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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/387/2023

ATA/1131/2023 du 09.10.2023 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/387/2023-PRISON ATA/1131/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 octobre 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

ÉTABLISSEMENT FERMÉ B______ intimé

 



EN FAIT

A. a. A______ est incarcéré à l'établissement fermé B______(ci‑après : la prison) depuis le 22 novembre 2022, en exécution de peine.

b. Il occupe un poste à l'atelier cuisine depuis le 18 janvier 2023.

B. a. Le 30 janvier 2023 à 11h45, A______ s'est rendu, lors du repas de midi, au « lieu de vie » de son secteur en short et torse nu.

b. Un agent de détention lui a rappelé l'obligation de porter un haut dans le secteur considéré de la prison et lui a demandé d'aller enfiler un t-shirt.

c. Selon le rapport d'incident du 30 janvier 2023 à 12h35, A______ avait refusé d'aller mettre un t-shirt et a répondu à l'agent de détention : « De toute façon, je prends que le pain et le dessert, qu'est-ce que ça te fait à toi ? Rien, alors casse pas les couilles. Tu veux me faire chier pour rien, c'est ça ? T'as quelque chose contre moi ? ».

L'agent de détention ayant réitéré sa demande en précisant que le port du t-shirt était selon le règlement obligatoire, le détenu a derechef refusé en disant « Vas-y, vas-y, fais pas chier ».

A______, ayant pris son pain et son dessert, a alors regagné sa cellule.

d. Auditionné le même jour à 15h50 par deux surveillants sous-chefs, A______ a refusé de s'exprimer et de signer le procès-verbal de déclaration.

e. Le 30 janvier 2023 à 16h00, les sous-chefs ont notifié à A______ une sanction de quinze jours de suppression des activités (soit formations, sports, loisirs et repas en commun), pour comportement inadéquat envers un agent de détention, refus d'obtempérer et trouble de l'ordre et de la tranquillité de l'établissement. Le détenu a refusé de signer le procès-verbal.

f. Le 1er février 2023, la direction de la prison a décidé de réduire la sanction à sept jours de suppression des activités.

g. Cette nouvelle sanction a été notifiée à l'intéressé le 2 février 2023 et a été exécutée.

C. a. Par acte du 1er février 2023 posté le 3 février 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) contre la décision du 30 janvier 2023, sans prendre de conclusions formelles.

Après avoir demandé au surveillant de « pas faire chier », il avait été condamné à être enfermé en cellule durant quinze jours, toutes activités supprimées. Même s'il admettait que ce n'étaient pas des mots appropriés, et il les regrettait, il ne s'agissait ni de menaces ni d'insultes. Il n'avait jamais été sanctionné auparavant. Même certains surveillants admettaient que c'était une trop lourde sanction. Certains détenus insultaient, criaient et prenaient trois ou quatre jours. Deux détenus, nommément cités, avaient été sanctionnés respectivement de cinq jours pour avoir mis le feu à sa cellule et de trois jours pour bagarre.

Quinze jours de punition pour une phrase comme celle-là était une sanction totalement disproportionnée.

b. Par courrier du 1er mars 2023 à la chambre administrative, le recourant a indiqué que même si sa sanction avait été réduite, il maintenait son recours car il avait eu « sept jours […] pour avoir dit ces mots ».

c. Le 16 mars 2023, la prison a conclu au rejet du recours.

Le recourant avait fait l'objet de deux autres sanctions disciplinaires non contestées, les 17 et 23 février 2023. Après la réduction de sa sanction, il avait contacté la direction en vue de retirer son recours, mais l'avait néanmoins maintenu à la suite de son entretien avec son intervenant socio-judiciaire.

Il n'avait pas respecté le règlement de son secteur en ne portant pas de t-shirt, avait refusé de se conformer aux injonctions de l'agent de détention puis avait adopté une attitude inadéquate à son égard en tenant des propos irrespectueux. Le règlement des secteurs, affiché près des tables, mentionnait clairement à son point 2 que le short et le t-shirt au minimum étaient obligatoires durant la période des repas en commun.

S'agissant de la sanction, l'heure de promenade à l'extérieur avait été maintenue, de même que l'accès au téléphone et les visites, ainsi que la possibilité d'emprunter des livres et d'accéder aux soins et à l'aumônerie. La sanction n'avait pas durci ses conditions de détention. La suppression des loisirs était la deuxième sanction la plus légère du catalogue, et la durée en avait été réduite. La décision attaquée respectait ainsi le principe de la proportionnalité.

La prison a par ailleurs fourni les images de vidéosurveillance de l'incident (lesquelles n'incluent pas de piste-son).

d. Le 21 mars 2023, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 14 avril 2023 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

e. Aucune des parties ne s'est toutefois manifestée.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recours ne contient pas de conclusions formelles.

2.1 L’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). Il contient également l’exposé des motifs, ainsi que l’indication des moyens de preuve. Les pièces dont dispose le recourant doivent être jointes. À défaut, la juridiction saisie impartit un bref délai au recourant pour satisfaire à ces exigences, sous peine d’irrecevabilité (art. 65 al. 2 LPA).

2.2 Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que les conclusions ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas, en soi, un motif d’irrecevabilité, pourvu que l’autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/657/2022 du 23 juin 2022 consid. 2b). Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a, de manière suffisante, manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/1068/2023 du 27 septembre 2023 consid. 2.2).

2.3 En l'espèce, il résulte des écritures du recourant que celui-ci trouve la sanction, même réduite, trop sévère et qu'il demande donc son annulation, ou du moins sa réduction. Le recours est ainsi recevable.

3.             Le litige porte sur la sanction du 31 janvier 2023.

3.1 En application de l'art. 67 al. 2 LPA, l'autorité de première instance peut, en cours de procédure, reconsidérer ou retirer sa décision. En pareil cas, elle notifie, sans délai, sa nouvelle décision aux parties et en donne connaissance à l'autorité de recours. L’autorité de recours continue à traiter le recours dans la mesure où la nouvelle décision ne l’a pas rendu sans objet (art. 67 al. 3 LPA).

3.2 L'intimé ayant réduit la sanction de quinze à sept jours, l'objet du litige porte donc désormais sur la sanction de sept jours de suppression des activités.

4.             Le recourant conteste le bien-fondé de la sanction, ou à tout le moins son caractère proportionnel.

4.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs – la faute étant une condition de la répression – qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/43/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1108/2018 du 17 octobre 2018 et les références citées).

4.2 En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/52/2023 du 20 janvier 2023 consid. 7b ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c).

4.3 En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n’est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/1198/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3b).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/1005/2023 du 15 septembre 2023 consid. 3.2), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers.

4.4 Aux termes de l’art. 46 du règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d’exécution des peines et des sanctions disciplinaires du 25 juillet 2007 (REPSD - F 1 50.08), applicable à B______ (art. 1 let. c REPSD), si une personne détenue enfreint le REPSD ou contrevient au plan d'exécution de la sanction pénale, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (al. 1). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (al. 2).

4.5 Les personnes détenues ont l'obligation de respecter les dispositions du REPSD, les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention, ainsi que les ordres du directeur de l'établissement et du personnel pénitentiaire (art. 42 REPSD).

La personne détenue doit observer une attitude correcte à l'égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers (art. 43 REPSD).

Aux termes de l’art. 44 REPSD, il est notamment interdit de troubler l'ordre ou la tranquillité dans l'établissement ou les environs immédiats (let. i) et d'une façon générale, d'adopter un comportement contraire au but de l'établissement (let. j).

4.6 Une décision viole le droit à l'égalité de traitement consacré à l’art. 8 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) lorsqu'elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'elle omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 142 I 195 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_178/2022 du 16 mars 2022 consid. 5.1).

4.7 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

4.8 En l'espèce, le recourant reconnaît globalement les faits de l'incident quand bien même il cherche à les minimiser. Il ressort clairement des images de vidéosurveillance qu'il s'est rendu au lieu de prise des repas en commun torse nu, que l'agent de détention lui a fait une remarque et qu'un échange s'en est ensuivi, le recourant semblant manifester son désaccord. S'agissant de ses paroles, le recourant reconnaît avoir dit au surveillant de ne « pas faire chier ». Cela étant, aucun élément au dossier ne permet de s'écarter de la transcription dans le rapport d'incident des propos du recourant, dont la longueur correspond parfaitement à son intervention telle qu'elle ressort des images de vidéosurveillance.

Il en découle que le recourant a enfreint triplement le règlement en se présentant torse nu au repas en commun – quand bien même il n'avait pas l'intention de manger avec ses codétenus – en refusant de se conformer aux injonctions de l'agent de détention puis en adoptant une attitude irrespectueuse envers celui-ci, notamment en lui disant « casse pas les couilles », « tu veux me faire chier pour rien c'est ça, t'as quelque chose contre moi », puis « vas-y, vas-y, fais pas chier ». Le principe d'une sanction est donc acquis.

Parmi les quatre sanctions, la suppression des loisirs est la deuxième dans l’ordre de gravité après l’avertissement. Le recourant perd de vue qu'elle est donc bien plus légère que le placement en cellule forte, qui durcit nettement le régime de détention.

La durée de sept jours s’avère courte par rapport au maximum possible de trois mois. Par ailleurs, la suppression de loisirs n’a été que partielle et non complète comme l’art. 46 al. 3 let. b REPSD l’autorise, le recourant ayant pu conserver une promenade quotidienne, avec les autres détenus, d’une durée d’une heure, ainsi que la possibilité de téléphoner. Les visites, la possibilité d’accéder librement au téléphone, d’emprunter des livres, d’accéder aux soins et à l’aumônerie n’étaient pas concernés. La sanction a ainsi été limitée aux formations, sports, loisirs et repas en commun.

Quand bien même le recourant n'avait pas encore d'antécédent au moment où elle lui a été notifiée, la sanction précitée était apte à atteindre le but d’intérêt public au respect de l’ordre et de la sécurité au sein de l’établissement, nécessaire pour ce faire et proportionnée au sens étroit, l’intérêt public au bon fonctionnement de l’établissement et au respect de la loi (art. 81 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) primant sur l’intérêt privé du recourant à pouvoir bénéficier de formations, sports, loisirs et repas en commun pendant la durée de sept jours.

Le grief de violation de l'égalité de traitement tombe par ailleurs à faux, dans la mesure notamment où les sanctions qu'il décrit paraissent concerner des mises en cellule forte et non des suppressions partielles d'activités.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             La procédure est gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, il n'y a pas lieu d’allouer une indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 février 2023 par A______ contre la décision de l'établissement fermé B______ du 30 janvier 2023, amendée le 2 février 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. de Lausanne 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à l'établissement B______.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le  la greffière :