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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/9820/2019

ACJC/1070/2023 du 28.08.2023 sur JTBL/124/2022 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/9820/2019 ACJC/1070/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 28 AOUT 2023

Entre

Madame A______, domiciliée ______[GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 15 février 2022, représentée par l’ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle elle élit domicile,

 

et

B______ SA, sise ______[ZH], intimée, comparant par Me Emmanuelle GUIGUET-BERTHOUZOZ, avocate, rue du Général-Dufour 11, 1204 Genève, en l’Etude de laquelle elle élit domicile.

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/124/2022 du 15 février 2022, le Tribunal des baux et loyers a déclaré efficace le congé notifié à A______ le 29 avril 2019 pour le 31 mai 2019 portant sur l’appartement de 4 pièces situé au 7ème étage de l’immeuble sis no. ______, rue 1______ à Genève, ainsi que sur la place de parc située au 1er sous-sol du même immeuble (ch. 1 du dispositif), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

En substance, les premiers juges ont retenu que les conditions posées par l’art. 257f al. 3 CO à la résiliation extraordinaire du bail étaient réunies, en particulier s’agissant de l’existence d’un trouble à la paix de l’immeuble, au caractère insupportable et ayant perduré malgré une mise en demeure assortie de la menace de résiliation du bail.

B. a. Par acte déposé au greffe universel le 28 mars 2022, A______ a formé appel contre ce jugement. Elle en a sollicité l'annulation et conclu, principalement, au déboutement de B______ SA de l’entier de ses conclusions.

b. Dans sa réponse du 12 mai 2022, B______ SA a conclu à la confirmation du jugement entrepris.

c. Le 7 juin 2022, A______ a répliqué et persisté dans ses conclusions.

d. Le 14 juin 2022, B______ SA a dupliqué et persisté dans ses conclusions.

e. Les parties ont été avisées le 3 août 2022 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. En dates des 19 et 21 avril 2010, B______ SA, bailleresse, et A______, locataire, ont signé un contrat de bail portant sur la location d’un appartement de quatre pièces au septième étage de l’immeuble sis no. ______, rue 1______ à Genève.

Le bail a été conclu pour une durée indéterminée, résiliable à la fin de chaque mois (sauf décembre), moyennant un préavis de trois mois.

Le loyer annuel a été fixé en dernier lieu et à compter du 1er août 2011 à 17'508 fr. par mois, charges de 1'800 fr. de chauffage/eau chaude et 3'000 fr. de frais accessoires non comprises.

b. Depuis le 1er juillet 2010, les parties sont également liées par un contrat de bail à loyer portant sur la location d’une place de parc située au 1er sous-sol du même immeuble.

De durée indéterminée, ledit contrat peut être résilié à la fin de chaque mois (sauf décembre), moyennant un préavis de trois mois.

Le loyer annuel a été fixé à 1’920 fr.

c. A______ occupe l’appartement avec ses deux enfants. Depuis environ 2018, son nouveau compagnon a vécu chez elle la moitié du temps.

d. En date du 8 mars 2019, C______, voisine de palier de A______, s’est plainte auprès de la régie en charge de la gestion de l’immeuble (ci-après : la régie) de nuisances régulières causées au milieu de la nuit par A______ et son compagnon, malgré l’envoi d’un courrier en ce sens à l’intéressée.

e. Le 9 avril 2019, D______, habitant au 6ème étage de l’immeuble concerné, a sollicité de la régie qu’elle intervienne auprès de A______ pour faire cesser le bruit difficilement supportable et qui l’empêchait de dormir depuis plusieurs mois.

À titre d’exemple, elle citait des disputes conjugales extrêmement violentes à des heures tardives de la nuit, des odeurs de cigarette et de cannabis perceptibles dans sa cuisine et ses toilettes invités, des nuisances liées à l’usage de la machine à laver le linge après 22h, ainsi que des va-et-vient nocturnes de personnes aux comportements étranges la faisant se sentir en insécurité.

Les démarches entreprises directement auprès de A______ étaient demeurées vaines.

f. Par courrier du 11 avril 2019, C______ a réitéré ses plaintes à la régie au sujet des nuisances sonores provenant de l’appartement occupé par A______, lesquelles commençaient entre 23h et minuit et duraient jusqu’au petit matin et consistaient notamment en des bruits de bricolage au moyen de marteaux et d’objets lourds, de disputes violentes, de cris et de musique.

g. Par pli du 15 avril 2019, la régie a informé A______ du fait qu’elle avait reçu, pour la seconde fois, des doléances concernant son comportement, lequel perturbait la quiétude du bâtiment. Elle indiquait que le voisinage était continuellement dérangé par ses tapages nocturnes (disputes, cris, claquement de portes, déplacement de mobiliers, casse d’objets, hurlements, etc.) provenant de son appartement.

A______ était mise en demeure de cesser immédiatement ces comportements, à défaut de quoi le bail serait résilié de manière anticipée, conformément à l’article 257f al. 3 CO.

Le courrier, adressé en recommandé, n’a pas été réclamé par A______ dans le délai de garde échéant au 24 avril 2019 et a été retourné à B______ SA.

h. Le 29 avril 2019, D______ s’est à nouveau plainte à la régie de la situation insupportable causée par la locataire, cette fois-ci, en raison de tiers sonnant – depuis plus d’une semaine – à son interphone dès 22h pour se faire ouvrir la porte au motif de voir le compagnon de A______. Par ailleurs, la police avait dû être appelée la veille suite à une violente dispute ayant opposé de 3h30 à 7h20 du matin A______ à son compagnon, dont il était soupçonné qu’ils étaient toxicomanes.

i. Par avis de résiliation du 29 avril 2019, B______ SA a résilié le bail de l’appartement et de la place de parc pour le 31 mai 2019.

j. Par courriels du 2 mai 2019, A______ a contesté auprès de la régie le caractère récurrent des nuisances sonores, lesquelles avaient surtout été concentrées sur une période. Elle a par ailleurs précisé que son compagnon avait temporairement quitté le logement et ne reviendrait pas dans les mêmes conditions, de sorte qu’il n’y aurait pas de nouvelles disputes nocturnes.

k. A______ a contesté le congé par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers le 3 mai 2019.

l. De nouvelles plaintes ont été adressées à la régie en relation avec les nuisances provenant de l’appartement concerné les 23 mai, 3 juin et 14 août 2019, par D______, laquelle a indiqué à la régie que la situation demeurait pénible à vivre, en particulier en raison des divers bruits et cris provenant de l’appartement de A______, aussi bien le jour que la nuit, et, le 27 mai 2019, par C______, laquelle a également réitéré ses plaintes quant aux nuisances provenant de l’appartement concerné.

m. Déclarées non conciliées à l’audience de la Commission de conciliation du 4 juillet 2019, les causes C/9820/2019 (contestation du congé portant sur l’appartement) et C/2______/2019 (contestation du congé portant sur le parking) ont été portées devant le Tribunal le 3 septembre 2019, A______ concluant à l’inefficacité du congé, subsidiairement, à son annulation et, plus subsidiairement, à l’octroi d’une prolongation de bail.

n. Par ordonnance du 20 septembre 2019, le Tribunal a ordonné la jonction des causes C/9820/2019 et C/2______/2019 sous numéro C/9820/2019.

o. Dans sa réponse du 21 octobre 2019, B______ SA a conclu à la validation de la résiliation, au refus de toute prolongation et au déboutement de A______ de toutes ses conclusions.

p. Lors de l’audience du 4 février 2020, B______ SA a déposé un chargé de pièces complémentaire comprenant des courriers de plaintes de C______ et de D______ des 25 septembre 2019, respectivement, 11 décembre 2019 et 14 janvier 2020.

Le conseil de B______ SA a confirmé qu’une seule mise en demeure avait été adressée à l’intéressée. Antérieurement, il y avait eu des appels téléphoniques.

A______ a déclaré qu’un seul appel de la régie avait eu lieu avant la mise en demeure. Elle a contesté partiellement les faits qui lui étaient reprochés dans le contexte du congé en exposant que les reproches formulés étaient exagérés. La période la plus compliquée remontait effectivement aux mois d’avril et mai 2019. Son compagnon faisait l’objet de crises de colère assez violentes qu’elle avait toujours essayé de contenir. Elle le calmait quand il commençait à crier. Les voisins l’entendaient lui parler pour le calmer et ils ne lui avaient jamais rien reproché à elle. Son compagnon était actuellement suivi par un psychiatre et sous traitement et il n’avait plus eu aucune crise depuis un certain temps. Ses enfants n’avaient jamais été réveillés par ses crises de sorte qu’elle estimait que les reproches étaient exagérés. Elle reconnaissait qu’il lui était arrivé de se disputer dans l’appartement avec son compagnon et elle concevait que la période avant le congé avait pu déranger des voisins. Les reproches provenaient exclusivement de D______, laquelle avait le sommeil très léger. Elle ne lui avait parlé qu’une seule fois. Les autres contacts avaient eu lieu avec son compagnon qui était d’une telle agressivité qu’il était impossible d’échanger avec lui. Lors des derniers échanges avec ce dernier toutefois, il lui avait fait part d’améliorations, soit de diminution des nuisances. Sa voisine de palier, C______, lui avait fait des reproches à une époque, mais elle lui avait confirmé que depuis un certain temps, il n’y avait plus de nuisances. La police était intervenue sur appel du voisinage à deux reprises.

Les odeurs de cannabis ne provenaient pas de chez eux car ils n’en consommaient pas, de même que leurs amis. Son compagnon ne prenait aucun stupéfiant. Les odeurs de cannabis provenaient d’en-dessus de chez elle, à savoir de la famille de E______, les jeunes fumant sur le balcon. D______ se plaignait de la fumée tout court, de sorte qu’elle ne pouvait même plus fumer des cigarettes. Il était vrai qu’elle avait reçu pas mal d’amis à des heures parfois incongrues. S’agissant d’un ami qui avait insulté l’ami de D______ par interphone en janvier 2020, il s’agissait d’un épisode isolé.

A______ a pour le surplus contesté l’existence de violentes disputes toutes les nuits telles que cela ressortait du courrier de plainte du 11 décembre 2019.

F______, employée de la régie, a déclaré avoir eu, outre des courriers envoyés, également des entretiens téléphoniques avec D______ et C______, ainsi qu’à une reprise avec G______, habitant du 6ème étage, qui l’avait contactée concernant la situation générale dans l’immeuble et qu’elle avait questionné au sujet des problèmes avec la locataire. Plusieurs autres personnes l’avaient contactée mais ne voulaient pas figurer sur la liste de témoins par peur de représailles.

q. En date du 2 juin 2020, B______ SA a fait parvenir au Tribunal copie d’un courriel de D______ du 29 mai 2020 se plaignant d’avoir subi de nouvelles nuisances la veille, dans la nuit, qui l’avaient contrainte à monter dans l’appartement de A______. Une brigade d’intervention de la police, accompagnée de chiens, était déjà en train d’intervenir dans l’appartement concerné.

r. Lors des audiences des 22 septembre 2020, 12 mars et 7 septembre 2021, le Tribunal a entendu plusieurs témoins.

C______ (habitant au 7ème étage de l’immeuble concerné depuis mai 2018 et dont la chambre est mitoyenne avec la cuisine de A______), D______ (habitant au 6ème étage de l’immeuble concerné depuis quatre ans, juste en-dessous de l’appartement de A______), ainsi que son compagnon, H______ (fréquemment chez elle), ont confirmé l’existence de nuisances sonores nocturnes, à tout le moins depuis mai 2018. Les témoins ont fait état de bruits de coups, de disputes, de cris, de musique ou encore de chutes de meubles, d’objets et de vaisselle. Ils ont également évoqué des allées et venues de personnes dans l’immeuble engendrant un sentiment d’insécurité et de peur, ces va-et-vient ayant toutefois quasiment cessé depuis le début de l’année 2020. Selon H______, il s’agissait de personnes ne paraissant pas en pleine possession de leurs moyens.

D______ et H______ ont déclaré avoir eu peur pour A______ et ses enfants et avoir appelé la police. À une autre occasion, la police avait inspecté l’appartement litigieux avec des chiens. D______ a précisé que d’autres voisins s’étaient plaints de ces nuisances. Elle a encore dit avoir senti des odeurs de cigarette et de cannabis provenant de leur appartement en sortant de l’ascenseur. H______ a précisé que l’immeuble était mal insonorisé, de sorte que l’on entendait toutes les disputes.

C______ et D______ ont exposé que les nuisances subies avaient eu des répercussions sur leur santé, en particulier quant au fait qu’elles devaient travailler, alors qu’elles étaient épuisées, ne parvenant pas à dormir. Pour C______, la situation avait accentué sa détresse. D______ avait beaucoup de mal à s’endormir ; il était extrêmement violent de se faire réveiller la nuit avec de tels bruits et impossible de se rendormir après. H______ a confirmé que sa compagne ne se sentait pas en sécurité et ne dormait plus la nuit. De son côté, il n’avait pas souffert d’insécurité, mais plutôt d’angoisse de ne pas pouvoir dormir et de voir sa compagne anxieuse, angoissée et aller au travail fatiguée. Au jour de l’audience, il dormait mieux la nuit mais le contexte était toujours présent.

C______ a exposé n’avoir pas contacté immédiatement la régie, ayant perdu son compagnon peu de temps auparavant et n’ayant pas la force d’entreprendre des démarches. Elle estimait que la meilleure solution était de parler à ses voisins et avait glissé dans leur boîte aux lettres une lettre dans laquelle elle les priait de la laisser dormir. Faute d’effet, elle avait finalement écrit à la régie. D______ avait mis neuf mois à un an avant de contacter la régie, car elle avait voulu régler l’affaire à l’amiable avec A______, ce qu’elle avait tenté de faire à de nombreuses reprises.

Selon les témoins, la situation s’était améliorée depuis le début de l’année 2020 environ, les bruits étaient supportables en terme d’intensité et de durée et il y en avait beaucoup moins. D______ a déclaré que depuis début 2020, la situation s’était calmée et A______ lui avait même donné une carte pour s’excuser. Son compagnon s’était également excusé à une reprise, deux ans auparavant, lorsqu’elle l’avait croisé dans l’ascenseur. C______ estimait pouvoir supporter la situation si elle perdurait ainsi. En revanche, D______ craignait que tout redevienne comme avant une fois la procédure terminée. Ne souhaitant pas revivre une situation qui avait été pour elle invivable et très traumatisante, elle n’était pas sûre de pouvoir laisser une deuxième chance à A______, laquelle ne se rendait toujours pas compte de l’impact qu’avait eu cette situation sur elle. H______ estimait avoir donné une deuxième chance à A______ en tentant, sans succès, d’instaurer un dialogue. Même si cela le peinait, il n’était pas disposé à lui accorder une nouvelle chance, en dépit du fait qu’il n’y avait plus de problèmes depuis environ une année.

G______ (habitant au 6ème étage de l’immeuble concerné depuis 18 ans) et I______ (habitant au même étage que A______ depuis 15 ans et dont la chambre est mitoyenne avec celle de cette dernière) ont également fait état de bruits nocturnes, générés par des disputes, les ayant réveillés.

E______ (habitant au 5ème étage de l’immeuble concerné depuis 2013), a déclaré avoir entendu des bruits forts et des disputes à plusieurs reprises en 2019, durant la nuit, aux alentours de 2h à 4h du matin, en provenance du 7ème ou 8ème étage, mais n’avoir alerté ni la régie ni la police.

Les témoins ne constataient plus de bruit depuis le début de l’année 2020 à tout le moins. Ils n’avaient pas été incommodés par des odeurs de cannabis. G______ et I______ n’avaient pas été voir A______. Ils n’avaient pas non plus appelé la police, ni alerté la régie.

G______ avait parfois croisé des personnes qu’il ne connaissait pas, en particulier des personnes avec un chien et « pas très sécurisantes », mais personne n’avait sonné à son interphone le soir ou la nuit. I______ et E______ n'avaient pas remarqué d’allées et venues particulières dans l’immeuble.

G______ connaissait A______ avant la période de bruits nocturnes. Ils avaient une bonne entente et il était prêt à laisser une seconde chance à A______.

J______ (habitant au 15ème étage de l’immeuble concerné depuis 35 ans), a déclaré ne pas se souvenir avoir été dérangé par des locataires de l’immeuble et n’avoir aucun reproche à formuler à l’adresse de A______. Il y avait certaines allées et venues dans l’immeuble, lesquelles ne le dérangeaient pas, mais il ne pouvait pas dire si ces personnes se rendaient chez A______. Il n’avait pour le surplus jamais senti d’odeur de cannabis, ni d’autres stupéfiants dans l’immeuble.

Lors de l’audience du 7 septembre 2021, A______ a produit une lettre d’excuse datée du 22 avril 2021, adressée à D______ et à son compagnon.

Elle a déclaré qu’elle avait eu « un gros bas » dans sa vie et qu’elle ne minimisait pas ce qui s’était passé. Elle n’avait pas conscience des conséquences sur D______. Elle allait actuellement beaucoup mieux et avait recommencé à travailler le 1er juin 2021. La procédure avait agi comme un déclic et elle s’était rendue compte qu’elle risquait de perdre son appartement. Elle souhaitait qu’un délai d’épreuve lui soit accordé, même long, et que la procédure soit suspendue pendant ce temps, afin de pouvoir prouver que la situation avait réellement changé.

s. Par écritures du 26 octobre 2021, B______ SA a persisté dans ses conclusions.

Par écritures du 1er novembre 2021, A______ a conclu à l’inefficacité du congé, subsidiairement à son annulation.

La cause a ensuite été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

Lorsque l'action ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal détermine la valeur litigieuse si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point ou si la valeur qu'elles avancent est manifestement erronée (art. 91 al. 2 CPC). La détermination de la valeur litigieuse suit les mêmes règles que pour la procédure devant le Tribunal fédéral (Rétornaz in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 363 ; Spühler, Basler Kommentar, Schweizeriche Zivilprozessordnung, 3ème édition, 2017, n. 9 ad art. 308 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

En l'espèce, le loyer annuel du logement, charges comprises, s'élève à 22’308 fr., de sorte que la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr.

La voie de l’appel est donc ouverte.

1.2 Selon l'art. 311 CPC, l'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les trente jours à compter de la notification de la décision, laquelle doit être jointe au dossier d'appel.

L'appel de la locataire a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd. 2010, n. 2314 et 2416; Retornaz in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 349 ss, n. 121).

1.4 Selon l'art. 243 al. 2 let. c CPC, la procédure simplifiée s'applique aux litiges portant sur des baux à loyer d'habitations et de locaux commerciaux en ce qui concerne la consignation du loyer, la protection contre les loyers abusifs, la protection contre les congés ou la prolongation du bail. La maxime inquisitoire sociale régit la procédure (art. 247 al. 2 let. a CPC).

2. Dans un premier grief, l’appelante reproche au Tribunal d’avoir retenu que le délai écoulé entre l’avertissement qui lui était adressé et la résiliation du bail était adéquat et conforme aux conditions posées par l’art. 257f al. 3 CO.

2.1 Selon l'art. 257f al. 2 CO, le locataire est tenu d'avoir pour les personnes habitant la maison et les voisins les égards qui leurs sont dus. S'il persiste à manquer d'égards envers les voisins, nonobstant une protestation écrite du bailleur, à tel point que le maintien du bail devient insupportable pour ce dernier ou les personnes habitant la maison, l'art. 257f al. 3 CO autorise le bailleur à résilier le contrat moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d'un mois.

La résiliation prévue par l'art. 257f al. 3 CO suppose la réalisation des cinq conditions cumulatives suivantes : (1) une violation du devoir de diligence incombant au locataire, (2) un avertissement écrit préalable du bailleur, (3) la persistance du locataire à ne pas respecter son devoir en relation avec le manquement évoqué par le bailleur dans sa protestation, (4) le caractère insupportable du maintien du contrat pour le bailleur et, enfin, (5) le respect d'un préavis de trente jours pour la fin d'un mois (ATF 132 III 109 consid. 5; arrêts du Tribunal fédéral 4A_476/2015 du 11 janvier 2016 consid. 4.2 et 4A_644/2011 du 10 février 2012 consid. 3.2).

Le juge apprécie librement, dans le cadre du droit et de l'équité selon l'art. 4 CC, si le manquement imputable au locataire est suffisamment grave pour justifier la résiliation anticipée du contrat, en prenant en considération tous les éléments concrets du cas d'espèce (ATF 136 III 65 consid. 2.5; 132 III 109 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_655/2017 du 22 février 2018 consid. 3).

La violation du devoir de diligence peut consister, notamment, dans le non-respect du repos nocturne, qui porte atteinte à la tranquillité des autres locataires; les excès de bruit constituent d'ailleurs des motifs typiques de ce congé extraordinaire (ATF 136 III 65 consid. 2.5; arrêt du Tribunal fédéral 4A_2/2017 du 4 septembre 2017 consid. 3.2).

Les manques d'égards envers les voisins doivent revêtir un certain degré de gravité (ATF 136 III 65 consid. 2.5). La violation incriminée doit être telle que l'on ne puisse raisonnablement exiger du bailleur qu'il laisse le locataire disposer des locaux, ce qui suppose de respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité (arrêt du Tribunal fédéral 4A_2/2017 du 4 septembre 2017 consid. 3.3).

L'art. 257f al. 3 CO ne subordonne pas la résiliation anticipée du bail à l'existence d'une faute du locataire; il requiert tout au plus un comportement contrevenant aux égards dus aux autres locataires. La résiliation anticipée est destinée à rétablir une situation normale dans l'immeuble et à ménager les intérêts des autres locataires et des voisins, auxquels le bailleur doit veiller. A supposer qu'un locataire soit privé de discernement en raison d'une maladie psychique et ne soit pas en mesure de contrôler son comportement, cet état ne saurait priver le bailleur de la faculté de résilier le bail de façon anticipée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_2/2017 du 4 septembre 2017 consid. 3.2; 4A_44/2014 du 17 mars 2014 consid. 2.1; 4A_722/2012 du 1er mai 2013 consid. 2.2).

L'avertissement écrit du bailleur doit indiquer précisément quelle violation il reproche au locataire, afin que celui-ci puisse rectifier son comportement. Seules des circonstances exceptionnelles justifient de priver le locataire d'une telle possibilité (arrêts du Tribunal fédéral 4A_162/2014 du 26 août 2014 consid. 2.2; 4A_456/2010 du 18 avril 2011 consid. 3.2).

La persistance du locataire à ne pas respecter ses devoirs exige que les perturbations se poursuivent malgré la mise en demeure (arrêt du Tribunal fédéral 4A_173/2017 du 11 octobre 2017 consid. 3.1.2).

Le bailleur accorde en principe un délai pour que le locataire puisse s’amender. Il peut toutefois exiger la suppression immédiate de la source de nuisances, notamment s’agissant des bruits nocturnes (Lachat/Grobet-Thorens/Rubli/Stastny, Le bail à loyer, 2ème édition, 2019, Lausanne, p. 887).

Le congé doit correspondre à un fait pour lequel un avertissement initial a déjà été donné et ne peut pas survenir longtemps après ce dernier (arrêt du Tribunal fédéral 4C.270/2001 du 26 novembre 2001 consid. 3 b) cc) et ACJC/929/2022 du 7 juillet 2022 consid. 4.1.1).

La jurisprudence a ainsi jugé admissibles des délais de 4 mois et 6 jours, 5 mois entre l'avertissement et la résiliation (arrêt du Tribunal fédéral 4C.264/2002 du 25 août 2003; ACJC/1254/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.2; Lachat, op. cit., p. 888 ss).

2.2 En l’espèce, le courrier de mise en demeure de la régie daté du 15 avril 2019 n’a pas été retiré par la locataire et a été retourné à son expéditrice le 24 avril 2019. La résiliation des baux du 29 avril 2019 est intervenue quelques jours après la fin du délai de garde du courrier de mise en demeure, à réception d’une nouvelle plainte de la part d’une voisine de l’appelante.

S’il peut être relevé que le délai entre la mise en demeure et la résiliation du bail a été de très courte durée, cela ne suffit toutefois pas à constater que les conditions posées par la loi à la résiliation extraordinaire du bail n’auraient pas été réunies. En effet, l’intimée n’était pas tenue au respect d’un délai minimal, en particulier s’agissant de nuisances qui pouvaient cesser de manière immédiate. Le fait que la situation était manifestement difficile pour l’appelante n’est pas pertinent à cet égard. Cette dernière ne peut pas non plus être suivie lorsqu’elle considère qu’un délai plus long aurait été de nature à lui permettre d’adopter un comportement adéquat, les nuisances, qui ont certes fini par cesser, ayant perduré encore pendant plusieurs mois, dérangeant alors à plusieurs reprises le voisinage. Il apparaît aussi, quand bien même la régie ne l’aurait prévenue qu’à une occasion par téléphone avant la mise en demeure, que plusieurs voisins l’ont informée des difficultés ressenties en lien avec son comportement, qu’elle ne pouvait donc ignorer.

La réaction rapide de l’intimée doit également être mise en perspective avec la forte intensité de l’atteinte à la quiétude de l’immeuble et des voisins, qui sera examinée ci-dessous.

3. Dans un deuxième grief, l’appelante reproche au Tribunal d’avoir considéré que la continuation du bail était insupportable pour son voisinage et que ledit bail pouvait dès lors être résilié conformément à l’art. 257f al. 3 CO.

3.1 En sus des règles exposées au considérant 2.1 ci-dessus, la jurisprudence a précisé que le moment pour décider si un congé signifié selon l'art. 257f CO est valable est celui de sa communication au locataire. Les faits postérieurs sont en principe insignifiants, sauf ceux qui éclairent les intentions des parties au moment de la résiliation (ATF 138 III 59 consid. 2.1).

3.2 En l’occurrence, plusieurs voisins de l’appelante se sont plaints, en mars et avril 2019, de nuisances importantes, régulières et ayant un impact négatif sur leur bien-être. Les plaintes ont continué entre mai et septembre 2019, puis en décembre 2019 et janvier 2020 et faisaient état d’une situation insupportable. En particulier les témoins C______ et D______ ont fait état de bruits de coups, de disputes, de cris, de musique ou encore de chutes de meubles, d’objets et de vaisselle, ainsi que d’allées et venues de personnes dans l’immeuble engendrant un sentiment d’insécurité et de peur, de manque de sommeil et d’épuisement, ainsi que de souffrance psychologiques vu la situation. Plusieurs autres voisins ont entendu les nuisances qui les ont réveillés durant la nuit.

Il est donc établi que les nuisances étaient importantes et que la continuation du bail était, au moment où le congé a été donné, insupportable pour plusieurs voisins directs de l’appelante. Dans la mesure où c’est uniquement à ce moment-là que la question doit être examinée, à l’exclusion des faits postérieures, il est sans portée que plusieurs voisins aient ensuite déclaré que les nuisances avaient disparu et qu’ils n’avaient plus à se plaindre de l’appelante à compter de l’année 2020.

Il ressort ainsi de ce qui précède que les nuisances étaient particulièrement importantes et rendaient la continuation du bail insupportable. Dans ce contexte, le délai particulièrement bref entre la mise en demeure et la résiliation du bail n’est pas propre à remettre en question la validité du congé.

Partant, le raisonnement du Tribunal ne souffre pas de critique.

4. Dans un dernier grief, l’appelante soutient que le Tribunal aurait dû annuler le congé au motif qu’il était contraire à la bonne foi.

4.1 Un congé anticipé remplissant les conditions de l'art. 257f al. 3 CO peut être annulé lorsqu'il apparaît contraire à la bonne foi (art. 271 al. 1 CO). Une telle annulation présuppose des circonstances particulières et ne peut être que très rarement admise (arrêt du Tribunal fédéral 4A_87/2012 du 10 avril 2012 consid. 6.2; Lachat, op. cit., p. 894).

Le fardeau de la preuve d'une résiliation contraire à la bonne foi incombe au locataire (ATF 140 III 591 consid. 1 et 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_436/2018 du 17 janvier 2019 consid. 5.1).

Lorsque le bail porte sur une habitation ou un local commercial, la seule limite à la liberté contractuelle des parties réside dans les règles de la bonne foi : le congé qui y contrevient est alors annulable (art. 271 al. 1 CO; cf. également art. 271a CO). La protection assurée par les art. 271 et 271a CO procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC). De manière générale, un congé est contraire aux règles de la bonne foi lorsqu'il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection et qu'il apparaît ainsi purement chicanier ou consacrant une disproportion crasse entre l'intérêt du preneur au maintien du contrat et celui du bailleur à y mettre fin (ATF 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1).

Pour être conformes aux règles de la bonne foi, les motifs du congé doivent être vrais (Lachat, op. cit., p. 955). Le bailleur est lié par les motifs qu'il a donnés, mais il peut toujours compléter sa motivation ultérieurement, étant précisé que, pour déterminer la validité de la résiliation, le juge doit se placer au moment où celle-ci a été notifiée (ACJC/498/2022 du 11.04.2022 consid. 2.1; Conod, Droit du bail à loyer et à ferme, 2ème éd. 2017, n. 41 et 47 ad art. 271 CO).

4.2 Comme retenu ci-dessus, le congé a été donné en raison des nuisances excessives causées par l’appelante, qui ont rendu la continuation du bail insupportable pour certains de ses voisins. Les motifs donnés au congé sont conformes aux reproches formulés à l’adresse de l’appelante, ils ont été établis, de sorte qu’ils ne sont ni abusifs ni chicaniers. Lorsqu’il a été prononcé, le congé n’était pas abusif.

Dès lors, il n’importe pas que la situation ait par la suite favorablement évolué, l’examen du caractère abusif du congé ne pouvant avoir lieu sur la base de faits ultérieurs, comme déjà rappelé au considérant précédant.

Il découle de ce qui précède que le congé signifié à l’appelante n’est pas abusif.

Le jugement du Tribunal sera dès lors confirmé.

5. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l’appel interjeté le 28 mars 2022 par A______ contre le jugement JTBL/124/2022 rendu le 15 février 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/9820/2019.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

 

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Nicolas DAUDIN, Madame Zoé SEILER, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.