement.

3.             Par jugement du 9 mars 2022, le Tribunal de police a déclaré M. A______ coupable d'infraction grave à l'art. 19 al. 1 let. c et d et al. 2 let. a LStup et d'infractions aux art. 115 al. 1 let. a et b LEI et l’a condamné à une peine privative de liberté de 12 mois, avec sursis pendant trois ans, sous déduction de 35 jours de détention avant jugement. Simultanément, il a ordonné l’expulsion de Suisse de M. A______ pour une durée de 5 ans, selon l’art. 66a al. 1 let. o CP, précisant que la peine prononcée avec sursis n'empêchait pas l'exécution de l'expulsion durant le délai d'épreuve. Son maintien en détention pour motifs de sûreté a été ordonné jusqu'au 19 mars 2022.

4.             Le 19 mars 2022, M. A______ a été libéré par les autorités pénales et remis entre les mains des services de police en vue de son refoulement.

5.             Le 19 mars 2022 également, M. A______ s'est vu notifier, par l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), une décision de non-report de son expulsion pénale, après que la possibilité de s'exprimer à cet égard lui eut été donnée.

6.             Le 19 mars 2022 toujours, à 15h10, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de trois semaines, en application des art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, en lien avec l'art. 75 al. 1 let. g et h et 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI.

Les démarches en vue d'obtenir un document de voyage en faveur de M. A______ avaient été initiées le 10 mars 2022 et étaient en cours.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il ne s'opposait pas à son renvoi en Albanie.

7.             Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après le tribunal) le même jour.

8.             Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a déclaré qu'il était d'accord d'être renvoyé en Albanie. Il n'avait qu'une photocopie de son passeport car il l'avait perdu en France.

La représentante des commissaires de police a indiqué que les autorités albanaises n'avaient pas encore répondu à la demande de réadmission concernant M. A______. Elle a précisé qu'elles avaient un délai de quinze jours ouvrables pour répondre aux autorités suisses. Les autorités albanaises devraient aussi émettre un laissez-passer. Une fois ce document obtenu, la réservation d'une place sur un vol à destination de l'Albanie pourrait être effectuée. Pour le surplus, elle a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative.

Le conseil de M. A______ a conclu à la réduction de la durée de la détention à quinze jours, en application du principe de proportionnalité.

EN DROIT

1.            Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr ; 9 al. 3 LaLEtr).

2.            En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 19 mars 2022 à 14h30.

3.            Le tribunal se prononce au terme d'une procédure orale (art. 9 al. 5 LaLEtr) ; il peut confirmer, réformer ou annuler la décision du commissaire de police ; le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l'étranger (art. 9 al. 3 LaLEtr).

4.            La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; 135 II 105 consid. 2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_237/2013 du 27 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_413/2012 du 22 mai 2012 consid. 3.1) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_584/2012 du 29 juin 2012 consid. 5.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1). Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne peut être prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 du 10 avril 2013 consid. 4.1 ; 2C_237/2013 du 27 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1).

5.            Selon l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, après notification d'une décision de première instance de renvoi ou d'une décision de première instance d'expulsion au sens des art. 66a ou 66abis CP, l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée notamment si celle-ci a été condamnée pour crime (art. 75 al. 1 let. h LEI), par quoi il faut entendre une infraction passible d'une peine privative de liberté de plus de trois ans (cf. art. 10 al. 2 CP ; ATA/220/2018 du 8 mars 2018 consid. 4a ; ATA/997/2016 du 23 novembre 2016 consid. 4a ; ATA/295/2011 du 12 mai 2011 consid. 4).

6.            Selon la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice, pour qu'une personne puisse être mise en détention sur la base de cette disposition, elle doit avoir été condamnée par une juridiction pénale de première instance, sans qu'il ne soit nécessaire que le jugement soit définitif (ATA/127/2015 du 3 février 2015 consid. 6).

7.            Comme cela ressort du texte même de l'art. 76 al. 1 LEI et de la jurisprudence constante, une mise en détention administrative n'implique en outre pas que la décision de renvoi ou d'expulsion qui la sous-tend soit entrée en force et exécutoire (cf. ATF 140 II 409 consid. 2.3.4 ; 140 II 74 consid. 2.1 ; 130 II 377 consid. 1 ; 129 II 1 consid. 2 ; 122 II 148 consid. 1 ; 121 II 59 consid. 2a ; ATA/252/2015 du 5 mars 2015 consid. 6a ; Grégor CHATTON/Laurent MERZ in Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE [éd.], op. cit., n. 5 p. 779).

8.            Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

Il convient dès lors d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH est adaptée et nécessaire (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1 ; 2C_420/2011 du 9 juin 2011 consid. 4.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 ; 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1).

9.            En l'occurrence, M. A______ fait l'objet d'une mesure d'expulsion judiciaire décidée par le Tribunal de police, qui l'a condamné pour infraction grave à la LStup. Sa détention administrative se justifie donc sous l'angle des art. 75 al. 1 let. h et 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, puisque l'infraction instituée par l'art. 19 al. 2 LStup est constitutive de crime au sens de l'art. 10 al. 2 CP (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_490 du 14 octobre 2013 consid. 2.4.2 ;), ce motif permettant à lui seul le prononcé d'une telle mesure (cf. ATA/180/2016 du 25 février 2016 consid. 7). Le principe de la légalité est donc respecté. Point n'est ainsi besoin de déterminer encore si, comme l'a retenu le commissaire de police, les motifs prévus par les art. 75 al. 1 let. g et 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI sont aussi réalisés.

10.        L'assurance de son départ de Suisse répond par ailleurs à un intérêt public certain et toute autre mesure moins incisive que la détention administrative serait vaine pour assurer sa présence au moment où M. A______ devra monter dans l'avion devant le reconduire dans son pays d'origine étant notamment observé qu'à teneur du dossier, il ne dispose pas de moyens de subsistance et n'a ni lieu de séjour ni attache en Suisse. Enfin, il ne saurait être remis sans autre en liberté pour quitter la Suisse en choisissant lui-même son lieu de destination. Chargée de procéder à l'exécution de son refoulement par l'OCPM, la police devra pouvoir s'assurer de l'effectivité de celui-ci (cf. not. art. 15f OERE).

11.        Les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006).

12.        En l'espèce, l'autorité chargée de l'expulsion a demandé au secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) son soutien à l'exécution du renvoi de M. A______, le 10 mars 2022, alors que l'intéressé se trouvait encore en détention provisoire. Au stade actuel de la procédure, les autorités albanaises doivent répondre à la demande des autorités suisses au sujet de l’identité et de la nationalité de M. A______ et, cas échéant, délivrer un laissez-passer, ce qui permettra seulement ensuite aux autorités suisses de réserver une place au nom de M. A______ à bord d’un vol à destination de son pays d'origine. Partant, les autorités suisses ont respecté leur devoir de diligence

13.        Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention en vue du renvoi ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l'autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l'obtention des documents nécessaires au départ auprès d'un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI).

En outre, la durée de la détention administrative doit respecter le principe de la proportionnalité (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

14.        En l'espèce, eu égard à l'ensemble des circonstances, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative pour une durée de trois semaines, qui respecte l'art. 79 LEI et n'apparaît pas disproportionnée. Il sera à ce sujet rappelé que si la réservation d'une place à bord d'un avion à destination de l'Albanie peut effectivement se faire rapidement, les autorités suisses restent tributaires du temps que prendront les autorités albanaises pour se déterminer sur la réadmission de l'intéressé et délivrer le laissez-passer nécessaire à l'exécution du renvoi de M. A______.

15.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M.  A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 19 mars 2022 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de trois semaines, soit jusqu'au 8 avril 2022, inclus ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève,

 

La greffière