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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1399/2022

ATA/332/2024 du 05.03.2024 sur JTAPI/13/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1399/2022-PE ATA/332/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 mars 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______, agissant en son nom et celui de sa fille mineure B______

représentée par le Centre social protestant, soit pour lui Sandra LACHAL, mandataire recourantes

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 janvier 2023 (JTAPI/13/2023)


EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1985, est ressortissante du Kosovo.

b. Selon ses déclarations, elle serait arrivée à Genève en février 2020 ou le 24 avril 2020.

c. Le _____ 2021, A______ a donné naissance, à Genève, à une fille prénommée B______, également de nationalité kosovare.

d. Elle a également donné naissance à Genève, le ______ 2022, à un fils, C______.

B. a. Le 5 octobre 2021, A______ a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) une demande d’autorisation de séjour pour cas de rigueur.

Elle a exposé que vers la fin du mois d'avril 2020, elle avait participé à une soirée au bord du lac avec des personnes qu'elle avait récemment rencontrées et y avait subi un viol. Elle s'était réveillée le lendemain matin sans se souvenir de l'agression sexuelle et n'avait par la suite pas porté plainte, ne sachant pas qui l’avait agressée et se trouvant en situation irrégulière. Durant le mois suivant, ressentant une grande fatigue et prise de vomissements, elle avait effectué un test de grossesse qui s’était révélé positif. Elle n’en avait pas informé sa famille, qui était musulmane traditionnaliste, craignant d’être reniée par elle. Durant sa grossesse, qui avait été confirmée à 20 semaines d'aménorrhée, elle avait bénéficié d’un suivi social, obstétrical, pédopsychiatrique et psychiatrique. Si elle devait retourner au Kosovo, elle se trouverait dans l’obligation de révéler à sa famille l’existence de sa fille, née hors mariage et issue d’un viol. Elle serait exposée à un risque élevé de rejet de leur part.

Elle a notamment produit un document rédigé par l’organisation suisse d’aide aux réfugiés (ci-après : OSAR) du 7 octobre 2015 et intitulé « Kosovo : violence contre les femmes et retour des femmes seules », ainsi qu’un rapport médical du 23 septembre 2021 de la Dre D______, médecin psychiatre.

À teneur de ce document, son suivi psychologique et psychiatrique revêtait une importance particulière, dès lors qu’elle souffrait de stress post-traumatique. Son incapacité à se souvenir du déroulement de l’agression sexuelle suggérait une très probable amnésie dissociative péritraumatique rendant compte de l’intensité du traumatisme. Sans traitement adéquat, le pronostic était réservé, avec risque de réactivation de trouble de stress post-traumatique, alors que le pronostic était bon si elle pouvait poursuivre son traitement psychiatrique et psychologique et vivre en sécurité en Suisse.

b. Par courriel du 5 novembre 2021, l’Hospice général (ci-après : l'hospice) a confirmé à l’OCPM que A______ n’émargeait pas à son budget.

c. Le 11 novembre 2021, l’office des poursuites (ci-après : OP) a informé l’OCPM que l’intéressée ne faisait l’objet ni de poursuites pour dettes, ni d’actes de défaut de biens.

d. Par lettre du 9 décembre 2021, A______, donnant suite à une demande de renseignements de l’OCPM, a fourni la liste des membres de sa famille vivant au Kosovo. Il s’agissait de son père, de sa mère, de ses trois sœurs et de son frère. Elle a aussi communiqué un curriculum vitae en anglais, dont il ressort que l'albanais était sa langue maternelle et qu'elle parlait l'anglais au niveau A2.

Elle s’était rendue en Suisse afin de rendre visite à une amie, qui résidait à Genève et qu’elle avait rencontrée au Kosovo. Elle avait toujours vécu chez ses parents, qui la prenaient en charge. Elle avait suivi des études de criminologie au Kosovo, puis effectué un stage au département de l'état civil, mais n’avait pas trouvé d’emploi. Sa famille ignorait l’existence de B______ et refuserait certainement de l’accueillir. Elle avait bu lors de la soirée et s’était réveillée le lendemain sans se souvenir de ce qui s’était passé. Lorsque, par la suite, elle avait découvert sa grossesse, elle avait décidé d’y consacrer son énergie, plutôt que de déposer une plainte pénale et d’affronter une procédure psychiquement difficile qu’elle pensait dépourvue de chances de succès, étant donné qu’elle ignorait l’identité de son agresseur.

e. Le 17 janvier 2022, l’OCPM a fait part à A______ de son intention de rejeter sa requête. Un délai lui était accordé pour faire valoir ses observations.

f. L’intéressée s’est déterminée par pli du 16 février 2022. Reprenant les arguments exposés dans sa demande d’autorisation de séjour, elle a ajouté qu’elle était venue rejoindre son père en Suisse en 1999, celui-ci bénéficiant alors d’une autorisation d’établissement. Elle avait ainsi obtenu un titre de séjour dans le canton de Zurich, mais ne se souvenait pas combien de temps elle avait résidé en Suisse.

Elle a également produit un certificat médical rédigé le 11 février 2022 par la Dre D______, indiquant qu’elle bénéficiait d’un suivi psychologique et psychiatrique régulier dans le cadre de la naissance de sa fille. Elle avait besoin de ce suivi afin de s’assurer de la stabilité de son état thymique et de l’absence de réapparition de symptômes de stress post-traumatique.

g. Par décision du 21 mars 2022, l’OCPM a refusé de soumettre le dossier de A______ et de sa fille avec un préavis favorable au secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM), afin que cette autorité leur délivre une autorisation de séjour pour cas d'extrême gravité. Il a également prononcé leur renvoi de Suisse.

Elles n’avaient jamais produit de passeport valable. La durée du séjour de A______ devait être relativisée par rapport au nombre d’années qu’elle avait passées dans son pays d’origine, dont son adolescence. Le fait qu’elle ait disposé par le passé d’un permis C n’y changeait rien. Elle ne pouvait pas se prévaloir d’une intégration sociale ou professionnelle particulièrement marquée au point de devoir admettre qu’elle ne puisse quitter la Suisse sans devoir être confrontée à des difficultés insurmontables. Elle n’avait pas non plus acquis des connaissances, ni des qualifications spécifiques qui ne pourraient être mises en pratique au Kosovo.

S’agissant de la naissance de sa fille issue de son agression sexuelle, rien ne démontrait que sa famille lui refuserait le retour dans son pays d’origine. Le fait qu’elle doive lui annoncer la naissance de son enfant ne constituait pas, à lui seul, un élément constitutif d’un cas de rigueur, ce d’autant moins qu’elle avait eu connaissance de sa grossesse quatre semaines après son agression. Elle avait, dès lors, choisi de garder son enfant en toute connaissance de cause.

En outre, aucun élément du dossier ne démontrait la nécessité absolue de suivre son traitement psychologique exclusivement en Suisse, le Kosovo disposant d’un centre d’aide aux femmes avec enfants à E______, dont les coordonnées étaient indiquées. Les personnes vulnérables pouvaient obtenir une aide au logement durant une année afin de les aider à se réinstaller. Étant donné que sa prise en charge était possible dans son pays d’origine, l’exécution de son renvoi était raisonnablement exigible.

C. a. Par acte du 4 mai 2022, A______ a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre a décision précitée, concluant principalement à son annulation et à ce que le TAPI constate qu’elle remplissait les conditions pour obtenir une autorisation de séjour. Subsidiairement, elle a conclu à ce qu’il soit constaté que son renvoi était inexigible.

Elle logeait au Foyer F______. Elle avait subi un grave traumatisme consécutif à son viol et à la grossesse qui en avait résulté et elle avait eu besoin d’un suivi médical important, tant pour l’aider à surmonter l’agression subie que pour favoriser la relation avec son enfant et assurer qu’elle soit en mesure de la prendre en charge de manière adéquate. Grâce au soutien dont elle avait pu bénéficier à Genève et à sa détermination, elle s’était totalement investie dans son rôle de mère et entretenait avec B______ une relation harmonieuse. Elle avait pu stabiliser son état de santé avec une régression de la symptomatologie post-traumatique. Le renvoi en tant que tel générait toutefois un risque important de réactivation du trouble de stress post-traumatique du fait de la dégradation de ses conditions de vie et de ses très probables conflits avec sa famille.

Elle avait récemment annoncé à sa mère l’existence de sa fille, en espérant qu’elle en parlerait aux hommes de sa famille. Ceux-ci avaient réagi très violemment, lui indiquant que puisque le bébé n’était pas issu d’un mariage, ils ne le reconnaissaient pas et que leur porte leur était désormais fermée. Elle craignait qu’ils ne se montrent violents à leur encontre s’ils apprenaient leur retour au Kosovo, sa situation de mère célibataire constituant un affront pour la famille. Ils l’avaient bloquée sur l’application WhatsApp et elle n’avait, depuis lors, plus eu de contact avec eux.

Selon l’OSAR, la durée de l’aide au logement accordée aux personnes vulnérables se limitait à six mois et ne pouvait qu'exceptionnellement être portée à douze mois. Les lieux accessibles aux femmes, très rares, étaient réservés à celles ayant subi des violences ou ayant été victimes de traite. Par ailleurs, loger une femme seule était considéré comme immoral au Kosovo. Une femme seule avec un enfant ne pouvait pas travailler et seulement 18% des femmes occupaient un emploi. Dès lors, si elle devait retourner dans son pays d’origine, elle se retrouverait sans moyen de subsistance, ni lieu où vivre. Mère d’un enfant illégitime et non soutenue par les siens, il lui serait impossible de se réintégrer. Un renvoi mettrait en jeu ses conditions minimales d’existence.

Elle se prévalait également de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979 (CEDEF – RS 0.108). Elle avait donné naissance hors mariage à un enfant, issu d’un viol, ce qui était fortement stigmatisé dans la société traditionnelle kosovare. Elle et sa fille avaient été rejetées par leur famille et risquaient fortement de subir des discriminations sociétales telles qu’elles se retrouveraient dans une situation de grande précarité. Dès lors, un renvoi au Kosovo enfreindrait la CEDEF.

Elle a joint diverses pièces, notamment sa carte d'identité kosovare ainsi qu'un certificat du 4 mai 2022 de la Dre D______ posant le diagnostic d’état de stress post-traumatique et indiquant, sous rubrique « évolution », que la patiente ne présentait plus d’anxiété, de trouble du sommeil, ni de reviviscences traumatiques en lien avec son agression. La relation mère-enfant était harmonieuse. S’agissant du traitement, le suivi psychiatrique avait été clos, mais il était recommandé à la patiente de poursuivre un suivi psychologique de soutien, au vu de son contexte de précarité sociale et de son antécédent de trouble de stress post-traumatique, quand bien même elle avait indiqué ne pas en éprouver le besoin actuellement. S’agissant des obstacles à un traitement médical dans le pays d’origine, en cas de retour au Kosovo, la patiente ayant révélé l’existence de sa fille à sa famille qui, selon ses dires, lui avait indiqué qu’elle condamnait cette situation et ne souhaitait plus avoir de contact avec elle, elle serait exposée à un risque de réactivation du trouble de stress post-traumatique favorisé par la dégradation de son contexte de vie et les conflits avec sa famille dont la probabilité était très élevée, ces facteurs étant connus comme influençant de manière négative le pronostic des patients avec un trouble de stress post‑traumatique.

b. Le 19 juillet 2022, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

Selon les dernières informations obtenues de la part de l’ambassade de Suisse
(ci-après : l’ambassade), A______ pourrait être accueillie à son retour dans un centre pour femmes et enfants à E______ pour une durée initiale de six mois, cette durée pouvant être prolongée. Il existait au Kosovo des centres de traitement pour les maladies psychiques. De plus, de nouvelles structures appelées « Maisons de l’intégration » avaient vu le jour dans certaines villes, logeant des personnes atteintes de troubles mineurs de la santé mentale dans des appartements protégés.

c. Dans des écritures subséquentes, A______ a fait valoir que la protection offerte aux femmes existait uniquement à E______ et pour une durée limitée, et qu'elle serait en danger à vie en cas de retour. Les femmes devaient en général quitter le centre en question après deux ou trois mois et rien n’était mis en place pour organiser leur prise en charge après leur départ. Elles devaient retourner dans leur famille ou leur belle-famille. Ce centre ne leur permettait pas de recevoir de l’aide afin de préparer leur propre avenir. Dès lors, en cas de renvoi au Kosovo, elle se retrouverait rapidement livrée à elle-même avec sa fille.

Il était douteux qu’elle pût bénéficier des « Maisons de l’intégration », étant donné que son état de stress post-traumatique consécutif à son viol était stabilisé grâce à sa prise en charge interdisciplinaire. Elle pouvait vivre de manière ordinaire, continuer son intégration et chercher un emploi. Un renvoi au Kosovo risquerait, au contraire, de réactiver ce trouble. Son besoin sur le plan médical n’était pas de pouvoir bénéficier d’une structure thérapeutique au Kosovo, mais de pouvoir rester vivre à Genève dans un environnement sécurisant.

d. Par jugement du 9 janvier 2023, le TAPI a rejeté le recours.

Sans minimiser l’état de stress post-traumatique affectant l'intéressée, celle-ci n’avait ni démontré, ni rendu vraisemblable l’existence de menaces proférées contre elle et sa fille par sa famille, désormais au courant de l’existence de cette dernière. Dès lors, il ne pouvait être retenu qu’en cas de retour au Kosovo, elles se retrouveraient concrètement exposées à un grave danger.

Il y avait lieu de retenir que des soins psychiatriques étaient disponibles au Kosovo et que A______ pourrait, en cas de besoin, y poursuivre le suivi régulier psychiatrique et psychologique préconisé par la Dre D______. Il était enfin fréquent que de nombreux étrangers confrontés à l'imminence d'un départ de Suisse soient victimes de troubles psychiques, sans qu'il faille pour autant y voir un empêchement dirimant à l'exécution du renvoi. Si le retour ne serait pas sans difficultés, ce dernier pouvait être préparé en amont par le réseau mis en place autour de A______ et de sa fille, afin que leur réinstallation et leur prise en charge se fassent dans les meilleures conditions possibles.

D. a. Par acte posté le 10 février 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant principalement à son annulation, à ce que la chambre administrative constate qu’elle-même, sa fille B______ et son fils C______ remplissaient les conditions pour obtenir une autorisation de séjour, ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure, et subsidiairement à ce qu'il soit constaté que leur renvoi était inexigible et que la cause soit renvoyée à l'OCPM pour nouvelle décision.

Elle avait donné naissance à son fils C______ le ______ 2022. Le père, qui n'était pas en couple avec elle, n'avait pas reconnu l'enfant.

Le rapport de l'OSAR établissait la stigmatisation qui frappait les femmes victimes de violences sexuelles en cas de retour au Kosovo. Elle ne pouvait pas établir les menaces reçues de sa famille plus qu'elle ne l'avait fait, car elle avait eu une conversation téléphonique avec sa mère, ensuite de quoi les membres de sa famille avaient « coupé les ponts » avec elle et l'avaient bloquée sur l'application WhatsApp, si bien qu'elle n'avait plus échangé avec eux et avait effacé les conversations. Aucun élément ne venait de plus infirmer ses dires, qui étaient rendus vraisemblables par le fait qu'elle avait toujours exprimé des craintes concernant la réaction de sa famille.

Comme déjà expliqué dans son recours de première instance, les possibilités pour elle de se loger au Kosovo et d'y être indépendante étaient quasi inexistantes au vu de la mentalité locale. Les centres mentionnés par le TAPI ne recevaient des femmes que pour six mois au maximum, ce qui avait été confirmé par une interprète albanaise de la Croix-Rouge, et il s'agissait de centres fermés dont les femmes ne pouvaient pas sortir. Il ne pouvait constituer une solution d'accueil pour elle et ses enfants. Les conséquences d'un départ de Suisse seraient dès lors dramatiques pour eux.

Enfin, l'exécution du renvoi était inexigible à la lumière de la CEDEF, dont les organes avaient déclaré que les États contractants avaient l'obligation de ne renvoyer aucune femme dans un État où sa vie, son intégrité physique, sa liberté et sa sécurité seraient mises en danger et où elle risquerait de subir des formes graves de discrimination.

b. Le 21 mars 2023, l'OCPM a conclu au rejet du recours. Les arguments soulevés dans celui-ci, en substance semblables à ceux présentés en première instance, n'étaient pas de nature à modifier sa position. Le sort de l'enfant C______, né le ______ 2022, devait suivre celui de sa mère et de sa sœur.

c. Le 27 mars 2023, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 5 mai 2023 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 4 mai 2023, l'intimé a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires à formuler.

e. Le 5 mai 2023, la recourante en a fait de même.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur le refus de l’OCPM de préaviser favorablement auprès du SEM les autorisations de séjour de la recourante et de ses enfants.

2.1 Le recours devant la chambre administrative peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte des faits (art. 61 al. 1 LPA). En revanche, celle-ci ne connaît pas de l'opportunité des décisions prises en matière de police des étrangers, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte (art. 61 al. 2 LPA ; art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 – LaLEtr -  F 2 10, a contrario ; ATA/12/2020 du 7 janvier 2020 consid. 3).

2.2 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi sur les étrangers du 16 décembre 2005 (aLEtr), qui a alors été renommée LEI, et de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées comme en l’espèce après le 1er janvier 2019 sont régies par le nouveau droit, étant précisé que la plupart des dispositions sont demeurées identiques.

2.3 La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants du Kosovo.

2.4 Aux termes de l'art. 30 al. 1 let. b LEI, il est possible de déroger aux conditions d'admission (art. 18 à 29 LEI) notamment dans le but de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

2.5 L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire la personne requérante aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique que la personne concernée se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'elle tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question et auxquelles la personne requérante serait également exposée à son retour, ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1 ; 2A.255/1994 du 9 décembre 1994 consid. 3). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par la personne requérante à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/163/2020 du 11 février 2020 consid. 7b).

La question n'est donc pas de savoir s'il est plus facile pour la personne concernée de vivre en Suisse, mais uniquement d'examiner si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de sa situation personnelle, professionnelle et familiale, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

2.6 L'art. 31 al. 1 OASA prévoit que, pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration de la personne requérante sur la base des critères d'intégration définis à l'art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f), ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené une personne étrangère à séjourner illégalement en Suisse (SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, 2013 – état au 1er septembre 2023, ch. 5.6.10 [ci-après : directives LEI] ; ATA/340/2020 du 7 avril 2020 consid. 8a).

L'art. 58a al. 1 LEI précise que pour évaluer l'intégration, l'autorité compétente tient compte des critères suivants : le respect de la sécurité et de l'ordre publics (let. a), le respect des valeurs de la Cst. (let. b), les compétences linguistiques (let. c), la participation à la vie économique ou l'acquisition d'une formation (let. d).

2.7 Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4 ; ATA/257/2020 du 3 mars 2020 consid. 6c). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/92/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4d).

2.8 Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait le§s mettre en œuvre dans son pays d'origine, une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse, la situation des enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d'études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n'arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l'aide sociale ou des liens conservés avec le pays d'origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF] C-5414/2013 du 30 juin 2015 consid. 5.1.4 ; C-6379/2012 et C-6377/2012 du 17 novembre 2014 consid. 4.3).

2.9 Selon la jurisprudence, le fait de renvoyer une femme seule dans son pays d'origine où elle n'a pas de famille n'est généralement pas propre à constituer un cas de rigueur, à moins que ne s'y ajoutent d'autres circonstances qui rendent le retour extrêmement difficile (arrêt du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.2, et la jurisprudence citée). Un cas de rigueur peut notamment être réalisé lorsque, aux difficultés de réintégration dues à l'absence de famille dans le pays d'origine, s'ajoutent d'autres circonstances qui rendent le retour extrêmement difficile, tel que le fait que l'intéressée est affectée d'importants problèmes de santé qui ne pourraient pas être soignés dans sa patrie (ATF 128 II 200 consid. 5.2), le fait qu'elle serait contrainte de regagner un pays (sa patrie) qu'elle avait quitté dans des circonstances traumatisantes (arrêts du Tribunal fédéral 2A.245/2004 précité consid. 4.2.2 ; 2A.582/2003 du 14 avril 2004 consid. 3.1 et 2A.394/2003 du 16 janvier 2004 consid. 3.1), ou encore le fait qu'elle laisserait derrière elle une partie importante de sa proche parenté (parents, frères et sœurs) appelée à demeurer durablement en Suisse, avec qui elle a partagé pendant longtemps les mêmes vicissitudes de l'existence (arrêts du Tribunal fédéral 2A.92/2007 du 21 juin 2007 consid. 4.3 ; 2A.245/2004 précité consid. 4.2.2 et 2A.340/2001 du 13 novembre 2001 consid. 4c). Inversement, une telle séparation pourra d'autant mieux être exigée que les perspectives de réintégration dans le pays d'origine apparaîtront plus favorables (arrêts du Tribunal fédéral 2A.245/2004 précité consid. 4.2.2 et 2A.183/2002 du 4 juin 2002 consid. 3.2 et la jurisprudence citée).

2.10 Dans sa jurisprudence des précédentes décennies, le TAF a reconnu que la situation des mères célibataires au Kosovo était difficile (arrêt du TAF C-227/2006 du 19 juin 2009 consid. 8.6.1). Il a même, en 2012, admis le recours de l'une d'entre elles et considéré l'exécution de son renvoi comme inexigible, notamment parce qu'elle risquait en outre de perdre la garde de ses enfants au profit de sa belle‑famille, le père des enfants étant lui aussi kosovar (arrêt du TAF E-3680/2010 du 27 septembre 2012, consid. 4.5).

2.11 Selon la jurisprudence, des motifs médicaux peuvent, selon les circonstances, conduire à la reconnaissance d'un cas de rigueur lorsque la personne concernée démontre souffrir d'une sérieuse atteinte à la santé qui nécessite, pendant une longue période, des soins permanents ou des mesures médicales ponctuelles d'urgence, indisponibles dans le pays d'origine, de sorte qu'un départ de Suisse serait susceptible d'entraîner de graves conséquences pour sa santé. En revanche, le seul fait d'obtenir en Suisse des prestations médicales supérieures à celles offertes dans le pays d'origine ne suffit pas à justifier une exception aux mesures de limitation. De même, la personne étrangère qui entre pour la première fois en Suisse en souffrant déjà d'une sérieuse atteinte à la santé ne saurait se fonder uniquement sur ce motif médical pour réclamer une telle exemption (ATF 128 II 200 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_861/2015 du 11 février 2016 consid. 4.2 ; arrêt du TAF F-6860/2016 du 6 juillet 2018 consid. 5.2.2 ; ATA/628/2023 du 13 juin 2023 consid. 3.5).

2.12 Dans l'examen d'un cas de rigueur concernant le renvoi d'une famille, il importe de prendre en considération la situation globale de celle-ci. Dans certaines circonstances, le renvoi d'enfants peut engendrer un déracinement susceptible de constituer un cas personnel d'extrême gravité.

D'une manière générale, lorsqu'un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse et y a seulement commencé sa scolarité, il reste encore attaché dans une large mesure à son pays d'origine, par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet (arrêt du TAF F-1700/2022 du 10 janvier 2024 consid. 7.5 et la référence citée). Avec la scolarisation, l'intégration au milieu suisse s'accentue. Dans cette perspective, il convient de tenir compte de l'âge de l'enfant lors de son arrivée en Suisse et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré et de la réussite de la scolarité, de l'état d'avancement de la formation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter, dans le pays d'origine, la scolarisation ou la formation professionnelle entamée en Suisse. Un retour dans la patrie peut, en particulier, représenter une rigueur excessive pour des adolescents ayant suivi l'école durant plusieurs années et achevé leur scolarité avec de bons résultats. L'adolescence, une période comprise entre douze et seize ans, est en effet une période importante du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant souvent une intégration accrue dans un milieu déterminé (ATF 123 II 125 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_75/2011 du 6 avril 2011 consid. 3.4 ; ATA/203/2018 du 6 mars 2018 consid. 9a). Sous l'angle du cas de rigueur, il est considéré que cette pratique différenciée réalise la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, telle qu'elle est prescrite par l'art. 3 al. 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989 (CDE - RS 0.107) ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.679/2006 du 9 février 2007 consid. 3 et 2A.43/2006 du 31 mai 2006 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C 3592/2010 du 8 octobre 2012 consid. 6.2 ; ATA/434/2020 du 31 avril 2020 consid. 10).

2.13 En l'espèce, la recourante est arrivée en Suisse en février ou avril 2020, à l'âge de 34 ans, si bien que son séjour, d'une durée de quatre ans, ne peut pas être considéré comme long, sans compter que la durée précitée doit encore être relativisée du fait que le séjour a depuis 2020 toujours été illégal – la recourante ayant indiqué être venue pour une visite, mais sans fournir de passeport ni démontrer avoir obtenu un visa pour entrer en Suisse.

Si la recourante n'apparaît jusque-là pas dépendante de l’aide sociale et ne faisait en 2021 pas l'objet de poursuites ni d'actes de défaut de biens, on ignore tout de ses moyens de subsistance. Elle ne soutient pas avoir jamais travaillé depuis son arrivée en 2020, si bien qu'elle ne peut faire valoir d’intégration professionnelle et encore moins une intégration exceptionnelle. Elle n’évoque pas de relations particulièrement étroites avec des membres de sa famille ou des proches en Suisse et ne fait pas valoir qu’elle s'y serait constitué un réseau d’amis et de collègues. Elle n’établit pas davantage un investissement dans la vie sociale, culturelle ou sportive. Elle ne prétend pas parler français, et son niveau d'anglais ne correspond pas à une maîtrise suffisante pour un usage professionnel. Il résulte de ce qui précède que son intégration professionnelle et socioculturelle est quasi nulle, et qu'elle éprouverait les plus grandes difficultés à s'insérer professionnellement en Suisse même si une autorisation de séjour lui était octroyée.

La recourante concentre son argumentation sur ses difficultés de réintégration au Kosovo en tant que mère célibataire. Quand bien même le TAF n'a pas rendu d'arrêts récents sur la question, et que le rapport de l'OSAR fourni par la recourante date de près de dix ans, il est probable que la situation des mères célibataires au Kosovo reste très difficile. Il convient cela étant d'analyser les circonstances propres au cas de la recourante pour déterminer si sa situation peut être constitutive d'un cas d'extrême gravité.

La recourante est âgée de 38 ans et a passé – à l'exception selon ses dires d'une période vécue en Suisse auprès de son père à partir de 1999, dont elle n'arrive toutefois pas à estimer la durée – toute son enfance, son adolescence et le début de sa vie d'adulte au Kosovo, dont elle maîtrise la langue et la culture, et où elle a acquis une formation supérieure et exercé une activité professionnelle entre 2013 et 2017.

Elle affirme que sa première grossesse est due à un viol subi à Genève en 2020. Les autorités précédentes n'ont pas remis en question cette affirmation, quand bien même la réalité d'une agression sexuelle ne peut en l'état pas être considérée comme absolument indubitable – aucune enquête n'a eu lieu, la recourante indique qu'elle ne se souvient pas de ce qui s'est passé lors de la soirée en question, et l'existence d'un syndrome de stress post-traumatique peut aussi être liée à d'autres facteurs, tels que, précisément, la nouvelle de sa grossesse au vu du contexte socioculturel qu'elle met en avant. Quoi qu'il en soit, comme relevé par l'intimé dans sa décision de refus d'autorisation et de renvoi, la recourante a appris qu'elle était enceinte après quatre semaines d'aménorrhée, si bien qu'elle a choisi de poursuivre sa grossesse en toute connaissance de cause, et elle n'invoque pas que sa seconde grossesse aurait été involontaire.

Les allégations de la recourante quant à la réaction de sa famille ne sont certes pas invraisemblables, mais rien de concret ne vient les étayer. Si la conversation téléphonique qu'elle aurait eue avec sa mère pour lui annoncer son statut de mère célibataire ne peut certes pas faire l'objet d'une pièce écrite, il paraît étonnant qu'elle ait tout simplement effacé les échanges qu'elle avait précédemment eus avec l'ensemble des membres de sa famille au Kosovo. De même, la recourante n'a évoqué la réaction d'aucune de ses trois sœurs. Même à retenir ces allégations comme prouvées, il en découlerait que le soutien de sa famille restée sur place lui ferait défaut, mais non encore qu'elle encourrait un danger spécifique en cas de retour. En particulier, contrairement à l'arrêt du TAF précité de 2012, les pères de ses enfants étant en l'état inconnus, elle ne court pas le risque que des membres d'une quelconque belle-famille en revendiquent la garde. Pour les mêmes raisons, une violation de la CEDEF peut être exclue en l'absence de risque particulier et concret rendu vraisemblable par la recourante.

S'agissant du suivi médical de cette dernière, comme l'a retenu le TAPI, les infrastructures nécessaires à sa poursuite éventuelle sont disponibles au Kosovo (arrêt du TAF E-2512/2022 du 23 juin 2022 et l'arrêt cité), si bien qu'un cas d'extrême gravité ne saurait être reconnu pour ce motif.

Les enfants de la recourante sont aujourd'hui âgés de, respectivement, 3 ans et quinze mois, si bien qu'ils restent encore attachés dans une très large mesure à leur pays d'origine par le biais de leur mère, et que leur départ pour le Kosovo ne saurait constituer pour eux un déracinement.

Au vu de l'ensemble de ces circonstances, on ne peut retenir que la situation de la recourante constitue un cas d'extrême gravité. Son intégration en Suisse est en effet quasi inexistante, et les difficultés de réadaptation au Kosovo, si elles ne peuvent être niées, ne sont pas telles qu'elles puissent être à elles seules constitutives d'un cas de rigueur.

3.             La recourante conteste que l'exécution de son renvoi soit raisonnablement exigible.

3.1 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, toute personne étrangère dont l'autorisation est refusée, révoquée ou qui n'est pas prolongée après un séjour autorisé est renvoyée. La décision de renvoi est assortie d'un délai de départ raisonnable (art. 64 let. d al. 1 LEI).

3.2 Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI). L'exécution n'est pas possible lorsque la personne concernée ne peut quitter la Suisse pour son État d'origine, son État de provenance ou un État tiers ni être renvoyée dans un de ces États (art. 83 al. 2 LEI). Elle n'est pas licite lorsqu'elle serait contraire aux engagements internationaux de la Suisse (art. 83 al. 3 LEI). Elle n'est pas raisonnablement exigible si elle met concrètement en danger la personne étrangère, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI).

3.3 L'art. 83 al. 4 LEI s'applique en premier lieu aux « réfugiées et réfugiés de la violence », soit aux personnes étrangères qui ne remplissent pas les conditions de la qualité de réfugiée ou réfugié parce qu'elles ne sont pas personnellement persécutées, mais qui fuient des situations de guerre ou de violence généralisée (Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, éd., Code annoté de droit des migrations, volume II : loi sur les étrangers, Berne 2017, p. 949). En revanche, les difficultés socio-économiques qui sont le lot habituel de la population locale, en particulier des pénuries de soins, de logement, d'emplois et de moyens de formation, ne suffisent pas en soi à réaliser une telle mise en danger (ATAF 2010/54 consid. 5.1 ; arrêt du TAF E-5092/2013 du 29 octobre 2013 consid 6.1 ; ATA/515/2016 du 14 juin 2016 consid. 6b).

3.4 S'agissant plus spécifiquement de l'exécution du renvoi des personnes en traitement médical en Suisse, celle-ci ne devient inexigible que dans la mesure où ces dernières ne pourraient plus recevoir les soins essentiels garantissant des conditions minimales d'existence. Par soins essentiels, il faut entendre les soins de médecine générale et d'urgence absolument nécessaires à la garantie de la dignité humaine. L'art. 83 al. 4 LEI, disposition exceptionnelle, ne saurait en revanche être interprété comme impliquant un droit général d'accès en Suisse à des mesures médicales visant à recouvrer la santé ou à la maintenir, au simple motif que l'infrastructure hospitalière et le savoir-faire médical dans le pays d'origine ou de destination de l'intéressé n'atteignent pas le standard élevé qu'on trouve en Suisse (ATAF 2011/50 consid. 8.3). La gravité de l'état de santé, d'une part, et l'accès à des soins essentiels, d'autre part, sont déterminants. Ainsi, l'exécution du renvoi demeure raisonnablement exigible si les troubles physiologiques ou psychiques ne peuvent être qualifiés de graves, à savoir s'ils ne sont pas tels qu'en l'absence de possibilités de traitement adéquat, l'état de santé de l'intéressé se dégraderait très rapidement au point de conduire d'une manière certaine à la mise en danger concrète de sa vie ou à une atteinte sérieuse, durable, et notablement plus grave de son intégrité physique (arrêt du TAF F-1602/2020 du 14 février 2022 consid. 5.3.4).

3.5 Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (ci‑après : CourEDH), l'exécution du renvoi ou de l'expulsion d'un malade physique ou mental est exceptionnellement susceptible de soulever une question sous l'angle de l'art. 3 CEDH si la maladie atteint un certain degré de gravité et qu'il est suffisamment établi que, en cas de renvoi vers l'État d'origine, la personne malade court un risque sérieux et concret d'être soumise à un traitement interdit par cette disposition (ACEDH N. c. Royaume-Uni du 27 mai 2008, req. n° 26565/05, § 29 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_3/2021 du 14 avril 2021 consid. 4.2). C'est notamment le cas si sa vie est en danger et que l'État vers lequel elle doit être expulsée n'offre pas de soins médicaux suffisants et qu'aucun membre de sa famille ne peut subvenir à ses besoins vitaux les plus élémentaires (ACEDH N. c. Royaume-Uni précité § 42; ATF 137 II 305 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_14/2018 du 13 août 2018 consid. 4.1; 2C_1130/2013 du 23 janvier 2015 consid. 3).

Le renvoi d'un étranger malade vers un pays où les moyens de traiter sa maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l'État contractant reste compatible avec l'art. 3 CEDH, sauf dans des cas très exceptionnels, en présence de considérations humanitaires impérieuses (ACEDH N. c. Royaume-Uni précité § 42 ; Emre c. Suisse du 22 mai 2008, req. n° 42034/04, § 89). Dans un arrêt du 13 décembre 2016 (ACEDH Paposhvili c. Belgique, req. n° 41738/10, § 173 ss, not. 183), la Grande Chambre de la CourEDH a clarifié son approche en rapport avec l'éloignement de personnes gravement malades et a précisé qu'à côté des situations de décès imminent, il fallait entendre par « autres cas très exceptionnels » pouvant soulever un problème au regard de l'art. 3 CEDH les cas d'éloignement d'une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l'absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou de défaut d'accès à ceux-ci, à un risque réel d'être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie ; ces cas correspondent à un seuil élevé pour l'application de l'art. 3 CEDH dans les affaires relatives à l'éloignement des étrangers gravement malades. La CourEDH a aussi fixé diverses obligations procédurales dans ce cadre (ACEDH Savran c. Danemark du 7 décembre 2021, req. n° 57467/15, § 130).

3.6 Par ailleurs, la péjoration de l'état psychique est une réaction qui peut être couramment observée chez une personne dont la demande de titre de séjour ou d'admission provisoire a été rejetée, sans qu'il faille pour autant y voir un obstacle sérieux à l'exécution du renvoi (arrêts du TAF D-2160/2023 du 27 avril 2023 consid. 7.10 ; D-372/2023 du 3 avril 2023 consid. 3.3.1 et la jurisprudence – notamment européenne – citée).

3.7 En l'espèce, le syndrome de stress post-traumatique documenté au dossier ne présente pas une gravité telle qu'en l'absence de possibilités de traitement adéquat, l'état de santé de la recourante se dégraderait très rapidement au point de conduire d'une manière certaine à la mise en danger concrète de sa vie ou à une atteinte sérieuse, durable, et notablement plus grave de son intégrité. De plus, comme déjà examiné, des possibilités de poursuivre ses traitements existent au Kosovo, quand bien même la qualité de ceux-ci serait inférieure à celle qui prévaut en Suisse. De plus, conformément à la jurisprudence précitée, la péjoration éventuelle de l'état psychique de la recourante ne constituerait en principe pas un obstacle à l'exécution de son renvoi.

Quant au statut de mère célibataire de la recourante, comme déjà examiné à propos du cas d'extrême gravité, les difficultés qu'il est susceptible d'engendrer pour la recourante sont insuffisantes pour admettre que l'exécution de son renvoi serait inexigible.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

4.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 février 2023 par A______, agissant pour elle-même et ses enfants mineurs, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 janvier 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Sandra LACHAL, mandataire de la recourante, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.