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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/3435/2023

ACST/4/2024 du 25.03.2024 ( DIV ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3435/2023-DIV ACST/4/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 25 mars 2024

 

dans la cause

 

A______

 

et

 

B______et C______
représentées par Me Romain CURTET, avocat recourantes

 

 

contre

 

 

DÉPARTEMENT DE LA SANTÉ ET DES MOBILITÉS intimé

 


EN FAIT

A. a. L’A______ (ci-après : A______) est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), qui a son siège à Genève. Elle a pour but de défendre les intérêts de la profession de préparateur en pharmacie, de favoriser et d’encourager le perfectionnement scientifique de ses membres par la formation continue, ainsi que d’établir et de maintenir des contacts notamment avec les associations professionnelles des pharmacies du canton.

b. B______et C______ sont préparatrices en pharmacie et exercent dans le canton de Genève.

B. a. Le 22 août 2022, l’A______ a écrit au conseiller d’État alors en charge de la santé (ci-après : la conseiller d’État), lui indiquant que plusieurs de ses membres avaient rapporté que lors de ses visites des officines, le service de la pharmacienne cantonale (ci-après : SPhC) avait mis en cause le remplacement du pharmacien par un préparateur en pharmacie, alors que la situation s’était stabilisée depuis 2018.

b. Le 13 septembre 2022, le conseiller d’État lui a répondu que le canton avait trouvé un compromis à la suite d’un durcissement de loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (LPMéd - RS 811.11) permettant par exemple à un préparateur en pharmacie de remplacer le pharmacien responsable, notamment en cas de maladie grave et après validation par l’autorité, ou lors de courtes périodes durant la journée. Les inspections menées par le SPhC avaient toutefois mis en évidence que le remplacement du pharmacien était loin d’être exceptionnel, mais, au contraire, systématique, pour pallier des absences programmées telles que des vacances ou durant le week-end, ce qui ne permettait pas le contrôle des ordonnances dans les 24 heures. Les contrôles effectués par le SPhC ne visaient dès lors pas spécifiquement les préparateurs en pharmacie, mais le respect de la législation applicable par les pharmaciens responsables. Une circulaire serait prochainement envoyée aux responsables des pharmacies pour rappeler ces éléments.

c. Par courrier du 31 janvier 2023, l’A______ a demandé au conseiller d’État de lui confirmer que l’exécutif n’entendait pas abroger les dispositions réglementaires consacrant les dernières prérogatives reconnues aux préparateurs en pharmacie genevois leur permettant de remplacer le pharmacien responsable, à savoir les art. 62 al. 3 du règlement sur les institutions de santé du 9 septembre 2020 (RISanté – K 2 05.06) et 84 al. 5 1ère phr. du règlement sur les professions de la santé du 22 août 2006 (RPS - K 3 02.01), jusqu’à ce que tous les préparateurs en pharmacie aient atteint l’âge de la retraite.

d. Une réunion à ce sujet s’est tenue le 17 février 2023 en présence du directeur général de la santé, de la pharmacienne cantonale ainsi que de représentants de l’A______ et de leur conseil.

e. Les 1er, 8 et 29 mars 2023, l’A______ s’est de nouveau adressée au conseiller d’État, lui faisant part de ses craintes au sujet de la disparition du statut des préparateurs en pharmacie, le droit cantonal n’étant pas incompatible avec le droit fédéral des professions de la santé.

f. Par courrier du 16 mai 2023, le conseiller d’État a informé l’association que le SPhC avait interpellé l’office fédéral de la santé publique, lequel lui avait expliqué que le droit fédéral ne réglait que la question de la remise de médicaments soumis à ordonnance et non les questions de responsabilité liées à la gestion d’une officine lors du remplacement du pharmacien responsable. L’interprétation de la surveillance directe n’étant pas précisée par la législation fédérale, elle était laissée à la libre interprétation du canton. En pratique, il apparaissait toutefois que la latitude qui avait été octroyée aux pharmaciens de se faire remplacer pour de brèves périodes par des préparateurs en pharmacie avait été détournée de sa finalité, dès lors qu’il s’agissait avant tout de pallier de brèves absences inopinées du pharmacien responsable afin de ne pas devoir fermer une officine. Le droit de remplacement des préparateurs en pharmacie pouvait néanmoins être maintenu, à certaines conditions. Ainsi, le remplacement d’une journée devait revêtir un caractère exceptionnel et ne pouvait en aucun cas être planifié. Le préparateur en pharmacie ne pouvait intervenir qu’à titre subsidiaire, si aucun autre pharmacien diplômé n’était en mesure d’assurer le remplacement du pharmacien responsable qui devait s’absenter de manière urgente et imprévue. Afin de garantir la qualité et la sécurité des prestations fournies aux patients, les préparateurs en pharmacie amenés à remplacer les pharmaciens pour de très courtes périodes devaient justifier, au même titre que ces derniers, de 200 points de formation continue par année. Si ces conditions étaient acceptées, le SPhC les communiquerait par voie de directive à toutes les officines du canton.

g. Le 26 mai 2023, l’A______ a répondu au conseiller d’État qu’il ne ressortait d’aucune disposition réglementaire que le droit de remplacement des préparateurs en pharmacie consisterait uniquement à pallier de brèves absences inopinées du pharmacien responsable, une telle exigence étant trop restrictive et constitutive d’une atteinte grave et indue à l’exercice de la profession de préparateur en pharmacie. Elle acceptait néanmoins les exigences de subsidiarité et de formation continue proposées.

h. Par courrier du 21 septembre 2023, le conseiller d’État a répondu à l’A______ que le respect des conditions mentionnées dans sa lettre du 16 mai 2023 ne remettait pas en cause le statut des préparateurs en pharmacie comme professionnels de la santé.

Bien que le droit fédéral ne réglât pas la finalité poursuivie par le droit de remplacement des préparateurs en pharmacie, au niveau cantonal le principe général selon lequel « le semblable remplace le semblable » ressortait de l’art. 90 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03). Ainsi, toute absence planifiée ou qui pouvait être anticipée devait faire l’objet d’un remplacement par une personne de la même profession, en l’occurrence un pharmacien diplômé, ce qui permettait la délivrance des médicaments soumis à ordonnance. Dans ce sens, l’art. 62 al. 3 RISanté, même lu conjointement avec l’art. 84 al. 5 RPS, devait être compris comme une exception subsidiaire à un remplacement possible par une personne de la même profession, et permettait uniquement des remplacements brefs dans des situations imprévues et urgentes.

Il était en outre impératif que chaque officine engageât le nombre adéquat de pharmaciens permettant une organisation des présences durant les horaires d’ouverture de l’établissement afin de remplir les exigences de qualité et disposer du personnel nécessaire qualifié selon l’art. 58g let. a de l’ordonnance sur l’assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal - RS 832.102). Le remplacement systématique et programmé d’un professionnel au bénéfice d’une formation universitaire et d’un titre post-grade par un autre ayant une formation moins approfondie, même provisoirement, impliquerait que des exigences accrues de formation soient superflues, raison pour laquelle une exigence de formation de 200 points par an pour les préparateurs en pharmacie amenés à remplacer les pharmaciens pour de très courtes périodes se justifiait.

Le droit de remplacement, sans être supprimé, devait être cadré afin de correspondre aux exigences légales et à l’évolution des connaissances dans le domaine pharmaceutique. La dérogation n’avait pas été pensée pour permettre des remplacements réguliers et planifiés. Ces éléments avaient été dûment rappelés lors de la séance du 17 février 2023.

La pharmacienne cantonale transmettrait ces informations à toutes les pharmacies du canton par le biais d’une directive accordant une période de transition jusqu’au 1er janvier 2024 pour faciliter cette mise en application.

C. a. Par acte du 20 octobre 2023, l’A______, B______et C______ ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci‑après : la chambre constitutionnelle) contre le courrier précité, concluant préalablement à l’octroi suspensif au recours et à l’audition de diverses personnes, et principalement au constat de « la nullité des normes contenues dans le courrier » attaqué, subsidiairement à leur annulation.

Le recours était recevable. Le courrier du 21 septembre 2023 introduisait de nouvelles restrictions à l’exercice du droit de remplacement des pharmaciens par les préparateurs en pharmacie, alors que celui-ci était règlementé par les art. 62 al. 3 RISanté et 85 al. 5 RPS, qui ne le limitait pas aux absences imprévues et exceptionnelles, ne le subordonnait pas au principe de subsidiarité et n’exigeait pas la réalisation de 200 points de formation continue par année. Ledit courrier contenait des normes, qui s’appliquaient à un nombre indéterminé de situations futures concernant la possibilité pour des préparateurs en pharmacie de remplacer des pharmaciens et concernaient tous les préparateurs en pharmacie et les pharmacies genevoises.

En toute hypothèse, il fallait considérer le courrier litigieux comme une ordonnance administrative, puisqu’il donnait des indications futures sur la façon dont la réglementation du droit de remplacement des préparateurs en pharmacie serait appliquée à compter du 1er janvier 2024 et donnait des instructions au SPhC, chargé de transmettre cette directive aux pharmaciens du canton. Le courrier avait en outre des effets externes à l’administration, puisqu’il touchait les droits des préparateurs en pharmacie et des pharmaciens en limitant leur droit de remplacement de manière plus restrictive que la réglementation applicable. Il ne serait en outre pas raisonnable de requérir la provocation d’un cas d’application concret en attendant que les préparateurs en pharmacie et les pharmaciens soient sanctionnés en vertu de l’art. 84 al. 5 RPS.

À supposer toutefois que la chambre constitutionnelle dût considérer que le courrier litigieux constituait une décision générale, un échange de vues avec la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) devait alors être engagé, le cas échéant pour lui transmettre la présente cause pour raison de compétence.

Sur le fond, les normes contenues dans le courrier attaqué étaient nulles car elles auraient dû figurer à tout le moins dans un règlement du Conseil d’État. Elles avaient également été adoptées en violation du principe de la séparation des pouvoirs et du principe de la légalité et contrevenaient à la liberté économique et à l’interdiction de l’arbitraire.

b. Le 14 novembre 2023, la chambre constitutionnelle a refusé d’octroyer l’effet suspensif au recours et réservé le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond.

c. Le 8 décembre 2023, le département de la santé et des mobilités (ci-après : le département) a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, précisant qu’il s’engageait à ce que le courrier litigieux ne soit pas concrétisé tant que la procédure devant la chambre constitutionnelle ne serait pas close.

Le canton de Genève comptait quelque 70 préparateurs en pharmacies, profession à laquelle il n’était toutefois plus possible de se former.

Le recours était irrecevable. Le courrier litigieux ne contenait pas de normes mais une déclaration d’intention du conseiller d’État et précisait qu’une directive serait élaborée et adressée aux administrés concernés. Il ne contenait pas non plus d’instructions à un service subordonné. L’encadrement strict de la possibilité pour les préparateurs en pharmacie de remplacer un pharmacien ne serait appliquée au plus tôt qu’après le 1er janvier 2024 et aucun effet contraignant n’aurait lieu avant cette date.

Si la directive qui devait être élaborée venait à être considérée comme une décision générale, les recourantes pourraient alors l’attaquer devant la chambre administrative et les éventuelles sanctions prononcées sur cette base pourraient également être contestées, la directive pouvant alors faire l’objet d’un contrôle préjudiciel. Ainsi, à supposer que le courrier soit une ordonnance administrative ayant des effets externes, la contestation de l’action administrative était garantie, de sorte qu’il n’était pas déraisonnable d’exiger des recourantes l’utilisation des voies usuelles de recours.

d. Le 12 décembre 2023, la chambre constitutionnelle a imparti aux parties un délai au 19 janvier 2024, prolongé par la suite au 2 février 2024, pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

e. Le 19 janvier 2024, le département a informé la chambre constitutionnelle qu’il n’avait pas de requêtes ou d’observations complémentaires à formuler.

f. Dans leur réplique du 1er février 2024, les recourantes ont persisté dans leur recours.

L’intimé avait modifié, par le biais du courrier litigieux, les conditions de remplacement des préparateurs en pharmacie, en introduisant trois exigences supplémentaires qui ne ressortaient pas des art. 62 al. 3 RISanté et 84 al. 5 RPS et l’argument selon lequel ledit courrier ne contenait pas de normes au motif qu’une directive serait ultérieurement notifiée tombait dès lors à faux. Il n’était pas non plus déterminant qu’une période transitoire soit prévue jusqu’au 1er janvier 2024, date à partir de laquelle les normes en cause s’imposeraient à toutes les pharmacies du canton. L’acte entrepris contenait des instructions à l’attention du SPhC, lui enjoignant de transmettre les nouvelles normes qu’il contenait à toutes les pharmacies du canton.

g. Le 29 février 2024, le département s’est déterminé sur la réplique des recourantes.

Le courrier litigieux ne contenait aucune instruction à l’attention du SPhC, puisque de telles instructions étaient effectuées de manière directe, et non par l’intermédiaire d’une lettre adressée à un administré. Il se limitait à informer l’A______ de la transmission prochaine, par le SPhC, des indications figurant dans ledit courrier par le biais d’une directive à toutes les pharmacies du canton.

Les recourantes ne pouvaient pas non plus être suivies lorsqu’elles indiquaient que les préparateurs en pharmacie s’exposeraient aux sanctions prévues par la LS s’ils devaient provoquer un cas d’application, puisqu’il leur serait loisible de requérir une décision de l’autorité compétente portant sur les modalités concrètes de remplacement après avoir reçu la directive et de contester cette dernière.

h. Le 7 mars 2024, les recourantes ont persisté dans leurs précédentes explications, précisant que le litige ne portait pas sur l’interprétation de la réglementation cantonale relative à la profession de préparateur en pharmacie, mais sur l’ajout de nouvelles conditions restreignant l’exercice de leur droit au remplacement du pharmacien responsable.

i. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. La chambre constitutionnelle examine d’office la recevabilité des recours qui lui sont adressés (art. 11 al. 2 et 76 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; ACST/25/2023 du 2 juin 2023 consid. 1).

Les recourantes contestent un courrier du conseil d’État adressé le 21 septembre 2023 à l’A______ qui, selon elles, contiendrait des normes ou constituerait à tout le moins une ordonnance administrative sujette à recours. Il convient dès lors d’examiner la recevabilité du recours du point de vue de l’acte attaquable.

2. 2.1 La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst‑GE ‑ A 2 00). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a LOJ introduit par la loi 11'311), ainsi que, à certaines conditions, des arrêtés du Conseil d’État (ACST/30/2021 du 29 juin 2021 consid. 1a et les références citées).

2.2 En adoptant l’art. 130B al. 1 let. a LOJ, le législateur cantonal a eu une conception restrictive des actes normatifs visés par l’art. 124 let. a Cst-GE, estimant, à l’instar de l’exécutif (MGC en ligne [www.ge.ch/grandconseil/] ad PL 11'311, p. 12), que les normes communales ne font pas partie des actes sujets à un contrôle abstrait, pas plus que les directives et autres ordonnances administratives. Il a cependant souligné que cette disposition mettait « clairement en évidence qu’il s’agit d’actes généraux et abstraits et non pas individuels et concrets » (MGC [en ligne], séance du 11 avril 2014;  Arun BOLKENSTEYN, Le contrôle des normes, spécialement par les cours constitutionnelles cantonales, 2014, p. 291 ss ; Michel HOTTELIER / Thierry TANQUEREL, La Constitution genevoise du 14 octobre 2012, SJ 2014 II 341 ss, 352 s., 377 ss et 382).

En effet, il ne suffit pas qu’un acte soit pris en la forme d’une loi ou d’un règlement pour qu’il soit attaquable devant la chambre constitutionnelle aux fins de contrôle de sa conformité au droit supérieur (ACST/43/2019 du 20 décembre 2019 consid. 1a ; ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 2c). Encore faut-il qu’il contienne des règles de droit, à savoir des mesures générales, destinées à s’appliquer à un nombre indéterminé de personnes, et abstraites, se rapportant à un nombre indéterminé de situations (ATF 139 V 72 consid. 2.2.1 ; 135 II 328 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_789/2021 du 18 octobre 2021 consid. 3.1), affectant au surplus la situation juridique des personnes concernées en leur imposant une obligation de faire, de s’abstenir ou de tolérer ou en réglant d’une autre manière et de façon obligatoire leurs relations avec l’État, ou alors ayant trait à l’organisation des autorités (art. 164 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; art. 22 al. 4 de la loi sur l’Assemblée fédérale du 13 décembre 2002 - LParl 171.10 ; Jacques DUBEY in Vincent MARTENET / Jacques DUBEY [éd.], Commentaire romand de la Constitution fédérale, Bâle 2021, ad art. 164 Cst., p. 3053 s. n. 20). Des actes ou mesures qui, bien qu’adoptés selon la procédure législative, comportent une décision mais pas de règles de droit, à savoir des lois purement décisionnelles, ne peuvent être contestées devant la chambre de céans (ACST/43/2019 précité consid. 1a et les références citées).

2.3 Ne sont pas considérées comme des actes normatifs les ordonnances administratives, à savoir les actes servant à régler le fonctionnement de l’administration, destinés aux employés et services de l’État. Elles ne sont pas obligatoirement publiées, ne lient ni le juge ni l’administration en tant que telle ni les administrés, auxquels elles ne peuvent pas imposer des obligations ou octroyer des droits (ATF 141 V 175 consid. 4.1). Elles ne reposent pas sur une délégation législative formelle, mais sur le pouvoir hiérarchique ou le pouvoir de surveillance, si bien qu’elles ne doivent rien contenir qui sorte du cadre légal et ne sont impératives pour les autorités d’application de la loi que dans la mesure où elles en restituent le sens exact (ATF 142 II 182 consid. 2.3.2).

Les ordonnances administratives contiennent au premier chef des règles visant le comportement interne de l’administration, s’adressent aux fonctionnaires hiérarchiquement subordonnés et aux employés de l’État, et peuvent poursuivre les buts – de nature interne à l’administration ou organisationnelle – les plus divers. Pour cette raison, elles ne confèrent en principe pas de droits ni d’obligations aux particuliers. Les ordonnances administratives se rencontrent dans toutes sortes de domaines, et se répartissent, pour cette raison, en différentes catégories. Elles sont également dénommées de manière fort diverse : directives, instructions, circulaires, lignes directrices, prescriptions ou règlements de service, mémentos, guides. À l’intérieur de cette catégorie vaste et peu cohérente, on distingue en particulier les ordonnances administratives de nature organisationnelle, qui régissent l’organisation de l’administration et l’exécution des tâches de celle-ci, et les ordonnances administratives interprétatives (appelées directives ou instructions), qui visent à une application du droit uniforme et égalitaire en agissant sur l’exercice du pouvoir d’appréciation et l’application de dispositions formulées de façon indéterminée (ATF 128 I 167 consid. 4.3).

2.4 Selon la jurisprudence de la chambre constitutionnelle, n’a pas un caractère décisionnel une loi qui a pour objet la délégation à une fondation de la tâche étatique de soutenir, par le biais de deniers principalement publics, la production indépendante et la réalisation d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles (ACST/12/2015 du 15 juin 2015 consid. 1b). Est de même un acte normatif un acte censé expliciter le sens et la portée d’une loi en matière de stationnement contre paiement, par lequel le Conseil d’État énonce le principe que toute acquisition et installation de parcomètres et horodateurs sur la voie publique sont du ressort du canton et que les recettes provenant de l’exploitation de ces appareils reviennent au canton (ACST/6/2017 du 19 mai 2017 consid. 1b et c), ainsi qu’une loi ayant pour objet de ratifier un contrat de prestations par lequel l’État confie à un établissement autonome de droit public le contrôle de l’ensemble du stationnement statique sur le domaine public et de fixer l’indemnité que l’État verserait à ladite fondation pour l’accomplissement de cette tâche (ACST/14/2018 précité consid. 1b), ou encore une loi exigeant des employeurs affiliés à la caisse de pension de l’État de Genève un apport d’actifs et réglant ainsi leurs obligations en matière de recapitalisation de ladite caisse (ACST/43/2019 précité consid. 1b ; ACST/44/2019 du 20 décembre 2019 consid. 1b).

En revanche, la chambre constitutionnelle a nié que des lois purement décisionnelles soient sujettes à recours (ACST/12/2015 précité consid. 1b ; ACST/1/2015 précité consid. 2), mais aussi qu’un arrêté du Conseil d’État fixant l’entrée en vigueur d’une loi le soit, avec toutefois la précision que l’arrêté en question ne recelait pas de normes qui auraient dû être adoptées par voie légale ou réglementaire (ACST/9/2016 du 5 juillet 2016 consid. 4b). Dans le prolongement de ce dernier argument, elle a admis comme attaquable un arrêté du Conseil d’État contenant des règles de droit, et qui aurait dû être pris sous la forme d’un règlement (ACST/6/2017 précité consid. 1d). En outre, récemment, la chambre constitutionnelle a nié le caractère attaquable d’un communiqué de presse doublé d’une présentation informatique destinée à en expliciter le contenu aux représentants des médias et ayant pour but d’annoncer un changement de pratique décidée par un département de l’administration cantonale (ACST/17/2020 et ACST/18/2020 du 19 juin 2020 consid. 7, ce dernier arrêt ayant été confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_454/2020 du 23 mars 2021). Elle a également nié qu’une ordonnance administrative s’appliquant au seul personnel de la police puisse faire l’objet d’un contrôle abstrait des normes, laissant toutefois ouverte la question du caractère attaquable d’un tel acte aux conditions restrictives posées par la jurisprudence (ACST/28/2022 du 22 décembre 2022 consid. 5).

2.5 En l’espèce, l’acte attaqué est un courrier du conseiller d’État adressé le 21 septembre 2023 à l’A______ concernant le remplacement des pharmaciens par les préparateurs en pharmacie et lui rappelant les éléments abordés lors de la séance du 17 février 2023 à laquelle ses représentants avaient participé. Outre le fait qu’il n’émane d’aucune des autorités mentionnées à l’art. 130B al. 1 let. a LOJ, il n’est pas destiné aux agents publics subordonnés au département, en l’occurrence le SPhC comme le soutiennent les recourants, mais à l’A______, à des fins d’information, dans le but de lui rappeler que ledit droit de remplacement doit correspondre aux exigences légales et à l’évolution des connaissances dans le domaine pharmaceutique, et qu’une prochaine directive serait communiquée à l’ensemble des pharmacies du canton.

Il ne s’agit dès lors pas d’une ordonnance administrative et encore moins d’un acte normatif ou d’une décision générale. En particulier, ne constitue pas une telle ordonnance administrative tout changement de pratique ou toute intention manifestée de l’autorité d’appliquer la loi à l’avenir dans un certain sens, mais seulement un document formalisé – qui peut en revanche revêtir des formes diverses et porter des noms variés – destiné aux agents publics qui mettent en œuvre le domaine ou la politique publique concernés. Un tel acte ne peut ainsi pas faire l’objet d’un recours devant la chambre de céans.

3. 3.1 Quand bien même l’acte attaqué constituerait une ordonnance administrative, celles-ci ne sont, à teneur des définitions déjà données plus haut, pas censées contenir de règles de droit. Dès lors qu’elles ne confèrent ni droits, ni n’imposent d’obligations aux administrés, elles ne peuvent en principe pas être invoquées directement dans une procédure de recours juridictionnelle, même si elles peuvent permettre d’étayer, dans certaines circonstances, les griefs de violation du principe d’égalité de traitement ou de droit à la protection de la bonne foi (arrêt du Tribunal fédéral 8C_860/2009 du 22 septembre 2010 consid. 4.2).

3.2 Le Tribunal fédéral a néanmoins développé une jurisprudence selon laquelle il est possible d’attaquer des ordonnances administratives directement et abstraitement, pour autant que les instructions à l’intention des organes de l’administration qui y sont contenues touchent les droits protégés des particuliers, et déploient de la sorte des effets externes, c’est-à-dire qu’elles portent atteinte au moins indirectement à la position juridique des administrés. Cependant, même dans un tel cas de figure, une ordonnance administrative ne peut être attaquée lorsque l’intéressé peut contester, au moyen des voies de recours usuelles, les décisions prononcées dans le domaine qu’elle régit (ATF 136 II 415 consid. 1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_21/2020 du 23 mars 2021 consid. 2.2). Un recours abstrait n’est donc recevable à l’encontre des ordonnances administratives que lorsque celles-ci déploient des effets externes et que les décisions ou ordres concernés, fondés sur ces ordonnances, ne peuvent pas être raisonnablement contestés par l’intéressé (ATF 128 I 167 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_21/2020 précité consid. 2.2 et les références citées).

Ainsi, dans le cas d’une directive édictée par un établissement public autonome de soins médicaux, le Tribunal fédéral a déclaré le recours irrecevable, motif pris que des possibilités de protection juridique étaient disponibles et permettaient de se plaindre de l’application de la directive (arrêt du Tribunal fédéral 2C_613/2015 du 7 mars 2017 consid. 5.3). Plus récemment, dans le cas d’une communication d’un département constituant une information sur la manière dont serait à l’avenir appliquée une disposition cantonale, le Tribunal fédéral a considéré qu’un tel acte ne pouvait constituer en tant que tel un acte assimilable à un acte normatif attaquable, ce d’autant moins qu’une décision du même département prise en vertu de sa nouvelle pratique était susceptible de faire l’objet d’un recours auprès des autorités judiciaires cantonales compétentes, le cas échéant jusqu’au Tribunal fédéral. Il a dès lors déclaré irrecevable le recours dirigé contre cette communication (arrêt du Tribunal fédéral 1C_21/2020 précité consid. 2.3 et 2.4 ; voir également l’ACST/17/2020 précité, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_454/2020 précité, et l’ACST/18/2020 précité). Par ailleurs, la chambre de céans a également déclaré irrecevable un recours dirigé contre un plan cantonal de gestion des déchets, notamment au motif qu’un tel acte, assimilable à une ordonnance administrative, pouvait être contesté indirectement lors de la délivrance d’une autorisation d’exploitation, qui prenait la forme d’une décision sujette à recours (ACST/2/2022 du 14 mars 2022, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_240/2022 du 21 novembre 2022).

3.3 En l’espèce, le changement de pratique contesté déploie des effets pour les tiers, en l’occurrence les pharmaciens et les préparateurs en pharmacie. Cela étant, d’éventuelles sanctions ou mesures prononcées sur la base des art. 125A ss LS, comme le rappellent les recourantes, peuvent faire l’objet d’un recours à la chambre administrative (art. 135 LS). De plus, comme l’indique l’intimé, il serait loisible aux recourantes de requérir une décision de l’autorité compétente portant sur les modalités concrètes de remplacement après avoir reçu la future directive annoncée dans le courrier litigieux. Dans les deux cas, de jurisprudence constante, la chambre administrative est habilitée à revoir, à titre préjudiciel et à l’occasion de l’examen d’un cas concret, la conformité des normes cantonales au droit fédéral (ATA/197/2024 du 13 février 2024 consid. 4.4) et il ne saurait en aller différemment en l’occurrence de la directive en cause. Ainsi, s’il serait certes plus confortable pour les recourantes de passer par un contrôle abstrait du changement de pratique litigieux, il n’en demeure pas moins qu’une contestation d’une décision fondée sur cette base demeure possible et raisonnable selon la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, étant précisé que même la possibilité d’une action en responsabilité de l’État peut suffire pour qu’une protection juridique existe et permette de refuser le contrôle abstrait d’une ordonnance administrative (arrêt du Tribunal fédéral 2C_613/2015 précité consid. 5.2.2).

4. En définitive, l’acte attaqué n’est pas une ordonnance administrative et, même s’il l’était, il ne pourrait pas faire l’objet d’un contrôle abstrait des normes. Il s’ensuit que le recours est irrecevable, sans que doive être examinée la question de savoir si les ordonnances administratives peuvent, lorsque les conditions sont remplies, faire l’objet d’un contrôle abstrait des normes au plan cantonal genevois au vu de la teneur de l’art. 130B al. 1 let. a LOJ, approche que le Tribunal fédéral a au demeurant jugée compatible avec l’art. 124 let. a Cst-GE (arrêt du Tribunal fédéral 1C_676/2019 du 23 mars 2021 consid. 4.2).

5. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.-, qui comprend la décision sur effet suspensif, sera mis à la charge solidaire des recourantes, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

déclare irrecevable le recours interjeté le 20 octobre 2023 conjointement par l’A______, B______et C______ contre le courrier du département de la santé et des mobilités du 21 septembre 2023 ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge solidaire de l’A______, B______et C______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain CURTET, avocat des recourantes, ainsi qu’au département de la santé et des mobilités.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Blaise PAGAN, Valérie LAUBER, Philippe KNUPFER, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :