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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1720/2023

ATA/1214/2023 du 06.11.2023 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1720/2023-PRISON ATA/1214/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 novembre 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Pietro FOLINO, avocat

contre

ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE FERMÉ CURABILIS intimé



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : le détenu), né le ______ 1954, exécute une mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l’art. 59 al. 3 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) depuis le 6 décembre 2021.

Il a été transféré de l’établissement fermé Curabilis (ci-après : Curabilis) aux établissements de la Plaine de l’Orbe (ci-après : EPO) le 19 juin 2023.

b. Depuis son placement à Curabilis, il a fait l’objet de quatre sanctions soit : 1) en mars 2022, un avertissement écrit pour avoir refusé de se déplacer dans un autre lieu lors de la fouille de sa cellule ; 2) en avril 2022, une amende de CHF 50.- avec sursis de deux mois pour avoir accusé le personnel de surveillance de vol d’effets personnels ; 3) en décembre 2022, une amende de CHF 50.- avec sursis de deux mois ainsi que des arrêts pour avoir injurié le personnel ; 4) la sanction du 28 mars 2023 à deux jours d’arrêt, sans sursis, pour refus d’obtempérer et de deux jours d’arrêt disciplinaire avec sursis d’un mois, pour menace a été réduite par arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice ([ci-après : la chambre administrative] ; ATA/706/2023 du 27 juin 2023) afin de tenir compte du fait qu’il ne pouvait être retenu que les propos du recourant le 15 mars 2023 constituaient des menaces à l’encontre du personnel de la prison. Ainsi, bien que l’autorité intimée jouisse d’un large pouvoir d’appréciation en la matière, la sanction de quatre jours de cellule forte, dont deux avec sursis, en tant qu’elle réprimandait également le recourant pour des menaces, ne respectait plus le principe de la proportionnalité. Une sanction de deux jours de cellule forte paraissait plus appropriée, au vu des faits reprochés, de la faute du recourant et de ses antécédents. Le recours était ainsi admis dans cette mesure et l’illicéité de la sanction en tant qu’elle portait sur quatre jours et non deux jours de cellule forte était constatée.

c. Par décision du 7 avril 2023, A______ a été sanctionné d’une révocation du sursis du 28 mars 2023 de deux jours d’arrêts disciplinaires pour avoir refusé d’obtempérer et avoir adopté un comportement inadéquat avec le personnel. L’intéressé avait été entendu oralement le 7 avril 2023 à 16h38 et un procès-verbal d’audition établi le jour même. La sanction lui avait été notifiée à 18h00, le détenu avait refusé de la signer. Elle serait effectuée en cellule forte. La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

Il ressort du procès-verbal d’audition du 7 avril 2023, qu’A______ avait indiqué avoir voulu « un moment pour travailler sur [s]es documents. Savoir s’il pouvait rester une ou deux heures dans la salle n’était pas clair. La gardienne lui avait sauté dessus et l’avait obligé à quitter la salle, en refusant qu’il prenne ses documents avec lui ». Selon le gardien, le détenu avait haussé la voix et il avait dû mobiliser « tous les agents des autres unités pour une simple situation qui aurait pu se régler par simple discussion ».

Il ressort du rapport établi par un agent de détention le 7 avril 2023 à 15h30, qu’une agente de détention avait demandé au détenu de sortir de la salle à côté du fumoir du premier étage. Elle avait appliqué la « note pavillonnaire que la GP de l’unité avait mise en place le 23 mars 2023, qui stipulait que le détenu pouvait utiliser cette pièce une heure le matin et une heure l’après-midi afin d’éviter une charge thermique en cellule ». Le détenu ayant précisé n’avoir pas profité de l’utilisation de la salle le matin et souhaité en conséquence pouvoir y rester une heure de plus l’après-midi, elle avait refusé la requête. Le détenu avait haussé le ton et « fait de grands gestes d’énervement ». Un agent de détention, entendant que le détenu s’emportait, avait rejoint sa collègue. Après plusieurs demandes au détenu de regagner sa cellule, et divers refus de sa part s’il ne pouvait pas prendre ses affaires, l’alarme personnelle de l’infirmier avait été déclenchée. Les agents avaient dû utiliser la contrainte pour le faire entrer dans sa cellule, en « clé d’épaule ».

Consulté, le médecin avait déclaré que le détenu était compensé.

d. Par décision du 21 mai 2023, A______ a été sanctionné de sept jours de suppression de l’espace détente, sans sursis, pour avoir insulté un agent de détention. Il avait été entendu oralement le 21 mai 2023 à 16h30 et un procès-verbal d’audition établi le jour même. La sanction lui avait été notifiée à 18h00, le détenu avait refusé de la signer. La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

Il ressort du rapport établi par un agent de détention le 21 mai 2023 à 11h45 que, dans une des salles de soins, lors de la distribution des repas, le détenu s’était adressé à un infirmier à haute voix en « prétendant recevoir une réserve » qui lui avait été refusée. L’agent de détention s’était rapproché du détenu et lui avait rappelé le cadre en lui signifiant que le ton employé n’était pas adéquat. Le détenu avait dit à voix haute : « vous, on ne vous a pas convié ! ». Il avait répété cette phrase après que l’agent lui avait expliqué que sa façon de parler n’était pas adéquate. L’agent avait décidé de remonter le détenu dans sa cellule pour comportement inadapté. Sur le chemin, ce dernier lui avait, à plusieurs reprises, dit « vous êtes un pauvre type. Vous êtes un emmerdeur ».

Consulté, le médecin avait déclaré que le détenu était compensé.

Entendu le 21 mai 2023, le détenu a contesté les faits et, à teneur du procès‑verbal d’audition qu’il a refusé de signer, avait dit à l’agent de détention qu’il était un « menteur et inhumain ».

B. a. Par acte du 17 mai 2023, A______ a fait recours devant la chambre administrative contre la sanction du 7 avril 2023.

Il avait été violemment pris par le bras par la gardienne et un appointé qui avaient essayé de lui faire une clé de bras afin de le mettre à terre. Il avait été traîné jusqu’à sa cellule. Il avait eu des hématomes et de fortes douleurs au ventre, étant précisé qu’il souffrait de trois hernies ventrales ainsi que de douleurs au bas du dos, du fait d’une lombosciatique due à une hernie discale. Il avait demandé à être acheminé aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) pour un constat, ce qui lui avait été refusé. Il avait mis du temps à se rétablir. Le traitement qui lui avait été infligé n’était pas nécessaire. Il avait été empêché de sortir de la salle de lecture avec son dossier personnel. Le sous-chef avait refusé de se déplacer dans l’unité pour gérer l’incident. Au cachot, il avait subi pendant deux jours des émanations de la bouche d’aération qui lui avaient causé des maux de tête, des picotements aux yeux et sur la peau. Il avait eu des difficultés à respirer. Il avait pu s’entretenir dans le courant de la semaine avec des représentants de la commission officielle des visiteurs du Grand Conseil et entendait se plaindre des mauvais traitements qui lui étaient infligés.

La cause a été ouverte sous la référence A/1720/2023.

b. En réponse à une interpellation de la juge déléguée, le détenu a précisé avoir déposé son recours dans la boîte postale du hall d’entrée à l’unité des mesures lundi 15 mai 2023 à 7h30 dans une enveloppe fermée, soit avant la levée matinale de 8h. Il sollicitait la désignation d’un avocat d’office.

c. Par courrier du 16 avril 2023, A______ a sollicité de la juge déléguée des explications sur le courrier qu’il avait reçu. Par retour de pli, la chambre de céans a précisé que l’apport du dossier et le délai pour répondre avaient été fixés à l’autorité intimée.

d. L’établissement a conclu à l’irrecevabilité du recours, devenu sans objet suite au transfert du détenu.

e. Le détenu ayant renoncé à répliquer, les parties ont été informées, le 22 août 2023, que la cause était gardée à juger.

f. Un avocat s’est constitué pour la défense du détenu le 1er septembre 2023.

g. Le 8 septembre 2023, sur invitation de la juge déléguée, l’autorité intimée a transmis la copie du rapport établi par l’agent de détention dans le cadre de la sanction du 7 avril 2023.

h. Le 20 octobre 2023, après plusieurs prolongations de délais, le mandataire du recourant a indiqué n’avoir pas réussi à s’entretenir avec son client. Il était dans l’impossibilité de faire des observations suite à la production du rapport précité.

i. Sur ce, les parties ont été informées le 24 octobre 2023 que la cause A/1720/2023 était gardée à juger.

C. a. Par acte du 26 mai 2023, A______ a fait recours devant la chambre administrative contre la sanction du 21 mai 2023. Il contestait les faits et la manière expéditive avec laquelle il avait été entendu. Il transmettait les coordonnées de son conseil.

La cause a été ouverte sous la référence A/1815/2023.

b. L’établissement a conclu à l’irrecevabilité du recours, devenu sans objet suite au transfert du détenu.

c. Dans sa réplique, le détenu a persisté dans ses conclusions. Le constat d’illicéité de la sanction aurait des effets, actuels, sur son évolution carcérale, indépendamment de sa présence à Curabilis. Par ailleurs, une éventuelle illicéité de la sanction ouvrirait la porte à une compensation économique du tort subi. Son droit d’être entendu avait été violé. Il contestait le bien-fondé du procès-verbal d’audition, qui ne contenait qu’une seule phrase et paraissait « particulièrement hâtif », respectivement la façon expéditive et arbitraire de l’établissement de celui‑ci, en présence uniquement du gardien et du sous-chef. Il sollicitait son audition, ainsi que celle de deux gardiens, et l’apport de la vidéo de la caméra 204 utilisée lors de son audition. Principalement, le caractère illicite de la sanction devait être constaté.

d. À la demande de la juge déléguée, les images de vidéosurveillance de l’audition du détenu du 21 mai 2023 ont été versées à la procédure.

Il en ressort que le détenu est calme et indique immédiatement au gardien qu’il n’entend rien signer, et que compte tenu de son départ quelques jours plus tard « cela ne sert à rien ». L’entretien dure 25 secondes.

e. Après que son conseil a pu visionner les images, le recourant a persisté dans ses conclusions.

f. Sur ce, les parties ont été informées le 4 octobre 2023 que la cause A/1815/2023 était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Les recours ont été interjetés en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

L’autorité intimée n’a pas contesté les explications du détenu quant à la date du dépôt de son recours dans la cause A/1720/2023, contre la sanction du 7 avril 2023, dans la boîte à disposition. Il ne sera en conséquence pas tenu compte de la date du timbre postal du mercredi 17 mai 2023.

2.             2.1 Selon l’art. 70 LPA, l’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune (al. 1). La jonction n’est toutefois pas ordonnée si la première procédure est en état d’être jugée alors que la ou les autres viennent d’être introduites (al. 2).

2.2 En l’espèce, les deux causes, toutes deux gardées à juger, portent sur une sanction disciplinaire, concernant le même détenu. Les problématiques sont pour partie identiques dans les deux causes, notamment l’incidence du transfert de l’intéressé dans le canton de Vaud. Dans ces circonstances, il se justifie de joindre les deux causes sous le numéro A/1720/2023.

3.             L’autorité intimée conclut à l’irrecevabilité des recours en l’absence d’intérêt actuel du détenu, suite à son transfert aux EPO.

3.1 Aux termes de l’art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, ce qui suppose l’existence d’un intérêt actuel. L’existence de celui-ci s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATA/60/2020 du 21 janvier 2020 consid. 2b et 2c et les références citées). En matière de sanctions disciplinaires, la chambre administrative fait en principe abstraction de l’exigence de l’intérêt actuel lorsque le recourant se trouve encore en détention au moment du prononcé de l’arrêt, faute de quoi une telle mesure échapperait systématiquement à son contrôle étant donné la brièveté de la sanction (ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 4a et la référence citée).

3.2 Contrairement à ce que soutient l'autorité intimée, l'existence d'un intérêt pratique d'une personne contestant une sanction disciplinaire qui lui a été infligée doit être reconnue, en tout cas aussi longtemps que l'intéressé est détenu. En effet, lesdites sanctions peuvent être prises en compte en cas de nouveau problème disciplinaire ou pour l'octroi ou le refus d'une mise en liberté conditionnelle, ce qui justifie cet intérêt, indépendamment d'un transfert dans un autre canton (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/434/2021 du 20 avril 2021 consid. 1a ; ATA/1418/2019 du 24 septembre 2019 consid. 2b).

4.             Le recourant sollicite son audition et celle de deux témoins dans le cadre de la sanction du 21 mai 2023.

4.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

4.2 En l’espèce, le recourant a eu l’occasion de se déterminer à plusieurs reprises dans le cadre de la présente procédure et a pu produire toutes les pièces qu’il estimait utiles. Il n’indique pas sur quels points, qu’il n’aurait pu développer dans ses écritures, son audition serait nécessaire. Dans ces conditions, celle-ci ne sera pas ordonnée.

Le recourant sollicite l’audition de deux gardiens dans le cadre de la sanction du 21 mai 2023 en lien avec le seul grief qu’il invoque, soit la violation de son droit d’être entendu. Leurs témoignages ne sont pas de nature à influer sur l’issue du litige, une éventuelle violation du droit d’être entendu ayant, en tous les cas, pu être réparée devant la chambre de céans. Il ne sera pas donné suite à la demande d’audition de témoins.

5.             Le recourant se plaint d’une violation de son droit d’être entendu dans le cadre des deux sanctions.

5.1 Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l'autorité de recours n'est pas possible, l'annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1). Ce moyen doit par conséquent être examiné en premier lieu (ATF 141 V 495 consid. 2.2). Sa portée est déterminée d'abord par le droit cantonal (art. 41 ss LPA) et le droit administratif spécial (ATF 126 I 15 consid. 2). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Constitution qui s’appliquent (art. 29 al. 2 - Cst. ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.1).

Tel qu’il est garanti par cette dernière disposition, le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 146 IV 218 consid. 2.3).

5.2 Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (art. 70 al. 3 du règlement de l'établissement de Curabilis du 19 mars 2014 - RCurabilis - F 1 50.15).

5.3 En l’espèce, s’agissant de la sanction du 7 avril 2023, le recourant a été entendu le jour même, conformément au procès-verbal versé au dossier et détaillé mot pour mot. La première question de l’agent consiste à demander au détenu ce qui s’est passé, lui laissant tout loisir d’expliquer les faits. Le recourant ne conteste d’ailleurs pas la teneur du procès-verbal. Son droit d’être entendu a en conséquence été respecté.

S’agissant de la sanction du 21 mai 2023, le procès-verbal de l’audition est bref. Il mentionne que : « Monsieur A______ ne reconnaît pas les faits qui lui sont reprochés. Il dit à Monsieur B______ qu’il est un menteur et qu’il est inhumain. » Selon le rapport, le détenu a été entendu à 15h15 avec utilisation de la caméra 204. Selon la « notification de sanction », l’intéressé aurait été entendu oralement à 16h30. La sanction lui aurait été signifiée à 18h. Les termes « refuse de signer » apparaissant sur deux documents, soit le procès-verbal de l’audition et la notification de sanction. Les images produites ont été enregistrées à « 15:00:32 ». L’on doit en déduire que les 30 secondes d’images correspondent à l’exercice, par le détenu, de son droit d’être entendu et non au moment de la notification de la sanction. Outre que les termes mentionnés dans le procès-verbal d’audition « menteur » et « inhumain » ne sont pas audibles, il ressort du déroulement de l’entretien que l’agent de détention, après avoir dit bonjour, a immédiatement mis fin à l’entretien après que le détenu lui a signifié « je refuse de signer ». Il ne peut pas dès lors être considéré que le détenu a eu le droit de faire valoir valablement son point de vue avant qu’une décision ne soit prise. Il appartenait au gardien d’expliquer, au moins brièvement, les raisons de sa venue, à tout le moins de les clarifier, et d’écouter les éventuelles objections du détenu avant de considérer avoir respecté le droit d’être entendu de celui-ci. En conséquence, le grief de violation du droit d’être entendu du recourant lors de la sanction du 21 mai 2023 est fondé. Il a toutefois été réparé dans le cadre de la procédure devant la chambre de céans où l’occasion lui a été donnée d’expliquer les motifs pour lesquels il n’aurait pas commis une insubordination et/ou incivilités à l’encontre du personnel.

Le grief sera en conséquence rejeté.

6.             Le recourant conteste les deux sanctions.

6.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2,
3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

6.2 La personne détenue a l’obligation de respecter les dispositions du RCurabilis, les directives du directeur général de l’office cantonal de la détention, du directeur de Curabilis, du personnel pénitentiaire ainsi que les instructions du personnel médico-soignant (art. 67 RCurabilis).

6.3 À teneur de l’art. 69 al. 1 RCurabilis, sont en particulier interdits l’insubordination et les incivilités à l’encontre du personnel de Curabilis (let. b), les menaces dirigées contre les différents personnels de Curabilis, les intervenants extérieurs ou des personnes codétenues (let. c) et d'une façon générale, le fait d'adopter un comportement contraire au but de Curabilis (let. n).

6.4 Si une personne détenue enfreint le RCurabilis, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 70 al. 1 RCurabilis). Il est tenu compte de l’état de santé de la personne détenue au moment de l’infraction disciplinaire (art. 70 al. 2 RCurabilis). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s’exprimer oralement ou par écrit (art. 70 al. 3 RCurabilis).

6.5 Selon l’art. 70 al. 4 RCurabilis, les sanctions sont l’avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximale de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b.), l’amende jusqu’à CHF 1'000.- (let. c) et les arrêts pour une durée maximale de dix jours (let. d). Ces sanctions peuvent être cumulées (art. 70 al. 5 RCurabilis). L’exécution de la sanction peut être prononcée avec un sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum (art. 70 al. 6 RCurabilis).

6.6 Le directeur de Curabilis et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer les sanctions (art. 71 al. 1 RCurabilis). Le directeur de Curabilis peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l’art. 70
al. 4 RCurabilis à d’autres membres du personnel gradé de l’établissement, les modalités de la délégation étant prévues dans une directive interne (art. 71
al. 2 RCurabilis). La chambre administrative a jugé qu’une sanction prise par un agent pénitentiaire ayant le grade de sous-chef auquel le directeur de Curabilis avait délégué la tâche de statuer était valablement prononcée par une autorité compétente (ATA/1598/2019 du 29 octobre 2019 consid. 2d et la référence citée).

6.7 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATA/284/2020 précité consid. 4d et la référence citée).

6.8 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).

6.9 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 consid. 2d ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/36/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018).

6.10 En l’espèce, il ressort de la décision de sanction du 7 avril 2023 que le détenu aurait refusé d’obtempérer et adopté un comportement inadéquat envers le personnel.

Selon le procès-verbal d’audition du détenu, un litige est survenu à la sortie de la salle de travail le jour même avec le détenu et une agente de détention. Selon les propos de celle-ci, le recourant aurait haussé la voix, ce qui l’aurait contrainte à mobiliser tous les agents des autres unités pour une « situation qui aurait pu se régler par simple discussion ». Selon les allégations du détenu, la gardienne lui aurait « sauté dessus ». À teneur du recours, celui-là aurait été violemment pris par le bras par l’agente de détention et un appointé, lesquels auraient tenté de lui faire une clé de bras afin de le mettre à terre. Il ne conteste toutefois pas le rapport établi minute par minute par l’agent de détention, notamment pas qu’il ait haussé la voix, son insubordination et d’avoir adopté un comportement inadéquat ayant mené non seulement à la mobilisation des agents d’autres unités, mais aussi à l’usage de la contrainte pour son retour en cellule. Dans ces conditions, conformément à la jurisprudence, il n’y a aucune raison de s’écarter des faits retenus par l’agent de détention, à qui il convient en principe d’accorder force probante eu égard à son statut de fonctionnaire assermenté.

S’agissant de la sanction du 21 mai 2023, le recourant n’a relevé que la violation de son droit d’être entendu, traitée dans les considérants qui précèdent.

Ainsi, en refusant d’obtempérer et en adoptant un comportement inadéquat envers le personnel le 7 avril 2023, puis en injuriant un agent de détention le 21 mai 2023, le recourant a violé ses obligations de détenu, telles que figurant aux art. 67 ss RCurabilis. Il s’ensuit que le principe d’une sanction pour les faits du 7 avril et du 21 mai 2023 est fondé.

Reste à déterminer si les sanctions disciplinaires infligées sont conformes au principe de la proportionnalité.

La sanction pour les faits du 7 avril 2023 consiste en la révocation du sursis de deux jours d’arrêt disciplinaire prononcé le 28 mars 2023, l’intéressé ayant été mené en cellule forte le 7 avril 2023. Or, la sanction du 28 mars 2023, de deux jours d’arrêt, sans sursis, pour refus d’obtempérer et de deux jours d’arrêt disciplinaire avec sursis d’un mois, a été partiellement annulée par arrêt de la chambre administrative (ATA/706/2023 du 27 juin 2023) et réduite à deux jours de cellule forte ; l’illicéité de la sanction en tant qu’elle portait sur quatre jours et non deux jours de cellule forte était constatée. En conséquence, la sanction précédente ayant été réduite à deux jours au lieu de quatre, le sursis ne pouvait pas être révoqué. Se pose donc la question de savoir si une sanction de deux jours de cellule forte pour les faits reprochés est proportionnée. Si elle est apte à atteindre le but poursuivi, elle n’apparaît ni nécessaire ni proportionnée au sens étroit au vu des circonstances, l’origine des faits découlant de la demande de l’intéressé de pouvoir profiter, l’après-midi, de l’heure non utilisée le matin puis de pouvoir récupérer ses affaires dans la salle. Si, certes, le fait qu’il n’ait pas obtempéré par la suite mérite d’être sanctionné à l’instar du fait que son comportement a nécessité l’intervention de plusieurs agents, une sanction autre que la plus sévère du catalogue de l’art. 70 al. 4 RCurabilis aurait été plus adéquate. Le caractère disproportionné de la sanction découle d’ailleurs de l’annulation partielle de la précédente sanction. Le caractère illicite de la mise en cellule forte deux jours suite aux faits qui se sont déroulés le 7 avril 2023 sera en conséquence constaté.

La sanction pour les faits du 21 mai 2023 consiste en sept jours de suppression de l’espace détente, sans sursis. Le recourant ne remet en cause ni le choix de la sanction ni sa quotité. La décision, déclarée exécutoire immédiatement nonobstant recours, ne mentionne pas si elle a été effectuée ni à quelle date, et l’établissement ne le précise pas dans ses écritures. La sanction est apte et nécessaire pour garantir le respect de l’ordre au sein d’un établissement pénitentiaire notamment le respect du personnel. Le recourant a des antécédents, ayant déjà fait l’objet d’un avertissement écrit pour un refus d’obtempérer le 21 mars 2022, d’une amende de CHF 50.- avec sursis de deux mois pour un comportement inadéquat le 3 avril 2022 et une amende de CHF 50.- avec sursis de deux mois le 8 décembre 2022 pour insultes, de deux jours de cellule forte le 28 mars 2023 ainsi que d’un comportement répréhensible le 7 avril 2023. L’établissement a choisi une sanction de gravité moyenne. Elle a estimé l’avertissement écrit, sanction la plus légère, comme étant insuffisante et les sanctions plus graves telles que l’amende ou des arrêts comme trop incisives. Elle a en conséquence nuancé le choix de la sanction en fonction des faits pertinents. Elle a de même nuancé la durée, en se limitant à sept jours alors que la sanction peut aller jusqu’à trois mois. Enfin, elle s’est limitée à la suppression de l’espace détente. Le principe de la proportionnalité est en conséquence respecté. Le recours du 26 mai 2023 est en conséquence infondé.

7.             Au vu de la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87
al. 1 LPA). Une indemnité de procédure, réduite, de CHF 500.- sera allouée au recourant, qui obtient partiellement gain de cause, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement :

ordonne la jonction des causes A/1720/2023 et A/1815/2023 sous le numéro A/1720/2023 ;

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés les 15 et 26 mai 2023 par A______ contre les décisions des 7 avril et 21 mai 2023 de l’établissement pénitentiaire fermé Curabilis ;

au fond :

admet partiellement le recours interjeté le 17 mai 2023 ;

constate le caractère illicite de la sanction du 7 avril 2023, au sens des considérants ;

rejette les recours pour le surplus ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 500.-, à charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pietro FOLINO, avocat du recourant, ainsi qu'à l'Établissement pénitentiaire fermé Curabilis.

Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

C. MARINHEIRO

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :