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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4247/2022

ATA/206/2024 du 13.02.2024 sur JTAPI/861/2023 ( LCI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4247/2022-LCI ATA/206/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 février 2024

3ème section

 

dans la cause

 

A______

B______

C______

D______

E______

F______

G______

H______ recourants
représentés par Me Claire BOLSTERLI, avocate

contre

I______ SA et J______ SA

représentées par Me François BELLANGER, avocat

VILLE K______

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC intimés


____

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 août 2023 (JTAPI/861/2023)


EN FAIT

A. a. I______ SA est propriétaire des parcelles nos 1’035, 3’551 et 3’552 de la Ville K______ (ci-après : la ville), section L______, situées en zone à bâtir 3, aux ______, route M______ et ______ et ______, N______.

b. Le 16 mars 2020, par l’intermédiaire d’architectes, J______ SA a déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département) une demande définitive d’autorisation de construire en vue de l’édification, sur les parcelles précitées, d’un ensemble multifonctionnel composé de logements et d’activités, avec parking souterrain et abattage d’arbres.

Le bâtiment projeté avait la particularité d’être « biface » : sa façade située côté route M______ serait recouverte de verre et celle donnant sur le chemin N______ serait déstructurée, composée de terrasses paysagères « en montagne », recouvertes de pierres.

c. Lors de l’instruction de cette demande, enregistrée sous la référence DD 1______, les préavis usuels ont été émis :

-            le 5 mai 2020, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a requis la fourniture de pièces complémentaires ;

-            le 11 mai 2020, la direction de la mensuration officielle (ci-après : DMO) a émis un préavis favorable, sous conditions ;

-            le 19 mai 2020, la commission d’architecture (ci-après : CA) a requis la fourniture de pièces complémentaires ; la demande qui lui était soumise était liée à la DP 2______, analysée le 29 janvier 2020 et par la suite abandonnée à teneur de la plateforme SAD-Consult ; sur cette base, et pour rappel, elle avait relevé la particularité du projet « biface », qui articulait des réponses volumétriques et des expressions architecturales contrastées, chacune en lien avec son contexte, sur un terrain qui subissait des contraintes topographiques et qui s’inscrivait sur un site stratégique en cours de développement : le nouveau pôle de la halte O______ ; au vu de la particularité du projet, qui s’érigeait sur un carrefour et un site importants, elle requérait la remise d’une maquette (au 1/200e en matériaux opaques sans parties transparentes) intégrant le contexte environnant pour être en mesure d’analyser de façon plus détaillée les aspects volumétriques, notamment la pointe liant les deux façades principales ; à ce stade, elle se réservait sur l’analyse des façades et de leur matérialité ; la demande d’application de l’art. 11 al. 6 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) était en suspens ;

-            les 19, 26 et 27 mai 2020, l’office cantonal de l’énergie (ci-après : OCEN), la police du feu et l’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) ont préavisé favorablement, sous conditions ;

-            le 2 juin 2020, l’office de l’urbanisme (ci-après : SPI) a préavisé favorablement, avec souhaits ; il a reconduit son préavis favorable formulé lors de la DP 2______ et a pris acte que la modification du projet allait dans le sens souhaité avec la suppression de la forme dite « Agrafe », le respect des dispositions de la LCI évitant de recourir aux dérogations de l’art. 11 LCI, la diminution du nombre de places de stationnement – à cet égard, un effort supplémentaire pouvait encore être fait – et celle des niveaux de sous-sols, en lien avec le parking automatisé ;

-            le 5 juin 2020, l’office cantonal de l’eau (ci-après : OCEau) a émis un préavis favorable, avec souhaits ;

-            le 8 juin 2020, l’OCAN a émis un préavis liant pour les arbres hors forêt favorable, sous conditions et avec souhaits ;

-            le 12 juin 2020, le service de géologie, sols et déchets (ci-après : GESDEC) a émis un préavis favorable, sous conditions, tandis que l’office cantonal des transports (ci-après : OCT) a requis la modification du projet ;

-            le 22 juin 2020, le service de l’environnement et des risques majeurs (ci-après : SERMA) a émis un préavis favorable, sous conditions et avec souhaits ;

-            le 25 juin 2020, le service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA) a requis la fourniture de pièces complémentaires ;

-            les 29 juin et 3 août 2020, la ville et les chemins de fer fédéraux (ci-après : CFF) ont préavisé défavorablement ;

-            le 4 août 2020, la CA a requis la modification du projet ; sur la base de la maquette au 1/200e, elle constatait que le bâtiment s’inscrivait comme imposant et plus haut que les immeubles voisins ; elle pouvait admettre cette différence de hauteur de par le positionnement particulier de l’immeuble, mais estimait que la sur-hauteur sur la route M______ devait être soit amoindrie soit traitée comme une tourelle, donc de manière plus fine ; elle appréciait la suppression de la liaison avec le bâtiment voisin, mais regrettait que le socle soit aussi imposant, sa surélévation venant alourdir l’ensemble qui devenait ainsi disproportionné.

d. Le 20 novembre 2020, J______ SA, informée le 19 août 2020 que le projet devait être modifié pour se conformer à certains des préavis précités, a soumis une nouvelle version du projet au département.

e. De nouveaux préavis ont été rendus sur cette seconde version du projet :

-            les 3 novembre et 3 décembre 2020, le SPI a préavisé favorablement, sans observation ;

-            le 25 novembre 2020, la DAC a requis la fourniture de pièces complémentaires et la modification du projet ;

-            les 27 et 30 novembre 2020, l’OCEN et l’OCAN ont émis un préavis favorable, sous conditions ;

-            le 8 décembre 2020, la CA a requis la fourniture de pièces complémentaires et la modification du projet ; les changements opérés avaient permis une bonne évolution du projet, mais des modifications importantes, notamment sur la partie haute du bâtiment, venaient contredire le discours biface, laissant apparaître la pierre du côté de la gare des L______, alors qu’elle était initialement réservée à la façade côté cour, rue P______ ; il y avait lieu de revoir la matérialité de ces façades afin de retrouver l’essence de base du projet ; les entrées du côté de la voie verte, qui seraient des accès aux logements très empruntés, devaient être plus généreuses ; l’octroi de la dérogation selon l’art. 11 al. 6 LCI était en suspens ;

-            le même jour, l’OCT a préavisé favorablement, sans observation ;

-            le 10 décembre 2020, la police du feu a émis un préavis favorable, sous conditions et avec souhaits ;

-            le 23 décembre 2020, le SABRA a émis un préavis favorable, sous conditions ;

-            les 18 et 26 janvier 2021, la ville et les CFF ont préavisé défavorablement.

f. Le 15 septembre 2021, J______ SA a soumis une troisième version au département.

g. De nouveaux préavis ont été rendus :

-            le 1er octobre 2021, la DAC a préavisé favorablement, sous conditions ;

-            le 7 octobre 2021, le SPI a émis un préavis favorable, sans observation ;

-            le 12 octobre 2021, la police du feu a préavisé favorablement, sous conditions ;

-            le 19 octobre 2021, la CA a requis la modification du projet ; les paliers de la circulation verticale centrale étaient trop étriqués et il fallait leur donner plus d’espace ; des explications quant à la manière d’ouvrir les fenêtres des chambres devaient lui être fournies, le système de façade projetée étant peu explicite ;

-            les 1er, 4 et 5 novembre 2021, l’OCAN, l’OCT et le SABRA ont préavisé favorablement, sous conditions ;

-            le 5 novembre 2021, le service de la protection civile et des affaires militaires (ci-après : OCPPAM) a requis la fourniture de pièces complémentaires et la modification du projet ;

-            le 24 novembre 2021, la ville a requis la modification du projet ;

-            le 10 décembre 2021, les CFF ont préavisé défavorablement.

h. Le 9 février 2022, J______ SA a déposé une quatrième version du projet.

i. De nouveaux préavis ont été rendus :

-            le 10 février 2022, la DAC a émis un préavis favorable, avec dérogations (art. 11 al. 6 et 49 LCI) et sous conditions ;

-            le 23 février 2022, le SPI a préavisé favorablement, sans observation ;

-            le 1er mars 2022, la CA a émis un préavis favorable, avec dérogations et sous conditions ; elle était favorable à l’application de l’art. 11 LCI, les modifications proposées répondant aux remarques émises dans les précédents préavis ;

-            le 28 mars et 8 avril 2022, la ville et l’OCPPAM ont émis un préavis favorable, sous conditions ;

-            le 24 mai 2022, les CFF ont préavisé défavorablement.

j. Le 8 juin 2022, le département a invité J______ SA à modifier le projet afin qu’il soit conforme au préavis des CFF du 24 mai 2022.

Celle-ci s’est exécutée dans les jours suivant cette demande.

k. Le 7 juillet 2022, les CFF ont préavisé favorablement, sous conditions.

l. Le 8 novembre 2022, par décision globale publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève du même jour, le département a délivré l’autorisation de construire DD 1______.

B. a. Par acte du 8 décembre 2022, Q______, R______, A______, C______, B______, D______, E______, F______, G______, H______ et S______ (ci-après : les voisins) ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation. Préalablement, un transport sur place devait être ordonné.

Copropriétaires de la parcelle n° 1’037 sise à proximité immédiate des parcelles devant accueillir le projet litigieux, ils disposaient d’un intérêt digne de protection à recourir. Si la décision litigieuse, relative à un bâtiment comprenant 25 appartements, des espaces d’activités ainsi qu’un parking souterrain, était confirmée, cela modifierait considérablement leurs conditions de vie. Le projet en cause, contraire aux art. 11 al. 6, 14 et 15 LCI, aurait de plus pour conséquence une augmentation très importante de la circulation sur le chemin N______, déjà saturé, de sorte qu’il serait source d’inconvénients graves.

L’architecture et la hauteur du bâtiment projeté ne permettaient pas son insertion dans le site et la dérogation octroyée en vertu de l’art. 11 al. 6 LCI était insuffisamment motivée et injustifiée. La hauteur du bâtiment rompait l’harmonie du quartier et alourdissait sa topographie de manière disproportionnée. Les derniers étages n’étaient pas traités de manière plus fine, comme « une tourelle », les 7e et 8e étages comportant chacun un appartement de cinq pièces de 280 m2, respectivement de 190 m2. Il en allait de même pour la face du bâtiment donnant du côté chemin N______. Par ailleurs, l’architecture en terrasse déstructurée ne correspondait nullement à l’esthétique du quartier, composé de maisons de maître du début du 20e siècle. La végétalisation de la façade n’enlevait rien au sentiment d’écrasement imposé par la hauteur importante du bâtiment, de près de 25 m. Le dernier préavis émis par la CA, sans motivation, ne permettait pas de comprendre les raisons ayant poussé cette instance à valider la dérogation et admettre une telle différence de hauteur avec le bâtiment voisin et l’architecture en terrasse du côté du N______.

Leur parcelle ainsi que celles devant accueillir le projet se trouvaient en bordure immédiate du plan de site n° 3______ « P______/N______ », adopté en février 2014. Le chemin privé N______, qui constituait pour les habitants le seul accès possible à leurs habitations qui y étaient situées, appartenait à ce plan de site, de sorte que les parcelles nos 1’035, 3’551 et 3’552 en faisait matériellement partie. Le département aurait dès lors dû faire une application par analogie de l’art. 26 al. 2 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) et ainsi requérir un préavis de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) quant à la compatibilité du projet litigieux vis-à-vis de la protection accordée par le plan de site précité. La procédure d’instruction avait donc été menée de manière irrégulière.

Le projet querellé ne respectait ni l’environnement ni le caractère du quartier. Le bâtiment projeté, d’une surface totale de 8’363 m2 répartie sur neuf niveaux hors sol, rompait radicalement avec le caractère du quartier et ne dialoguait nullement avec son environnement immédiat. Son architecture massive et brutaliste dénaturait le quartier. Cet impact était d’autant plus marqué qu’il se situait au carrefour de la rue P______ et du chemin N______, point stratégique correspondant à l’entrée du périmètre du plan de site « P______/N______ ». Ce projet contrevenait ainsi à l’art. 15 LCI et au caractère exceptionnel du plan de site.

La circulation et le stationnement sur le chemin N______, seul accès possible aux habitations situées dans le secteur en cause, étaient très difficiles, et ce depuis de nombreuses années. Son étroitesse, l’absence de trottoir sécurisé sur une grande partie de son tronçon et le parking « sauvage » de certains véhicules rendaient difficiles à l’excès le croisement des véhicules – malgré l’arrêté de circulation et de stationnement du 23 février 2018 – et compliquait l’accès des véhicules de secours et du service de la voirie. Le trafic piéton avait également augmenté depuis la construction de la gare des L______. Dans son préavis du 29 juin 2020, la ville avait soulevé cette problématique de mobilité, mais le projet n’avait jamais évolué sur ce point. Sa configuration – l’accès au parking souterrain s’effectuait au moyen d’un ascenseur à voiture dont l’entrée se situait dans la cour de l’immeuble projeté, à proximité immédiate de l’aire de jeux, tandis que la sortie donnait directement sur le chemin N______ – impliquait que les piétons – dont le nombre augmenterait encore en cas d’acceptation du projet – devraient se déporter sur la chaussée dès l’entrée ou la sortie d’un véhicule de l’ascenseur. La forte augmentation des usagers et la configuration problématique de l’accès audit ascenseur étaient susceptibles de causer des inconvénients graves au sens de l’art. 14 LCI.

b. Le 2 février 2023, la ville a informé le TAPI qu’elle ne souhaitait pas participer à la procédure. L’autorisation de construire mentionnait sa parcelle n° DP 4______, un tronçon de la route M______, mais elle n’était pas concernée par le projet querellé. Si sa qualité de partie devait être admise, elle s’en rapportait à justice.

c. Le 13 février 2023, J______ SA et I______ SA ont conclu au rejet du recours.

d. Le 10 février 2023, le département a conclu au rejet du recours.

e. Le 17 mars 2023, les voisins ont persisté dans leurs conclusions.

Seul un transport sur place permettrait de constater que le stationnement de certains véhicules sur le chemin N______ rendait difficile, voire impossible, le croisement des véhicules et compliquait l’accès des véhicules de secours et du service de la voirie, que la circulation y était saturée, qu’une augmentation de trafic y créerait inévitablement une gêne durable et un réel danger pour ses usagers, en particulier au niveau de l’accès et de la sortie du parking souterrain. Il permettrait aussi de constater que le projet litigieux ne respectait pas l’harmonie du quartier, en particulier le périmètre du plan de site « P______/N______ ».

Le projet n’avait pas évolué sur l’un des points relevé par le préavis de la CA du 4 août 2020, en lien avec la volumétrie imposante du bâtiment projeté. La CA avait requis que le projet soit modifié dans le sens que « la sur-hauteur sur la route M______ devrait, soit être amoindrie, soit être traitée […] de manière plus fine ». Or, ses différents préavis postérieurs ne contenaient pas d’explications circonstanciées sur cette problématique. La hauteur du bâtiment était restée inchangée, les deux derniers étages n’étaient pas traités de manière plus fine. On ignorait pourquoi la CA avait changé d’avis et finalement préavisé favorablement le projet qui ne répondait pas à sa demande du 4 août 2020. Malgré la dérogation accordée, la DAC n’avait aucunement motivé son préavis du 10 février 2022.

La situation de l’entrée de l’ascenseur à voitures dans la cour n’était pas contestée, mais il n’en demeurait pas moins que les usagers du parking emprunteraient, pour y accéder, le chemin N______ et devraient ralentir, voire même s’arrêter lorsque plusieurs voitures seraient engagées dans la cour pour rejoindre l’ascenseur, ce qui était susceptible de créer une gêne inévitable et durable pour l’ensemble des usagers du chemin.

f. Le 27 mars 2023, la ville a indiqué ne pas avoir d’autre remarque à formuler. Le 29 mars 2023, le département a persisté dans ses conclusions. Le 11 avril 2023, J______ SA et I______ SA ont persisté dans leurs conclusions. Le 26 avril 2023, Q______ a informé le TAPI qu’il se retirait de la procédure.

g. Par jugement du 17 août 2023, le TAPI a maintenu la qualité de la partie de la ville, écarté la demande de transport sur place et rejeté le recours.

La CA avait examiné le projet litigieux de manière approfondie et minutieuse. Elle s’était prononcée à cinq reprises avait demandé la production d’une maquette pour mesurer l’impact du projet sur le quartier. Elle avait motivé sa position dans son dernier préavis, favorable à la dérogation fondée sur l’art. 11 al. 6 LCI. Les modifications proposées répondaient aux remarques émises dans ses précédents préavis. Ses préavis étaient circonstanciés et elle avait porté une attention particulière à l’intégration du projet au site et à son contexte. La comparaison du plan objet du préavis du 4 août 2020 et de celui visé ne varietur montrait que les étages entamaient des retraits progressifs à partir du 2e côté chemin N______ et dès le 6e côté route M______, ce qui conduisait à un affinement des derniers étages, alors qu’en février 2020 aucun retrait n’était prévu du côté de la route M______ et les retraits côté chemin N______ ne débutaient qu’à partir du 6e.

Les parcelles devant accueillir l’immeuble litigieux ne faisaient pas partie du plan de site « P______/N______ » et ne pouvaient y être intégrées. Les bâtiments existants n’étaient ni classés ni portés à l’inventaire. Le département n’avait pas à consulter la CMNS. L’esthétique du projet avait été examinée à plusieurs reprises par la CA, qui avait exigé diverses modifications avant d’accepter le projet dans sa dernière version.

L’allégation selon laquelle l’accès au parking souterrain créerait un danger pour les usagers du chemin N______ n’était nullement étayée et ne reposait que sur des conjectures. Le fait que des véhicules pourraient devoir attendre sur ce chemin, créant ainsi un ralentissement, voire un engorgement, pouvait certes générer une situation plus dangereuse, mais cela n’impliquait pas pour autant que la situation serait à ce point dégradée en terme de sécurité routière qu’il faudrait annuler l’autorisation querellée. La construction projetée était conforme à la zone dans laquelle les parcelles devant l’accueillir se situaient. L’OCT, instance spécialisée en matière de mobilité et de sécurité routière, avait analysé trois fois le projet et l’avait préavisé favorablement sans émettre la moindre réserve ou remarque quant à la sécurité des usagers du chemin, alors que la loi n’exigeait pas une telle motivation. Si l’on devait admettre que la construction aurait un impact sur la circulation au chemin N______, rien n’indiquait que le trafic supplémentaire engendré serait incompatible avec les caractéristiques du quartier et la sécurité des usagers, que ce soit en raison de l’accès prévu à la construction projetée ou pour d’autres motifs.

C. a. Par acte remis à la poste le 18 septembre 2023, A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______ et H______ ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et à l’annulation de l’autorisation de construire. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée au TAPI pour nouvelle décision. Préalablement, un transport sur place devait être ordonné.

Les parcelles devant accueillir la construction projetée se trouvait en bordure du plan de site « P______/N______ » approuvé le 12 février 2014. Le chemin N______ appartenait au périmètre du plan de site. Le périmètre du N______ figurait également à l’inventaire des sites construits d’importance nationale (ci-après : ISOS) avec un objectif de sauvegarde A. Une servitude de jours, distance et vues droites grevant la parcelle n° 3'552 était inscrite depuis 1959 au registre foncier en faveur des parcelles nos 1'035, 1'037, 2'532 et 2'533. Ils s’opposaient à sa radiation. Le chemin N______ était saturé de circulation et le projet ne ferait qu’accroître les difficultés, et le projet ne respectait pas l’harmonie du quartier, ce qu’un transport sur place, que le TAPI aurait dû ordonner, permettrait d’établir.

Le TAPI avait constaté les faits de manière incomplète et inexacte. Il n’avait tenu aucun compte de l’arrêté administratif réglant la circulation dans le chemin N______. Or, celui-ci démontrait que la circulation était déjà critique et dégradée.

L’art. 11 al. 6 LCI avait été violé. L’architecture et la hauteur du bâtiment ne permettaient pas son intégration dans le site et la dérogation aux gabarits n’était pas fondée. Les préavis de la CA ne pouvaient être considérés comme circonstanciés. La structure biface du projet, critiquée dans le second préavis du 4 août 2020, était restée la même.

L’art. 15 LCI avait été violé. L’accès au projet se ferait obligatoirement par le chemin N______, lequel faisait partie du site protégé et était insuffisamment équipé. Le projet, comportant un parking souterrain de 25 places, ne respectait ni l’environnement ni le caractère du quartier. Sa surface totale de 8'363 m2 et ses neuf niveaux hors-sol rompaient radicalement avec le caractère du quartier et ne dialoguaient nullement avec son environnement immédiat. Il dénaturait le quartier à cause de son architecture massive et brutaliste.

L’art. 14 al. 1 let. a et e LCI avait été violé. Le projet engendrerait une hausse du trafic sur le chemin N______ déjà saturé, au détriment de la sécurité des piétons. Il péjorerait les conditions de circulation et de stationnement. L’entrée de l’ascenseur à voitures donnait dans la cour, à proximité immédiate de l’aire de jeux, la sortie dans le chemin N______. Le nombre de piétons augmenterait également.

b. Le 26 septembre 2023, la ville s’en est rapporté à justice.

c. Le 16 octobre 2023, le département a conclu au rejet du recours.

d. Le 30 octobre 2023, I______ SA et J______ SA ont conclu au rejet du recours.

e. Le 30 novembre 2023, les recourants ont persisté dans leurs conclusions et leur argumentation.

f. Le 1er décembre 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

g. Il sera revenu en tant que de besoin dans la partie en droit sur les arguments et les pièces qu’elles ont produit.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Préalablement, les recourants concluent à ce que soit ordonné un transport sur place.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1). En outre, il n'implique pas le droit à l’audition orale ni à celle de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2 En l’espèce, les plans et illustrations figurant à la procédure ainsi que les données publiquement accessibles sur le site d’information du territoire genevois (ci-après : SITG) permettent à la chambre de céans de se faire une représentation suffisamment précise du projet et de son implantation dans son voisinage. La configuration du chemin N______ est également visible sur le SITG et l’impact du projet sur la circulation a fait l’objet de préavis de l’OCT, soit une instance spécialisée. Il s’ensuit que le projet est suffisamment documenté et que le dossier est complet.

Par appréciation anticipée des preuves, il ne sera pas donné suite à la demande de transport sur place. Pour les mêmes motifs, c’est de manière conforme au droit que le TAPI a refusé d’ordonner cette mesure d’instruction.

3.             Dans un premier grief, les recourants reprochent au TAPI d’avoir constaté les faits de manière incomplète et inexacte.

3.1 Le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 LPA). La chambre administrative n'a toutefois pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

3.2 En application de la maxime inquisitoire, qui prévaut en particulier en droit public (art. 19 et 20 LPA), l'autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés ; cette maxime oblige notamment les autorités compétentes à prendre en considération d'office l'ensemble des pièces pertinentes qui ont été versées au dossier. Elle ne dispense pas pour autant les parties de collaborer à l'établissement des faits (ATF 124 II 361 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 4.1) ; il leur incombe d'étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

3.3 La constatation des faits est, en procédure administrative, gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 phr. 2 LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_668/2011 du 12 avril 2011 consid. 3.3). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n'est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/1278/2023 du 28 novembre 2023 consid. 2.6 et les arrêts cités).

3.4 En l’espèce, les recourants reprochent au TAPI de ne pas avoir pris en compte l’arrêté de circulation et de stationnement du 23 février 2018, lequel démontrerait à l’envi que la situation liée à la circulation routière sur le N______ était d’ores et déjà critique et dégradée au point qu’il était parfaitement clair que le projet querellé, s’il était réalisé, engendrerait inévitablement des inconvénients graves pour le voisinage.

L’arrêté de circulation produit par les recourants interdit la circulation à tous les véhicules à l’exception de ceux accédant au N______ et interdit le stationnement des deux côtés.

Le TAPI a mentionné l’arrêté de circulation parmi les griefs des recourants. Il a longuement analysé dans sa partie en droit le grief de recourants tiré de la violation de l’art. 14 LCI, et s’est notamment penché sur la problématique du « parking sauvage », pour observer que les véhiculer parqués en un lieu interdit ou gênant la circulation pouvaient être enlevés, saisis ou mis en fourrière. Il n’a, certes, pas cité l’arrêté de circulation, mais tenu pour établi le phénomène du parcage sauvage, et donc des problèmes de circulation évoqués par les recourants, pour toutefois conclure que leur solution était du ressort de la police et n’était pas pertinent pour la délivrance de l’autorisation.

Le TAPI a ainsi exhaustivement et correctement constaté les faits pertinents pour l’issue du litige.

Le grief sera écarté.

4.             Dans un second grief, les recourants reprochent à l’autorisation de construire de violer l’art. 11 al. 6 LCI.

4.1 En troisième zone, la LCI limite le gabarit (art. 26 LCI) dont la hauteur ne peut, à front ou en retrait des voies publiques ou privées, dépasser de plus de 3 m les trois quarts de la distance fixée entre les alignements (art. 27 al. 1 LCI). Par rapport aux limites de propriétés privées, la hauteur est calculée conformément à l'art. 29 al. 1 LCI (art. 27 al. 2 LCI).

Afin de permettre la construction de logements supplémentaires, le département peut autoriser une augmentation de la hauteur du gabarit, à condition que celle-ci ne compromette pas l'harmonie urbanistique de la rue ; il est notamment tenu compte du gabarit des immeubles voisins (art. 27 al. 3 LCI). À front ou en retrait des voies publiques ou privées, la hauteur du gabarit ne peut toutefois pas dépasser de plus de 6 m les trois quarts de la distance fixée entre alignements. La hauteur du gabarit est calculée, par rapport aux limites de propriétés privées, conformément aux dispositions de l'art. 29 al. 2 LCI (art. 27 al. 5 LCI). La hauteur de la ligne verticale du gabarit ne peut dépasser nulle part 21 m. Afin de permettre la construction de logements supplémentaires au sens des al. 3 à 5, la hauteur de la ligne verticale du gabarit ne peut dépasser nulle part 27 m (art. 27 al. 6 LCI).

En outre, les dispositions des art. 10 et 11 LCI restent applicables (art. 27 al. 7 LCI).

4.2 Selon l’art. 11 al. 4 LCI, le département peut, après consultation de la CA, autoriser un dépassement du gabarit prescrit par la loi lorsque les constructions prévues : a)  sont édifiées sur des terrains dont la surface libre est suffisante pour préserver les voisins des inconvénients que pourrait impliquer le supplément de hauteur ; b)  n'excèdent pas l'indice d'utilisation du sol qui résulterait de la stricte application de la loi ; c)  ne nuisent pas à l'harmonie de la silhouette de l'agglomération ni à la perception de sa topographie ; d)  se justifient par leur aspect esthétique et leur destination et sont compatibles avec le caractère, l'harmonie et l'aménagement du quartier. L'art. 4 al. 1 de la loi sur les commissions d’urbanisme et d’architecture du 24 février 1961 (LCUA - L 1 55) est réservé (art. 11 al. 4 LCI).

Afin de permettre des solutions architecturales particulières et améliorer l’insertion dans le site, le département peut, après consultation de la CA, autoriser l’application de gabarits différents sur les faces d’une construction (art. 11 al. 6 LCI).

4.3 L'autorité administrative jouit d'un large pouvoir d'appréciation dans l'octroi de dérogations. Cependant, celles-ci ne peuvent être accordées ni refusées d'une manière arbitraire. Tel est le cas lorsque la décision repose sur une appréciation insoutenable des circonstances et inconciliable avec les règles du droit et de l'équité et se fonde sur des éléments dépourvus de pertinence ou néglige des facteurs décisifs. Les autorités de recours doivent examiner avec retenue les décisions par lesquelles l'administration accorde ou refuse une dérogation. L'intervention des autorités de recours n'est admissible que dans les cas où le département s'est laissé guider par des considérations non fondées objectivement, étrangères au but prévu par la loi ou en contradiction avec elle. Les autorités de recours sont toutefois tenues de contrôler si une situation exceptionnelle justifie l'octroi de ladite dérogation, notamment si celle-ci répond aux buts généraux poursuivis par la loi, qu'elle est commandée par l'intérêt public ou d'autres intérêts privés prépondérants ou encore lorsqu'elle est exigée par le principe de l'égalité de traitement, sans être contraire à un intérêt public (ATA/95/2022 du 1er février 2022 consid. 7d ; ATA/639/2020 du 30 juin 2020 consid. 4d).

4.4 Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités et n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l’autorité reste ainsi libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur. Toutefois, lorsqu’un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/486/2023 du 9 mai 2023 consid. 6.1.1 et les références citées).

Dans sa jurisprudence relative aux préavis de la CA, la chambre de céans a retenu qu’un préavis favorable n’a en principe pas besoin d’être motivé (ATA/1299/2019 du 27 août 2019 consid. 4 ; ATA/414/2017 du 11 avril 2017 consid. 7b confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_297/2017 du 6 décembre 2017 consid. 3.4.2). Néanmoins, il arrive qu'une motivation plus explicite soit requise lorsque, par exemple, l’augmentation de la hauteur du gabarit légal est trop importante (ATA/824/2013 du 17 décembre 2013 consid. 5).

Chaque fois que l'autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, l'autorité de recours observe une certaine retenue, fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/1296/2022 du 20 décembre 2022 consid. 6c ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 508 p. 176 et la jurisprudence citée). Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/423/2023 du 25 avril 2023 consid. 5.2 ; ATA/1261/2022 du 13 décembre 2022 consid. 4d et les références citées).

4.5 En l’espèce, les recourants se plaignent qu’entre son préavis du 4 août 2020, dans lequel la CA demandait des modifications du projet, et celui du 1er mars 2022, dans lequel elle l’approuvait, le projet n’aurait pas changé.

Dans son préavis du 19 mai 2020, la CA relevait la particularité d’un projet biface articulant des réponses volumétriques et des expressions architecturales contrastées, chacune en lien avec son contexte, sur un terrain qui subissait des contraintes topographiques et qui s’inscrirait sur un site stratégique en cours de développement, le nouveau pôle de la halte O______. Elle demandait la remise d’une maquette intégrant le contexte environnant pour être en mesure d’analyser de façon plus détaillée les aspects volumétriques et notamment la pointe liant les deux façades.

Dans son préavis du 4 août 2020, elle demandait la modification du projet. Le bâtiment s’inscrivait comme imposant et plus haut que les immeubles voisins. Elle pouvait admettre la différence de hauteur par le positionnement particulier de l’immeuble, mais la sur-hauteur sur la route M______ devait être amoindrie ou traitée comme une tourelle soit de manière plus fine. Elle demandait que la volumétrie du bâtiment soit revue, que la pointe aiguë du côté du carrefour rue P______-N______ soit supprimée, que la luminosité des appartements des niveaux inférieurs soit augmentée, que l’entrée principale du niveau 1 soit optimisée. Elle s’interrogeait sur la proposition architecturale et le développement en terrasses déstructurées côté N______, et le recours à des pierres appareillées de manière inégale, évoquant un mur en pierres sèches venant rompre tout dialogue à l’échelle du piéton et du quartier. La matérialité de la façade arrière devait être précisée afin que le projet puisse s’inscrire harmonieusement dans le quartier du plan de site P______/N______, dans lequel l’usage de la pierre apparente était plutôt réservé aux murs de soutènement.

Dans son préavis du 8 décembre 2020, elle réclamait des documents complémentaires, remerciait le mandataire pour les changements opérés qui avaient permis une bonne évolution du projet, relevait des modifications importantes, notamment sur la partie haute du bâtiment, qui venaient contredire le discours biface, laissant apparaître la pierre du côté de la gare des L______, alors qu’elle était initialement réservée à la façade côté cour, côté rue P______, et demandait que soit revue la matérialité des façades pour retrouver l’essence du projet et que soient plus généreuses les entrées du côté de la voie verte, qui seraient des accès aux logements très empruntés, réservant l’application de la dérogation selon l’art. 11 al. 6 LCI.

Dans son préavis du 19 octobre 2021, elle prenait bonne note des modifications apportées et notait que les paliers de la circulation verticale étaient trop étriqués et demandait de leur donner plus d’espace. Elle demandait également des explications quant à la manière d’ouvrir les fenêtres des chambres, le système de façade projetés étant peu explicite.

Dans son préavis favorable du 1er mars 2022, elle s’est déclarée favorable à l’application de l’art. 11 LCI, les modifications proposées répondant aux remarques émises dans les précédents préavis. Elle a ajouté une condition tenant à la teinte des matériaux.

Le plan déposé le 16 mars 2020 montre une façade côté route M______ et square P______ de 24.90 m au point le plus haut, culminant à 428.40 m. Sur les plans visés ne varietur le 8 novembre 2022, la hauteur n’a pas varié mais le traitement de cette même façade a été remanié, notamment par l’introduction d’une nouvelle texture (vitrée), d’une bande de végétalisation tout le long du niveau 1 et d’un décrochement et d’une terrasse tout le long du niveau 6 – modifiant sensiblement l’aspect du bâtiment. Les retraits progressifs de la façade côté N______ ont pour leur part été étagés dès le niveau 2.

Les recourants ne peuvent ainsi être suivis lorsqu’ils soutiennent que le projet serait « resté le même » et que les préavis de la CA postérieurs à celui du 2 août 2020 n’auraient contenu aucune motivation. La CA a de manière réitérée exprimé des demandes et pris acte des modifications. Elle a finalement préconisé la dérogation de l’art. 11 al. 6 LCI, retenant que les modifications répondaient aux remarques de ses précédents préavis. Elle a visiblement procédé à une nouvelle appréciation d’ensemble et n’avait pas à motiver son approbation de la nouvelle version de la façade déstructurée côté N______. Le département a ensuite suivi son préavis positif.

C’est ainsi de manière conforme au droit que le TAPI a jugé que la CA avait examiné le projet de manière approfondie et minutieuse et que ses préavis étaient circonstanciés et que lorsque le département suivait un préavis positif d’une commission spécialisée, le juge devait s’imposer une certaine retenue.

Le grief sera écarté.

5.             Dans un troisième grief, les recourants reprochent à l’autorisation de construire de violer l’art. 15 LCI.

5.1 L’art. 15 LCI prévoit que le département peut interdire ou n’autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou son aspect extérieur nuirait au caractère ou à l’intérêt d’un quartier, d’une rue ou d’un chemin, d’un site naturel ou de points de vue accessibles au public (al. 1). La décision du département se fonde notamment sur le préavis de la CA ou, pour les objets qui sont de son ressort, sur celui de la CMNS. Elle tient compte également, le cas échéant, de ceux émis par la commune ou les services compétents du département (al. 2).

Une telle clause fait appel à des notions juridiques imprécises ou indéterminées, dont le contenu varie selon les conceptions subjectives de celui qui les interprète et selon les circonstances de chaque cas d'espèce ; ces notions laissent à l'autorité une certaine latitude de jugement. Lorsqu'elle estime que l'autorité inférieure est mieux en mesure d'attribuer à une notion juridique indéterminée un sens approprié au cas à juger, l'autorité de recours s'impose alors une certaine retenue. Il en va ainsi lorsque l'interprétation de la norme juridique indéterminée fait appel à des connaissances spécialisées ou particulières en matière de comportement, de technique, en matière économique, de subventions et d'utilisation du sol, notamment en ce qui concerne l'esthétique des constructions (ATA/1102/2022 précité consid. 6c et l'arrêt cité).

Lorsque la consultation de la CA est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours (ATA/1101/2022 précité consid. 5d et l'arrêt cité). Il n'en demeure pas moins que la délivrance des autorisations de construire demeure de la compétence exclusive du département, à qui il appartient de statuer en tenant compte de tous les intérêts en présence (ATA/1168/2023 du 31 octobre 2023 consid. 4.8. et les arrêts cités).

5.2 Selon l’art. 47 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), la CMNS est consultative. Elle donne son préavis sur tous les objets qui, en raison de la matière, sont de son ressort. Elle se prononce en principe une seule fois sur chaque demande d’autorisation, les éventuels préavis complémentaires étant donnés par l’office du patrimoine et des sites par délégation de la CMNS (al. 1). Elle peut proposer toutes mesures propres à concourir aux buts de la LPMNS (al. 2). Elle peut déléguer ses pouvoirs à des sous-commissions permanentes ainsi qu’à l’office du patrimoine et des sites (al. 3). Selon l’art. 48 LPMNS, le Conseil d’État fixe, par voie réglementaire, ses attributions spécifiques et son mode de fonctionnement.

Selon l’art. 5 du règlement d’application de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 mars 2023 (RPMNS - L 4 05.01), la CMNS a pour mission de conseiller l’autorité compétente (al. 1). Elle a principalement les attributions suivantes, prévues dans la LPMNS : (a) formuler ou examiner les propositions d'inscription ou de radiation d'immeubles à l'inventaire ; (b) donner son préavis sur tout projet de travaux concernant un immeuble inscrit à l'inventaire, sous réserve de l'al. 5 ; (c) formuler des propositions ou examiner les demandes de classement ou de déclassement d'un immeuble ou meuble ; (d) donner son préavis sur tout projet de travaux concernant un immeuble classé ; (e) donner son préavis sur tout projet de travaux concernant un immeuble situé en zone protégée, sous réserve de l'al. 5 ; (f) donner son préavis sur les projets de plans de site ; (g) donner son préavis sur tout projet de travaux concernant un immeuble situé dans le périmètre d'un plan de site, sous réserve de l'al. 5 ; (h) donner son préavis sur tout projet de plan localisé de quartier dans le périmètre duquel se trouve un bâtiment recensé en valeur « exceptionnel » ou « intéressant » au recensement architectural du canton de Genève ; (i) donner son préavis sur tout projet de modification des limites de zones ou de plan localisé de quartier dont le périmètre s’étend sur tout ou partie d’un site recensé en objectif de sauvegarde A dans l’inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse (ci-après : ISOS) ; (j) élaborer et publier, en collaboration avec l'autorité compétente, des règles de bonnes pratiques en matière de protection du patrimoine destinées à l'ensemble des professionnelles et professionnels concernés ainsi que, à titre didactique, à l'ensemble de la population genevoise intéressée (al. 2). Elle est consultée en amont sur les projets susceptibles d’avoir une incidence majeure sur le patrimoine paysager, bâti et naturel (art. 1, lettre b, de la loi), en particulier sur ceux dont le périmètre s’étend sur tout ou partie d’un site recensé dans l’ISOS (al. 3). Il appartient au département de la saisir ou de saisir les sous-commissions concernées des projets pour lesquels un préavis ou des propositions sont requis en application de l’al. 2. Lorsqu'un préavis est exprimé par une sous-commission, il vaut préavis de la commission (al. 4). Lorsqu'une demande d'autorisation de construire est soumise à la procédure accélérée au sens de l'art. 3, al. 7 LCI, l'office du patrimoine et des sites est compétent pour rendre le préavis, à l'exception des demandes d'autorisation portant sur un immeuble classé (al. 5).

De jurisprudence constante, si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l’appréciation qu’est amenée à effectuer l’autorité de recours (ATA/1024/2019 du 19 juin 2019 et les arrêts cités). La CMNS se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d’associations d’importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine (art. 46 al. 2 LPMNS). À ce titre, son préavis est important (ATA/1439/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3b).

5.3 En l’espèce, les recourants soutiennent que les parcelles accueillant le projet appartiendraient « bel et bien » au plan de site n° 3______ « P______/ N______ » adopté le 12 février 2014 par le Conseil d’État.

Ils ne sauraient être suivis. Les parcelles du projet ne sont pas intégrées dans le périmètre du plan de site. Le fait qu’elles se situent en lisière de celui-ci ne permet pas de les y intégrer, sauf à étendre le périmètre de celui-ci de façon illicite.

Le même raisonnement s’applique au périmètre ISOS, dont les recourants ont produit un plan.

Le fait que des véhicules souhaitant accéder au parking du projet doivent emprunter les premiers mètres du chemin N______ n’y change rien, le chemin, même intégré en partie au plan de site, n’étant pas appelé à être supprimé ou modifié par celui-ci.

Il suit de là que la CMNS n’avait pas à être consultée sur le projet objet de la présente procédure et que le fait qu’elle ne l’a pas été ne constitue pas une irrégularité.

Par ailleurs, le plan de site n’étendant pas ses effets au projet, celui-ci n’est pas soumis au gabarit prévu par son art. 7, étant observé que l’immeuble des recourants, également en bordure du site, ne respecte pas non plus celui-ci.

Les recourants ne prétendent par ailleurs pas, à juste titre, que les servitudes qu’ils évoquent, et qui ressortissent au droit privé, constitueraient un obstacle à l’autorisation de construire fondée sur le droit public.

Pour le surplus, l’intégration du projet s’examine sous l’angle de l’art. 15 al. 1 LCI. Or, il a été vu plus haut que la CA a demandé à disposer d’une maquette du projet dans son environnement et a émis cinq préavis successifs pour délivrer finalement un préavis (art. 15 al. 2 LCI) favorable, après que ses demandes eurent été prises en compte.

Le « sentiment d’écrasement sur tout le quartier », les « terrasses en montagnes » et la « muraille minérale […] absolument étrangères au contexte du site » apparaissent comme des appréciations divergentes des recourants, que ceux-ci ne sauraient prétendre substituer à celle de l’autorité, étant rappelé l’élaboration des préavis de la CA échappe à toute critique. C’est enfin de manière erronée que les recourants emploient le qualificatif de « brutaliste » pour désigner le style du projet, faute notamment de mise en avant de l’emploi du béton et de répétition géométrique de motifs.

Le grief sera écarté.

6.             Dans un quatrième et dernier grief, les recourants reprochent à l’autorisation de construire de violer l’art. 14 al. 1 let. a et e LCI.

6.1 L’art. 14 al. 1 LCI prévoit que le département peut refuser les autorisations notamment lorsqu’une construction ou une installation : (a) peut être la cause d’inconvénients graves pour les usagers, le voisinage ou le public ou (e) peut créer, par sa nature, sa situation ou le trafic que provoque sa destination ou son exploitation, un danger ou une gêne durable pour la circulation.

L'art. 14 LCI appartient aux normes de protection qui sont destinées à sauvegarder les particularités de chaque zone, en prohibant les inconvénients incompatibles avec le caractère d'une zone déterminée. Elle n'a toutefois pas pour but d'empêcher toute construction dans une zone à bâtir qui aurait des effets sur la situation ou le bien‑être des voisins. La construction d'un bâtiment conforme aux normes ordinaires applicables au régime de la zone ne peut en principe pas être source d'inconvénients graves, notamment s'il n'y a pas d'abus de la part du constructeur. Le problème doit être examiné par rapport aux caractéristiques du quartier ou des rues en cause (ATA/1060/2023 du 26 septembre 2023 consid. 5.2. et l'arrêt cité).

La notion d'inconvénients graves est une notion juridique indéterminée qui laisse à l'autorité une liberté d'appréciation et n'est limitée que par l'excès ou l'abus de son pouvoir d’appréciation (ATA/1060/2023 précité consid. 5.2. et l'arrêt cité).

Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, l'accroissement du trafic routier, s'il est raisonnable, ne crée pas une gêne durable pour la circulation au sens de l'art. 14 LCI ; de fait, l'accroissement du trafic engendré par de nouvelles constructions conformes à la destination de la zone ne constitue pas un inconvénient grave au sens de l'art. 14 LCI (ATA/1086/2023 du 3 octobre 2023 consid. 4.5 et l'arrêt cité).

6.2 En l’espèce, les recourants font valoir que la circulation dans le chemin du N______ est déjà rendue difficile à l’excès par le trafic et la parcage « sauvages » et qu’elle sera, comme la sécurité des piétons, encore péjorée par le projet.

L’OCT a demandé des modifications concernant les places de parcage pour les vélos et les motos le 12 juin 2020, des modifications concernant les places pour vélos le 4 novembre 2021 et préavisé favorablement le projet, sans observations, le 8 décembre 2020. Il n’a émis aucune réserve concernant la sécurité des usagers ou l’engorgement du trafic sur le chemin du N______. Par ailleurs, dans ses préavis des 25 juin et 23 décembre 2020 et 5 novembre 2021, le SABRA a estimé que trafic induit par le projet ne serait pas en mesure d’engendrer des dépassements des valeurs limites d’immission ni de perception de bruit plus importante.

Le département a suivi les préavis favorables des services spécialisés. Les recourants soutiennent toutefois qu’il aurait dû s’en écarter.

Ils ne peuvent être suivis. Il ressort des plans versés à la procédure que la portion du chemin à emprunter pour se rendre vers le projet sera bordée d’un trottoir sur un côté au moins, de sorte que le trafic jusqu’à celui-ci ne mettra pas en danger les piétons, contrairement à ce que semblent craindre les recourants.

Le plan du niveau 1, à l’échelle 1/100e, montre que la sortie du parking est parallèle au trottoir et distante de son bord d’environ 4 m, et que les véhicules sortants doivent tourner à droite en direction de la rue P______ à un endroit où la largeur entre trottoirs est de 3.5 m environ et permet donc le croisement de véhicules sans difficulté. Les recourants ne peuvent ainsi soutenir que la sortie « donne directement » sur le chemin ni que les véhicules « s’engageront directement sur le chemin […] créant ainsi une zone de conflit avec les piétons ». Au contraire, la zone de 4 m de profondeur et la vitesse forcément très lente des véhicules sortant du parking devraient permettre de limiter le risque de conflit.

L’entrée du parking est quant à elle perpendiculaire au chemin et son bord droit distant de 10 m du bord du trottoir, ce qui laisse la place pour un à deux véhicules attendant l’accès au parking. Le fait que l’arc extérieur de la voie d’accès à l’entrée du parking touche un angle de l’aire de jeux ne crée pas en soi de danger sérieux compte tenu de l’espace disponible et de la vitesse réduite des véhicules approchant de l’entrée.

Les recourants ne rendent ainsi pas vraisemblable que la création de 25 nouvelles places de parc et l’installation d’une entrée de parking dans les 40 premiers mètres du chemin empêcherait ou compliquerait à l’excès la circulation des automobiles ou des piétons sur celui-ci – qui dessert par ailleurs, à teneur du SITG, une quinzaine de parcelles. Le TAPI pouvait retenir, sans abus ni excès de son pouvoir d’appréciation, que l’augmentation du trafic engendrée par le projet ne serait pas incompatible avec les caractéristiques du quartier ou la sécurité des usagers.

À cet égard, l’arrêté de circulation qu’invoquent les recourants et qu’ils reprochent – à tort comme il a été vu plus haut – au TAPI d’avoir ignoré ne leur est d’aucun secours, puisque celui-ci a précisément pour objet d’interdire le parcage sur tout le chemin et l’accès aux véhicules ne se rendant pas dans l’une des habitations le bordant, et donc de réduire son encombrement. L’application de cet arrêté ressortit aux polices municipale et cantonale et excède la cadre de la présente procédure.

Le grief sera écarté.

Entièrement mal fondé, les recours sera rejeté.

7.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée conjointement aux intimées I______ SA et J______ SA, qui y ont conclu, à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 septembre 2023 par A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______ et H______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 août 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge solidaire de A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______ et H______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'000.- conjointement à I______ SA et J______ SA, à la charge solidaire de A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______ et H______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Claire BOLSTERLI, avocate des recourants, à Me François BELLANGER, avocat d'I______ SA et d'J______ SA, au département du territoire - OAC, à la Ville K______ ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Michèle PERNET, juge, Louis PEILA, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :