Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3425/2023

ATA/215/2024 du 13.02.2024 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3425/2023-PRISON ATA/215/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 février 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée



EN FAIT

A. a. A______ est détenu à la prison de Champ-Dollon depuis le 26 août 2023 en exécution de peine.

b. Il ressort du rapport d’incident du 17 octobre 2023 qu’en descendant une rampe, A______ s’était arrêté et avait demandé pour quelle raison il avait dû attendre si longtemps qu’on vienne le chercher. Le gardien en charge lui avait expliqué qu’il n’était pas le seul détenu et l’avait invité à continuer son chemin. A______ n’avait pas bougé et avait sollicité des explications concernant son attente. Le gardien l’avait accompagné de la main afin qu’il continue d’avancer, ce à quoi A______ avait réagi en disant « Tu fais quoi, ne me touche pas ». Le reste de la conduite s’était déroulé sans incident jusqu’à sa cellule. Une fois à l’intérieur, alors que le gardien refermait la porte, A______ l’avait a bloquée puis poussée pour la rouvrir. Le gardien avait finalement réussi à refermer la porte.

c. A______ a été entendu au sujet des faits et a refusé de signer la sanction du 17 octobre 2023 de suppression d’accès aux salles de sport (grande et petite) pendant quinze jours pour attitude incorrecte.

d. Les images de vidéosurveillance confirment en substance la version relatée dans le rapport, avec les précisions qui suivent. A______ a adopté un comportement calme durant tout le chemin qui menait à sa cellule. Il s’est effectivement arrêté sur la rampe. Après un échange avec les gardiens, l’un d’entre eux lui touche le bras. A______ retire alors son bras et se remet à marcher calmement jusqu’à sa cellule. Une fois devant, il s’adresse aux gardiens qui ne réagissent pas. Il entre dans sa cellule et, alors que le gardien la ferme, on aperçoit la porte se rouvrir rapidement avant d’être fermée par le gardien. Les gardiens quittent ensuite les lieux calmement.

e. Le dossier ne fait pas apparaître que A______ aurait déjà été sanctionné par le passé.

B. a. Par acte expédié le 20 octobre 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a recouru contre cette décision.

À la suite de son cours de français, il avait été mis en cellule d’attente durant plus de 25 minutes. Il n’avait droit qu’à une heure de promenade par jour et celle-ci avait déjà débuté. Pensant qu’il avait été oublié, il avait sonné. Un gardien était alors venu et lui avait répondu de façon irrespectueuse qu’il ne fallait pas sonner et que s’ils ne venaient pas plus tôt, c’est qu’ils étaient occupés. Il avait lui-même répondu avec politesse qu’il attendait depuis longtemps et avait demandé s’il pouvait aller en promenade ; il n’avait pas obtenu de réponse. Le gardien l’avait alors bousculé avec force et A______ avait retiré son bras en lui disant de ne pas le toucher de cette façon. Il avait été blessé à la suite de cette intervention. Alors qu’il souhaitait encore parler au gardien, ce dernier avait fermé la porte de la cellule, sans le laisser s’exprimer.

b. La prison a conclu au rejet du recours.

Les faits reprochés étaient établis par le rapport d’incident et les images de vidéosurveillance, et le recourant avait pu se déterminer à leur sujet. Il avait adopté une attitude incorrecte envers le personnel pénitentiaire en se montrant contestataire, impoli et en cherchant la confrontation. Une suppression de quinze jours d’accès à la salle de sport était proportionnée.

c. Invité à se déterminer sur les écritures de la prison, le recourant ne s’est pas manifesté.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

1.1 L'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 1ère phr. LPA).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas en soi un motif d’irrecevabilité, pourvu que le tribunal et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant. Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/20/2022 du 11 janvier 2022 consid. 2b et les arrêts cités).

1.2 En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision querellée. Cela étant, il a exposé de façon circonstanciée les raisons pour lesquelles il estime ne pas devoir être sanctionné, ce qui est suffisant pour comprendre qu'il est en désaccord avec cette décision et souhaite son annulation.

1.3 Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celles-ci, dès lors qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consis. 2 ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 2 ; ATA/50/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2).

Le recours est donc recevable.

2.             Est litigieuse la sanction de quinze jours de suppression de sport (grande et petite salles).

2.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

2.2 Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (ATA/412/2022 du 13 avril 2022 consid. 4a ; ATA/43/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1108/2018 du 17 octobre 2018 et les références citées).

2.3  Les détenus doivent observer les dispositions du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention ainsi que les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire
(art. 42 RRIP). En toute circonstance, ils doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers
(art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).

2.4  Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer la suppression des activités sportives (let. c). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé
(art. 47 al. 7 RRIP).

2.5  Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

2.6  En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limitant à l'excès ou l'abus de ce pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/679/2023 précité consid. 5.5 et les références citées).

2.7  De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/679/2023 précité consid. 5.6 et les références citées).

2.8  En l’espèce, le recourant ne s’est pas déterminé concernant l’épisode de la porte de sa cellule, tel que reproché par l’intimée. Les images de vidéosurveillance permettent cependant d’établir qu’en rentrant dans sa cellule, le recourant a donné, probablement sous le coup de l’énervement, un petit coup dans la porte, sans pour autant chercher à la rouvrir pour en sortir ou blesser le gardien. Ce comportement doit être qualifié d’incorrect et faire l’objet d’une sanction disciplinaire.

S’agissant de l’épisode intervenu sur la rampe, à teneur de ces images, le recourant s’est comporté de façon calme tout du long du cheminement et a simplement retiré son bras en disant, ce qui ressort du rapport d’incident et que le recourant ne remet pas en cause « Tu fais quoi, ne me touche pas ». Un tel geste pourrait ne pas être compris comme grossier ou violent, mais ne saurait être sans autre toléré dans une prison où les gardiens ont pour mission d’assurer la sécurité de tous. L’usage du tutoiement pose également problème. Si le recourant a ensuite su se maîtriser et continuer à marcher calmement durant plusieurs minutes, cet épisode ne doit pas moins être relevé au titre d’attitude incorrecte envers le personnel. Enfin, il ressort de ces mêmes images que le gardien ne s’est à aucun moment montré violent avec le détenu avant ou après que ce dernier avait retiré son bras notamment. Celui-ci se plaint au stade du recours seulement avoir été blessé lors de l’incident mais n’explique pas sur quelle partie de son corps ni en lien avec quelle action des gardiens. Il ne soutient pas ni a fortiori démontre avoir dû faire appel au personnel médical de la prison et ne produit aucun constat médical. Cette allégation n’est partant pas établie.

Ainsi, l’épisode de la porte et préalablement celui sur la rampe constituaient bien un manque de respect susceptible de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement, violant ses obligations de détenu, telles que figurant aux art. 42 ss RRIP, en particulier aux art. 44 et 45 let. h RRIP. Il s'ensuit que l'autorité intimée était fondée à sanctionner le recourant en relation avec ces faits.

3.             Se pose encore la question de savoir si la sanction respecte le principe de la proportionnalité.

La sanction est basée sur deux complexes de fait, soit l’épisode sur la rampe, puis celui avec la porte de la cellule, qui ne sauraient être qualifiés de grande gravité. Le comportement du détenu était consécutif à une attente de 25 minutes dans une cellule ad hoc, après avoir pris un cours de français, et alors que l’heure de promenade à laquelle il avait droit aurait débuté, ce que l’autorité intimée ne remet pas en cause.

Au vu de ces circonstances, étant rappelé que l’autorité intimée jouit d’un large pouvoir d’appréciation en matière de sanction, la sanction de quinze jours de suppression de sport (grande et petite salles) s’avère excessive et ne respecte pas le principe de la proportionnalité s’agissant de sa durée. Une sanction de sept jours de suppression de sport paraît plus appropriée, permettant à la fois au recourant de prendre conscience de l’importance d’observer une attitude correcte envers le personnel pénitentiaire et de tenir compte de l’absence d’antécédents disciplinaires.

Le recours sera ainsi admis dans cette mesure et l'illicéité de partie de la sanction constatée.

4.             Nonobstant l’issue du litige, la procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure, le recourant n’ayant pas encouru de frais pour sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 octobre 2023 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 17 octobre 2023 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la sanction du 17 octobre 2023 en tant qu’elle porte sur quinze jours de suppression de sport ;

ramène la durée de la sanction à sept jours de suppression de sport ;

constate le caractère illicite de la sanction du 17 octobre 2023 à raison de huit jours ;

confirme la décision du 17 octobre 2023 pour le surplus ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Michèle PERNET, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MEYER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :