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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/11007/2020

CAPH/60/2023 du 08.06.2023 sur JTPH/170/2022 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11007/2020-4 CAPH/60/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU JEUDI 8 JUIN 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 2 juin 2022 (JTPH/170/2022) et intimé sur appel joint, comparant par Me Patrick SPINEDI, avocat, Spinedi Avocats Sàrl, rue Saint-Léger 2,
1205 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______, intimée et appelante sur appel joint, comparant par Me Dominique AMAUDRUZ, avocate, Beker Guiramand & Associés, rue de Hesse 7, 1204 Genève, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/170/2022 rendu le 2 juin 2022, notifié le lendemain à B______ SA (ci-après : B______ SA ou la société), respectivement le 7 juin suivant à A______, le Tribunal des prud'hommes (ci-après : le Tribunal) a déclaré recevables la demande formée le 4 décembre 2020 par A______ contre B______ SA (ch. 1 du dispositif), ainsi que la demande reconventionnelle formée le 26 mars 2021 par B______ SA contre A______ (ch. 2), débouté ce dernier et B______ SA de leurs conclusions (ch. 3 et 4) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 5).

Le Tribunal a arrêté les frais de la procédure à 11'880 fr. (ch. 6), répartis à raison de 1'880 fr. à la charge de A______ et de 10'000 fr. à charge de B______ SA (ch. 7) et compensés entièrement avec l’avance de frais de 1'880 fr. effectuée par A______ et celle de 10'000 fr. effectuée par B______ SA, restant acquises à l’Etat de Genève (ch. 8), dit qu’il n’était pas alloué de dépens (ch. 9) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 10).

B.            a. Par acte déposé le 4 juillet 2022 à la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ a formé appel de ce jugement, dont il a sollicité l'annulation.

Cela fait, il a conclu, avec suite de frais judiciaires et dépens, à ce que B______ SA soit condamnée à lui verser la somme totale de 187'614 fr. 05 avec intérêts à 5% dès le 14 mai 2022, se composant comme suit :

- 43'333 fr. 35 bruts à titre de salaire jusqu’à la fin du délai de congé ordinaire,

- 35'583 fr. 35 bruts à titre de bonus afférent à l’année 2020,

- 4'697 fr. 35 bruts à titre d’indemnité pour vacances non prises,

- 104'000 fr. nets à titre d’indemnité pour licenciement immédiat injustifié,

et à ce qu'il soit ordonné à B______ SA de lui délivrer un certificat de travail conforme à sa pièce 74 dans un délai de 10 jours dès l’entrée en force de la décision.

Il a également conclu à ce que B______ SA soit déboutée de ses prétentions reconventionnelles, avec suite de frais judiciaires et dépens.

A______ n'a formulé de griefs et n'a motivé son appel que sur la question du caractère injustifié de son licenciement avec effet immédiat.

b. Dans le délai imparti, B______ SA a répondu à l'appel et formé un appel joint.

Sur appel principal, elle a conclu au rejet de l'appel interjeté par A______.

Sur appel joint, elle a sollicité l'annulation des chiffres 4, 7 et 8 du dispositif du jugement attaqué et, cela fait, elle a conclu à la condamnation de A______ à lui payer la somme de 1'028'396 fr. 40 avec intérêts à 5% dès le 1er octobre 2020 (date moyenne), avec suite de frais judiciaires et dépens.

Elle a produit à nouveau en appel sa pièce 65bis déposée devant le Tribunal, laquelle correspond à des factures de commissions de gestion adressées aux clients sous gestion de son ancien employé entre 2015 et 2019, sur lesquelles elle a apposé une nouvelle numération utilisée à l'appui de sa motivation en appel.

c. Par réplique et réponse à l'appel joint, A______ a conclu à l'irrecevabilité de la pièce 65bis précitée et a, pour le surplus, persisté dans ses conclusions.

d. Par répliques et dupliques du 30 novembre 2022, ainsi que des 18 et 26 janvier 2023, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

e. Elles ont été informées par la Cour de ce que la cause était gardée à juger par courriers du 30 janvier 2023.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. B______ SA est une société anonyme de droit suisse inscrite à Genève, dont le but est, notamment, la gestion et l'administration de fortunes, l’exécution de tous mandats fiduciaires et les conseils en gestion financière.

C______ en est l’administrateur président et délégué, tandis que D______ et E______ en sont les directeurs adjoints, tous avec signature collective à deux.

b. Par contrat de travail signé le 12 mai 1997, A______ a été engagé par B______ SA en qualité de gestionnaire de fortune à partir du 1er août 1997.

Cet engagement était lié au départ à la retraite de F______, dont le portefeuille de clientèle avait été racheté par la société.

Le contrat prévoyait un salaire mensuel de 8'000 fr. brut versé en treize mensualités. En 2020, le salaire mensuel brut s’élevait à 15'076 fr. 95. S'ajoutait au salaire un versement pour frais forfaitaires.

Le droit aux vacances était de quatre semaines par année, porté par la suite à cinq semaines.

A______ a été nommé sous-directeur le 1er janvier 2001, puis directeur adjoint en 2006.

Entre 2010 et 2020, A______ a perçu chaque année un bonus variable compris entre 50'000 fr. et 75'000 fr. Il allègue qu'il s'agissait d'une rémunération variable, dès lors que son versement n’avait jamais été assorti de la moindre réserve.

Entendus en qualité de témoins par le Tribunal, G______, H______ et I______, respectivement anciens et actuels employés de B______ SA, ont déclaré avoir reçu des bonus chaque année, sans savoir comment ceux-ci étaient calculés et sans réserve.

E______, employé de la société depuis 1989 et supérieur direct de A______, avec qui il avait, selon lui, entretenu des rapports courtois et de confiance pendant plus de vingt ans, a déclaré aux premiers juges que seul C______ décidait de la rémunération variable des collaborateurs et que lui-même ne savait pas comment celle-ci était calculée.

C______ a confirmé qu’il décidait du montant des bonus octroyés aux employés, en prenant en compte la marche des affaires et les résultats de l’année considérée. La société n’avait pas de modèle basé sur la performance ou les apports des employés. Il avait une enveloppe et il décidait de l’attribution des montants en concertation avec le chef du personnel. Ce bonus était octroyé à bien plaire, ce qui figurait dans le contrat de travail de tous les employés. Il n’y avait pas de réserve écrite à chaque versement. Un bonus avait toujours pu être versé aux collaborateurs.

c. Il n'est pas contesté que A______ était un bon gestionnaire et qu'il avait créé un lien de confiance avec ses clients.

Il a déclaré au Tribunal qu'il avait été inquiet pour son poste en raison du départ d'un important client historique de la société (dont il gérait les avoirs et qui représentait son client principal), de licenciements qui en étaient découlés entre fin octobre 2019 et fin février 2020 et d'une altercation qu'il avait eue avec E______ au début du mois de février 2020 concernant la communication de ses absences. Personne n’avait pris la peine de venir lui parler. Il n’avait toutefois pas fait part de ses inquiétudes. Craignant pour son emploi, il avait commencé à envisager d'autres opportunités à l'extérieur de la société.

Selon l'ancien employé, ses relations avec E______ donnaient lieu à des tensions récurrentes, ce qui a été confirmé par le témoin G______, lequel avait toutefois ajouté que les deux protagonistes se respectaient.

d. Par courrier dactylographié adressé à la banque J______ le 21 mars 2020, Monsieur D., client de longue date de B______ SA, a résilié le mandat confié à la société pour la gestion d'un de ses comptes ouverts auprès de ladite banque.


 

Ce courrier est le suivant :

"J______

A l'attention de Monsieur

K______

Case postale ______

1211 Genève ______

 

[Nom de ville], le 21 mars 2021

Objet : résiliation de mandat

Monsieur,

A la suite d'un remaniement des avoirs constituant mon patrimoine, je vous prie de bien vouloir radier, dès réception de ce courrier, le mandat que j'avais conféré en son temps à B______ SA, Genève, sur mon compte no ., ouvert auprès [de la banque] J______, [à] L______ [GE].

Vous recevrez dans un délai proche de nouvelles instructions de ma part quant audit compte.

Dans l'attente de votre confirmation de la radiation précitée, je vous adresse, Monsieur, mes meilleures salutations."

e. Par courrier recommandé du 22 avril 2020, A______ a résilié son contrat de travail avec effet au 31 juillet 2020.

Il a allégué avoir démissionné sans avoir retrouvé un autre emploi, en raison de l’atmosphère tendue régnant dans la société liée aux nombreux licenciements intervenus depuis fin 2019 et à la situation liée à la pandémie du Covid-19.

f. Le même jour, A______ a clôturé la relation contractuelle de Monsieur D.

E______ a déclaré aux premiers juges que la procédure administrative habituelle en cas de fin de mandat avait été mise en route seulement au moment de la démission de A______ le 22 avril 2020. Cette lenteur avait masqué le fait que cette lettre avait été adressée à la banque dépositaire et non à la société, ce qui était tout à fait inhabituel et arrivait lorsqu'il y avait un problème entre le client et la société, ce qui n'était pas le cas avec ce client.

g. Par courriel du 23 avril 2020, E______ a pris note de la résiliation des rapports de travail et a prié l'employé de préparer les documents de transmission de ses dossiers, tels que, notamment, un historique, une fiche de contact et les modalités de communication.

Il a déclaré au Tribunal qu'il avait été très étonné d'apprendre la démission de A______, qui lui avait indiqué qu'il allait chercher du travail et avait refusé de lui en dire plus sur les raisons de sa décision.

C______ a également déclaré qu'il avait été surpris d’apprendre la démission de l'ancien employé, qui ne lui avait jamais fait part auparavant d’une insatisfaction liée à son poste. Ce dernier avait justifié son départ par un souhait de changer de carrière et de se réorienter, ce qui l’avait étonné.

h. A______ a demandé à être libéré de son obligation de travailler, ce qui a été refusé par la société.

i. Un premier entretien a eu lieu le 29 avril 2020 entre D______ et A______ aux fins de procéder à la passation des dossiers de celui-ci.

Une deuxième séance a eu lieu le 4 mai 2020, à la suite de laquelle A______ a écrit à C______ que la passation des dossiers avait été effectuée.

Entendu en qualité de témoin, D______ a déclaré au Tribunal que, lors de ces séances, il avait passé en revue avec A______ les fiches des quarante-cinq clients et ils avaient discuté de particularités de certains clients, notamment liés au mode de communication. A______ était bien organisé. Ils n’avaient pas eu le temps de parler en détails de tous les clients ni de discuter de la suite, car, selon le témoin, il avait lui-même "autre chose à faire". L'ancien employé lui avait demandé s'il pensait pouvoir être libéré de son obligation de travail. A la fin de la deuxième séance, A______ lui avait dit : "Vous ne connaissez pas A______ [prénom], vous n’avez jamais pu connaître A______, vous n’avez jamais voulu connaître A______, mais bientôt vous allez apprendre à connaître A______ !".

E______ a indiqué qu'il était, pour lui, évident que ces deux séances étaient une première étape et que la passation des clients allait prendre un certain nombre de semaines, l'inventaire n'étant qu'une première étape.

D______ a confirmé que E______ souhaitait une passation plus en profondeur, mais il avait lui-même été pris par ses propres clients. Il n'avait pas appelé les clients de A______ tout de suite après ces réunions, car il pensait avoir le temps de le faire avec ce dernier avant son départ prévu pour fin juillet.

j. Le même jour, soit le 4 mai 2020, A______ a emporté sa chaise de bureau qui lui appartenait et a restitué l’ordinateur mis à sa disposition par la société pour le travail à domicile.

Dès cette date, A______ ne disposait plus, depuis son domicile, d’outils de travail, ni d’accès à ses emails professionnels ou au serveur commun de B______ SA, ni à aucune donnée sur la clientèle de cette dernière.

Il a déclaré qu'il avait ramené l’ordinateur professionnel, car il ne voulait pas qu’on puisse lui reprocher quoi que ce soit. Il n’avait plus d’outils de travail à son domicile, mais il avait l’intention de revenir travailler au bureau, où son poste était demeuré en l’état et où il avait laissé des affaires personnelles.

k. Du 5 au 13 mai 2020, A______ s'est trouvé en incapacité de travail pour cause de maladie.

Il a exposé que ni E______ ni C______ n’avaient assisté aux séances de passation de dossiers avec D______ et que, face au manque de considération et à l’attitude déplacée de la direction à son égard depuis sa démission, il s’était retrouvé en incapacité de travail.

l. Par courriel du 7 mai 2020, J______ a signalé à B______ SA avoir reçu un courrier dactylographié (mais ni daté ni signé) de la part de sa cliente Madame C., l'informant de la décision de cette dernière de résilier le mandat de gestion confié à la société.

Ce courrier est le suivant :

"RECOMMANDE

J______

A l'attention de Monsieur

K______

[Case postale] ______

______

 

[Nom de ville], le

Objet : résiliation de mandat

Monsieur,

Je vous prie de bien vouloir radier, dès réception de ce courrier, le mandat que j'avais conféré en son temps à B______ SA, Genève, sur mon compte no ., ouvert auprès [de] J______, Genève.

Vous recevrez dans un délai proche de nouvelles instructions de ma part quant audit compte.

Dans l'attente de votre confirmation de la radiation précitée, je vous adresse, Monsieur, mes meilleures salutations."

Sur ce courrier était apposé un post-it indiquant l'endroit où signer. Il était accompagné d'une lettre préaffranchie à l'adresse de la banque susmentionnée, sur laquelle figurait un post-it avec l'indication manuscrite suivante : "Merci de ne poster ce courrier qu'après avoir eu la prise de contact de la société de gestion détentrice du mandat actuel".

E______ a expliqué qu'à la réception de ce courrier de Madame C. (qui mentionnait une ancienne adresse de la cliente et sur lequel était apposé un des mêmes post-it utilisés par la société pour indiquer l'endroit où il fallait signer), la société avait constaté qu'il était identique à la lettre de clôture signée par Monsieur D., alors que les deux clients ne se connaissaient pas. Il avait alors appelé Madame C., le lundi 11 mai 2020, sur haut-parleur en présence de D______, qui était dans son bureau. Il avait informé Madame C. du départ de A______ et de la lettre communiquée par la banque. La cliente avait été très embarrassée, commençant par dire que la banque s'était trompée, puis confirmant qu'elle avait l'intention de résilier son mandat avec la société, bien qu'il n'y ait pas de problème avec celle-ci ni avec A______. Il lui avait fait part de son étonnement et elle lui avait répondu de manière lapidaire. Il l’avait rendue attentive au fait qu'elle n'aurait pas de gestionnaire puisqu'elle n'en avait pas indiqué de nouveau dans sa lettre. Il lui avait demandé de confirmer par écrit la résiliation de son contrat, ce qu'elle avait fait le jour-même.

D______ a confirmé que Madame C. était apparue surprise et mal à l’aise.

E______ a indiqué que, le même jour, il avait également appelé Monsieur D. toujours en présence de D______. Monsieur D. n’avait pas été surpris d’apprendre la démission de A______, précisant que ce dernier ne lui avait pas donné des raisons de penser qu'il allait quitter son poste. Ce client avait justifié la résiliation du mandat par la volonté de conclure une nouvelle assurance-vie. Or, E______ avait constaté que A______ avait noté dans la fiche administrative de Monsieur D. que les raisons de la résiliation étaient la volonté de rapatrier ses fonds.

E______ a précisé qu'il n'avait pas posé spécifiquement à ces clients de questions par rapport au devoir de fidélité de l'ancien employé.

C______ et E______ s’étaient alors rendus dans le bureau de A______ pour essayer de trouver des éléments d'explication. Ils avaient constaté que le bureau était vide, de même que les meubles dans lesquels l'ancien employé stockait ses dossiers. Les dossiers physiques se trouvaient au secrétariat. Il restait trois dossiers suspendus concernant des affaires internes de la société, dont l'un contenait une feuille d'étiquettes pré-imprimée avec les adresses de ses clients, notamment l'ancienne adresse de Madame C. Le poste d'ordinateur fixe comportait des arborescences vides. L'arborescence stockée sur le disque dur du réseau était également vide. La messagerie électronique de A______ avait été méthodiquement vidée le 4 mai 2020. Si l’arborescence stockée sur le disque dur avait pu être effacée par quelqu’un d’autre, tel n’était, en revanche, pas le cas des emails qui ne pouvaient être détruits que par la personne concernée.

C______ a confirmé au Tribunal que la probité de A______ avait été mise en doute lors de la réception des deux courriers de résiliation quasiment identiques de clients qui ne se connaissaient pas, ce qui démontrait l’organisation d’un détournement de clientèle.

m. Par courriel et SMS du 11 mai 2020 intitulés "Convocation", E______ a informé A______ que, ayant découvert des éléments potentiellement graves, C______ et lui-même souhaitaient le rencontrer le lendemain entre 15 et 16 heures afin de recueillir sa position.

A______ a déclaré ne pas avoir reçu ces communications.

La pièce relative au SMS produite par la société indique que le message a été lu par son destinataire le lendemain de son envoi à 8h33.

n. Par courriel et courrier envoyés le 12 mai 2020, A______, par le biais de son conseil, a communiqué à B______ SA la prolongation de son arrêt de travail du 11 au 20 mai 2020, a indiqué que, compte tenu de son état de santé, il ne pourrait pas se déplacer dans les locaux de la société avant la fin de son incapacité de travail et a demandé que lui soit remis un certificat de travail selon le projet annexé.

La société a relevé que, bien que A______ ait déclaré ne pas avoir reçu ces "convocations" et être en incapacité de travail, cela ne l'avait pas empêché de consulter un conseil et qu'il aurait pu également convenir avec elle d'un autre rendez-vous pour s'exprimer, ce qu'il n'avait pas fait, alors qu'elle se trouvait face à une urgence qui lui imposait de vérifier rapidement ses soupçons.

o. Par courrier recommandé du 12 mai 2020, B______ SA a résilié le contrat de travail de A______ avec effet immédiat, au motif qu'elle avait découvert des éléments démontrant des agissements graves de sa part en violation de son devoir de fidélité, ayant entraîné une rupture irrémédiable du lien de confiance, étant relevé que l’occasion lui avait été donnée de se déterminer sur ces éléments, mais qu'il n’y avait pas donné suite.

E______ a déclaré que la société avait convoqué A______ pour l'entendre avant de prendre la décision de le licencier, mais qu'il ne s’était ni présenté ni manifesté. La confiance était détruite et la société était convaincue qu’il était en train de détourner la clientèle.

C______ a expliqué qu'ils avaient pris la décision de licencier A______ après avoir consulté leurs avocats et lui avoir donné la possibilité de s’expliquer. Il y avait eu rupture du lien de confiance. Les responsables entendaient protéger la société d’un risque de destruction de documents, de manipulation de clients, etc. Selon lui, le certificat médical envoyé par A______ participait à la stratégie de ce dernier. Ils l'avaient licencié car ils étaient convaincus qu'il était en train de subtiliser la clientèle et leurs craintes s'étaient avérées exactes.

p. Par courrier du 14 mai 2020, A______, sous la plume de son conseil, a répondu que le congé était abusif, précisant que ledit conseil avait, dans son courrier du 12 mai, indiqué qu'"il ne pouvait pas se rendre à la "Convocation" qui lui avait été adressée" (sous-entendant qu'il avait reçu cette "convocation"). Il a sollicité le paiement de son salaire jusqu’à la fin des rapports de travail, soit jusqu’au 31 juillet 2020, une indemnité pour vacances non prises, une indemnité pour congé immédiat injustifié et un bonus afférent à l’année 2020, ainsi que la remise de son certificat de travail. Il a affirmé avoir toujours respecté son devoir de fidélité.

q. Par courrier du 18 mai 2020, B______ SA a refusé de donner suite aux prétentions de A______ et l’a enjoint à cesser ses agissements déloyaux à l’encontre de la société.

Ce dernier a maintenu sa position le 21 mai suivant.

r. Par courriels adressés entre le 15 et le 26 mai 2020, J______ a informé B______ SA avoir reçu dix-sept nouvelles lettres de résiliation de mandat, dont la confirmation de résiliation du 11 mai 2020 de Madame C., étant précisé qu'une était datée du 12 mai 2020, trois du 13 mai 2020 et les autres datées entre le 14 et le 18 mai 2020.

Toute la famille de Monsieur D. a quitté B______ SA.

Les lettres de résiliation sont rédigées de manière identique aux premiers courriers précités de Monsieur D. et Madame C., hormis certaines comportant un motif de départ, une phrase introductive différente (telle que par exemple "je vous prie de radier" en place de "je vous prie de bien vouloir radier"), les expressions "attribué à l'époque" (au lieu de "conféré en son temps"), "prochainement" ou "sous peu" (au lieu de "dans un délai proche") ou encore, à une reprise, la phrase "de nouvelles instructions quant audit compte vous parviendront prochainement".

E______ a indiqué que, trois semaines après le licenciement de A______, presque tous les clients gérés par ce dernier avaient résilié leur mandat dans les mêmes circonstances. Cela correspondait à une masse sous gestion de 40 millions de francs.

C______ a confirmé que quasiment la totalité des clients gérés par leur ancien employé avaient résilié leur contrat avec la société. Il s’agissait de clients historiques représentant une masse sous gestion de 40 millions de francs environ. Le fait que les lettres de résiliation des clients aient été adressées aux banques et non à la société, sans mention de l’identité du nouveau gestionnaire, n'était pas habituel. Bien que ces clients ne se connaissent pas, il s'agissait de la même lettre de résiliation.

L'assistante de A______, M______, a déclaré au Tribunal qu'elle n’avait jamais informé les clients du départ de ce dernier. Elle a confirmé que, selon elle, Madame C. et Monsieur D. ne se connaissaient pas.

D______ a déclaré qu'entre les mois de mai et juin 2020, il avait appelé de nombreux clients gérés par A______, dont certains avaient refusé de lui parler ou de répondre à ses questions.

s. Par courrier du 9 juin 2020, B______ SA a remis un certificat de travail modifié à A______.

t. Le 1er juin 2020, A______ a signé un contrat de travail avec la société N______ SA et a débuté son activité.

Il a indiqué au Tribunal qu'il n'avait pas trouvé un autre emploi au moment de sa résiliation le 22 avril 2020. Il avait commencé les discussions pour une éventuelle collaboration avec N______ SA dans le courant du mois d'avril 2020. Il ne se souvenait plus si elles étaient intervenues avant ou après sa démission. Il avait également eu des discussions avec d'autres sociétés. Son nouveau contrat de travail ne comprenait pas de valorisation d'un éventuel apport de clients. Dans le cadre de son activité pour N______ SA, il gérait "une bonne partie" des relations qu'il gérait chez B______ SA. Il ne pouvait pas en estimer le nombre. Il avait repris la gestion de ses clients sans dossier. Il a affirmé ne pas avoir "aidé" ses clients à résilier leur mandat de gestion avec son ancienne employeuse, ne plus avoir eu de contacts avec eux entre sa démission du 22 avril 2020 et son licenciement le 12 mai 2020, suite auquel il les avait informés de son départ immédiat de la société, et ne pas avoir vu les lettres de résiliation de mandat envoyées par ses clients à B______ SA. Il les avait informés de l'identité de son nouvel employeur lorsqu'il l'avait su.

Entendu en qualité de témoin, O______, ancien gestionnaire de B______ SA entre 2011 et 2017, a déclaré aux premiers juges qu'il avait travaillé jusqu'à fin septembre 2021 pour la société N______ SA qu’il avait cofondée. Il avait rencontré A______ avec les autres partenaires de N______ SA au mois d'avril 2020. Ils avaient décidé d’une collaboration. Il y avait un engagement de principe, mais A______ était libre d'y renoncer jusqu'à la signature du contrat de travail. Ils n’avaient pas discuté d'un apport de clientèle ni d'objectifs à ce moment-là. Lors de l’engagement d’un gérant, il était toutefois espéré que celui-ci amène des clients. Avant cette rencontre au mois d’avril 2020, ils s’étaient vus quelques fois sans discuter formellement d'une potentielle collaboration. A______ avait été suivi par des clients, qui représentaient environ 40 millions de francs sous gestion.

Egalement entendu en qualité de témoin, P______, CEO et cofondateur de N______ SA, a déclaré qu'il avait participé aux rencontres ayant eu lieu en avril 2020 avec A______ en vue de la signature du contrat de travail de celui-ci. Entre trois et cinq rencontres avaient eu lieu, en présence de O______ et d’autres associés de l’époque. Il pensait qu’il avait été discuté d’un contrat de travail lors des deux dernières rencontres. Il a confirmé que A______ avait apporté des clients à N______ SA, mais il ne savait pas s’il s’agissait de clients précédemment gérés par la société. L’apport de clientèle avait été discuté lors de la conclusion du contrat. A______ n’avait pas reçu de contrepartie financière pour l’apport de clients, à part son salaire. Il ne se souvenait pas du nombre de clients apportés par A______ au moment de son engagement. Au moment de ses déclarations, lesdits clients représentaient une masse sous gestion d’environ 40-50 millions de francs.

D. a. Après avoir déposé une requête de conciliation le 20 juin 2020 et obtenu une autorisation de procéder le 21 septembre suivant, A______ a, par demande expédiée au Tribunal des prud’hommes le 4 décembre 2020, assigné B______ SA en paiement de la somme totale de 187'614 fr. 05 avec intérêts à 5% dès le 14 mai 2020, se composant comme suit :

- 43'333 fr. 35 bruts à titre de salaire jusqu’à la fin du délai de congé ordinaire,

- 35'583 fr. 35 bruts à titre de bonus afférent à l’année 2020,

- 4'697 fr. 35 bruts à titre d’indemnité pour vacances non prises, et

- 104'000 fr. nets à titre d’indemnité pour licenciement immédiat injustifié.

Il a également sollicité la remise d'un certificat de travail conforme à sa pièce 74 dans un délai de 10 jours dès l’entrée en force de la décision.

b. Dans sa réponse du 26 mars 2021, B______ SA a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions.

Sur demande reconventionnelle, elle a conclu au paiement de la somme de 1'028'396 fr. 40 avec intérêts à 5% dès le 1er octobre 2020 correspondant aux commissions de gestion facturées pour les mandats résiliés sur une durée de cinq ans.

A l'appui de son écriture, elle a, notamment, produit un tableau récapitulant les mandats résiliés et les commissions de gestion y relatives (pièce 65), indiquant les banques dépositaires, les initiales des clients, la monnaie et les montants des commissions facturées entre 2015 et 2019, respectivement leur moyenne sur cinq ans.

E______ a déclaré au Tribunal que ce tableau avait été établi par M______, l'assistante de A______, au fur et à mesure des résiliations.

La société a également produit, en date du 20 septembre 2021, les factures justificatives en lien avec la pièce 65 signées par A______ (pièce 65bis).

c. Par réponse à la demande reconventionnelle du 21 juin 2021, A______ a conclu au rejet des prétentions de B______ SA.

d. Lors des audiences tenues les 13 septembre 2021, 21 octobre 2021, 1er novembre 2021 et 17 janvier 2022, le Tribunal a entendu A______ et B______ SA, représentée par E______ et C______.

e. Lors des audiences des 21 octobre 2021, 1er novembre 2021 et 17 janvier 2022, le Tribunal a procédé à l'audition de témoins.

f. Les parties ont plaidé et confirmé leurs conclusions respectives lors de l'audience du 21 février 2022.

La cause a été gardée à juger à l'issue de celle-ci.

g. Aux termes du jugement entrepris, les premiers juges ont, notamment, retenu que le courrier de résiliation de mandat de Madame C. reçu le 7 mai 2020 par J______ était déjà à lui seul propre à éveiller les soupçons de B______ SA quant à un détournement de clientèle par son ancien employé, dès lors que la formulation utilisée dans ce courrier était identique à celle utilisée dans la lettre du 21 mars 2020 de Monsieur D. et que ces deux clients ne se connaissaient pas. Le contenu des nombreux courriers de résiliation de la quasi-totalité des clients historiques de la société reçus par J______ après le licenciement immédiat était également identique à la teneur des courriers de résiliation de mandat de Madame C. et Monsieur D. Les propos contradictoires de ces derniers lors des entretiens téléphoniques du 11 mai 2020 étaient propres à conforter B______ SA dans ses soupçons.

Le Tribunal a également relevé que A______ avait pratiquement vidé son bureau, qu'une feuille d'étiquettes pré-imprimée contenant les adresses des clients qu'il gérait avait été retrouvée dans un dossier suspendu, contenant notamment l’ancienne adresse de Mme C, que sa messagerie électronique avait été nettoyée, seul celui-ci étant en mesure de procéder à cette manipulation, qu'il avait repris sa propre chaise de bureau à la suite de sa dernière séance du 4 mai 2020 avec D______ et avait restitué son ordinateur professionnel, de sorte qu'il ne disposait plus, dès cette date, d’outils pour télé-travailler et n'avait plus accès à ses emails professionnels ni au serveur de la société. En agissant ainsi, il avait laissé entendre, dès le 4 mai 2020, qu'il n’était pas disposé à reprendre le travail, ni depuis chez lui, ni depuis les locaux de la société, alors que son engagement devait prendre fin le 31 juillet 2020, soit près de trois mois plus tard, et qu'il n'avait pas été libéré de son obligation de travailler. Le lendemain, soit le 5 mai 2020, il avait remis un arrêt de travail.

Les déclarations de A______ selon lesquelles il n'avait reçu ni le courriel ni le SMS que B______ SA lui avait adressés, alors que le SMS avait été lu le 12 mai 2020 à 8h33 et que son conseil y avait précisément répondu par courrier du 12 mai 2020, n'emportait pas la conviction du Tribunal.

De plus, il n'avait pas apporté le moindre début de preuve du manque de considération et de l’attitude déplacée de la direction à son égard.

Le Tribunal a, ainsi, considéré que B______ SA pouvait, dès le 12 mai 2020, légitimement soupçonner A______ d'avoir préparé des courriers de résiliation de mandat, au contenu identique, pour les besoins des clients qu’il gérait, alors qu’il était encore employé de la société, et que ce dernier n'avait pas rassuré son employeuse en ne se présentant pas à la convocation qu'elle lui avait adressée, en ne s'étant pas enquis de ce qui lui était reproché et en se réfugiant derrière un certificat médical. Le comportement de l'ancien employé - qui avait occupé une fonction de cadre et dont le comportement devait être examiné avec une rigueur accrue - constituait ainsi une violation de son devoir de fidélité ayant entraîné une rupture du lien de confiance justifiant le licenciement immédiat.

S'agissant de l'action reconventionnelle de B______ SA, les premiers juges avaient certes retenu que des clients avaient résilié leur mandat avec la société. Toutefois la prestation du gérant de fortune se caractérisait par une forte composante personnelle, de sorte que les clients étaient libres de suivre A______ chez N______ SA, la nature du contrat de mandat permettant aux clients de le résilier en tout temps. Etaient, en revanche, prohibées les démarches actives effectuées par l’employé encore sous contrat de travail. Vu le contenu identique des courriers de résiliation de mandat, le Tribunal a estimé que l'ancien employé avait préparé ou prêté son concours à la préparation de courriers type de résiliation accompagnés d'instructions précises pour des clients dont il s'occupait. Ces démarches ne constituaient cependant une violation du devoir de fidélité que si elles avaient été accomplies alors qu'il était encore employé de B______ SA. A cet égard seuls deux courriers de résiliation de mandat étaient connus de cette dernière le jour du licenciement immédiat.

Quoiqu'il en soit, la société n'avait pas suffisamment démontré son dommage, dès lors que la force probante du tableau de la pièce 65, établi par elle-même, était faible et que les montants y figurant n'étaient pas réconciliables avec ceux figurant sur les factures y relatives (pièce 65bis).

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance, dans les causes non patrimoniales ou dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure, est, comme en l'espèce, supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

Formé en temps utile et selon la forme prescrite par la loi auprès de l’autorité compétente (art. 124 let. a LOJ), l'appel est recevable (art. 130, 131, 219, 243 et 311 al. 1 CPC).

1.2 L'appel joint est également recevable (art. 145 al. 1 let. b et 313 al. 1 CPC).

Par souci de simplification, l'appelant principal sera désigné comme l'appelant, et l'appelante jointe comme l'intimée.

1.3 La Chambre de céans revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit. En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (art. 157 CPC en lien avec l'art. 310 let. b CPC; ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4D_72/2017 du 19 mars 2018 consid. 2).

La valeur litigieuse étant supérieure à 30'000 fr., la présente procédure est soumise aux maximes des débats et de disposition (art. 55 CPC cum 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC et 58 CPC).

L'intimé peut lui aussi, sans introduire d'appel joint, présenter des griefs dans sa réponse à l'appel, si ceux-ci visent à exposer que malgré le bien-fondé des griefs de l'appelant, ou même en s'écartant des constats et du raisonnement juridique du jugement de première instance, celui-ci est correct dans son résultat. L'intimé à l'appel peut ainsi critiquer dans sa réponse les considérants et les constats du jugement attaqué qui pourraient lui être défavorables au cas où l'instance d'appel jugerait la cause différemment (arrêt du Tribunal fédéral 4A_258/2015 du 21 octobre 2015 consid. 2.4.2 et les réf. cit.).

1.4 L'appelant conclut à l'irrecevabilité de la pièce 65bis produite à nouveau en appel par l'intimée, dont le contenu est nouvellement numéroté.

1.4.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuves nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

1.4.2 En l'espèce, cette pièce est recevable, dès lors qu'elle a déjà été produite en appel et qu'elle n'est ainsi pas nouvelle.

2.             L'appelant reproche au Tribunal d'avoir violé l'art. 337 CO en retenant que son licenciement avec effet était justifié, ainsi que l'art. 321a CO en considérant qu'il avait violé son devoir de fidélité.

Il soutient que les soupçons que nourrissait l'intimée n'avaient rien de graves ni de solides. Cette dernière avait agi intuitivement sur la base d'une vague "sentiment", sans prendre les mesures pour lever ses doutes. Les deux premières lettres de résiliation n'étaient, selon lui, pas identiques et leur ressemblance n'était de loin pas suffisante pour fonder les soupçons de l'intimée. De plus, la société n'avait effectué aucune démarche auprès des clients pour étayer ses soupçons. Elle n'avait pas non plus confronté son employé aux faits reprochés, décidant de le licencier alors qu'il était en arrêt de travail de courte durée, qu'elle aurait pu attendre son rétablissement ou lui poser de questions par email ou par courrier et qu'il ne lui restait que deux mois et demis avant la fin de son contrat de travail. La société aurait, selon lui, pu prendre des mesures moins dommageables à son encontre, telles que le libérer de son obligation de travailler ou suspendre son droit au salaire, le temps qu'une enquête soit menée sérieusement. L'intimée considère au contraire qu'au vu du contexte, il était légitime qu'elle soit très inquiète et qu'elle agisse rapidement. Elle avait, par ailleurs, procédé à toutes les vérifications que l'on pouvait attendre d'elle au moment de prendre sa décision de licencier l'appelant avec célérité en ayant contacté les deux clients qui avaient résilié leur mandat et en sollicitant une rencontre avec l'intimé, qui n'avait pas donné suite à sa demande.

L'appelant fait valoir que rien ne permet d'affirmer qu'il aurait démarché la clientèle et que tout laisse, au contraire, penser qu'il avait respecté ses devoirs envers l'intimée en préparant la passation lors des deux séances avec son remplaçant. Compte tenu du travail effectué pour transmettre les dossiers à son successeur, de la réaction tant des responsables (en particulier du désintérêt de C______) que de son successeur (qui avait "autre chose à faire") et de la léthargie de la société depuis l'annonce de sa démission, il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir respecté ses obligations après avoir donné sa démission.

De son côté, l'intimée relève qu'elle avait demandé à l'appelant d'assurer la transmission de ses dossiers à son remplaçant, processus qui devait durer jusqu'à la fin du préavis contractuel. Elle pensait qu'elle aurait le temps d'organiser correctement cette phase délicate et que l'appelant respecterait ses obligations, raisons pour laquelle le supérieur de ce dernier lui avait adressé un email d'instructions en ce sens et que la société n'avait pas envisagé, à tout le moins dans les premiers mois du préavis, de libérer son employé de son obligation de travailler, au grand dam de celui-ci. L'appelant avait décrété unilatéralement que la passation était terminée après seulement deux courtes séances, avant de vider son bureau et de se déclarer en arrêt maladie. Rien ne permet de retenir que, contrairement à ce que soutient l'appelant, la société se serait désintéressée de la clientèle et de la transition entre gérants ou qu'elle n'aurait pas pris les mesures nécessaires en vue d'une bonne passation. La présence de C______ n'était pas nécessaire. Et il n'y avait rien d'étonnant ou de répréhensible à ce que le gérant successeur, qui pensait avoir plusieurs mois pour reprendre les dossiers des clients avec l'appelant, ait évoqué d'autres tâches qu'il devait accomplir en même temps. Il convient également de replacer les évènements dans leur contexte, à savoir le début de la pandémie du COVID-19 conjuguée à une restructuration interne.

L'appelant soutient qu'il avait l'intention de revenir au travail après son arrêt et qu'il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'il ait commencé à rendre son matériel de travail, tout en gardant la possibilité de revenir dans les locaux de l'intimée, dans l'attente d'être libéré de son obligation de travailler. L'intimée considère, quant à elle, qu'en ayant vidé son bureau et détruit ses fichiers informatiques et ses emails, il s'était privé de tout moyen de travailler avant même d'être en incapacité de travail et alors qu'il lui restait trois mois de préavis contractuel à effectuer.

Selon l'ancien employé, il n'était pas surprenant qu'une partie de ses clients l'ait suivi dans ses projets au vu des liens de confiance noués depuis de nombreuses années.

Pour l'intimée, la concomitance entre la démission de l'appelant (qui faisait suite à l'accord avec N______ SA), la résiliation de plusieurs mandats de clients, puis le licenciement de ce dernier et la déferlante de résiliation qui avaient suivi ne laisse pas de place au doute sur le fait que son ancien employé a détourné sa clientèle et agi, alors qu'il était encore employé, en violation de son devoir de fidélité.

2.1 En vertu de l'art. 337 CO, l'employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1). Sont notamment considérés comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2).

La résiliation du contrat avec effet immédiat met fin au contrat de travail dès sa réception par son destinataire sans égard au fait que la résiliation soit justifiée ou non que le travailleur soit ou non dans une période de protection contre le licenciement en temps inopportun (art. 336c CO; Wyler/Heinzer, Droit du travail, 2019, p. 741).

Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1 Seul un manquement particulièrement grave peut justifier une telle mesure (ATF 142 III 579 consid. 4.2). Par manquement, on entend généralement la violation d'une obligation découlant du contrat de travail, comme par exemple le devoir de fidélité ou de loyauté (arrêt du Tribunal fédéral 4A_35/2017 du 31 mai 2017 consid. 4.3; Gloor, Commentaire du contrat de travail, 2013, n. 22 ad art. 337 CO; Aubert, Commentaire romand CO I, 3ème éd., 2021, n. 7 ad art. 337 CO), mais d'autres incidents peuvent aussi justifier une telle mesure (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; 130 III 28 consid. 4.1; 129 III 380 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_5/2021 du 9 mars 2021 consid. 3.1). 

Ce manquement doit être objectivement propre à détruire le rapport de confiance essentiel au contrat de travail ou, du moins, à l'atteindre si profondément que la continuation des rapports de travail ne peut raisonnablement pas être exigée; de surcroît, il doit avoir effectivement abouti à un tel résultat. Lorsqu'il est moins grave, le manquement ne peut entraîner une résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un avertissement (ATF 142 III 579 consid. 4.2; 130 III 213 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_379/2021 du 21 septembre 2021 consid. 4.1).

Il appartient à la partie qui se prévaut de justes motifs de résiliation immédiate d'en établir l'existence (art. 8 CC).

Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 in initio CO) et il applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC); à cet effet, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l'importance des incidents invoqués (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_60/2014 du 22 juillet 2014 consid. 3.2).

Savoir si le comportement incriminé atteint la gravité nécessaire dépend des circonstances du cas concret (ATF 142 III 579 consid. 4.2 et les arrêts cités).
Il est donc difficile d'établir un catalogue de comportements susceptibles de justifier un congé immédiat (arrêts du Tribunal fédéral 4A_287/2017 précité, ibid; 4A_397/2014 du 17 décembre 2014 consid. 3.1 in fine).

Un pouvoir d'appréciation large étant laissé au juge, il est erroné d'établir une casuistique en se focalisant sur un seul élément du comportement de l'employé congédié sorti de son contexte. La comparaison entre le cas objet de l'examen et d'autres décisions judiciaires doit être effectuée avec circonspection (arrêts du Tribunal fédéral 4C_247/2006 du 27 octobre 2006 consid. 2.6; 4A_60/2014 du 22 juillet 2014 consid. 3.2).

Dans son appréciation, le juge doit notamment tenir compte de la position et de la responsabilité du travailleur, du type et de la durée des rapports contractuels, de la nature et de l'importance des manquements (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1;
130 III 28 consid. 4.1; 127 III 351 consid. 4a), ou encore du temps restant jusqu'à l'échéance ordinaire du contrat (ATF 142 III 579 consid. 4.2). La position de l'employé, sa fonction et les responsabilités qui lui sont confiées peuvent entraîner un accroissement des exigences quant à sa rigueur et à sa loyauté (ATF 130 III 28 consid. 4.1; 108 II 444 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_206/2019 du 29 août 2019 consid. 4.2.1.; 4A_105/2018 du 10 octobre 2018 consid. 3.2.1; 4A_177/2017 du 22 juin 2017 consid. 2.3). Le comportement des cadres doit être apprécié avec une rigueur accrue en raison du crédit particulier et de la responsabilité que leur confère leur fonction dans l'entreprise (ATF 130 III 28 consid. 4.1; Wyler/Heinzer, op. cit., p. 716).

Une résiliation immédiate peut intervenir alors que le congé a déjà été signifié de manière ordinaire. Toutefois, il convient de se montrer d'autant plus strict dans l'admission du caractère justifié du licenciement immédiat que la durée du contrat qui reste à courir est faible (ATF 117 II 560 consid. 3b; 104 II 28 consid. 1 et 2b; arrêt du Tribunal fédéral 4C_210/1996 du 18 décembre 1996 consid. 5, in Pra 1997 n. 124 p. 670).

2.2 A raison de son obligation de fidélité, le travailleur est tenu de sauvegarder les intérêts légitimes de son employeur (art. 321a al. 1 CO) et, par conséquent, de s'abstenir de tout ce qui peut lui nuire économiquement (ATF 140 V 521 consid. 7.2.1; 124 III 25 consid. 3a 117 II 560 consid. 3a; arrêts du Tribunal fédéral 4A_54/2020 du 25 mars 2020 consid. 6.1; 4A_212/2013 du 10 octobre 2013 consid. 2.2). L'obligation de fidélité complète l'obligation de travailler en ce sens qu'elle confère au travail un but : la défense des intérêts de l'employeur (ATF 140 V 521 consid. 7.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_559/2016 précité, ibidem). 

D'une manière générale, l'employeur doit pouvoir compter sur la rectitude absolue du travailleur. La jurisprudence considère souvent comme particulièrement grave la violation de l'obligation de fidélité ou de loyauté (Aubert, in Commentaire romand, CO I, 2021, n. 10 ad art. 337 CO).

Ce devoir de fidélité n’est cependant pas illimité; il cède le pas devant les intérêts personnels légitimes du travailleur au développement libre de sa personnalité, notamment son intérêt à déployer d’autres activités (Dunand, Commentaire du contrat de travail, n. 17 ad art. 321a CO). Un travailleur peut donc, sans contrevenir à ses obligations découlant du contrat de travail, préparer une activité future en cours d'emploi. Lorsqu'il envisage de se mettre à son compte, il est en soi légitime qu'il puisse entreprendre des préparatifs avant que le contrat de travail ne prenne fin. Il ne viole son devoir de fidélité que lorsqu'il commence à exercer son activité, soit à faire concurrence à son employeur avant la fin du délai de congé, ou qu’il recrute des employés ou débauche des clients de son employeur. La limite entre les préparatifs admissibles et un véritable détournement de la clientèle n'est pas toujours facile à tracer (ATF 138 III 67 consid. 2.3.5; 117 II 72 consid. 4.a, in JdT 1992 I 569).

Sont notamment considérés comme des préparatifs admissibles pendant l’écoulement du délai de résiliation, la création et l’inscription d’une entreprise concurrente (ATF 117 II 72 précité consid. 4.b). Le travailleur ne viole pas son devoir de fidélité, si, envisageant avec d'autres de fonder une entreprise concurrente, il entreprend des préparatifs avant que le contrat de travail ne prenne fin, pour autant cependant qu'il ne commence pas à concurrencer son employeur, à débaucher des employés ou à détourner de la clientèle (ATF 138 III 67 consid. 2.3.5; arrêts du Tribunal fédéral 4A_397/2014 du 17 décembre 2014 consid. 3.1; 4A_212/2013 du 10 octobre 2013 consid. 2.2).

Le fait pour un employé licencié ou démissionnaire d'informer la clientèle, notamment celle qu'il avait déjà apportée lui-même, de son départ imminent ne constitue pas une violation du devoir de fidélité (arrêt de la Chambre d'appel des prud'hommes de Genève du 14 septembre 2011, in JAR 2012 p. 461 et la doctrine citée; arrêt du Tribunal cantonal de Saint-Gall du 31 mars 2009, in JAR 2010 p. 565; arrêt de la Chambre d'appel des prud'hommes de Genève du 10 janvier 1986, in JAR 1987 p. 119).

En revanche, il y a violation de l'obligation de fidélité si les préparatifs contreviennent à la bonne foi. C'est essentiellement le cas lorsque le travailleur se met à faire concurrence à son employeur avant la fin du délai de congé, par exemple en recrutant des employés ou en débauchant les clients (ATF 138 III 67 consid. 2.3.5; 123 III 257 consid. 5; 117 II 72 consid. 4a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_212/2013 du 10 octobre 2013 consid. 2.2).

Il n'existe pas de définition légale du "débauchage" ou "détournement" de clientèle. Il s'agit d'une notion développée par la jurisprudence et la doctrine. Certains auteurs le définissent largement comme le fait d'inciter un tiers lié par un contrat à y mettre fin pour l'amener à conclure un nouveau contrat avec soi-même ou avec un tiers. D'autres auteurs et certains tribunaux cantonaux sont plus restrictifs, réduisant le débauchage à l'acte d'incitation visé par l'art. 4 let. a LCD qui qualifie de déloyal l'acte de celui qui incite un client à rompre un contrat en vue d'en conclure un autre avec lui, étant précisé que l'on ne peut parler dans ce cas de rupture de contrat que lorsque ce dernier est violé (Joye, Débauchage d'employés et détournement de clientèle en droit de la concurrence déloyale, in Entreprise et propriété intellectuelle, CEDIDAC, 2010, p. 122 et les références citées; ATF 122 III 469 consid. 8a).

La limite entre les préparatifs admissibles et un véritable détournement de la clientèle n'est pas toujours facile à tracer (ATF 138 III 67 consid. 2.3.5).

Dans une précédente affaire genevoise (CAPH/7/2018 du 22 janvier 2018, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_116/2018 du 28 mars 2019), il a été retenu qu'au même titre que le fait de confier sa santé à un médecin ou ses problèmes juridiques à un avocat, la relation nouée entre un gestionnaire de patrimoine et un client reposait sur une confiance absolue. Ce rapport se construisait au fil du temps et se renforçait non seulement par les résultats obtenus, mais également par la disponibilité du gérant, sa capacité à rassurer le client et à régler d'éventuels problèmes.

2.3 Confronté à des divergences doctrinales, le Tribunal fédéral a retenu la licéité d'un congé-soupçon (arrêt du Tribunal fédéral 4A_365/2020 du 5 avril 2020 consid. 3.1.2). Il a considéré que lorsque l'employeur met immédiatement fin aux rapports de travail sur la base de soupçons, le licenciement sans préavis est justifié s'il peut prouver par la suite les circonstances dans lesquelles le rapport de confiance entre les parties doit être considéré comme irrémédiablement détruit. C'est donc en principe la situation effective qui prévaut, même lorsque celle-ci n'est établie qu'après la fin du contrat (arrêt du Tribunal fédéral 4A_251/2015-4A_253/2015 du 6 janvier 2016 consid. 3.2.3, reproduit dans La Semaine judiciaire 2016 I p. 425).

Il y a un licenciement dit "sur simple soupçon" ("Verdachtskündigung" ; "congé-soupçon"), si la résiliation se fonde sur des soupçons initialement justifiés de violation du contrat, voire de commission d'une infraction pénale, qui se sont toutefois révélés infondés (arrêt du Tribunal fédéral 4A_395/2015 du 2 novembre 2015 consid. 3.5). Selon les circonstances, il est possible que des soupçons qui se sont révélés infondés aient rendu intolérable la poursuite des rapports de travail. La légitimité d'une résiliation fondée uniquement sur des soupçons doit toutefois être exclue si la carence alléguée, si elle s'était réalisée, n'aurait pas été suffisante pour justifier un licenciement immédiat sans avertissement (arrêt du Tribunal fédéral 4C_112/2002 du 8 octobre 2002 consid. 6, avec références) ou si l'employeur n'a pas fait tout ce qui pouvait être exigé de lui pour vérifier l'exactitude des soupçons (arrêt du Tribunal fédéral 4A_419/2015 du 19 février 2016 consid. 2.1.2). Parmi les vérifications qui peuvent être exigées figure notamment l'audition de l'employé en question (arrêt du Tribunal fédéral 4A_419/2015 du 19 février 2016 consid. 2.4).

2.4 Dans le présent cas, il est constant que l'appelant était gestionnaire de fortune et qu'il occupait une position de cadre comme directeur adjoint de l'intimée. Il gérait environ 40 millions de francs d'avoirs de clients de l'intimée. L'appelant a résilié son contrat de travail, de manière ordinaire, le 22 avril 2020 pour le 31 juillet 2020. Il a allégué avoir démissionné sans avoir retrouvé un autre emploi, en raison de l'atmosphère tendue régnant dans la société à la suite de nombreux licenciements intervenus depuis la fin de l'année 2019. Il résulte toutefois de la procédure que l'appelant a, pendant le mois d'avril 2020, eu entre trois et cinq rencontres avec les associés de N______ SA, notamment en présence de P______, cofondateur de celle-ci, en vue de la signature d'un contrat de travail (témoins P______ et O______). Par conséquent, bien que le contrat de travail n'ait été signé que le 1er juin 2020, les termes de celui-ci ont été négociés en avril 2020 et l'engagement de l'appelant acquis dès cette date.

Par ailleurs, si l'appelant a demandé à être libéré de son obligation de travailler, l'intimée lui a clairement signifié son refus à cet égard. Ce nonobstant, l'appelant a, le 4 mai 2020, vidé l'intégralité de sa boîte de messagerie, transféré les dossiers dont il avait la charge et qui se trouvaient dans son bureau, au secrétariat, rendu son ordinateur mis à sa disposition par l'intimée pour le travail à domicile, emporté sa chaise de bureau et vidé l'ensemble de ses affaires personnelles. Ainsi, et dès la date précitée, l'appelant ne disposait plus, depuis son domicile, d'outils de travail, ni d'accès à ses emails professionnels, ni à aucune donnée relative à la clientèle.

Dès le lendemain, l'appelant a été en incapacité de travail.

Il résulte pour le surplus de la procédure que le jour précédent la démission de l'appelant, un client de longue date de l'intimée, Monsieur D., a résilié le mandat de gestion de l'un de ses comptes. Le 7 mai 2020, Madame C. a également résilié le mandat de gestion confié à l'intimée. Dans les deux semaines suivantes, presque tous les clients gérés par l'appelant ont résilié leur mandat dans les mêmes circonstances, correspondant à une masse sous gestion de 40 millions de francs. En effet, entre le 11 mai et le 18 mai 2020, J______ a reçu dix-sept nouvelles lettres de résiliation de mandat.

Le courrier de résiliation, dactylographié, de Madame C. n'était ni signé ni daté et mentionnait l'ancienne adresse de celle-ci. Y figurait un post-it, identique à ceux utilisés par l'intimée pour indiquer l'endroit où la signature devait être apposée. Cette lettre était par ailleurs identique au courrier adressé par Monsieur D., alors même que les deux clients ne se connaissaient pas.

C'est dès lors à raison que le Tribunal a retenu que ce pli était déjà à lui seul propre à éveiller les soupçons de l'intimée quant à un détournement de la clientèle.

A raison également, les premiers juges ont retenu que les autres lettres de résiliation étaient rédigées de manière identique aux premiers courriers précités de Monsieur D. et Madame C., hormis certaines comportant un motif de départ, une phrase introductive différente (telle que par exemple "je vous prie de radier" en place de "je vous prie de bien vouloir radier"), les expressions "attribué à l'époque" (au lieu de "conféré en son temps"), "prochainement" ou "sous peu" (au lieu de "dans un délai proche") ou encore, à une reprise, la phrase "de nouvelles instructions quant audit compte vous parviendront prochainement".

Il résulte de ce qui précède que l'appelant a préparé les courriers de résiliation pour les clients dont il s'occupait, comportement nuisant économiquement à son employeur de l'époque, l'intimée.

Dès réception du pli de Madame C., l'intimée a pris contact avec celle-ci, laquelle s'était montrée surprise et mal à l'aise. Elle avait indiqué à E______, conversation téléphonique à laquelle D______ avait également assisté, dans un premier temps que la banque s'était trompée s'agissant de la résiliation du mandat, puis dans un second temps avait confirmé sa volonté de mettre un terme à leur relation contractuelle. Le même jour, le premier nommé avait également pris contact avec Monsieur D., lequel avait justifié la résiliation du mandat par sa volonté de conclure une nouvelle assurance, alors que la fiche administrative du client préparée par l'appelant mentionnait la volonté de celui-là de rapatrier ses fonds.

Dès ce moment, l'intimée a nourri des doutes légitimes quant à la probité de l'appelant, soupçonnant un détournement de clientèle. L'appelant n'a pas donné suite à l'entrevue fixée par l'intimée en vue de recueillir sa position.

L'intimée a dès lors entrepris tout ce qui pouvait être exigé d'elle, avant de procéder au licenciement immédiat de l'appelant.

Il résulte des enquêtes diligentées par les premiers juges que, contrairement aux allégations de l'appelant, l'apport de clientèle avait été traité avec l'appelant lors des discussions en vue de son engagement et que ce dernier s'était exécuté, en ce sens qu'au jour de l'audition du témoin, les nouveaux clients auprès de N______ SA représentaient une masse sous gestion d'environ 40 à 50 millions de francs (témoin P______), correspondant aux avoirs que l'appelant gérait précédemment pour l'intimée.

Compte tenu des éléments qui précèdent, l'appelant, qui occupait une position de cadre au sein de l'intimée, a - gravement - violé son devoir de fidélité, en débauchant de manière déloyale la totalité de la clientèle dont il s'occupait pour l'intimée. Ce comportement a entraîné une rupture irrémédiable du lien de confiance. L'intimée a dès lors démontré la violation du devoir de fidélité de l'appelant, de sorte qu'elle disposait d'un juste motif pour résilier, le 12 mai 2020, avec effet immédiat, le contrat de travail la liant à l'appelant.

2.5 Le grief de l'appelant est ainsi infondé, de sorte que le chiffre 3 du dispositif du jugement sera confirmé sur ce point.

Il n'est dès lors pas nécessaire d'examiner les autres prétentions de l'appelant.

3. L'intimée réclame le paiement de 1'028'396 fr. 40 avec intérêts à 5% dès le 1er octobre 2020 (date moyenne) à titre de dommages-intérêts.

Elle reproche au Tribunal d'avoir violé l'art. 321e al. 1 CO en retenant qu'elle n'avait pas suffisamment démontré son dommage. Elle rappelle que la pièce 65 a été établie par l'assistante de l'appelant, que les factures justificatives y relatives (pièce 65bis) sont toutes signées par ce dernier, lequel ne signait que les factures de ses propres clients, que les montants figurant sur la pièce 65 proviennent de la pièce 65bis, les quelques différences minimes résultant soit du change entre l'euro et le franc suisse, soit de frais bancaires apparents dans le tableau, mais non répercutés sur les factures, et que la moyenne des commissions calculées sur cinq ans correspond à 0,85% de la masse sous gestion de l'appelant (environ 40 millions de francs), soit la rémunération usuelle en matière de gestion de fortune.

L'appelant remet en cause la fiabilité de la pièce 65 et considère que rien ne permet d'affirmer que les chiffres indiqués correspondent à des clients dont il s'occupait ou qui l'aurait suivi. Il conteste également tout lien de causalité entre la prétendue violation de ses obligations et le dommage allégué.

3.1 Selon l'art. 321e al. 1 CO, le travailleur répond du dommage qu'il cause à l'employeur intentionnellement ou par négligence. Comme toute responsabilité contractuelle, la responsabilité du travailleur suppose la réalisation de quatre conditions: un dommage, la violation d'une obligation contractuelle, un rapport de causalité naturelle et adéquate entre ladite violation et le dommage ainsi qu'une faute intentionnelle ou par négligence (arrêts du Tribunal fédéral 4A_402/2021 du 14 mars 2022 consid. 5.1; 4A_310/2007 du 4 décembre 2007 consid. 6.2). Ces conditions sont cumulatives. Il suffit que l'une d'elles fasse défaut pour que la demande doive être rejetée.

L'employeur doit prouver la violation contractuelle, le dommage et le lien de causalité, tandis que le travailleur peut prouver qu'il n'a pas agi fautivement (ATF 144 III 327 consid. 4.2.1 et les références citées).  

Le dommage réside dans la diminution involontaire de la fortune nette; il correspond à la différence entre le montant actuel du patrimoine du lésé et le montant que ce même patrimoine aurait si l'événement dommageable ne s'était pas produit (ATF 147 III 463 consid. 4.2.1; 132 III 359 consid. 4; 129 III 331 consid. 2.1; 128 III 22 consid. 2e/aa; 127 III 73 consid. 4a; cf. en matière de responsabilité du travailleur ATF 123 III 257 consid. 5d). Il peut se présenter sous la forme d'une diminution de l'actif, d'une augmentation du passif, d'une non-augmentation de l'actif ou d'une non-diminution du passif (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 4A_480/2021 du 9 novembre 2022 consid. 3.3). L'on peut se fonder sur le taux de marge bénéficiaire pour calculer le manque à gagner subi (cf. notamment arrêt du Tribunal fédéral 4A_185/2007 du 20 septembre 2007; cf. également JAR 1996 p. 284).

Il appartient à l'employeur de prouver l'existence du dommage et son ampleur, ainsi que la violation, par le travailleur, de ses obligations contractuelles et le rapport de causalité entre cette violation et le dommage (ATF 97 II 145 consid. 5b; arrêt du Tribunal fédéral 4C_323/1995 du 13 janvier 1997 consid. 4e).

3.2 Selon l'art. 42 al. 2 CO, lorsque le montant exact du dommage ne peut être établi, le juge le détermine équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée.

L'art. 42 al. 2 CO allège le fardeau de la preuve, mais ne dispense pas le lésé de fournir au juge, dans la mesure du possible, tous les éléments de fait constituant des indices de l'existence du préjudice et permettant l'évaluation ex aequo et bono du montant du dommage. Les circonstances alléguées par le lésé doivent faire apparaître un dommage comme pratiquement certain; une simple possibilité ne suffit pas pour allouer des dommages-intérêts. L'allègement du fardeau de la preuve prévu par l'art. 42 al. 2 CO doit être appliqué de manière restrictive. Il n'entre en ligne de compte que si le préjudice est très difficile, voire impossible, à établir, si les preuves nécessaires font défaut ou si l'administration de celles-ci ne peut raisonnablement être exigée du lésé (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1418/2019 du 5 février 2020 consid. 4.1 et les références citées; 4A_396/2015 du 9 février 2016 consid. 6.1).

Si le lésé ne satisfait pas entièrement à son devoir de fournir des éléments utiles à l'estimation du dommage, l'une des conditions dont dépend l'application de l'art. 42 al. 2 CO n'est pas réalisée, alors même que, le cas échéant, l'existence d'un dommage est certaine. Le lésé est alors déchu du bénéfice de cette disposition; la preuve du dommage n'est pas rapportée et, en conséquence, conformément au principe de l'art. 8 CC, le juge doit refuser la réparation (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1418/2019 précité consid. 4.1 et les références citées; 4A_175/2018 du 19 novembre 2018 consid. 4.1.1; 4A_97/2017 du 4 octobre 2017 consid. 4.1.3).

3.3 Selon l'art. 394 al. 1 CO, le mandat est un contrat par lequel le mandataire s'oblige, dans les termes de la convention, à gérer l'affaire dont il s'est chargé ou à rendre les services qu'il a promis.

Le mandat peut être révoqué ou répudié en tout temps (art. 404 al. 1 CO).

3.4 En l'espèce, conformément aux principes rappelés ci-avant, le dommage dont l'intimée peut demander la réparation est uniquement constitué de la perte de bénéfice net qu'elle aurait éprouvée. Il lui appartenait dès lors de démontrer son bénéfice net afin d'estimer ses gains prévisibles. Si le montant des commissions facturées aux clients les années précédant la résiliation des mandats a été prouvé, il s'agissait encore pour l'intimée d'apporter les pièces permettant de définir son bénéfice net, soit le produit de son activité après déduction de toutes les charges applicables. L'intimée n'a toutefois pas versé à la procédure les éléments propres à déterminer son bénéfice net. Elle n'a pas non plus fourni d'indication utile permettant d'évaluer, en pourcentage, la proportion du bénéfice net par rapport à la perte de chiffre d'affaires alléguée. Le dossier ne comporte ainsi pas suffisamment d'éléments pour établir le dommage ou pour l'évaluer, ne serait-ce qu'approximativement. Par ailleurs, l'intimée a comptabilisé les commissions de ses clients sur trois années, alors que le contrat de mandat est résiliable en tout temps par le mandant. Par conséquent, l'intimée a failli à son devoir d'apporter la preuve de son prétendu dommage. Ce constat scelle le sort de l'appel joint, de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'examiner les autres conditions de l'art. 321e CO.

3.5 Le chiffre 4 du dispositif du jugement entrepris sera dès lors confirmé.

4. L'intimée remet en cause la répartition des frais judiciaires de première instance opérée par le premier juge.

Elle fait valoir que, l'appelant ayant été débouté de l'intégralité de ses conclusions et la procédure ayant été introduite à son initiative, une répartition équitable des frais sur la base de l'art. 107 al. 1 CPC aurait commandé qu'il assume la totalité de frais de justice en découlant. Certes elle avait elle-même formulé des conclusions en paiement, mais qu'à titre reconventionnel, et l'administration des preuves y relatives n'avait pas engendré de démarches particulières par les premiers juges au-delà de ce qui aurait de toute manière été nécessaire pour trancher les prétentions de l'appelant.

4.1 A teneur de l'art. 106 al. 1, 1ère phrase CPC, les frais - qui comprennent les frais judiciaires et les dépens (art. 95 al. 1 CPC) - sont mis à la charge de la partie succombante. Lorsqu'aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, les frais sont répartis selon le sort de la cause (art. 106 al. 2 CPC).

Cette disposition suppose une répartition des frais judiciaires et des dépens en fonction de l'issue du litige comparée avec les conclusions prises par chacune des parties (arrêt du Tribunal fédéral 4A_226/2013 du 7 octobre 2013 consid. 6.2, publié in RSPC 2014 p. 19). Le poids accordé aux conclusions tranchées, peut, de cas en cas, être apprécié selon différents critères, par exemple selon leur importance respective dans le litige (arrêt du Tribunal fédéral 5A_5/2019 du 4 juin 2019 consid. 3.3.1 et les autres références). Au vu de la diversité des critères, il n'y a pas qu'une seule solution qui soit conforme au droit fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 4A_511/2015 du 9 décembre 2015 consid. 2.2). Il résulte des termes " sort de la cause " utilisés à l'art. 106 al. 2 CPC que, dans la répartition des frais, le juge peut notamment prendre en considération l'importance de chaque conclusion dans le litige, de même que le fait qu'une partie a obtenu gain de cause sur une question de principe. De surcroît, cette circonstance est expressément prévue par l'art. 107 al. 1 lit. a CPC dans le cas analogue où la demande est certes admise sur le principe, mais pas pour le montant réclamé (arrêt du Tribunal fédéral 4A_207/2015 du 2 septembre 2015 consid. 3.1). Le juge peut donc pondérer ce que chaque partie obtient en tenant compte du fait que certaines prétentions sont plus importantes que d'autres dans le procès (Tappy, op. cit., n. 34 ad art. 106 CPC).

Le principe selon lequel les frais doivent être répartis selon l'issue du procès repose sur l'idée que les frais doivent être supportés par celui qui les a occasionnés, étant présumé que tel est le cas de la partie qui succombe (ATF 145 III 153 consid. 3.3.1; 119 Ia 1 consid. 6b).

C'est selon l'ensemble des circonstances du cas concret que l'on doit décider si une partie obtient gain de cause en tout ou partie et, en cas de gain partiel, comment les frais doivent être répartis (arrêt du Tribunal fédéral 5A_197/2017 du 21 juillet 2017 consid. 1.3.2).

Le tribunal peut s'écarter des règles érigées à l'art. 106 CPC et répartir les frais selon sa libre appréciation, en statuant selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC), dans les hypothèses prévues par l'art. 107 CPC (ATF 139 III 33 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_5/2019 précité et les autres références). Il résulte du texte clair de l'art. 107 CPC que cette disposition est de nature potestative. Le tribunal dispose d'un large pouvoir d'appréciation non seulement quant à la manière dont les frais seront répartis, mais également quant aux dérogations à la règle générale de l'art. 106 CPC (ATF 139 III 358 consid. 3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_816/2013 du 12 février 2014 consid. 4.1; 4A_226/2013 du 7 octobre 2013 consid. 6.2).

Vu le caractère de "Kann-Vorschrift" de l'art. 107 CPC, la justification de la dérogation est qu'une répartition en fonction du sort de la cause serait inéquitable (Tappy, op. cit., n. 8 ad art. 107 CPC).

4.2 In casu, tant l'appelant que l'intimée ont été déboutés, en premier instance, de l'ensemble de leurs conclusions principales et reconventionnelles, déboutements confirmés dans la présente décision. Conformément aux principes rappelés ci-avant, il y a lieu de prendre en considération, pour répartir les frais judiciaires, des conclusions de toutes les parties. La valeur litigieuse de la demande principale s'élevait à 187'614 fr. 05 et celle de la demande reconventionnelle à 1'028'396 fr. 40, soit une valeur litigieuse totale de 1'216'010 fr. 05. Les conclusions de l'appelant représentaient ainsi 15,42% de la valeur globale et celles de l'intimée de 84,58%. Les premiers juges ont arrêté le montant des frais judiciaires – non contesté – à 11'880 fr. Dans la mesure où chaque partie a succombé dans ses conclusions, c'est à bon droit que le Tribunal a réparti les frais en tenant compte de la valeur litigieuse des conclusions de chacune d'elles et a mis à la charge de l'appelant à raison de 1'880 fr. et à charge de l'intimée à hauteur de 10'000 fr. La décision est par conséquent exempte de toute critique, de sorte que l'intimée sera déboutée de ses conclusions sur ce point.

5. Au vu de ce qui précède, le jugement entrepris sera entièrement confirmé.

6. Au regard de la valeur litigieuse supérieure à 50'000 fr., il y a lieu de percevoir des frais judiciaires pour la procédure d'appel (art. 114 let. c cum 116 al. 1 CPC; art. 19 al. 3 let. c LaCC; art. 71 RTFMC).

Les frais judiciaires de seconde instance seront arrêtés à 1'890 fr. pour l'appel principal et à 10'000 fr. pour l'appel joint (art. 71 TRFMC), compensés avec les avances de frais fournies à hauteur de 1'890 fr. par l'appelant et de 10'000 fr. fournie par l'intimée, qui restent acquises à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Compte tenu de l'issue du litige, ils seront répartis, comme retenu ci-dessus, en tenant compte de la valeur litigieuse de leurs prétentions et, par conséquent, mis à raison de 1'890 fr. à la charge de l'appelant et à raison de 10'000 fr. à la charge de l'intimée (art. 95 et 106 al. 1 CPC).

Il n'est pas alloué de dépens dans les causes soumises à la juridiction des prud’hommes (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 4 :


A la forme
:

Déclare recevable l'appel interjeté le 4 juillet 2022 par A______ contre le jugement JTPH/170/2022 rendu le 2 juin 2022 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/11007/2020-4.

Déclare recevable l'appel joint interjeté le 13 septembre 2022 par B______ SA contre les chiffres 4, 7 et 8 du dispositif dudit jugement.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de l'appel principal à 1'890 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont entièrement compensés avec l'avance de frais effectuée, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève.

Arrête les frais judiciaires de l'appel joint à 10'000 fr., les met à la charge de B______ SA et dit qu'ils sont entièrement compensés avec l'avance de frais effectuée, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Nadia FAVRE, juge employeur; Madame Ana ROUX, juge salarié; Monsieur Javier BARBEITO, greffier.


 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.