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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2797/2022

ATA/699/2023 du 27.06.2023 ( CPOPUL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2797/2022-CPOPUL ATA/699/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 juin 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ et B______ recourants

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, d’origine ivoirienne, née le ______ 1962 à Treichville, en Côte d’Ivoire, est arrivée à Genève le ______ 1982, où elle a séjourné grâce à la carte de légitimation dont bénéficiait son père, C______.

b. Le 10 juillet 1996 à Genève, A______ s’est mariée avec B______, d’origine ivoirienne, né le ______ 1961 à Abidjan.

c. A______ a été naturalisée suisse et genevoise le 7 mai 2001. B______ a été naturalisé suisse et genevois le 3 janvier 2003. Depuis leur mariage, les époux AB______ vivent et travaillent à Genève.

d. Pour des raisons médicales, les époux AB______ n’ont pas d’enfants naturels. Ils ont effectué, en vain, des démarches de procréation médicalement assistée.

e. Le frère de A______, D______, né le ______1967, sapeur-pompier militaire de profession, et son épouse, E______ , née le ______ 1979, couturière (ci-après : les parents biologiques), ont eu deux enfants, F______ , née le ______ 2000, et G______ , né le ______ 2005 (ci‑après : les enfants).

f. Par jugement du 24 mai 2013, le Tribunal de première instance d’Abidjan a prononcé l’« adoption plénière » des enfants par les époux AB______ (ci-après : les parents adoptifs ou les adoptants).

La partie « en fait » de ce jugement se lisait comme suit :

« - Par requête en date du 8 janvier 2013 les époux AB______ ont sollicité l’adoption plénière des enfants :

- F______ né [recte : née] le ____ 2000 et G______ , né le ______ 2005 ;

- Qu’ils font valoir au soutien de leur action que mariés depuis le 10 juillet 1996 ils n’ont pas pu concevoir d’enfant ;

- Que désireux de vivre dans une famille où des enfants qu’ils ont tant désiré pourront leur apporter le bonheur espéré, ils ont manifesté le désir d’adopter les enfants susnommés ;

- Qu’ils indiquent qu’ils connaissent les enfants dont ils sollicitent l’adoption avec qui ils ont déjà vécu ;

- Qu’ils soutiennent en outre que cette mesure qu’ils sollicitent est de nature à consolider l’aide qu’ils leur ont toujours apporté ;

- Qu’ils désirent que F______ né [recte : née] le ______ 2000 s’appelle H______ et G______ né le ______ 2005 se nomme et prénomme I______ ;

- Attendu que les père et mère des enfants dont il s’agit ont par écrit à l’audience du 05 mars 2013 devant le Juge des affaires matrimoniales donné leur consentement à l’adoption plénière sollicitée ». 

g. Depuis l’adoption, les enfants portent respectivement les prénoms et noms H______ et I______ .

B. a. Le 14 avril 2014, les époux AB______ ont déposé une demande de visa et de regroupement familial auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) pour chacun des enfants.

b. Par « certificat d’autorisation parentale » du 23 avril 2014, le juge des tutelles du Tribunal de première instance d’Abidjan a autorisé les enfants à se rendre en Suisse chez leurs parents adoptifs. Ledit certificat précise qu’il est « constant que les enfants mineurs susdits sont nés des œuvres de Monsieur B______ et de Madame A______ qui les ont reconnus dès leur naissance ».

c. Le 6 août 2014, l’ambassade de Suisse à Abidjan a communiqué au service de l’état civil et des légalisations (ci-après : SECL) de l’OCPM les documents relatifs à l’adoption plénière des enfants H______ et G______ .

d. Le 8 septembre 2014, l’OCPM a informé les intéressés que leur demande de regroupement familial était en cours d’instruction et qu’il travaillait de concert avec le SECL et le service d’autorisation et de surveillance des lieux de placement, autorité centrale en matière d’adoption (ci-après : l’autorité centrale).

e. À la requête du SECL, l’ambassade de Suisse à Abidjan lui a fait parvenir, le 7 janvier 2015, les actes d’état civil de l’enfant G______ avant et après adoption, légalisés par la représentation suisse.

f. Dans le cadre de la procédure de regroupement familial, l’OCPM a requis un préavis de l’autorité centrale.

g. Le 14 janvier 2015, l’autorité centrale a entendu les époux AB______, lesquels ont indiqué que la sœur de A______, qui vivait en Côte d’Ivoire, était décédée en 2012, laissant son mari seul avec leurs deux enfants, J______ et K______ . Dans un premier temps, les époux AB______ avaient envisagé d’adopter ces derniers afin de soulager leur beau-frère, mais y avaient renoncé en raison de la grande différence d’âge entre eux et les enfants précités. D______ et son épouse leur avaient alors proposé d’adopter leurs propres enfants, F______ (prénommée H______ après l’adoption) et G______ . Il envisageait de recueillir les enfants de sa défunte sœur, estimant avoir le cadre familial adapté pour cet accueil, mais ne pouvait assumer avec son épouse la charge de quatre enfants, même avec un soutien financier des époux AB______. Les enfants H______ et G______ vivaient avec leurs parents biologiques en Côte d’Ivoire et étaient de bons élèves. B______ se rendait régulièrement en Côte d’Ivoire, mais pas A______.

h. Le 5 février 2015, l’autorité centrale a communiqué à l’OCPM un préavis négatif.

L’adoption prononcée par le Tribunal de première instance d’Abidjan ne servait pas l’intérêt supérieur des enfants et était manifestement contraire à l’ordre public suisse, de sorte qu’elle ne pouvait pas être reconnue en Suisse.

i. Le 29 avril 2015, le SECL a refusé l’enregistrement de l’adoption à l’état civil. Il a informé les époux AB______ de la possibilité de demander une décision formelle.

j. Le 29 mai 2015, par l’intermédiaire de leur avocat, les époux AB______ ont sollicité une décision formelle.

k. Par décision du 2 juin 2015, le secrétariat général du département de la sécurité et de l’économie, devenu entretemps le département de la sécurité, de la population et de la santé puis le département des institutions et du numérique (ci-après : le département), en sa qualité d’autorité de surveillance de l’état civil, a rejeté la demande de reconnaissance et de transcription dans le registre suisse de l’état civil de l’adoption des enfants H______ et G______ .

L’adoption avait été prononcée sans prendre en considération l’intérêt supérieur des enfants et notamment la possibilité de grandir dans un cadre familial stable auprès de leurs parents biologiques, toujours en vie.

L’accord des parents biologiques à l’adoption provenait plutôt de leur volonté d’accueillir deux enfants supplémentaires, ce qui n’était pas compatible avec les intérêts d’H______ et G______ . L’effet de la rupture de la filiation et, partant, de la rupture sociale, scolaire, culturelle et affective ne pouvait être que renforcé par le sentiment d’être remplacés par d’autres enfants.

Il n’y avait pas eu de vie commune, ni de période probatoire, antérieure ou postérieure, à l’adoption avec leurs parents adoptifs.

Rien n’indiquait que les enfants H______ et G______ aient été entendus, ou qu’ils aient donné leur consentement à leur adoption.

Les adoptants n’avaient sollicité ni l’agrément, ni l’autorisation de la part de l’autorité centrale ; la procédure prévue, non respectée en l’espèce, avait précisément pour but de s’assurer de l’intérêt de l’enfant à être adopté.

La reconnaissance de la décision d’adoption aboutirait à un résultat fondamentalement opposé à la conception suisse du droit.

l. Par acte du 3 juillet 2015, les époux AB______ ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant principalement à son annulation, à la reconnaissance de l’adoption des enfants prononcée par le Tribunal de première instance d’Abidjan le 24 mai 2013 et à la transcription de cette décision dans le registre suisse de l’état civil.

m. Par arrêt du 23 février 2016, la chambre administrative a rejeté le recours.

En l’absence de période probatoire et de vie commune, il y avait lieu de porter une attention particulière à l’examen de l’intérêt de l’enfant par le tribunal ivoirien. Or, il ne ressortait pas du jugement d'adoption que le Tribunal de première instance d’Abidjan aurait examiné l’intérêt des enfants sous l’angle psychologique, social ou culturel, ni entendu les enfants, ni non plus que ces derniers auraient consenti à l’adoption.

L’adoption avait pour objectif d’offrir à un enfant un cadre familial qui lui faisait défaut, et non l’inverse, à savoir « d’offrir » un enfant à un couple. Il s’agissait d’une mesure de protection de l’enfant, qui devait donc être gouvernée par la recherche de son intérêt supérieur. Selon l'art. 7 § 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant, du 20 novembre 1989 (CDE - RS 0.107), tout enfant avait le droit, dans la mesure du possible, de connaître ses parents et d’être élevé par eux.

H______ et G______ , âgés respectivement de 15 et 10 ans, vivaient depuis leur naissance auprès de leurs parents biologiques et disposaient d’un cadre familial dans lequel ils semblaient évoluer harmonieusement. Ils étaient les seuls enfants de la famille, avaient des loisirs et des amis, et fréquentaient une école privée. Dans ces circonstances, il ne semblait pas que leur adoption par un couple suisse soit nécessaire pour les protéger. L’intention des époux DE______ de recueillir leurs neveux orphelins de mère et, en conséquence, d’envoyer leurs propres enfants H______ et G______ dans une famille en Suisse, la famille n’ayant pas les moyens d’élever quatre enfants, devait être considérée comme contraire à l’intérêt de ces derniers, qui risquaient de subir de ce fait, même de façon inconsciente, une forme d’abandon, auquel pouvait s'ajouter un déracinement local, familial, scolaire, social et culturel. Une évaluation psychosociale des deux enfants était dès lors nécessaire, dans leur intérêt, pour déterminer s’ils étaient en mesure de supporter une telle modification de leur situation familiale et sociale, et de s’adapter à une nouvelle vie. La disponibilité et les qualités personnelles des époux AB______ pour recueillir des enfants n'étaient pas contestées, à l’instar de leur volonté sincère de fonder une famille. Cela ne suffisait toutefois pas à pallier l’absence de toute évaluation psychosociale des enfants.

Les époux AB______ ne contestaient pas avoir omis la procédure d’agrément. L’absence de demande d’agrément ne pouvait être qualifiée de « non-respect excusable d’une condition formelle » et il n’était ni excessif, ni disproportionné de refuser la reconnaissance d’une adoption en se fondant également sur ce manquement.

n. Cet arrêt est entré en force, faute d'avoir fait l'objet d'un recours par-devant le Tribunal fédéral.

C. a. Par courrier du 12 avril 2021 adressé à l'OCPM, les époux AB______ ont déposé une demande de réexamen de la situation, en demandant la venue en Suisse des enfants et la reconnaissance de leur adoption en Suisse.

La mère biologique des enfants était décédée le 1er août 2019. Leur père biologique était à la retraite depuis le mois de septembre 2020 ; il avait vu sa solde se réduire drastiquement et n'avait plus de logement de fonction. Ils payaient donc son logement, le père biologique des enfants n'arrivait plus, sans son épouse, à gérer une vie familiale normale avec ces deux adolescents, qui avaient besoin de plus d'attentions. Il avait noué une relation sentimentale avec une autre personne et sa présence au domicile familial était de plus en plus limitée.

De plus, la stabilité de la Côte-d'Ivoire était toujours plus menacée par la contestation politique et les attaques terroristes islamistes.

b. Le 25 août 2021, le directeur du service « étrangers » de l'OCPM a adressé une lettre d'explication de la situation aux époux AB______. Seul l'enfant G______ était encore mineur, si bien qu'une éventuelle procédure de placement d'enfants sans adoption ultérieure ne concernerait que lui. Un positionnement officiel avec la possibilité d'exercer leur droit d'être entendu leur serait prochainement adressé.

c. Le 26 août 2021, l'OCPM a informé les époux AB______ de son intention de refuser l'octroi d'une autorisation d'entrée et de séjour aux enfants.

G______ ne remplissait pas les conditions d'octroi d'une autorisation d'entrée et de séjour au titre d'un placement d'enfants en Suisse sans adoption ultérieure, au sens de l'art. 30 al. 1 let. c de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et 33 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201).

H______ était maintenant majeure et ne pouvait plus invoquer les dispositions précitées. Sa situation n'était pas constitutive d'un cas d'extrême gravité car elle avait vécu toute sa vie dans son pays d'origine, où se trouvaient son père, son frère, ses oncles, tantes et cousins et où elle avait toutes ses attaches et sa vie sociale.

d. Par courrier du 26 octobre 2021, les époux AB______ se sont étonnés de ce que le refus de leur demande de réexamen n'émane pas du secrétariat général du département ou tout au moins du service état civil, naturalisations et légalisations (ci-après : SECNAL).

Ils ne voulaient pas un placement pour leurs enfants, comme mentionné par l'OCPM, mais une adoption. Un enfant mineur adopté par un citoyen suisse obtenait la nationalité suisse.

e. Le 23 décembre 2021, le SECNAL a informé les époux AB______ de son intention de ne pas entrer en matière sur leur demande de reconsidération. Un délai de 30 jours leur était imparti pour faire part de leurs observations écrites.

f. Les époux AB______ se sont déterminés le 23 janvier 2022.

La chambre administrative avait retenu que le Tribunal ivoirien n'avait pas suffisamment examiné la situation des enfants, mais il en allait de même des autorités suisses. Il convenait de procéder à l'audition des enfants.

La situation avait totalement changé depuis 2013, dès lors que leur mère était décédée. La situation était intenable pour les enfants. En effet, ceux-ci ne vivaient plus avec leur père, qui ne les voulait plus chez lui. Ils avaient été obligés de placer les enfants chez des villageois, qui leur demandaient toujours plus d'argent sachant qu'ils vivaient en Suisse. Les enfants avaient aussi de grandes difficultés pour se rendre à l'école. Ils n'avaient plus de relation avec les autres membres de leurs familles, tels que leurs cousins et cousines, qui étaient jaloux du fait qu'ils aient été adoptés. Il n'y avait donc plus personne pour s'occuper d'eux.

g. Par décision du 27 juillet 2022, le département a refusé d'entrer en matière sur la demande de réexamen.

Les éléments avancés par les époux AB______ n'étaient pas de nature à modifier les raisons qui avaient amené le département à refuser la transcription de l'adoption dans les registres suisses de l'état civil.

En effet, les événements invoqués n'avaient pas d'incidence sur le fait que le jugement du 24 mai 2013 était contraire à l'ordre public suisse, notamment car il n'avait pas pris en compte un certain nombre de facteurs. Ils ne permettaient pas non plus de réparer l'absence de consentement des enfants lors de la procédure d'adoption en 2013 et leur absence d'audition par le tribunal. Ils ne changeaient rien à l'absence de période probatoire, les époux AB______ n'ayant jamais vécu avec les enfants. Enfin, le décès de la mère biologique avait eu lieu en août 2019, si bien que le dépôt de la demande de réexamen un an et huit mois plus tard n'était pas compatible avec les règles de la bonne foi.

D. a. Par acte posté le 25 août 2022 et adressé au département, les époux ont déclaré faire « opposition » à la décision précitée.

b. Le 30 août 2022, le département a transmis ledit courrier à la chambre administrative pour raison de compétence.

c. Le 15 septembre 2022, les époux ont complété leur recours.

Leur demande se fondait sur la situation sociale et familiale de leurs deux enfants, telle qu'ils l'avaient déjà explicitée auparavant, à savoir notamment que leur mère était décédée et que leur père avait une nouvelle compagne, ainsi que sur leur désir de devenir parents et de fonder une famille, leur stabilité en tant que citoyens et leur confiance en la justice suisse.

Ils avaient toujours eu des liens très forts avec les enfants, et ce depuis leur plus jeune âge. Ils connaissaient plusieurs couples d'origine africaine qui avaient adopté leurs neveux ou nièces et qui avaient pu faire venir leurs enfants adoptifs en Suisse.

d. Le 10 novembre 2022, le département a conclu au rejet du recours. Il s'en est rapporté à justice sur sa recevabilité, tout en faisant valoir que le recours du 15 septembre 2022 était probablement tardif, même compte tenu des suspensions de délais entre le 15 juillet et le 15 août.

Les recourants ne prétendaient plus que le père biologique des enfants ne vivait plus avec eux.

Pour le surplus, il était renvoyé à la motivation de la décision attaquée, les éléments soulevés dans le recours n'étant pas de nature à entraîner une modification de l'état de fait de base de la décision du département du 2 juin 2015 et de l'arrêt de la chambre administrative du 23 février 2016, et les recourants n'apportant pas de moyens de preuve étayant leurs propos.

e. Le 15 novembre 2022, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 16 décembre 2022 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

f. Le 10 décembre 2022, les recourants ont fait valoir que les démarches avaient été initiées avant que l'un des enfants fût majeur. Ils avaient hâte d'être réunis à leurs enfants, et ont joint des lettres signées par ceux-ci, qui soulignaient leur désir de rejoindre leurs parents adoptifs en Suisse et le caractère intenable de leur situation actuelle.

g. Le département ne s'est quant à lui pas manifesté.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10), étant précisé que l'« opposition » initialement formée par les recourants devait être comprise comme un recours, ce qu'a du reste fait l'intimé en la transmettant pour raison de compétence à la chambre de céans, et que l'écriture du 15 septembre 2022 doit être considérée comme un complément au recours.

2.             Le litige porte sur le refus de l'intimé du 27 juillet 2022 d'entrer en matière sur la demande de reconsidération formée par les recourants.

2.1 L'autorité administrative qui a pris une décision entrée en force n'est obligée de la reconsidérer que si sont réalisées les conditions de l'art. 48 al. 1 LPA.

Une telle obligation existe lorsque la décision dont la reconsidération est demandée a été prise sous l'influence d'un crime ou d'un délit (art. 80 let. a LPA) ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux et importants existent, que le recourant ne pouvait connaître ou invoquer dans la procédure précédente (art. 80 let. b LPA ; faits nouveaux « anciens » ; ATA/82/2022 du 1er février 2022 consid. 2a ; ATA/539/2020 du 29 mai 2020 consid. 5b).

Une telle obligation existe également lorsque la situation du destinataire de la décision s'est notablement modifiée depuis la première décision (art. 48 al. 1
let. b LPA). Il faut entendre par là des faits nouveaux « nouveaux » ou novæ véritables, c'est-à-dire survenus après la prise de la décision litigieuse, qui modifient de manière importante l'état de fait ou les bases juridiques sur lesquels l'autorité a fondé sa décision, justifiant par là sa remise en cause (ATA/1060/2022 du 18 octobre 2022 consid. 2a ; ATA/1620/2019 du 5 novembre 2019 consid. 3a ; ATA/159/2018 du 20 février 2018 consid. 3a). Pour qu'une telle condition soit réalisée, il faut que survienne une modification importante de l'état de fait ou des bases juridiques, ayant pour conséquence, malgré l'autorité de la chose jugée rattachée à la décision en force, que cette dernière doit être remise en question (ATA/539/2020 précité consid. 4b ; ATA/1244/2019 du 13 août 2019 consid. 5 ; ATA/830/2016 du 4 octobre 2016 consid. 2a).

L'existence d'une modification notable des circonstances au sens de l'art. 48 al. 1 let. b LPA doit être suffisamment motivée, en ce sens que l'intéressé ne peut pas se contenter d'alléguer l'existence d'un changement notable de circonstances, mais doit expliquer en quoi les faits dont il se prévaut représenteraient un changement notable des circonstances depuis la décision entrée en force ; à défaut, l'autorité de première instance n'entre pas en matière et déclare la demande irrecevable (ATA/573/2013 du 28 août 2013 consid. 4). La charge de la preuve relative à l'existence d'une situation de réexamen obligatoire d'une décision en force incombe à celui qui en fait la demande, ce qui implique qu'il produise d'emblée devant l'autorité qu'il saisit les moyens de preuve destinés à établir les faits qu'il allègue (ATA/291/2017 du 14 mars 2017 consid. 4).

2.2 Une demande de reconsidération ne doit pas permettre de remettre continuellement en cause des décisions entrées en force et d'éluder les dispositions légales sur les délais de recours (ATF 136 II 177 consid. 2.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 1417). C'est pourquoi, en principe, l'administré n'a aucun droit à ce que l'autorité entre en matière sur sa demande de reconsidération, sauf si une telle obligation de l'autorité est prévue par la loi ou si les conditions particulières posées par la jurisprudence sont réalisées (ATF 120 Ib 42 consid. 2b ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1417).

2.3 Saisie d'une demande de reconsidération, l'autorité examine préalablement si les conditions de l'art. 48 LPA sont réalisées. Si tel n'est pas le cas, elle rend une décision de refus d'entrer en matière qui peut faire l'objet d'un recours dont le seul objet est de contrôler la bonne application de cette disposition (ATF 117 V 8 consid. 2 ; 109 Ib 246 consid 4a). Si lesdites conditions sont réalisées ou si l'autorité entre en matière volontairement sans y être tenue et rend une nouvelle décision identique à la première sans avoir réexaminé le fond de l'affaire, le recours ne pourra en principe pas porter sur ce dernier aspect. Si la décision rejette la demande de reconsidération après instruction, il s'agira alors d'une nouvelle décision sur le fond, susceptible de recours. Dans cette hypothèse, le litige a pour objet la décision sur réexamen et non la décision initiale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_319/2015 du 10 septembre 2015 consid. 3 ; 2C_406/2013 du 23 septembre 2013 consid. 4.1 ; ATA/1786/2019 du 10 décembre 2019 consid. 4d). Ainsi, dans la mesure où la décision attaquée ne porte que sur la question de la recevabilité de la demande de réexamen, le recourant ne peut que contester le refus d'entrer en matière que l'autorité intimée lui a opposé, mais non invoquer le fond, des conclusions prises à cet égard n'étant pas recevables (ATF 126 II 377 consid. 8d ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_115/2016 du 31 mars 2016 consid. 5 ; 2C_172/2013 du 21 juin 2013 consid. 1.4 ; 2C_504/2013 du 5 juin 2013 consid. 3). Si la juridiction de recours retient la survenance d'une modification des circonstances, elle doit renvoyer le dossier à l'autorité intimée, afin que celle-ci le reconsidère (Jacques DUBEY/Jean‑Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2148), ce qui n'impliquera pas nécessairement que la décision d'origine sera modifiée (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1429 p. 493).

2.4 En l'espèce, les recourants semblent se méprendre sur l'objet réel du litige. Il ne s'agit en effet pas de réexaminer l'ensemble de leur situation et de celle de leurs enfants adoptifs, mais uniquement de savoir s'il existe des faits nouveaux (qu'ils soient « nouveaux » ou « anciens ») qui modifient de manière importante l'état de fait ou les bases juridiques sur lesquels l'intimé a fondé sa décision du 2 juin 2015 refusant la transcription du jugement d'adoption, justifiant par là sa remise en cause.

L'hypothèse des art. 48 al. 1 cum 80 let. a LPA (influence d'un crime ou d'un délit sur la décision du 2 juin 2015) n'entre pas en considération en l'occurrence, aucun problème de ce genre n'étant allégué.

Les recourants n'allèguent non plus aucun fait nouveau « ancien » permettant l'application des art. 48 al. 1 cum 80 let. b LPA. En effet, aucune des modifications de situation qu'ils mettent en avant ne concerne des faits antérieurs au 23 février 2016.

Or, de par sa nature, et contrairement à ce qui prévaut dans d'autres domaines du droit administratif – par exemple en droit des étrangers –, on ne peut guère concevoir que des faits nouveaux postérieurs à une décision de refus de reconnaissance d'un jugement et de retranscription dans les registres de l'état civil en Suisse puissent avoir pour effet de la remettre en question après coup. Il n'en va pas différemment dans le cas des recourants, puisque la décision de refus de transcription, confirmée par la chambre de céans, se fonde sur les motifs du jugement et l'instruction – déficiente sur certains points – qui y a conduit.

Dès lors, le fait que les enfants aient acquiescé expressément à l'adoption a posteriori ne change rien au fait qu'ils n'aient pas été entendus avant le prononcé du jugement. Quant aux circonstances nouvelles mises en avant par les recourants relatives aux conditions de vie des enfants, au décès de leur mère ou à l'éloignement progressif de leur père, elles ne sauraient guérir les carences relevées par l'intimé puis par la chambre de céans en 2016, à savoir l'absence d'instruction au sujet du bien‑être psychosocial des enfants, l'absence de période probatoire de vie commune – problème du reste toujours actuel – et l'omission de la procédure d'agrément. On peut noter au demeurant que l'accession subséquente des enfants à la majorité ne revêt pas de pertinence dans ce cadre : l'adoption est en effet intervenue alors qu'ils étaient mineurs, ce qu'une transcription faite aujourd'hui ne changerait pas – mais, comme cela a été décidé en 2016, cette adoption ne peut pas être reconnue en Suisse.

Il découle de ce qui précède que l'intimé était fondé à ne pas entrer en matière sur la demande de reconsidération. Sa décision est donc conforme au droit et le recours, mal fondé, sera rejeté.

3.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 août 2022 par B______ et A______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 27 juillet 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge solidaire de B______ et A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à B______ et A______, au département des institutions et du numérique ainsi qu’aux offices fédéraux de l’état civil et de la justice.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. DIKAMONA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :