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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3719/2022

ATA/255/2024 du 27.02.2024 sur JTAPI/860/2023 ( LCI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3719/2022-LCI ATA/255/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 février 2024

3ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Jean-Daniel BORGEAUD, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

et

B______ SA

et

C______ SA intimés

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du
17 août 2023 (JTAPI/860/2023)


EN FAIT

A. a. C______ SA (ci-après : C______), est propriétaire de la parcelle
n° 2'661 de la commune de D______ (ci-après : la commune), située en zone agricole. Un bâtiment hors-sol n° 1______, sis route de E______ 2______, y est construit.

b. C______, inscrite au registre du commerce le 11 novembre 1960, a notamment pour but l’achat, la vente, l’importation, l’exportation de toutes matières premières, marchandises et produits. Elle est domiciliée au 2______, route de E______ à D______. Depuis le 22 décembre 2021, ses administrateurs sont F______.

c. A______ est propriétaire des parcelles nos 2'708, 3'167 et 2'320 de la commune, les deux premières étant directement voisines de la parcelle n° 2'661. Une maison d’habitation est érigée sur la parcelle n° 2'708, sise route de E______ 3______, domicile du propriétaire.

B. a. Le 14 février 1967, C______ a sollicité l’autorisation de procéder à la
« construction d’un garage et d’un magasin tabac-souvenirs », ainsi que d’une
« station-service » sur la parcelle n° 2'661. Les équipements décrits comprenaient un atelier de réparation avec une fosse, une station de lavage, deux pompes à essence et un compresseur d’air. La main-d’œuvre était constituée d’un
« service-man », d’un mécanicien et d’une vendeuse.

b. Le 12 juillet 1967, le département compétent a accordé l’autorisation demandée,
DD 4______, portant sur « l’installation d’une station-service ».

C. a. Le 7 avril 2022, le bureau d’ingénieurs B______ SA (ci-après : B______), soit pour lui G______, a déposé une demande d’autorisation de construire
DD 5______, signée par C______, portant sur la transformation et la rénovation de l’ancienne arcade commerciale (ancienne station-service) sise sur la parcelle n° 2'661 afin d’y accueillir un « change/shop ».

b. Dans le cadre de l’instruction de cette requête, plusieurs préavis ont été émis, notamment :

-          le 14 avril 2022, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a préavisé favorablement la demande avec dérogations ;

-          le 13 mai 2022, le service de l’environnement et des risques majeurs a rendu un préavis favorable ;

-          le 16 mai 2022, la commune s’est opposée au projet, au motif qu’un second « shop-change » sur son territoire n’apporterait aucune plus-value ; au contraire, les commerces existants (« station-service, shop/change et H______ ») ayant déjà été cambriolés à maintes reprises, ce développement ne ferait qu’accroître l’insécurité dans le village ; en outre, cela inciterait vraisemblablement un flux supplémentaire de véhicules, alors que des accords avaient été signés pour limiter le transit et modérer le trafic transfrontalier au sein du village ;

-          le 16 mai 2022, l’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) a émis un préavis favorable, considérant que les aménagements projetés ne portaient pas atteinte à l’exploitation agricole des terrains avoisinants, aucun intérêt prépondérant de l’agriculture n’étant lésé ; il laissait cependant le soin à l’autorité compétente d’apprécier les conditions d’application et le respect des seuils fixés à l’art. 43 de l’ordonnance sur l’aménagement du territoire du 28 juin 2000 (OAT - RS 700.1) ; de plus, il convenait de prendre toutes les précautions nécessaires afin de protéger valablement les arbres maintenus à proximité des travaux ;

-          le 13 juin 2022, l’office de l’urbanisme (ci-après : OU) a préavisé favorablement le projet, sous conditions que l’apport d’enseignes sur l’extérieur du bâtiment, en termes de dimensionnement et de visibilité, ne dépasse pas ce qui était autorisé historiquement pour la station-essence (art. 42 OAT) ; construite en 1969 en tant que station-service, cette construction pouvait bénéficier de la garantie de la situation acquise ; son affectation comme arcade commerciale ne nécessitait pas de travaux importants et pouvait être considérée comme un changement d’affection mineur et être autorisée par dérogation ; l’identité du bâtiment devait rester inchangée pour l’essentiel selon l’art. 42 OAT ;

-          le 27 juillet 2022, la police du feu a rendu un préavis favorable sous conditions ;

-          le 11 août 2022, le service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants a rendu un préavis favorable ;

-          le 11 août 2022, l’office cantonal de l’eau (ci-après : OCEau) a favorablement préavisé le projet, sous condition de raccorder les eaux usées des nouvelles installations au réseau approprié et existant du bâtiment, étant relevé qu’il n’exigerait pas la mise en séparatif total de la parcelle vu la faible importance des travaux du projet ; toutefois, lors de la réalisation d’un équipement public en système séparatif dans le secteur, la propriétaire était tenue d’adapter son raccordement aux nouvelles canalisations ;

-          le 29 août 2022, la commune a rendu un nouveau préavis, favorable, précisant avoir appris, lors d’une entrevue avec les requérants, qu’il s’agissait du déplacement du « shop/change » alors situé au centre du village ;

-          le 3 octobre 2022, l’office cantonal des transports (ci-après : OCT) s’est déclaré favorable au projet.

c. Par décision du 6 octobre 2022, le département du territoire (ci-après : le département) a délivré l’autorisation de construire DD 5______.

D. a. Le 7 novembre 2022, A______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

À titre préalable, il a conclu à la tenue d’un transport sur place, en présence d’un représentant du département et du président de la commission consultative sur la diversité biologique (ci-après : CCDB), à l’audition dudit président et à ce qu’il soit ordonné à la CCDB de rendre un préavis sur le projet. Il a également sollicité sa comparution personnelle et l’audition de I______, adjoint au Maire en charge des questions d’aménagement et constructions de la commune.

L’autorisation de construire litigieuse avait été délivrée sous l’angle d’une construction et installation à usage commercial hors de la zone à bâtir et non conforme à l’affectation de la zone, alors que l’historique de la construction et de son affectation n’avait pas été examiné. Le bâtiment concerné, qui présentait une apparence d’habitation comparable aux quelques maisons voisines, avait de toute évidence été transformé pour constituer un garage comportant un atelier mécanique et deux pompes à essence, ce qui impliquait des autorisations. L’exploitation d’un garage et d’une station-service constituait une activité de nature industrielle/artisanale, étant relevé que le petit « shop » était dévolu principalement à l’encaissement du prix des réparations et des pleins, et que seules quelques babioles étaient accessoirement à vendre. La requérante aurait ainsi dû démontrer deux transformations successives, la première de maison d’habitation en garage avec un atelier mécanique et une station-service, puis la seconde d’activité industrielle/artisanale à activité commerciale. En outre, le garage et la
station-service n’étaient plus exploités depuis une quinzaine d’années, de sorte que la continuation d’une activité commerciale existante, seule susceptible de bénéficier dans une certaine mesure de la garantie de la situation acquise, était exclue. Il s’agissait en réalité d’une nouvelle affectation de locaux désaffectés et l’autorisation litigieuse devait être appréhendée comme une nouvelle demande hors de la zone à bâtir.

Par ailleurs, le dossier ne comportait aucune indication sur la façon dont avait été prise en compte et pondérée l’activité projetée de bureau de change, qui impliquait de nombreux arrêts et démarrages de voitures, étant rappelé que ses parcelles et la parcelle n° 2'661 se trouvaient en zone agricole, dans un environnement préservé au bord du Rhône, entre un périmètre naturel protégé et un plan de site. La CCDB n’avait pas été consultée, alors que l’activité commerciale prévue et la vente de carburant étaient susceptibles d’avoir une incidence directe sur la flore, la faune, les sites et les biotopes favorables à la diversité biologique de la région, tout comme l’augmentation du trafic que générerait le projet. Il en résulterait également une augmentation des nuisances pour les voisins, ainsi qu’un risque de cambriolages dû à la présence d’un bureau de change.

Le développement d’une activité commerciale sans lien avec l’agriculture dans un quartier résidentiel situé en zone agricole nuirait à l’intérêt du quartier, en induisant une diminution de la valeur des propriétés foncières du voisinage, et ne garantirait plus la jouissance paisible des lieux. L’autorisation de construire délivrée allait à l’encontre de la politique globale de la mobilité de la commune en matière de protection contre les nuisances sonores.

Enfin, le projet autorisé maintenait un système de chauffage désuet, ce qui ne répondait pas aux normes énergétiques, et le préavis de l’OCeau contrevenait à l’obligation de raccordement des canalisations d’eaux.

b. C______ a conclu au rejet du recours.

Au fil des années, des activités de réparation de véhicule, de vente de carburant au détail, d’épicerie et de débit de boissons s’étaient succédées sur sa parcelle. Le projet ne faisait que réhabiliter le local épicerie en lui ajoutant une fonction de bureau de change, sans modification de surface, le garage restant en l’état un lieu de stockage indépendant du projet. Quant à la station-service, elle était toujours aux normes et prête à fonctionner sans besoin d’un autre accord. Il ne s’agissait donc pas de la création d’une activité, mais de la poursuite d’une activité commerciale après une pause.

Elle a notamment produit des photographies du bâtiment concerné, un « rapport essence » du 13 juin 2022 établi suite à une révision des citernes effectuée par la société J______ SA, spécialiste en sécurité des réservoirs.

c. Le département a conclu au rejet du recours.

Il ressortait de ses archives que le bâtiment litigieux et l’affectation commerciale qui lui était liée avaient été valablement autorisés le 12 juillet 1967. Au vu de l’affectation agricole de la parcelle concernée, les art. 37a de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) et 43 OAT pouvaient être mis en œuvre, ce d’autant plus que l’activité déployée apparaissait être préservée, puisqu’il s’agissait à l’origine d’une station-service, avec un garage et un magasin de tabac-souvenirs, et qu’il était désormais question d’y créer un « shop » avec une activité complémentaire de change. Bien que cette dernière activité ne soit pas exactement conforme à ce qui avait été préalablement autorisé, les limites imposées par les dispositions légales étaient respectées, puisque les aménagements projetés ne porteraient pas atteinte à l’exploitation agricole des terrains avoisinants et, de manière générale, à l’agriculture, comme retenu par les instances de préavis spécialisées.

La pesée des intérêts en présence avait été correctement effectuée, étant au demeurant relevé que les nuisances alléguées devaient être bien plus nombreuses dans le cadre de l’affection originelle (station-service avec un garage et un magasin de tabac-souvenirs) que dans celle projetée (« shop » avec bureau de change).

Compte tenu de cette ancienne affectation, il paraissait difficile de soutenir que le périmètre naturel serait mis en péril par l’exploitation projetée, et l’accroissement du trafic routier ne créerait pas une gêne durable. De même, il ne voyait pas en quoi la décision litigieuse impacterait la politique globale de la mobilité de la commune. L’OCT ne s’était d’ailleurs pas opposé à ce projet.

Les critiques concernant les installations productrices de chaleur étaient infondées, puisque le projet autorisé ne prévoyait pas le remplacement ou la transformation du système. Il en allait de même s’agissant de la mise en séparatif totale de la parcelle, l’OCEau ayant constaté que les travaux à réaliser seraient de faible importance, tout en émettant une réserve en cas de réalisation d’un équipement public en système séparatif dans le secteur.

d. Dans sa réplique, A______ a relevé que les locaux en question avaient accueilli initialement, à la fin des années soixante, une station-service et que l’essentiel de la surface des constructions était dévolu à un atelier mécanique de réparation de véhicules. L’activité de vente d’essence, les réparations mécaniques et l’activité accessoire du « shop », inhérente à l’exploitation du garage, avaient perduré jusqu’au début des années 2000. Dans le courant des années 2000, une partie des locaux avait été aménagée et transformée en bar, fréquenté essentiellement la nuit. Cette activité avait cessé plusieurs années avant la reprise de C______ par les époux F______. Dès lors, il n’y avait pas eu de « pause » dans l’activité initiale, mais un abandon depuis une quinzaine d’années de celle-ci au profit de l’exploitation d’une nouvelle et unique activité, soit celle d’un débit de boissons, à son tour abandonnée, laissant les locaux désaffectés. Contrairement à ce qui était mentionné dans le préavis de la commune, il n’était plus question du déplacement d’un « shop » situé au milieu du village, mais de l’implantation d’un nouveau commerce sur la parcelle n° 2'661 et de la potentielle réactivation de la station-service, qui ne répondaient à aucun intérêt public. Il en découlerait irrémédiablement un accroissement des mouvements et du trafic motorisé, ainsi qu’une augmentation des immissions de gaz à effets de serre et sonores. Or, le département devait prendre toutes les mesures pour protéger et maintenir la faune indigène et les biotopes des diverses espèces indigènes.

e. C______ a relevé que l’ancienne propriétaire des lieux, K______, avait cessé d’exploiter son « épicerie/bar » le 15 mars 2020 lors de l’arrêt des activités commerciales liées à la pandémie de Covid. Elle avait par la suite décidé de ne pas rouvrir son commerce, lequel fermait au plus tard à 20h, pour prendre sa retraite. Quant à la station-service, elle avait été exploitée au moins jusqu’au
23 octobre 2017, date du dernier contrôle effectué par l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT).

f. A______ a sollicité l’audition de témoins sur le caractère accessoire du « shop » au regard de l’affectation industrielle de l’exploitation d’un garage et d’une station-service, et sur le moment de la cessation de l’exploitation de la station-service, respectivement de l’activité du « shop », dès lors qu’il contestait les dates alléguées par C______. Il a maintenu sa demande d’audition de I______, au motif que le préavis favorable de la commune était entaché d’une erreur manifeste, car c’était le bail de l’exploitant qui avait pris fin et non l’exploitation de la station-service, qui venait d’être rénovée pour être exploitée directement par la propriétaire, la famille L______.

g. B______ a expliqué que la demande d’autorisation concernait exclusivement la modification de l’aménagement intérieur d’un local commercial existant pour y permettre l’activité sécurisée d’un « shop/change ». Sa cliente, la société M______, était la gérante actuelle du « shop/change » de D______ et, suite au non renouvellement de son bail, avait cherché un nouveau local commercial pour lui permettre de continuer son activité. La commune avait accepté la création d’un seul « shop/change » dans le village. Le bâtiment en question répondait parfaitement aux besoins en termes de surface et le nouvel emplacement garantissait un ancrage local important. Cette activité n’engendrerait pas davantage de circulation.

h. Le département a fait valoir que la loi n’imposait pas une continuité de l’activité déployée, ni d’un point de vue temporel ni de par sa nature.

i. Par jugement du 17 août 2023, le TAPI a rejeté le recours.

Il a déclaré irrecevables les griefs relatifs aux risques d’augmentation du nombre de cambriolages et de diminution de la valeur des propriétés foncières alentour, et aux impacts du projet sur la politique globale de la mobilité de la commune, la faune ou la flore, lesquels demeuraient purement hypothétiques. A______ n’avait pas d’intérêt digne de protection à les soulever. Ses critiques concernant les installations productrices de chaleurs devaient également être écartées.

Les mesures d’instruction n’étaient pas justifiées. Un transport sur place ne fournirait pas d’informations pertinentes supplémentaires, car les reportages photographiques, les informations et les outils disponibles sur le SITG permettaient de visualiser la parcelle et les éléments litigieux. L’intéressé avait eu l’occasion de s’exprimer par écrit à plusieurs reprises, de produire toutes les pièces utiles, et le dossier comportait les éléments pertinents et nécessaires, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de procéder à une comparution personnelle, d’ordonner à la CCBD de rendre un préavis, ni d’entendre des témoins.

L’historique de la construction litigieuse et son affectation commerciale, dûment autorisée, étaient clairement établis par la demande d’autorisation de construire du 14 février 1967 et l’autorisation accordée le 12 juillet 1967. Le département s’était à juste titre basé sur cette première autorisation pour délivrer l’autorisation querellée. La parcelle en question se trouvant en zone agricole, le département avait appliqué les art. 37a LAT et 43 OAT, étant relevé que l’activité commerciale déployée jusqu’ici était préservée par l’exploitation d’un « shop/bureau de change ». Aucun élément du dossier ne venait corroborer les allégations de
A______, selon lesquelles l’activité de vente, par définition commerciale, aurait été « accessoire » à celle du garage/station-service de l’époque. La requête devait donc bien être traitée comme une demande de transformation/rénovation d’un local commercial existant et non comme une nouvelle demande hors zone à bâtir.

A______ n’avait pas démontré, ni même rendu vraisemblable, que l’exploitation d’un « shop/change » dans ces locaux commerciaux exploités depuis plus de 40 ans porterait atteinte aux intérêts environnementaux alentours. Même si la nouvelle activité prévue n’était pas exactement identique à celle initialement autorisée et celles qui lui avaient succédé (station-service/garage avec « shop », épicerie, café puis bar), elle restait commerciale et entrait manifestement dans le cadre des limites autorisées, ce changement d’affectation ne créant notamment pas de nouvel impact indésirable sur le territoire et l’environnement. Les instances spécialisées en la matière s’étaient d’ailleurs déclarées favorables au projet. Aucune incidence nouvelle et accrue sur l’affectation de la zone, l’équipement et l’environnement n’avait été démontrée. Les transformations étaient par ailleurs d’importance minime par rapport à l’état existant de la construction, étant rappelé que le volume, l’aspect extérieur et la destination de la construction restaient identiques. Selon les plans, le projet ne concernait que la transformation de la surface de l’ancienne épicerie en lui aménageant un espace « change », la partie garage n’étant pas concernée.

Les autres griefs du recourant, qui avaient trait à l’absence de consultation de la CCDB, à l’accroissement du trafic et ses impacts négatifs, et à l’absence de mise en séparatif totale de la parcelle, étaient infondés et devaient être rejetés.

E. a. Par acte du 18 septembre 2023, A______ a interjeté recours par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité. Il a conclu, préalablement, à ce que soient ordonnés un transport sur place, son audition, celle de I______ et de témoins concernant l’exigence de continuité temporelle de l’activité. Principalement, il a conclu à l’annulation du jugement entrepris, au prononcé de la caducité de l’autorisation de construire DD 5______, subsidiairement à son annulation.

L’autorisation délivrée était caduque, car B______ était mandataire et requérante non titulaire d’un droit réel sur la parcelle concernée. Elle n’avait pas un intérêt personnel et digne de protection à ce que la décision litigieuse soit maintenue, annulée ou modifiée, et donc de la qualité de partie. Dès lors que la requérante, bénéficiaire de l’autorisation de construire, ne disposait pas de la qualité de partie, le rapport de droit public avec l’État n’existait plus. Le département n’avait pas un intérêt propre à faire constater par les tribunaux la validité d’une décision qu’il avait rendue en faveur d’un administré quand ce dernier n’avait plus lui-même un tel intérêt. Quant aux propriétaires, ils avaient fait le choix de ne pas être requérants au rapport de droit public noué et n’étaient donc pas bénéficiaires de l’autorisation de construire délivrée, mais avaient le statut de tiers dans la procédure. B______ ne disposant pas de la qualité de partie, il convenait de prononcer la caducité de l’autorisation définitive de construire DD 5______. Un litige ne pouvait pas être conduit sans l’administré qui était le destinataire de la décision contestée.

Le recourant a invoqué une violation de son droit d’être entendu, un déni de justice formel, une violation du devoir d’instruction d’office et du droit à la preuve. Il avait sollicité plusieurs mesures d’instruction afin de clarifier l’historique des activités déployées sur la parcelle de l’intimée et démontrer notamment le caractère accessoire du « shop » au regard de l’affectation industrielle de l’exploitation d’un garage et d’une station-service, ainsi que les moments auxquels avaient pris fin ces activités. Le TAPI avait retenu que les locaux commerciaux auraient été exploités depuis plus de 40 ans et en avait conclu qu’il n’y avait pas de problème d’interruption de l’activité, sans examiner de manière sérieuse et approfondie les allégués de fait, les preuves à disposition et les offres de preuve des parties. Le jugement entrepris devait être annulé pour ce motif déjà.

L’état de fait du TAPI était incomplet ou inexact à plusieurs égards. Tout d’abord, il n’avait jamais été démontré que l’autorisation de construire de 1967 avait été délivrée conformément à l’affectation de la zone. En deuxième lieu, la succession d’activités retenues n’était pas établie et les demandes d’instruction qu’il avait sollicitées n’avaient pas été ordonnées. Troisièmement, il avait soutenu que les locaux étaient restés désaffectés sans activité durant des années, ce qui avait été écarté sans instruction. Ces deux derniers points avaient pourtant été considérés comme juridiquement pertinents par le TAPI.

Pour bénéficier de la situation acquise, la construction érigée et l’activité déployée devaient être devenues contraire à l’affectation de la zone, ce qui impliquait qu’elles avaient été conformes à l’affectation de la zone au moment de l’édification de la construction et du début d’activité. Selon la loi n° 2267 du 6 avril 1962, qui avait délimité les limites de la zone de construction pour la commune de D______, ses parcelles et celle de l’intimée figuraient dans la zone 5B, à savoir en zone agricole. L’autorisation délivrée en 1967 pour une station-service l’avait été sur la base d’une dérogation à l’affectation de la zone en qualité de construction dont l’implantation était imposée par sa destination. Il s’agissait d’installer une station‑service à côté de la route permettant d’accéder à la Suisse depuis la France. L’exigence posée par les dispositions légales pour bénéficier de la situation acquise, à savoir que la construction avait été initialement conforme à l’affectation de la zone, mais qu’elle était devenue ultérieurement contraire en raison d’une modification du plan d’affectation, n’était donc pas remplie. Si la construction de la station-service avec un garage était en effet intervenue à l’époque légalement sur la base de l’autorisation de construire du 12 juillet 1967, cela n’englobait pas pour autant une autre exigence posée par le droit fédéral, à savoir que cette construction initiale ait été conforme à l’affectation de la zone et qu’il y ait eu ultérieurement une modification de la planification. Or, la zone agricole dans laquelle se trouvait toujours la construction litigieuse n’avait subi aucune modification d’affectation depuis sa création en 1952.

Le changement d’affectation de l’activité industrielle/artisanale en une activité commerciale nouvelle sur la parcelle litigieuse n’était pas conforme aux dispositions pertinentes. L’activité initialement déployée, soit l’exploitation d’un garage avec deux pompes à essence occupant la majorité de la surface du bâtiment, était de nature industrielle/artisanale, le magasin de « tabac-souvenirs » ne constituant qu’une activité accessoire ayant pour but d’encaisser le paiement des activités principales et de générer quelques revenus supplémentaires. D’ailleurs, ce magasin était mentionné dans la requête du 14 février 1967, mais pas dans l’autorisation de construire du 12 juillet 1967. L’autorisation de construire litigieuse portait sur la « transformation et rénovation d’un local commercial dans une ancienne station-service » afin d’exploiter un bureau de change, soit une activité économique qui n’avait aucun lien avec l’affectation initiale. Ainsi, par sa destination économique totalement nouvelle, l’exploitation d’un bureau de change se distinguait fondamentalement de l’affectation initiale et ne pouvait être autorisée. En outre, la station-service était désaffectée, aucune activité économique n’y étant déployée depuis de nombreuses années. Il n’y avait dès lors aucune activité à maintenir et aucun emploi à préserver.

Lorsque le législateur fédéral avait abordé la problématique des constructions et installations à usage commercial conformes à l’ancien droit, mais affectées dans l’intervalle à la zone de non bâtir, le parlement n’entendait clairement pas ouvrir la voie à n’importe quel changement d’affectation. Il s’agissait d’offrir une certaine marge de développement aux entreprises commerciales implantées hors de la zone à bâtir, et non de permettre la reconversion de bâtiments artisanaux ou commerciaux désaffectés en vue de garantir ou de valoriser des investissements antérieurs. De plus, la jurisprudence posait la condition de l’exigence de continuité de l’activité commerciale, au motif que celle-ci découlait clairement des buts de la réglementation qui était d’accorder aux entreprises commerciales ou artisanales existantes la flexibilité des buts dont elles pouvaient avoir besoin en termes d’augmentation de capacité et d’adaptation des processus de production, pour pouvoir demeurer compétitives. Il ne s’agissait en aucun cas d’ouvrir les bâtiments commerciaux ou artisanaux désaffectés à des usages différents ou de permettre l’installation en zone agricole d’entreprises entièrement nouvelles. Le Tribunal fédéral avait retenu qu’une interruption de l’activité de douze ans ne pouvait être assimilée à une suspension provisoire de l’activité industrielle. Les locaux avaient vu se succéder plusieurs activités, à savoir un atelier de réparation mécanique et de vente d’essence à la fin des années soixante jusqu’au début des années 2000, activités qui avaient été abandonnées par les précédents exploitants car jugées non rentables. Un bar avait été aménagé dans le courant des années 2000 pour accueillir une clientèle essentiellement la nuit, mais cette dernière activité avait aussi été abandonnée par la précédente exploitante. L’autorisation litigieuse autoriserait l’établissement d’un « shop et change » qui n’était plus conforme avec l’activité artisanale/industrielle initialement autorisée. Le TAPI aurait dû examiner l’autorisation de construire litigieuse comme une nouvelle demande hors de la zone à bâtir, et non pas comme une transformation et rénovation en raison de la rupture chronologique prolongée et du changement d’affectation.

Enfin, dans son premier préavis défavorable du 16 mai 2022, la commune avait justifié sa décision en mentionnant qu’un second « shop change » n’apporterait aucune plus-value à la commune et que ce projet augmenterait l’insécurité dans le village. Le 29 août 2022, elle avait rendu un second préavis, favorable, au motif que l’autorisation de construire sollicitée avait pour but de déplacer la
station-service située au centre du village. Or, c’était uniquement le bail de l’exploitant qui avait pris fin, mais non l’exploitation de la station-service, qui venait d’être rénovée pour être désormais exploitée directement par sa propriétaire. Ainsi, le préavis favorable de la commune était entaché d’une erreur manifeste, de sorte que la décision litigieuse et le jugement comportaient une constatation inexacte d’un fait pertinent.

b. Le 16 octobre 2023, C______ a conclu au rejet du recours et à la confirmation de l’autorisation de construire DD 5______ du 6 octobre 2022, et à l’octroi de dommages-intérêts à hauteur de CHF 40'000.-.

Le changement d’affectation concernait uniquement un local qui serait dédié à une activité de change de 10m2, qui ne semblait pas correspondre à une exploitation industrielle. La parcelle incriminée était classée depuis de longues années en zone semi-industrielle et le recourant ne pouvait pas, sous le prétexte d’une nouvelle demande d’autorisation, contester la validité d’une telle zone. La station-essence avait été exploitée au moins jusqu’au 23 octobre 2017, date du dernier contrôle de conformité effectué par l’OCIRT, et le « bar épicerie » avait fermé ses portes le 15 mars 2020 selon K______. L’activité suspendue avait été reprise et le recourant ne démontrait pas la cessation temporelle. Par ces agissements, il l’avait empêchée d’exercer une activité commerciale sur sa surface semi-industrielle depuis plus de quinze mois et elle subissait une perte de location et sa locataire, la société M______ avec laquelle elle avait passé un accord le 16 mai 2022, un manque à gagner de CHF 40'000.- compte tenu du retard résultant des différents recours.

L’intimée a produit le contrat de bail conclu avec M______ le 16 mai 2022 et une « fiche facture du contrôle » de l’OCIRT du 23 octobre 2017.

c. Le 27 octobre 2023, le département a conclu au rejet du recours.

La loi exigeait uniquement que la demande d’autorisation de construire soit signée par le requérant et le propriétaire, mais il n’était pas nécessaire que l’autorisation soit mise en œuvre par le bénéficiaire. L’autorité intimée n’avait donc pas à s’assurer que le requérant avait un intérêt personnel et digne de protection à obtenir la délivrance de l’autorisation. La demande d’autorisation de construire DD 5______ avait été déposée par B______, avec l’accord de C______, pour le compte de M______, active dans l’exploitation d’une station-service, d’un bureau de change, d’une épicerie, d’un débit de boissons et tout autre commerce de détail, laquelle exploiterait le local litigieux.

Une activité commerciale consistant en la vente d’essence, l’exploitation d’un magasin de tabac-souvenirs et d’un café, avait été prévue dès l’origine, comme cela ressortait des plans visés ne varietur. Les art. 37a LAT et 43 OAT visaient à autoriser un changement d’affectation. Il n’importait pas de savoir sur quelle base, dérogatoire ou non, avaient été érigés les bâtiments sur la parcelle, mais de s’assurer qu’ils l’avaient été légalement, ce qui était le cas, même si une dérogation avait dû être accordée à l’époque en raison de l’affectation non conforme à la zone.

Le fait que l’activité initiale ait été quelque peu modifiée, dès lors que le côté artisanal avait été abandonné au profit d’une activité essentiellement tournée vers le commerce, apparaissait conforme à la loi. En effet, il était déterminant que le changement d’affectation concerné ne génère aucun nouvel impact important sur le territoire et l’environnement. Ainsi, si les incidences étaient faibles, dans la mesure où l’équipement et les impacts sur l’environnement étaient restés pour l’essentiel inchangés, l’art. 43 OAT ne s’opposait pas au projet, même si la construction avait fait l’objet d’un changement complet d’affectation. Il n’était pas démontré que les bâtiments litigieux n’auraient plus été exploités depuis de nombreuses années. Au contraire, les photographies permettaient de constater que les locaux étaient restés très bien conservés et présentaient une devanture moderne qui apparaissait avoir été réalisée récemment. Il en allait de même des orthophotos disponibles sur le site des SITG, lesquelles mettaient en évidence qu’une activité semblait s’être poursuivie jusqu’en 2020 à tout le moins, au vu des véhicules stationnés devant les bâtiments concernés.

d. Le 28 novembre 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions.

B______ n’était qu’un mandataire et ne disposait pas de la qualité de partie, car l’intérêt à l’octroi du permis de construire n’était qu’indirect et économique.

La garantie de la situation acquise ne visait pas à permettre à un propriétaire d’un bâtiment désaffecté d’y créer une activité nouvelle, cette dernière devant intervenir dans une zone adéquate. Les époux F______ avaient acquis le capital-actions de l’intimée, qui n’avait plus d’employé et n’exploitait plus de station-service depuis longtemps, afin de permettre une nouvelle exploitation, soit celle d’une
station-service par M______. Elle était une propriétaire qui tendait à obtenir un rendement locatif d’un investissement immobilier dans des locaux désaffectés. Sa situation ne correspondait pas à celle d’une entreprise individuelle, artisanale ou commerciale implantée depuis longtemps hors de la zone à bâtir qui visait à adapter son outil de production afin de maintenir une activité continue et des emplois en place.

La facture produite par l’intimée n’indiquait pas clairement le lieu du contrôle et n’établissait pas que la station-service aurait été exploitée jusqu’en octobre 2017, puisqu’elle mentionnait simplement qu’il y avait eu un contrôle d’appareil sous l’angle de la métrologie, ce qui ne démontrait en aucun cas que les appareils étaient en service. L’extrait du contrat de bail produit corroborait le fait que la station‑service n’avait plus été exploitée depuis de nombreuses années, puisque son annexe consistait en un devis de remise en conformité des citernes. L’intimée n’avait pas produit le bail complet ni l’annexe B. Elle avait reconnu la non‑continuité des activités, en indiquant que la pandémie avait mis fin à l’exploitation de la station-service dès le 15 mars 2020 et que l’exploitation du bar avait cessé bien avant cette date. L’existence d’une activité commerciale jusqu’à cette date n’était pas établie. Par ailleurs, les photographies remises par l’intimée de la devanture de la station-service n’étaient pas datées et il était douteux que des travaux aient été réalisés récemment, puisque la dernière autorisation de construire délivrée sur la parcelle litigieuse, qui concernait la mise aux normes de la station‑service, datait de 1998. Le département n’avait produit aucune pièce à l’appui de ses allégués concernant les orthophotos et la vue satellite SITG ne montrait aucun véhicule stationné sur la parcelle. En revanche, la fonction « Google streetview », disponible sur le site SITG, illustrait effectivement que des véhicules étaient stationnés sur la parcelle, mais ces clichés avaient été capturés en août 2013 et non pas en 2020. Dès lors, les allégués des intimés ne permettaient pas de démontrer la continuité d’une activité déployée jusqu’à une date récente. D’ailleurs, l’intimée avait admis dans sa réponse l’existence d’une rupture dans la continuité de l’exploitation de la station-service remplacée par un bar illégal. Par conséquent, l’objet de l’autorisation de construire délivrée relevait d’un changement d’affectation, faute d’activité commerciale préexistante. Le fardeau de la preuve incombait à l’autorité et il avait vainement demandé des mesures d’instruction pour prouver ces faits.

Le département avait admis que les bâtiments sis sur la parcelle n° 2'661 avaient nécessité l’octroi d’une dérogation en lien avec la zone d’affectation, mais son raisonnement était incomplet, faute de prendre en compte que la construction érigée et l’activité déployé devaient être devenues contraires à l’affectation de la zone selon les art. 24c et 37a LAT, 41 à 43 OAT et 27c LaLAT. Ainsi, le législateur, confirmé par la doctrine, exigeait expressis verbis que la construction, pour bénéficier de la garantie de la situation acquise, avait été initialement conforme à l’affectation de la zone et était devenue ultérieurement contraire à ladite affectation en raison d’une modification du plan d’affectation. Or, la construction de la station‑service et du garage avait été autorisée en 1967 en zone agricole (anciennement 5e zone agricole) en dérogation à cette zone, si bien que le principe de séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire du 1er juillet 1972 n’avait pas eu d’effet sur cette zone, puisqu’elle n’avait pas été confrontée à une modification du régime de zone. Elle avait continué à garder sa vocation de zone agricole et n’avait jamais eu l’affectation d’une zone à bâtir. Ainsi, bien que la construction de la station-service ait été légalement autorisée, par dérogation à la zone, il n’en demeurait pas pour autant que la zone ait changé d’affectation depuis lors. Le bâtiment n’avait pas été confronté à une modification du régime des zone, condition imposée par les art. 24c al. 1 LAT et 37a LAT relative à la garantie de la situation acquise, qui ne bénéficiait pas aux constructions qui avaient toujours été contraires à l’affectation de la zone. En conclusion, la zone agricole dans laquelle se trouvait la construction litigieuse n’avait subi aucune modification d’affectation depuis sa création en 1952.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ;
art. 17 al. 3 et 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le recourant invoque tout d’abord la caducité de l’autorisation de construire litigieuse, faute pour les intimés de disposer d’un quelconque intérêt personnel et digne de protection. Il soutient que B______ n’a pas la qualité de partie, puisqu’il n’a qu’un intérêt économique faute d’être titulaire de droit réel sur la parcelle concernée, que C______ n’est pas bénéficiaire de l’autorisation de construire, car elle n’est pas requérante, et que le département n’a aucun intérêt à faire constater la validité de sa propre décision.

2.1 Selon l’art. 7 LPA, ont qualité de partie les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d’un moyen de droit contre cette décision.

À teneur de l’art. 73 LPA, l’autorité qui a pris la décision attaquée et toutes les parties ayant participé à la procédure de première instance sont invitées à se prononcer sur le recours (al. 1). Lorsque le recours est porté devant une juridiction de seconde instance, toutes les parties à la procédure de première instance sont invitées à se prononcer sur le recours (al. 2).

2.2 Conformément à l’art. 2 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), les demandes d’autorisation sont adressées au département (al. 1). Le règlement d’application détermine les pièces qui doivent être déposées par le demandeur et les indications que celui-ci doit fournir concernant les objets destinés à occuper le sous-sol de façon permanente (al. 2). Les plans et autres documents joints à toute demande d’autorisation publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (FAO) doivent être établis et signés par une personne inscrite au tableau des mandataires professionnellement qualifiés dans la catégorie correspondant à la nature de l’ouvrage, au sens de la loi sur l’exercice des professions d’architecte et d’ingénieur, du 17 décembre 1982. Demeurent réservés les projets de construction ou d’installation d’importance secondaire qui font l’objet de dispositions spéciales édictées par voie réglementaire (al. 3).

En vertu de l’art. 11 al. 4 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01) toutes les demandes d’autorisation doivent être datées et signées par le propriétaire de l’immeuble intéressé, ainsi que par le requérant ou l’éventuel mandataire professionnellement qualifié, conformément à l’art. 2 al. 3 LCI.

2.3 Ces dispositions distinguent donc trois parties dans une procédure d’autorisation de construire : le propriétaire, le requérant et l’architecte. Elles admettent implicitement qu’une personne autre que le propriétaire puisse déposer une demande d’autorisation avec la contrainte de l’accord nécessaire du propriétaire, qui est marqué par sa signature sur le formulaire d’autorisation et les plans. Cette règle a été confirmée par la chambre administrative
(
ATA/588/2017 du 23 mai 2017 consid. 3 ; François BELLANGER, La qualité pour recourir des requérants d’autorisation de construire, 2023, p. 7).

Selon la jurisprudence, l’architecte n’a en principe qu’un intérêt indirect et économique à la délivrance d’une autorisation de construire et n’a par conséquent pas qualité pour recourir contre la décision n’autorisant pas un projet de construction. En revanche, l’architecte habilité par le droit cantonal à déposer, avec l’accord du propriétaire, une demande de permis de construire est autorisé à former un recours contre la décision de rejet de celle-ci. Quant au promoteur immobilier, il faut que le lien contractuel avec le propriétaire du terrain soit toujours existant au moment du dépôt du recours, à défaut de quoi, faute d’intérêt actuel, il ne peut se prévaloir d’un intérêt digne de protection (arrêts du Tribunal fédéral 1C_273/2021 du 28 avril 2022 consid. 1.2 ; 1C_547/2020 du 15 septembre 2021 consid. 5.1 et les références citées).

Ainsi, dans le cas d’une procédure de recours initiée par des voisins, la juridiction administrative saisie du recours devrait systématiquement considérer le propriétaire et le requérant comme des parties intimées, dès lors que rien ne peut se faire sans l’accord du propriétaire et que le requérant est juridiquement le bénéficiaire de l’autorisation et donc le bénéficiaire des droits et débiteurs des obligations contenues dans celle-ci. Cette approche est conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral sur l’intérêt digne de protection. En effet, l’intérêt digne de protection du destinataire direct de la décision est généralement admis dès lors qu’il est directement concerné par le dispositif de la décision et a un intérêt à obtenir sa modification ou son annulation ; c’est le cas lorsque la décision lui confère un droit, notamment une autorisation, ou à l’inverse lui impose une obligation ou une charge, supprime un droit ou refuse une autorisation (François BELLANGER, op. cit.,
p. 15).

2.4 En l’espèce, la demande d’autorisation de construire a été déposée par B______, bureau d’ingénieurs, en qualité de requérant, comme le permet le droit genevois et a été dûment signée par C______, propriétaire de la parcelle litigieuse.

Infondé, le premier grief du recourant est écarté.

3.             Le recourant invoque une violation de son droit d’être entendu. En substance, il reproche au TAPI de ne pas avoir ordonné certaines mesures d’instruction, en particulier un transport sur place, sa comparution personnelle et l’audition de I______. Il soutient que le jugement entrepris n’est pas basé sur des faits dûment établis et que les actes qu’il avait sollicités étaient indispensables pour clarifier l’historique des activités déployées sur la parcelle de l’intimée.

Il requiert que la chambre de céans ordonne ces mesures d’instruction.

3.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du
18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s’étend qu’aux éléments pertinents pour l’issue du litige et n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n’implique pas le droit à une audition orale (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1), ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

3.2 En l’occurrence, le recourant a eu l’occasion de développer son argumentation à maintes reprises, tant devant le TAPI que devant la chambre de céans, et de faire valoir toute pièce utile. Il n’explique pas les raisons pour lesquelles son audition orale se justifierait.

Par appréciation anticipée des preuves et comme il sera vu ci-dessous, un transport sur place et l’audition de témoins, au demeurant non obligatoires, ne s’avèrent ni utiles ni nécessaires à la résolution du litige.

Il ne sera donc pas donné suite à la demande d’instruction complémentaire et le TAPI pouvait également, pour les mêmes motifs, renoncer à ces mesures.

Le grief de violation du droit d’être entendu peut ainsi également être écarté.

4.             Le recourant invoque une violation des art. 24c et 37a LAT, 41, 42 et 43 OAT et 27C de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du
4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30). Il soutient que la construction érigée et l’activité déployée ne sont pas « devenues » contraires à l’affectation de la zone, puisqu’elles l’ont toujours été, qu’il y a eu un changement d’affectation de l’activité industrielle/artisanale en une activité commerciale nouvelle, et que l’exigence de continuité temporelle instaurée par la jurisprudence a été violée.

Il fait également grief au TAPI d’avoir procédé à une constatation incomplète des faits pertinents concernant les préavis de la commune.

4.1 En vertu de l’art. 1 al. 1 let. b LCI, nul ne peut, sur tout le territoire du canton, sans y avoir été autorisé, modifier, même partiellement, le volume, l’architecture, la couleur, l’implantation, la distribution ou la destination d’une construction ou d’une installation.

Selon l’art. 22 LAT, aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l’autorité compétente (al. 1). L’autorisation est délivrée si : la construction ou l’installation est conforme à l’affectation de la zone (al. 2 let. a) ; si le terrain est équipé (al. 2 let. b).

4.2 D’après l’art. 16 al. 1 LAT, les zones agricoles servent à garantir la base d’approvisionnement du pays à long terme, à sauvegarder le paysage et les espaces de délassement et à assurer l’équilibre écologique ; elles devraient être maintenues autant que possible libres de toute construction en raison des différentes fonctions de la zone agricole et comprennent : les terrains qui se prêtent à l’exploitation agricole ou à l’horticulture productrice et sont nécessaires à l’accomplissement des différentes tâches dévolues à l’agriculture (let. a) ; les terrains qui, dans l’intérêt général, doivent être exploités par l’agriculture (let. b).

L’art. 16a LAT prévoit notamment que sont conformes à l’affectation de la zone agricole les constructions et installations qui sont nécessaires à l’exploitation agricole ou à l’horticulture productrice (al. 1), ainsi que les constructions et installations qui servent au développement interne d’une exploitation agricole ou d’une exploitation pratiquant l’horticulture productrice (al. 2).

4.3 En l’espèce, la construction litigieuse, située en zone agricole, n’est pas conforme à l’affectation de la zone, ce qui n’est pas contesté. Une autorisation pour constructions conformes à la zone au sens de l’art. 22 al. 2 LAT n’entre donc pas en considération.

Il convient donc d’examiner si les conditions de dérogation pour des constructions hors de la zone à bâtir sont réalisées.

4.4 Aux termes de l’art. 24c LAT, hors de la zone à bâtir, les constructions et installations qui peuvent être utilisées conformément à leur destination mais qui ne sont plus conformes à l’affectation de la zone bénéficient en principe de la garantie de la situation acquise (al. 1). L’autorité compétente peut autoriser la rénovation de telles constructions et installations, leur transformation partielle, leur agrandissement mesuré ou leur reconstruction, pour autant que les bâtiments aient été érigés ou transformés légalement (al. 2). Dans tous les cas, les exigences majeures de l’aménagement du territoire doivent être remplies (al. 5).

Selon l’art. 37a LAT, le Conseil fédéral définit les conditions auxquelles sont autorisés des changements d’affectation de constructions et d’installations à usage commercial qui ont été érigées avant le 1er janvier 1980 ou qui sont devenues depuis lors contraires à l’affectation de la zone en raison d’une modification du plan d’affection.

4.5 Les art. 41 et 42 OAT précisent le champ d’application de l’art. 24c LAT et les modifications apportées aux constructions et installations érigées selon l’ancien droit.

L’art. 43 al. 1 OAT, qui se rapporte à l’art. 37a LAT, prévoit que les changements d’affectation et les agrandissements de constructions et installations artisanales ou commerciales devenues contraires à l’affectation de la zone peuvent être
autorisés : si la construction ou l’installation a été érigée ou transformée légalement (let. a) ; s’il ne résulte aucun nouvel impact important sur le territoire et l’environnement (let. b) ; si la nouvelle utilisation ne contrevient à aucune autre loi fédérale (let. c).

L’art. 43a OAT, intitulé « Dispositions communes », dispose que des autorisations ne peuvent être délivrées sur la base de la présente section que si les conditions suivantes sont remplies : la construction n’est plus nécessaire à l’utilisation antérieure conforme à l’affectation de la zone ou imposée par sa destination ou le maintien de cette utilisation est assuré (let. a) ; le changement d’affectation n’implique pas une construction de remplacement que n’imposerait aucune nécessité (let. b) ; tout au plus une légère extension des équipements existants est nécessaire et tous les coûts supplémentaires d’infrastructure occasionnés par l’utilisation autorisée sont à la charge du propriétaire (let. c) ; l’exploitation agricole des terrains environnants n’est pas menacée (let. d) ; aucun intérêt prépondérant ne s’y oppose (let. e).

4.6 Selon l’art. 27C LaLAT, lequel traite des « Constructions et installations existantes sises hors de la zone à bâtir et devenues non conformes à l’affectation de la zone », le département peut autoriser la rénovation, la transformation partielle, l’agrandissement mesuré ou la reconstruction de constructions ou installations qui ont été érigées ou transformées conformément au droit matériel en vigueur à l’époque, mais qui sont devenues contraires à l’affectation de la zone à la suite d’une modification de la législation ou des plans d’affectation du sol, dans les limites des art. 24c et 37a LAT et 41 à 43 OAT et aux conditions fixées par ces dispositions (al. 1). Les constructions visées à l’art. 43 OAT sont régies par les normes de la 4e zone. Les autres constructions existantes sont régies par les normes de la 5e zone (al. 2).

4.7 Il ressort des explications relatives à l’OAT et recommandations pour la mise en œuvre, publiées par l’Office fédéral du développement territorial (ci-après : ARE), que le législateur a soumis à une réglementation spéciale la garantie des situations acquises pour les constructions et installations à usage commercial sises hors de la zone à bâtir qui sont devenues contraires à l’affectation de la zone.
L’art. 37a LAT et l’art. 43 OAT constituent des lois spéciales par rapport à
l’art. 24c LAT et à l’art. 42 OAT. En adoptant l’art. 37a LAT, les Chambres fédérales ont voulu permettre aux entreprises commerciales sises hors zone à bâtir d’effectuer les restructurations indispensables au maintien de leur compétitivité. Dans une telle situation, il va de soi que les agrandissements correspondant à de tels objectifs doivent aussi faire l’objet de cette réglementation spéciale. L’art. 43 OAT traite uniquement des changements d’affectation et des agrandissements. Les rénovations et les reconstructions de constructions à usage commercial sises hors de la zone à bâtir sont à examiner à la lumière de l’art. 24c LAT et de l’art. 42 OAT (Explications relatives à l’OAT, 2001, p. 46).

L’art. 43 OAT est applicable, d’une part, à toutes les constructions ou installations à usage commercial érigées avant l’entrée en vigueur de la LAT, par conséquent avant le 1er janvier 1980. Sont visées les constructions ou installations qui étaient déjà situées hors de la zone à bâtir au moment de leur réalisation et qui, conformément aux dispositions en vigueur à cette époque – il s’agit principalement de l’arrêté fédéral du 17 mars 1972 instituant des mesures urgentes dans le domaine de l’aménagement du territoire et de l’ancienne loi sur la protection des eaux qui était entrée en vigueur le 1er juillet 1972 – avaient été autorisées parce qu’elles étaient imposées par leur destination ou que le requérant avait prouvé l’existence d’un intérêt objectivement fondé pour cette réalisation qui, par ailleurs, ne s’opposait à aucun intérêt public. Mais l’art. 43 OAT s’applique également aux constructions érigées à un moment où le régime de la séparation des zones constructibles et non constructibles introduit par la législation sur la protection des eaux n’était pas encore en vigueur. Il concerne, d’autre part, les constructions qui, indépendamment de la date de leur réalisation ou transformation, sont devenues contraires à l’affectation de la zone lors de l’établissement du premier plan d’affectation conforme à la LAT, et en général à la suite du redimensionnement des zones à bâtir trop étendues (Explications relatives à l’OAT, p. 47).

4.8 Selon la jurisprudence, les art. 37a LAT et 43 OAT ont pour objectif de permettre aux entreprises commerciales sises hors de la zone à bâtir de maintenir leur activité, de se moderniser et de se restructurer afin de préserver les emplois, le cas échéant en changeant d’orientation. Il s’agit d’une extension de la garantie de la situation acquise (art. 24c LAT) en faveur des constructions à usage commercial. Ni l’ordonnance, ni la loi ne posent expressément d’exigence quant à la continuité de l’activité commerciale. Celle-ci découle toutefois clairement des buts de la réglementation, qui est d’accorder aux entreprises commerciales ou artisanales existantes la flexibilité dont elles peuvent avoir besoin en termes d’augmentation de capacité et d’adaptation des processus de production, pour pouvoir demeurer compétitives. Il ne s’agit donc en aucun cas d’ouvrir des bâtiments commerciaux ou artisanaux désaffectés à des usages tout différents (idem), ou de permettre l’installation en zone agricole d’entreprises entièrement nouvelles (arrêt du Tribunal fédéral 1C_176/2010 du 30 juillet 2010 consid. 2.2 et les références citées).

La protection de la situation acquise instituée par ces dispositions ne s’étend pas aux bâtiments en ruine, inutilisables et prêts à s’écrouler ; il ne faut en effet pas que de tels bâtiments puissent être transformés en constructions nouvelles. La garantie de la propriété ne confère au surplus aucun droit à réutiliser à des fins de construction un emplacement où ont déjà été érigés des ouvrages ou à conserver
au-delà de sa durée de vie un ouvrage convenablement entretenu. En effet, pour qu’un bâtiment d’habitation puisse être utilisé conformément à sa destination, il faut, entre autres, que les structures porteuses, les sols et le toit soient en majeure partie intacts (arrêts du Tribunal fédéral 1C_589/2017 du 16 novembre 2018
consid. 2.1 ; 1C_215/2012 du 30 octobre 2012 consid 2.1).

L’art. 43 al. 1 let. a OAT prévoit que seules les constructions et les installations à usage commercial érigées ou transformées légalement, soit en conformité avec les normes en vigueur avant le 1er janvier 1980, peuvent bénéficier d’un changement d’affectation ou d’un agrandissement. Il n’y a en effet aucune raison d’étendre la garantie de la situation acquise aux bâtiments qui ont été édifiés illégalement ou qui ont été construits légalement, puis transformés sans avoir obtenu les autorisations requises (arrêt du Tribunal fédéral 1A.12/2003 du 2 juillet 2003 consid 3.2).

Les exigences de l’art. 43a OAT, qui valent comme « dispositions communes » pour toutes les constructions et installations en dehors de la zone à bâtir réglementées à la section 6, doivent être cumulativement remplies. En particulier, les modifications ou agrandissements subséquents ne sauraient contrevenir à un intérêt prépondérant qui s’y opposerait (let. e). Cela suppose une évaluation globale et une mise en balance des intérêts complètes (arrêt du Tribunal fédéral 1C_655/2015 du 16 novembre 2016 consid. 3). La garantie de la situation acquise plus large prévue aux art. 37a LAT et 43 OAT vaut donc sous réserve qu’elle ne contrevienne à aucun objectif important d’aménagement du territoire, respectivement à aucun intérêt prépondérant (JdT 2021 I p. 290 consid. 4.1).

La notion d’usage commercial en droit de l’aménagement du territoire diffère de celle utilisée dans le cadre de la liberté économique, puisqu’elle a trait aux nuisances éventuelles découlant d’une activité particulière. Dans ce contexte, l’usage d’un appartement de vacances est identique à celui d’un appartement loué à longue durée. En adoptant l’art. 37a LAT, le législateur visait la conservation de petites et moyennes entreprises de production dans la zone agricole. Ainsi, la simple mise à disposition d’un appartement, par opposition par exemple à l’exploitation d’un hôtel, ne constitue pas une activité couverte par l’art. 37a LAT
(ATF 140 II 509 consid. 3).

4.9 Les objets qui peuvent bénéficier de la garantie de la situation acquise en zone agricole concernent trois périodes successives : (1) ceux qui sont construits avant le 1er juillet 1972, à savoir la date d’entrée en vigueur de l’ancienne législation sur la protection des eaux contre la pollution qui établissait la première séparation officielle entre les secteurs constructibles et non-constructibles ; (2) les ouvrages construits jusqu’au 1er janvier 1980, date d’entrée en vigueur de la LAT ; (3) les ouvrages construits depuis lors. Lors de chacune de ces périodes, les règles applicables à la zone agricole ont été modifiées ; ne bénéficient de la garantie de la situation acquise que les ouvrages qui à chaque fois ont été érigés dans le respect des prescriptions du moment. Les constructions illicites sont donc soustraites à toute garantie, même si un rétablissement de l’état conforme au droit n’a jamais pu être effectué pour des raisons de proportionnalité, de prescription ou de préemption, même si dite construction a été détruite volontairement ou par accident et même si le registre foncier ne fait pas état de la situation (Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit public de la construction, 2024, n. 465).

L’art. 37a LAT représente un cas particulier de la garantie étendue de la situation acquise définie à l’art. 24c LAT (Rudolf MUGGLI, dans :
Heinz AEMISEGGER/Pierre MOOR/Alexander RUCH/Pierre TSCHANNEN, Commentaire pratique LAT : Construire hors zone à bâtir, 2017, ad art. 37a, n. 6). Les bâtiments à usage commercial sont privilégiés par rapport aux autres constructions non conformes à la zone, en ce sens que c’est la date du
1er janvier 1980 qui a été retenue pour l’entrée en vigueur du droit nouveau et non celle du 1er juillet 1972 (Anne-Christine, FAVRE, La zone agricole, dans : Journées suisses du droit de la construction, 2009, p. 73). Ni la loi ni l’ordonnance ne définissent plus précisément ce que sont des constructions et installations à usage commercial. À en juger d’après les travaux préparatoires, la notion recouvre les petites et moyennes entreprises à vocation productrice (Rudolf MUGGLI, op. cit., ad art. 37a, n. 10).

L’art. 37a LAT s’applique expressément aux constructions qui ont été érigées avant le 1er janvier 1980 conformément au droit matériel en vigueur, ou qui sont, depuis, devenues contraires à l’affectation de la zone en raison d’une modification du plan d’affectation concerné (Rudolf MUGGLI, op. cit., ad art. 37a, n. 13).

Il faut, comme dans le cas de l’art. 24c LAT, que l’objet pour lequel une dérogation au titre des art. 37a LAT et 43 OAT est sollicitée ait été, dans son volume actuel, érigé ou transformé légalement et qu’il puisse encore être utilisé conformément à sa destination. La raison en est que l’art. 37a LAT représente, du point de vue de sa genèse, un cas particulier de l’art. 24c LAT (Rudolf MUGGLI, op. cit., ad art. 37a, n. 12). Les constructions qui n’ont jamais été conformes à la zone dans laquelle elles ont été édifiées, ou qui ont été érigées sans autorisation et ne sont pas régularisées, ne peuvent en aucune cas bénéficier du régime de l’art. 24c LAT
(Anne-Christine FAVRE, op. cit., p. 72).

Le fait que les changements complets d’affectation soient autorisés, ne signifie toutefois pas qu’une construction à usage commercial puisse être utilisée à n’importe quelle autre fin commerciale (selon le principe « un commerce reste un commerce »). Ne sont ainsi admissibles que les changements d’affectation qui ne génèrent aucun nouvel impact important sur le territoire et l’environnement, qui exigent tout au plus une « légère extension » des équipements existants et qui sont conformes aux exigences majeures de l’aménagement du territoire
(Rudolf MUGGLI, op. cit., ad art. 37a, n. 17).

4.10 Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI). Ils n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l’autorité reste ainsi libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur (ATA/1157/2018 du 30 octobre 2018 consid. 5j et les références citées). Toutefois, lorsqu’un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/873/2018 du 28 août 2018 consid. 6b et les références citées).

Selon une jurisprudence bien établie, la chambre de céans observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l’autorité inférieure suive l’avis de celles-ci. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s’écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/1344/2023 du 12 décembre 2023 consid. 2.8 ; ATA/896/2021 du 31 août 2021 consid. 4d)

4.11 En l’espèce, il convient d’examiner au préalable si les art. 37a LAT et 43 OAT sont applicables au présent litige, dès lors que ces dispositions contiennent une réglementation spéciale concernant la garantie de la situation acquise d’anciennes constructions et installations à usage commercial en zone agricole.

L’intimée est une société anonyme inscrite au registre du commerce, qui a notamment pour but l’achat, la vente, l’importation, l’exportation de toutes matières premières, marchandises, produits et articles manufacturés ou non. Elle est propriétaire de la parcelle n° 2'661 et a son siège social à l’adresse du bâtiment litigieux qui y est érigé. Elle a sollicité en 1967 une autorisation de construire afin d’installer un atelier de réparation avec une fosse, deux pompes à essence et une station de lavage. L’autorisation de construire délivrée en juillet 1967 n’a pas été intégralement produite, puisque le rapport de la centrale des autorisations auquel elle fait expressément référence n’est pas au dossier. Cela étant, il ressort clairement de l’autorisation que l’installation d’une « station-service » a été autorisée et que la construction d’un « ilot de distribution de carburant, à l’exclusion de toute autre installation et construction » a été admise. L’intimée a exploité sa station-service en vendant de l’essence dès 1969 et a également tenu un petit magasin de « tabac‑souvenirs » dans le bâtiment déjà existant, ce que le recourant admet au demeurant. Ces activités correspondent à un « usage commercial ». Que l’intimée ait en sus exploité un garage, en procédant à des réparations dans son atelier, est sans incidence. En effet, l’art. 43 OAT se réfère expressément aux constructions et installations « artisanales », ce qui permet de retenir que de telles activités entrent dans la notion d’« usage commercial » qui doit s’interpréter largement.

Les constructions et installations de l’intimée, vouées à un « usage commercial », ont été érigées avant le 1er janvier 1980. Contrairement à ce que soutient le recourant, les dispositions pertinentes n’exigent pas qu’elles soient en outre « devenues depuis lors contraires à l’affectation de la zone » pour pouvoir bénéficier de la garantie des situations acquises. En effet, l’art. 37a LAT prévoit clairement que ces deux conditions sont alternatives, ce qui est encore confirmé par les explications de l’ARE et de la doctrine. L’art. 43 OAT s’applique à toutes les constructions et installations à usage commercial érigées avant l’entrée en vigueur de la LAT.

L’intimée a sollicité et obtenu l’autorisation nécessaire du département compétent le 12 juillet 1967. Il résulte de la jurisprudence que la protection des bâtiments existants ne s’applique pas aux bâtiments construits illégalement ou qui, bien que construits légalement à l’époque, ont été modifiés ultérieurement sans autorisation. C’est dire que si les travaux ont été effectués au bénéfice d’une autorisation de construire, la condition de leur « légalité » est remplie. La question de savoir si les constructions litigieuses étaient conformes à l’affectation de la zone selon le droit genevois alors en vigueur n’est donc pas pertinente, puisqu’elles ont été dûment autorisées et non pas simplement tolérées.

L’objet de la dérogation sollicitée, soit l’arcade commerciale, peut en outre encore être utilisée conformément à sa destination, puisque les travaux prévus sont de très faible ampleur. Il est rappelé à cet égard que l’OU a relevé que le changement d’affectation ne nécessitait pas de travaux importants et pouvait être considéré comme mineur et être autorisé par dérogation (préavis du 13 juin 2022), et que l’OCEau a également constaté que les travaux projetés étaient de faible importance (préavis du 11 août 2022).

Les autorités de préavis sollicitées ont par ailleurs confirmé que la création d’un « shop change » dans l’ancienne arcade n’engendrerait pas de nouvel impact important sur le territoire et l’environnement. L’OCAN a notamment relevé que les aménagements projetés ne portaient pas atteinte à l’exploitation agricole des terrains avoisinants et qu’aucun intérêt prépondérant de l’agriculture n’était lésé (préavis du 16 mai 2022). Le recourant ne le conteste pas, étant en particulier rappelé qu’il n’a pas repris, devant la chambre de céans, ses griefs en lien avec l’absence de consultation de la CCDB, l’accroissement du trafic et ses impacts négatifs, l’absence de mise en séparatif totale de la parcelle, les risques liés aux impacts du projet sur la politique globale de la mobilité de la commune, la faune ou la flore, lesquels ont été rejetés ou déclarés irrecevables par le TAPI. Il ne soutient pas non plus que la nouvelle utilisation serait contraire à une loi fédérale.

Enfin, l’intéressé se réfère à la jurisprudence relative à la continuité de l’activité commerciale et fait valoir que toutes les activités déployées sur la parcelle litigieuse ont été abandonnées. La chambre de céans constate cependant que le cas d’espèce n’est en rien comparable avec l’arrêt auquel il se réfère (arrêt du Tribunal fédéral 1C_176/2010 du 30 juillet 2010). Cette affaire concernait une activité commerciale initiale de « porcherie industrielle » qui avait pris fin en 1993 et le locataire qui avait ensuite occupé les lieux s’était uniquement servi d’une pièce comme bureau, sans que cela ne constitue le centre de son activité commerciale, jusqu’en 2005. Les transformations opérées étaient intervenues après douze ans de désaffectation, de sorte que le Tribunal fédéral a jugé que les conditions posées aux art. 37a LAT et 43 OAT n’étaient pas réunies. Dans le cas présent, il ressort de la « fiche facture du contrôle » établie par l’OCIRT le 23 octobre 2017 que les deux distributeurs de carburant étaient alors « en ordre », ce qui vient conforter les déclarations de l’intimée, qui a soutenu que la station-service avait été exploitée au moins jusqu’à cette date. On relèvera encore que les photographies produites par l’intimée attestent du bon entretien des installations et constructions. Ces images sont manifestement récentes, puisqu’elles montrent un état des lieux similaire à celui du cliché reproduit dans le rapport diagnostic des polluants du 7 avril 2022 suite à une inspection du 8 mars 2022. Compte tenu de ces éléments, il ne fait aucun doute que le bâtiment n’est pas « en ruine, inutilisable et prêt à s’écrouler ». Il ne s’agit en aucun cas d’un bâtiment « désaffecté ». En outre, le recourant ne conteste pas que les locaux concernés par la demande d’autorisation litigieuse ont abrité un bar ou un café, exploité jusqu’au début de l’année 2020. Qui plus est, l’activité prévue par M______ correspond pour l’essentiel à celle initialement déployée sur la parcelle de l’intimée, soit l’exploitation d’une station-service, avec un petit magasin. L’autorisation sollicitée, qui vise uniquement à la création d’un nouveau bureau de change dans l’arcade commerciale, n’entrainera donc pas un usage complètement différent des lieux.

Enfin, le recourant fait valoir que le préavis de la commune serait entaché d’une erreur manifeste, puisqu’elle aurait retenu que l’autorisation litigieuse avait pour but de déplacer la « station-service ». Cette appréciation ne saurait être suivie. Dans son premier préavis du 16 mai 2022, la commune s’est opposée au projet, au motif qu’un second « shop-change » sur son territoire n’apporterait aucune plus-value. Lors de sa seconde détermination, elle a pris en considération le fait qu’il s’agissait du déplacement du « shop-change » situé au milieu du village. Elle n’a donc pas pensé qu’une seule station-service serait exploitée sur son territoire.

En tous points infondé, le recours sera rejeté.

4.12 Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune une indemnité de procédure ne sera allouée, dès lors que C______ n’a pas bénéficié des services d’un mandataire (art. 87 al. 2 LPA).

La conclusion de l’intimée tendant à obtenir une indemnisation relative au manque à gagner généré par cette procédure est par ailleurs exorbitante au litige, de sorte qu’elle sera déclarée irrecevable.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette dans la mesure où il est recevable le recours interjeté le 18 septembre 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 août 2023 ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Daniel BORGEAUD, avocat du recourant, au département du territoire-OAC, à B______ SA, à C______ SA, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu’à l’office du développement territorial (ARE).

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juge, Louis PEILA, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :