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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/365/2023

ATA/1116/2023 du 10.10.2023 ( LAVI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/365/2023-LAVI ATA/1116/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 octobre 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Andreas DEKANY, avocat

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI intimée

 



EN FAIT

A. a. A______, né en 1981, est garagiste dans le canton de Genève.

b. Le 5 août 2015, il a, à l'issue d'une altercation avec trois personnes, été victime d'une agression par arme à feu.

Plusieurs jours auparavant, il avait convenu avec B______, C______et D______ (ci-après : les auteurs) de la livraison d'un moteur particulier contre le paiement d'une somme de EUR 3'000.-. La nuit du 22 au 23 juillet 2015, conformément au marché conclu, les auteurs ont livré à A______ un véhicule automobile volé de marque E______ afin qu'il le démonte et en prélève le moteur. Les auteurs devaient ensuite récupérer le véhicule et les EUR 3'000.- convenus. Ayant refusé de payer, A______ a été harcelé par téléphone par B______, qui l'a également menacé.

Le 5 août 2015, à 20h43, les auteurs se sont présentés au garage de A______ afin de réclamer le paiement des EUR 3'000.-. Face aux menaces des auteurs, le requérant n'a pas cédé et a refusé de payer. À cet instant, C______et D______ ont chacun sorti un pistolet chargé. L'un des trois hommes a dit à A______ « moi, pour 3'000.-, je tue ». C______a tiré une première balle dans le genou gauche de A______, puis deux autres balles dans sa jambe droite. Alors que les auteurs prenaient la fuite, D______ a tiré un dernier coup de feu en l'air.

c. L'examen clinique effectué sur le requérant, le soir de l'agression, aux urgences des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), a mis en évidence deux orifices d'entrée au niveau de la face externe de la cuisse droite, deux orifices de sortie au niveau de la face interne de la cuisse droite, une importante tuméfaction de la cuisse avec une fracture du fémur, un orifice d'entrée au niveau de la face médiale de la fosse poplitée gauche, sans orifice de sortie, avec une balle palpée en sous-cutanée au niveau de la fosse poplitée, et l'absence de troubles vasculo‑nerveux des deux côtés.

d. Les radiographies standards des fémurs, effectuées le 5 août 2015, ont mis en évidence une fracture comminutive du fémur droit et l'absence de fracture à gauche.

e. Le constat du centre universitaire romand de médecine légale (ci‑après : CURML), établi le 7 août 2015, faisait état de nombreuses plaies aux membres inférieurs droit et gauche ; bien que graves, les lésions constatées n'avaient pas mis en danger la vie de A______.

f. Les comptes rendus opératoires des 7, 11, 17 et 18 août 2015 décrivent cinq interventions subies par le requérant, et plus précisément la mise en place d'un fixateur externe fémoro-fémoral à droite, le débridement de trois plaies à la cuisse droite et de deux plaies à la cuisse gauche, avec excision des berges cutanées des plaies, rinçage et ablation de corps étrangers, soit un projectile d'arme à feu au niveau du creux poplité gauche par incision cutanée, ainsi que le lavage des plaies et le drainage d'hématomes.

g. Selon la lettre de transfert du 31 août 2015, le requérant a été hospitalisé aux HUG du 5 au 26 août 2015, puis a été transféré à F______pour une rééducation orthopédique et y a séjournée du 26 août au 4 septembre 2015. Lors de son hospitalisation aux HUG, l'état de santé du requérant s'est compliqué en raison d'une infection bacillaire.

h. À teneur du rapport médical intermédiaire du 10 mars 2016 envoyé à la caisse nationale d'assurance en cas d'accident (ci-après : SUVA) et établi par la Dre G______, médecin généraliste, A______ n'a repris le travail que le 1er décembre 2015, à un taux de 50 %.

i. Il ressort des certificats médicaux des 24 mai 2016 et 29 juin 2017 que le Dr H______, psychiatre, a suivi A______ du 24 mai au 6 septembre 2016, puis l'a revu le 28 juin 2017. Le patient présentait en lien avec les faits un état de stress post-traumatique avec insomnies, cauchemars, réminiscences de son agression et comportements d'évitement. Sur cet état post‑traumatique s'était greffé un état dépressif moyen avec syndromes somatiques tels que tristesse, crises d'angoisse, aboulie, perte de motivation, troubles de l'endormissement, ruminations obsédantes, puissant sentiment de haine et d'injustice, avec la peur de perdre le contrôle de soi, lié à l'absence de reconnaissance de la gravité des faits. Ces symptômes s'étaient amplifiés à l'approche d'une confrontation du requérant avec les auteurs.

j. Selon le rapport médical du 27 février 2017 établi par les Drs I______et J______, A______ a séjourné à la clinique romande de réadaptation du 25 janvier au 21 février 2017 en raison de douleurs persistantes et d'une importante amyotrophie de la cuisse droite. Lors de son séjour, il s'était plaint d'un manque de force, prédominante au membre inférieur droit, avec une diminution de la mobilité. Les médecins ont constaté des limitations fonctionnelles provisoires notamment lorsqu'il portait de lourdes charges, restait accroupi de manière prolongée et assis sur ses genoux; des séances de physiothérapie à raison de trois fois par semaine lui ont été prescrites.

k. Par jugement du 21 décembre 2017, le Tribunal correctionnel (ci-après : le TCor) a déclaré : a) B______ coupable de tentative de contrainte et l'a condamné à une peine privative de liberté de 14 mois, avec sursis pendant trois ans ; b) C______coupable de lésions corporelles graves et de tentative de contrainte, l'a condamné à une peine privative de liberté de quatre ans et l'a également condamné à payer à A______ CHF 20'000.- à titre de réparation du tort moral ; et c) D______ coupable de tentative de contrainte, l'a condamné à une peine privative de liberté de 30 mois, au bénéfice du sursis partiel pour une durée de 15 mois, et, dans la mesure où D______ avait acquiescé aux conclusions civiles à concurrence de CHF 1'500.-, l'a également condamné, en tant que de besoin, à payer à A______ le montant de CHF 1'500.- à titre de réparation du tort moral.

Le TCO a par ailleurs imputé à A______ une faute concomitante au sens du droit des obligations et a opéré une réduction de 20 % sur le montant de l'indemnité pour tort moral, car il avait procédé à l'achat d'un véhicule, ou de son seul moteur, qui était volé et avait pris le risque de contracter avec des individus peu scrupuleux, voire peu recommandables, et de se trouver confronté à l'emploi par ces derniers de méthodes de recouvrement sortant du cadre légal.

l. Par arrêt du 9 juillet 2018, la chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice (ci-après : CPAR) a rejeté les appels du Ministère public, de B______ et de C______, et a partiellement admis l'appel de A______ contre le jugement précité, mais uniquement s'agissant de la répartition des frais de la procédure de première instance.

Elle a notamment confirmé la réduction de 20% de l'indemnité pour tort moral pour faute concomitante. A______ avait pris la décision de participer à au moins une transaction relative à une voiture volée, faisant affaire avec des individus qu'il connaissait à peine et dont il ne pouvait mesurer les limites tout en sachant qu'ils étaient disposés à se livrer à des activités illégales. Ce faisant, il avait adopté un comportement à risque, risque qui n'avait fait que croître lorsque l'intéressé avait refusé – peu importe, dans pareil contexte, que ce fût à tort ou à raison – de payer le prix convenu, s'exposant à des méthodes de recouvrement excédant le cadre légal et à des dérapages. La réduction de 20% pratiquée en première instance tenait dès lors compte de façon adéquate de la faute concomitante commise par la victime, certainement plus légère que celle du tireur.

m. Par décision du 12 décembre 2018, la SUVA a octroyé à A______ une indemnité pour atteinte à l'intégrité (ci-après : IPAI), au sens de l'art. 24 de la loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'assurance‑accidents (LAA - RS 832.20), d'un montant de CHF 12'600.- en raison d'une atteinte durable à l'intégrité de 10%. Elle a en revanche refusé de lui octroyer une rente d'invalidité, les séquelles de l'accident ne réduisant pas sa capacité de gain.

n. À teneur du rapport médical du 21 décembre 2019 du Dr K______, rapport envoyé au médecin-conseil de la SUVA, le requérant présentait encore, quatre ans après les faits, un état de stress post-traumatique évoluant en un épisode dépressif moyen à sévère avec syndrome somatique et trouble panique. Il avait commencé une psychothérapie de type EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing).

o. Selon la décision du 20 mai 2020 de l'Office de l'assurance-invalidité (ci‑après : AI), A______ a perçu, depuis le 1er août 2016, une rente d'invalidité d'un montant mensuel de CHF 405.- pour un taux d'invalidité de 50 %. Ce montant a ensuite été augmenté à CHF 409.- dès le 1er janvier 2019. Le service médical régional de l'AI (ci-après : SMR) a reconnu une incapacité de travail de 100% dans l'activité habituelle du requérant dès le 5 août 2015 et de 50% dès le 1er janvier 2016. Dans une activité adaptée à son état de santé, le SMR était d'avis que la capacité de travail de l'intéressé était de 50%.

B. a. Le 30 juillet 2020, A______ a déposé auprès de l'instance d'indemnisation LAVI (ci-après : l'instance LAVI) une requête en indemnisation concluant à l'octroi d'un montant de CHF 20'000.- à titre de réparation du tort moral.

b. Lors de l'audience du 10 mars 2022 par-devant l'instance LAVI, A______ a indiqué qu'il allait désormais beaucoup mieux, après avoir traversé une période qu'il pensait insurmontable. Il vivait dans une peur constante et avait décidé de déménager dans le canton L______, après avoir divorcé. Il n'avait plus de suivi psychothérapeutique. Il avait essayé en vain une thérapie EMDR, mais cela avait fait ressurgir des émotions encore plus violentes que celles qu'il ressentait sans cette thérapie. Il n'avait eu que trois séances et ne parvenait plus à dormir. Il avait commencé à aller mieux tout seul.

Il pouvait marcher relativement bien, mais ressentait constamment des douleurs. Les médecins avaient posé un clou dans son fémur qui frottait le genou, ce qui provoquait de fortes douleurs. La pose d'une prothèse au genou était envisagée pour l'avenir. En raison d'une fracture de son fémur à quatre endroits différents, il lui était difficile de remuscler sa jambe sans endurer des douleurs insupportables. Selon son médecin traitant, l'agression dont il avait été victime lui avait causé une scoliose, étant précisé que la SUVA ne partageait pas cet avis médical.

Il avait repris un garage avec sa nouvelle compagne et travaillait à 50%. Il était au bénéfice d'une rente de l'AI à 50 %. Un montant de CHF 200.- lui avait été versé par l'un des auteurs par le biais du service de l'application des peines et mesures (ci‑après : SAPEM). Il recevait de l'assurance-accident CHF 412.- par mois, de sorte qu'il était très reconnaissant de l'aide financière fournie par sa compagne.

c. Par décision du 1er septembre 2022, expédiée le 19 décembre 2022, l'instance LAVI a rejeté la requête.

Au vu des éléments du dossier, en particulier du traumatisme psychique important et de l'absence de séquelles psychiques durables, et compte tenu de sa pratique, elle estimait qu'une somme de CHF 15'000.- était de nature à tenir compte de manière équitable et proportionnée du traumatisme subi par A______.

Au vu de la participation de ce dernier à une activité illicite, en procédant à l'achat d'un véhicule volé, voire de son moteur, et du risque pris de conclure un marché avec des individus peu recommandables, force était de constater qu'il avait contribué à causer une atteinte à son intégrité, de sorte que l'indemnité pour réparation du tort moral était réduite de 20%.

Du montant qui en résultait, soit CHF 12'000.-, il convenait de déduire l'IPAI d'un montant de CHF 12'600.- ainsi que les CHF 200.- versés par D______. Le premier montant étant inférieur à la somme des deux autres, aucune indemnité n'était allouée.

C. a. Par acte déposé le 1er février 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à son annulation, au versement de la somme de CHF 8'000.- à titre de tort moral et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Il avait subi une atteinte extrêmement grave à l'intégrité physique et la durée du traitement et des séjours à l'hôpital avait été très longue. Ce n'était pas parce qu'il n'avait plus de suivi psychothérapeutique et qu'il commençait à aller mieux que les événements terribles qu'il avait vécus n'avaient pas laissé de graves séquelles psychiques. Le montant de CHF 20'000.- tel qu'alloué par les instances pénales était clairement justifié.

L'instance LAVI avait décidé de réduire le montant de CHF 20'000.- à CHF 15'000.- puis à CHF 12'000.- sans donner de justification suffisante, en violation de son obligation de motiver. Une formule standardisée ne permettant pas de savoir si l'autorité avait examiné concrètement les arguments motivés avancés par une partie ne suffisait pas.

S'agissant de la réduction pour exposition à un danger concret, une telle exposition était formellement contestée. Il se trouvait sur son lieu de travail au moment de l'agression, et ce n'était pas parce qu'il avait traité avec des gens peu recommandables que cela créait nécessairement un danger de se faire agresser ou tirer dessus.

b. Le 13 février 2023, l'intimée a conclu au rejet du recours en se référant aux termes de sa décision. Elle ajoutait que le TCor avait aussi opéré une réduction de 20% de l'indemnité à raison du risque encouru.

c. Le 2 mars 2023, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 31 mars 2023 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Aucune des parties ne s'est manifestée.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Dans un grief formel qu'il convient d'aborder en premier lieu, le recourant se plaint d'une motivation insuffisante de la décision attaquée.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend, notamment, l’obligation pour l’autorité de motiver sa décision. Il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 145 IV 99 consid. 3.1 ; 143 III 65 consid. 5.2 ; 141 IV 244 consid. 1.2.1). La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_586/2021 du 20 avril 2022 consid. 2.1).

Savoir si la motivation présentée est convaincante est une question distincte de celle du droit à une décision motivée. Dès lors que l’on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_582/2021 du 21 février 2023 consid. 3.1 ; ATA/991/2023 du 12 septembre 2023 consid. 2.1).

2.2 En l'espèce, s'agissant de la fixation du montant de l'indemnité pour tort moral à CHF 15'000.- plutôt qu'à CHF 20'000.- comme retenu par la chambre d'appel et de révision, l'autorité intimée a rappelé que le calcul de la réparation morale à titre d'aide aux victimes se faisait selon une échelle dégressive indépendante des montants habituellement accordés en droit civil (p. 6, avant-dernier §), et que le plafonnement de l'indemnisation LAVI impliquait que les montants alloués à ce titre étaient clairement inférieurs à ceux alloués selon le droit privé (p. 7, 3e §). Elle a également mentionné les différentes fourchettes prévues par le guide de l'office fédéral de la justice (ci-après : OFJ), la somme de CHF 15'000.- constituant la charnière entre les atteintes à l'intégrité psychiques sévères et très sévères (p. 8, 2et 3e §). Dans sa subsomption telle que critiquée par le recourant (p. 9, 8e §), elle a indiqué deux éléments concrets la conduisant à retenir le montant de CHF 15'000.‑, à savoir le traumatisme physique important et l'absence de séquelles psychiques durables.

Pris dans leur ensemble, les éléments de motivation qui précèdent permettent de comprendre que l'autorité intimée a retenu une atteinte sévère voire très sévère, et que si elle a certes baissé le montant alloué par les instances judiciaires pénales, elle n'a pas voulu considérablement s'en écarter.

Quant au passage de CHF 15'000.- à CHF 12'000.-, soit une réduction de 20%, l'intimée l'a justifiée comme suit, à savoir « qu'en l'espèce, au vu de la participation du requérant à une activité illicite, en procédant à l'achat d'un véhicule volé, voire de son moteur, et du risque pris de conclure un marché avec des individus peu recommandables, force est de constater que le requérant a contribué à causer une atteinte à son intégrité, de sorte que l'indemnité pour réparation du tort moral est réduite de 20% ». Une telle motivation est d'autant plus claire et compréhensible qu'elle reprend le pourcentage utilisé par les juridictions pénales à titre de faute concomitante (AARP/216/2018 précité consid. 5.1.3 et 5.2.2). Le recourant a du reste parfaitement compris cet aspect de la décision puisqu'il conteste dans son recours s'être exposé à un danger concret.

Il résulte de ce qui précède que la motivation de la décision attaquée est suffisante, si bien que le grief y relatif sera écarté.

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b) ; les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

4.             Le recourant conclut au versement d'une indemnité de CHF 8'000.- à titre de tort moral, et se plaint de la « double réduction » opérée par l'intimée.

4.1 Selon l'art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l'atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 de loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220) s'appliquent par analogie. La réparation morale constitue désormais un droit (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6742).

Aux termes de l'art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité équitable à titre de réparation morale. Par ailleurs, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d'argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l'atteinte le justifie et que l'auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement (art. 49 al. 1 CO).

4.2 Le système d'indemnisation du tort moral instauré par la LAVI et financé par la collectivité publique est subsidiaire par rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation dont la victime dispose déjà (art. 4 LAVI ; ATF 131 II 121 consid. 2 ; 123 II 425 consid. 4b). Ainsi, celui qui sollicite une indemnité doit rendre vraisemblable que l'auteur de l'infraction ne verse aucune prestation ou ne verse que des prestations insuffisantes, à moins que, compte tenu des circonstances, on ne puisse pas attendre de lui qu'il effectue des démarches en vue d'obtenir des prestations de tiers (art. 4 al. 1 et 2 LAVI ; ATF 125 II 169 consid. 2b.cc).

4.3 La LAVI prévoit un montant maximum pour les indemnités, arrêté à CHF 70'000.- pour la réparation morale à la victime elle-même (art. 23 al. 2 let. a LAVI). Le législateur n'a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle a subi (ATF 131 II 121 consid. 2.2 ; 129 II 312 consid. 2.3 ; 125 II 169 consid. 2b/aa). Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une allocation ex aequo et bono (arrêt du Tribunal fédéral 1C_48/2011 du 15 juin 2011 consid. 3 ; ATA/1284/2021 du 23 novembre 2021 consid. 2b ; ATA/973/2015 du 22 septembre 2015 consid. 4c).

La collectivité n'étant pas responsable des conséquences de l'infraction, mais seulement liée par un devoir d'assistance publique envers la victime, elle n'est pas nécessairement tenue à des prestations aussi étendues que celles exigibles de la part de l'auteur de l'infraction (ATF 129 II 312 consid. 2.3 ; 128 II 49 consid. 4.3). Si le principe d'un droit subjectif à la réparation morale est ancré à l'art. 22 LAVI, le plafonnement de l'indemnisation implique que les montants alloués en vertu de cette loi sont nettement inférieurs à ceux alloués selon le droit privé (arrêts du Tribunal fédéral 1C_184/2021 du 23 septembre 2021 consid. 3.2 ; 1C_320/2019 du 23 avril 2020 consid. 4.3 ; 1C_583/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.3). Sans avoir voulu instaurer une réduction systématique et proportionnelle des montants alloués en vertu du droit privé, le législateur a fixé les plafonds environ aux deux tiers des montants de base généralement attribués en droit de la responsabilité civile (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005 concernant la révision totale de la LAVI [ci-après: le Message], FF 2005 6683, p. 6744 s.). La fourchette des montants à disposition est ainsi plus étroite qu'en droit civil, les montants les plus élevés devant être réservés aux cas les plus graves (arrêts du Tribunal fédéral 1C_184/2021 précité consid. 3.2 ; 1C_505/2019 du 29 avril 2020 consid. 3.1).

Il convient par ailleurs de rappeler que dans le cadre de l'action civile prévue par les art. 122 à 126 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), si la procédure est en principe celle prévue par le CPP, pour ce qui est du fond le juge pénal applique le droit matériel privé, soit en matière d'indemnité pour tort moral le CO, en particulier ses art. 47 et 49 (pour un exemple récent, voir l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_545/2022 du 4 janvier 2023 consid. 13.2).

4.4 La chambre administrative se fonde sur la jurisprudence rendue en la matière, et, vu le renvoi opéré par l’art. 22 al. 1 LAVI, sur la jurisprudence rendue en matière d’indemnisation du tort moral sur la base de l’art. 49 CO (SJ 2003 II p. 7) ou, le cas échéant, l’art. 47 CO, étant précisé que, au sens de cette disposition, des souffrances psychiques équivalent à des lésions corporelles (arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2012 du 10 juillet 2012 consid. 3.1.1). Le système d’indemnisation du tort moral prévu par la LAVI répond à l’idée d’une prestation d’assistance et non pas à celle d’une responsabilité de l’État ; la jurisprudence a ainsi rappelé que l’utilisation des critères du droit privé est en principe justifiée, mais que l’instance LAVI peut au besoin s’en écarter (ATF 129 II 312 consid 2.3 ; 128 II 49 consid. 4.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_244/2015 du 7 août 2015 consid. 4.1) ou même refuser le versement d’une réparation morale. Une réduction du montant de l’indemnité LAVI par rapport à celle octroyée selon le droit privé peut en particulier résulter du fait que la première ne peut pas tenir compte des circonstances propres à l’auteur de l’infraction (ATF 132 II 117 consid. 2.2.4 et 2.4.3).

L’ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l’atteinte – ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle‑ci, quoique grave, peut n’avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances – et de la possibilité d’adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d’une somme d’argent (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 129 IV 22 consid. 7.2 ; 115 II 158 consid. 2 et les références citées). Sa détermination relève du pouvoir d’appréciation du juge (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 116 II 299 consid. 5a). Il est nécessaire de préciser l'ensemble des circonstances et de s'attacher surtout aux souffrances ayant résulté de l'atteinte. Les souffrances psychologiques résultant de l'agression, tel le sentiment d'insécurité ou la perte de confiance en soi, ne doivent pas être négligées (ATA/222/2023 du 7 mars 2023 consid. 5b ; ATA/1291/2022 du 20 décembre 2022 consid. 7c).

En raison de sa nature, elle échappe à toute fixation selon des critères mathématiques (ATF 117 II 60 consid. 4a/aa et les références citées). L’indemnité pour tort moral est destinée à réparer un dommage qui, par sa nature même, ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d’argent. C’est pourquoi son évaluation chiffrée ne saurait excéder certaines limites. Néanmoins, l’indemnité allouée doit être équitable. Le juge en proportionnera donc le montant à la gravité de l’atteinte subie et il évitera que la somme accordée n’apparaisse dérisoire à la victime. S’il s’inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles (ATF 129 IV 22 consid. 7.2 ; 125 III 269 consid. 2a ; 118 II 410 consid. 2a).

En matière de réparation du tort moral, une comparaison avec d'autres causes ne doit ainsi intervenir qu'avec circonspection, puisque le tort moral ressenti dépend de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. Cela étant, une comparaison peut se révéler, suivant les occurrences, un élément utile d'orientation (ATF 138 III 337 consid. 6.3.3 ; 130 III 699 consid. 5.1).

4.5 Le Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale à titre d'aide aux victimes d'infractions à l'intention des autorités cantonales en charge de l'octroi de la réparation morale à titre de LAVI, rédigé en octobre 2008 (ci-après : le guide) a été entièrement remanié et s'intitule désormais « Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale selon la LAVI » du 3 octobre 2019 (accessible sous <https://www.bj.admin.ch/dam/bj/fr/data/gesellschaft/opferhilfe/hilfsmittel/leitf-genugtuung-ohg-f.pdf>, consulté le 28 septembre 2023).

Il s'adresse aux autorités d'indemnisation des victimes et aux professionnels chargés d'accorder une réparation morale au sens de la LAVI. Le guide concerne principalement la prétention à réparation morale et la fixation de son montant au sens de la LAVI. Il a pour objectif de permettre l'application uniforme de la LAVI en matière de réparation morale (p. 2).

Les fourchettes du guide aménagent une marge de manœuvre suffisante pour qu'il soit tenu compte des particularités de chaque cas d'espèce. La difficulté réside surtout dans le calcul du montant approprié à l'intérieur de ces fourchettes. La prise en considération de décisions antérieures semblables est dès lors essentielle pour garantir la sécurité et l'application uniforme du droit. Aussi, malgré la grande diversité des cas, certains facteurs ci-après sont récurrents : parmi les blessures légères, on range les contusions, les plaies par déchirure, les lésions dentaires, les morsures superficielles, les petites cicatrices et les troubles psychiques causés principalement par des atteintes inattendues. La fourchette se situe ici entre CHF 0.- et CHF 1'000.- ; en cas de blessures, dont la guérison se déroule le plus souvent sans complication telles que des fractures, les montants se situent entre CHF 1'000.- et CHF 3'000.-. S'il s'agit de blessures infligées par couteau ou par balle, la réparation peut s'élever jusqu'à CHF 5'000.- ; dans la tranche allant de CHF 5'000.- à CHF 10'000.-, on trouve surtout des lésions occasionnées à des organes (rate, foie, yeux) qui nécessitent un processus de guérison plus long et plus complexe et qui peuvent laisser des séquelles, telles une diminution de l'acuité visuelle, une paralysie intestinale ou une prédisposition accrue aux infections (Meret BAUMANN/Blanca ANABITARTE/Sandra MÜLLER GMÜNDER, La pratique en matière de réparation morale à titre d'aide aux victimes - Fixation des montants de la réparation morale selon la LAVI révisée, in Jusletter du 8 juin 2015, p. 27 s).

Le guide prévoit ainsi (p. 10) une fourchette allant de CHF 5'000.- à CHF 10'000.- pour les atteintes corporelles à la guérison plus lente et plus complexe avec séquelles tardives éventuelles, telles qu'opérations, longues réhabilitations, dégradation de la vue, paralysie intestinale ou sensibilité accrue aux infections, et une fourchette de CHF 10'000.- à CHF 20'000.- pour les atteintes corporelles avec séquelles durables, telles que la perte de la rate, d’un doigt, de l’odorat ou du goût.

Ces directives ne sauraient certes lier les autorités d'application. Toutefois, dans la mesure où elles concrétisent une réduction des indemnités LAVI par rapport aux sommes allouées selon les art. 47 et 49 CO, elles correspondent en principe à la volonté du législateur et constituent une référence permettant d'assurer une certaine égalité de traitement, tant que le Conseil fédéral n'impose pas de tarif en application de l'art. 45 al. 3 LAVI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_583/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.3). Dans un souci d'application uniforme et équitable de la loi, il peut être tenu compte des recommandations qui y sont mentionnées (ATA/222/2023 précité consid. 5e).

4.6 Selon l'art. 27 al. 1 LAVI, l’indemnité et la réparation morale en faveur de la victime peuvent être réduites ou exclues si celle-ci a contribué à causer l’atteinte ou à l’aggraver. Cette disposition permet de tenir compte des facteurs de réduction déduits du droit de la responsabilité civile (arrêt du Tribunal fédéral 1C_152/2020 du 8 septembre 2020 consid. 3.6).

4.7 Les prestations versées par des tiers à titre de réparation morale doivent être déduites du montant alloué par l’instance LAVI (art. 23 al. 3 LAVI). Selon la jurisprudence tant du Tribunal fédéral que de la chambre de céans, les IPAI doivent en principe être déduits du montant de la réparation morale allouée sur la base de la LAVI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_182/2007 du 28 novembre 2007 consid. 11 ; ATA/344/2012 du 5 juin 2012 consid. 7b ; ATA/139/2010 du 2 mars 2010 consid. 8a).

4.8 En l'espèce, l'intimée a fixé l'indemnité pour tort moral à CHF 15'000.-. Il ne s'agit pas d'une « réduction » comme la qualifie le recourant, mais de la fixation de l'indemnité selon les critères susexposés qui sont ceux propres à l'application de la LAVI. Le montant choisi correspond à la charnière entre une atteinte psychique sévère et très sévère au sens du guide de l'OFJ. Au regard des éléments du dossier, à savoir notamment un traitement somatique d'assez longue durée, sans perte d'un membre mais avec nécessité d'opérer à cinq reprises, ainsi que des séquelles psychologiques d'une certaine intensité et durée, le choix d'un montant de CHF 15'000.- n'apparaît en tout cas pas comme étant insuffisant, étant rappelé que les montants alloués en vertu de la LAVI sont souvent nettement inférieurs à ceux alloués selon le droit privé.

La réduction de 20% au sens de l'art. 27 al. 1 LAVI ne prête pas davantage le flanc à la critique. Elle correspond du reste à la diminution retenue par les juridictions pénales. À cet égard, comme relevé par la CPAR, la faute du tireur est à l'évidence plus importante que celle du recourant. Cela étant, en s'associant à des malfrats puis en leur tenant tête et en refusant de payer le montant convenu, il s'exposait à l'évidence à des mesures de rétorsion et à des méthodes de recouvrement violentes. La réduction de l'indemnité est donc pleinement justifiée.

Enfin, la soustraction de l'IPAI – et, accessoirement, du petit montant déjà versé par l'un des auteurs – correspond tant à l'art. 23 al. 3 LAVI qu'à la jurisprudence y relative décrite ci-dessus.

Il s'ensuit que la décision attaquée est conforme au droit et que le recours, mal fondé, doit être rejeté.

5.             Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 30 al. 1 LAVI et 87 al. 1 LPA). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er février 2023 par A______ contre la décision de l'instance d'indemnisation LAVI du 1er septembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Andreas DEKANY, avocat du recourant, à l'instance d'indemnisation LAVI ainsi qu'à l'office fédéral de la justice.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :