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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4383/2022

ATA/588/2023 du 06.06.2023 ( DIV ) , ADMIS

Descripteurs : JONCTION DE CAUSES;FORMATION(EN GÉNÉRAL);INSTRUCTION(ENSEIGNEMENT);ÉCOLE OBLIGATOIRE;ÉCOLE SECONDAIRE DU DEGRÉ SUPÉRIEUR;COPIE;ÉMOLUMENT;CARACTÈRE ONÉREUX;LÉGALITÉ;RÉGIME DES CONTRIBUTIONS CAUSALES;PRINCIPE DE L'ÉQUIVALENCE(CONTRIBUTION CAUSALE);PRINCIPE DE LA COUVERTURE DES FRAIS;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Normes : LIP.53.al2; LIP.54.al2; Cst.5; Cst.9; Cst.8; Cst.127.al1
Résumé : Recourants scolarisés au collège contestant l’émolument forfaitaire de CHF 60.- demandé par leur établissement pour les frais de photocopies. Il ressort des travaux préparatoires de la LIP que l’intention du législateur était de maintenir les fonds scolaires, englobant également le fonds social, et d’en prévoir le financement par le biais de l’émolument pour les frais à la charge des élèves. Le département pouvait ainsi valablement adopter la directive applicable in casu. Toutefois, faute pour celle-ci de comporter la date d’approbation du « SG/DG », exigée par la loi, et pour le département d’apporter la preuve de ladite approbation, la directive en question n’a pas été valablement adoptée. L’émolument de CHF 60.- ne peut donc être admis dans sa quotité, bien que légalement fondé dans son principe. Annulation des factures querellées dans l’attente de l’approbation de la directive applicable par l’autorité compétente. Recours admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4383/2022-DIV ATA/588/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 juin 2023

 

dans la cause

 

A______ et

B______, enfant mineure, agissant par sa mère, C______

tous deux représentés par Me Éric BEAUMONT, avocat recourants

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 2004, et sa sœur B______, née le ______ 2007, sont tous deux scolarisés en formation gymnasiale au collège de Candolle (ci-après : le collège).

b. Le 15 août 2022 est entrée en vigueur une directive sur l’émolument forfaitaire pour fournitures et matériels (ci-après : la directive). Établie à l’en-tête du service des finances de l’enseignement secondaire II (ci-après : DGES II) du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : le département), la directive ne mentionne pas la date d’approbation « de SG/DG ».

c. Le 22 août 2022 sont entrés en vigueur les règlements des fonds scolaire et social établis par la DGES II.

d. Le 19 novembre 2022, le collège a adressé deux factures séparées à A______ et B______ pour un montant de CHF 60.- chacune, visant un « émolument forfaitaire pour fournitures et matériel ».

Dites factures étaient fondées sur les art. 53 et 54 de la loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 (LIP - C 1 10), « valant décision[s] administrative[s] au sens de l’art. 4 LPA et pouvant faire l’objet d’un recours ».

B. a. Par actes séparés remis au guichet du greffe le 23 décembre 2022, enregistrés sous les nos de cause A/4383/2022 et A/4384/2022, A______ et B______ ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre les factures précitées, en concluant à leur annulation.

Les factures litigieuses violaient les principes de la légalité, de la bonne foi, de la couverture des frais et d’équivalence ainsi que le principe de l’égalité de traitement.

Celles-ci étant fondées sur l’art. 53 LIP et ayant pour libellé « émolument forfaitaire pour fourniture et matériel », le montant de CHF 60.- requis pouvait être légalement exigible. En indiquant prélever un émolument pour fournitures et matériels alors que les 70 % dudit montant étaient destinés à une autre affectation, le DIP violait le principe de la bonne foi et détournait une partie d’un émolument pour s’en servir comme d’un impôt, violant le principe de la légalité en mélangeant deux contributions publiques dont le traitement devait être différent. Il était également problématique que l’octroi des 70% dépendît du bon vouloir de l’établissement scolaire et qu’ils pussent être alloués au fonds scolaire et/ou social. Il semblait que l’art. 54 LIP ne figurait sur la facture que pour donner suite à la remarque formulée dans l’ATA/460/2022 du 3 mai 2022. Si le fonds scolaire trouvait une assise légale dans l’art. 54 LIP, le fonds social ne reposait sur aucune base légale alors que toute activité de l’État devait se fonder sur la loi. L’existence d’un fonds social étant illégale, l’État ne pouvait prélever une quelconque contribution publique pour l’alimenter.

Pour être exigible en vertu de l’art. 53 al. 2 LIP, le montant de CHF 60.- requis devait avoir été fixé par le département. Or, la directive fixant ledit montant n’avait pas été approuvée par le « SG/DG » et n’avait donc, en fait, pas été formellement adoptée.

Le montant exigé de CHF 60.- était censé couvrir, à teneur de la directive, les dépenses effectuées à titre de matériel et fournitures pour l’enseignement, courriers et frais de photocopies dans des filières très différentes. Cependant, les exigences et attentes de ces filières étant distinctes, le nombre de photocopies fourni aux élèves n’était, à l’évidence, pas identique. Requérir le même montant était constitutif d’une inégalité de traitement.

b. Le département a conclu au rejet des recours.

La directive avait bien été approuvée par le secrétariat général ; l’absence de date d’approbation était une omission.

Pour l’année scolaire 2021-2022, le collège, fréquenté par 778 élèves, avait perçu CHF 46'680.- pour l’émolument forfaitaire. Il avait dépensé un total de CHF 43'921.72 pour les trois postes visés par la directive, soit CHF 56.45 par élève. Les dépenses pour ces postes représentaient ainsi 93% de la somme encaissée. Les principes de la couverture des frais et d’équivalence n’étaient donc pas violés.

La directive précisait que les 70% des montants perçus pouvaient alimenter soit le fonds scolaire, soit le fonds social de l’école et que pour cela l’établissement devait disposer d’un règlement interne approuvé par la direction des finances du département. Bien que nommée « émolument forfaitaire pour fournitures et matériel », la facture litigieuse avait pour but d’alimenter le fonds scolaire. Quant à l’existence du fonds social, si les travaux législatifs avaient débouché sur la création d’un fonds unique, les deux objectifs n’avaient jamais été remis en cause. Bien que mal intitulé, le fonds social ne violait pas l’esprit de la loi. Les règlements relatifs à chacun de ces fonds expliquaient leur alimentation, utilisation, gestion et contrôle de ces fonds conformément aux exigences de l’art. 54 al. 3 LIP.

Étaient joints les documents suivants :

- un extrait du compte pour le matériel et fourniture pour l’enseignement pour un total de CHF 3'032.23 pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2022 ;

- un extrait du compte pour les frais liés au courrier pour un montant total de CHF 3'864.97 pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2022 ;

- un extrait du compte pour la location de machines à photocopier pour un montant de CHF 37’024.52 pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2022 ;

c. Le 2 février 2023, A______ et B______ ont indiqué avoir reçu un rappel de la facture querellée, alors que le recours avait effet suspensif.

d. Dans leur réplique, ils ont relevé que l’intimé ne produisait aucun élément attestant de l’approbation de la directive par le secrétariat général. Si l’indication d’une date équivalait par analogie à une signature dans ce genre de document, il était évident qu’un document non signé ne pouvait être réputé valide.

L’intimé ne se prononçait pas sur le principe de l’équivalence. Il n'était pas convenable que certains postes de dépenses ne fussent manifestement pas en relation avec des fournitures et matériels scolaires et que d'autres fussent tout simplement incompréhensibles. En effet, l'extrait de compte « matériel et fourniture » ne permettait pas à un élève de savoir de quelles fournitures et matériel il s'agissait.

Le montant de l'émolument encaissé par le collège était trop important, dans la mesure où ce dernier n'avait pas dépensé tout l'argent. Dès lors, le principe de la couverture des frais n'était pas respecté, dans la mesure où le produit global des contributions causales dépassait l'ensemble des coûts engendrés par la subdivision concernée de l'administration.

Le fait que le Conseil d’État eût indiqué que d’autres types de fonds existaient lors des débats ayant conduit à l’adoption de l’art. 54 LIP ne permettait pas de conclure que le législateur avait voulu prévoir deux fonds à financer. Preuve en était qu’il avait créé, pour chaque établissement concerné, un seul et unique fonds scolaire, suivant en cela la critique émise par l’association des communes genevoises lors de la consultation. Le fonds scolaire était alimenté par un émolument, ce qui était correct puisqu’il servait à payer des prestations dont bénéficiait l’élève « contribuable », tandis que le fonds social était destiné à payer des activités sans lien avec l’élève « contribuable », de sorte qu’il ne s’agissait plus d’un émolument, mais d’un impôt. Dans une telle situation, une base légale formelle était obligatoire. Admettre de pouvoir mélanger un impôt et un émolument était illégal, même si cela se révélait être la volonté du législateur. Il aurait dû distinguer les deux objets et prévoir une base légale formelle pour l’impôt.

e. Sur ce, les parties ont été informées que les causes étaient gardées à juger.

 

 

EN DROIT

1) Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) 2.1. Selon l'art. 70 al. 1 LPA, l'autorité peut, d'office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

2.2. En l'espèce, les procédures A/4383/2022 et A/4384/2022 sont dirigées contre des décisions émises par la même autorité, à l'égard de deux frère et sœur fréquentant le même collège, comparaissant par le même conseil, et concernent le même complexe de faits, soit l'émolument de CHF 60.- demandé au titre de forfait pour fournitures et matériel pour l'année scolaire 2022/2023.

Il se justifie ainsi de joindre les causes précitées sous le numéro A/4383/2022.

3) 3.1. Les recourants soutiennent que le montant de CHF 60.- demandé au titre d’émolument forfaitaire pour fournitures et matériel, violerait les principes de la légalité, de la bonne foi, de couverture des frais et d’équivalence ainsi que de l’égalité de traitement, les art. 53 al. 2 et 54 al. 2 LIP ne constituant pas des bases légales suffisantes à cette fin.

3.2. La LIP régit l’instruction obligatoire, soit la scolarité et la formation obligatoires jusqu’à l’âge de la majorité pour l’enseignement public et privé (art. 1 al. 1 LIP).

À teneur de l'art. 53 LIP relatif aux frais à la charge des élèves, les fournitures et le matériel scolaires mis à disposition des élèves de l’enseignement obligatoire sont gratuits, sous réserve de l’al. 2 (al. 1). Un émolument, dont le montant est fixé par le département en fonction du prix des fournitures du matériel considéré, peut être perçu en contrepartie de la valeur des fournitures et du matériel scolaire mis à disposition des élèves des établissements secondaires I et II ainsi que tertiaire B (al. 2). Une participation financière des élèves peut être demandée pour les frais de transport, d’hébergement et de repas, et pour le coût des billets permettant d’assister à une manifestation culturelle ou sportive, lors de sorties scolaires (al. 3). Un émolument pour l’établissement d’attestations particulières et de duplicatas peut être fixé par règlement du Conseil d’État (al. 4). Une participation aux frais d’inscription est demandée dans certaines filières du degré tertiaire B aux candidats et candidates qui se présentent au concours d’admission. Le montant est fixé par voie réglementaire (al. 5).

L'art. 54 LIP concernant les fonds scolaires précise que chaque établissement de l’enseignement primaire, secondaire I et II ainsi que tertiaire B peut disposer d’un fonds scolaire (al. 1). Au degré secondaire II, ces fonds sont alimentés notamment par une somme forfaitaire versée annuellement par chaque élève (al. 2). Un règlement interne, approuvé par la direction des finances du département, fixe les modalités relatives à l’ouverture, l’alimentation, l’utilisation, la gestion et le contrôle de ces fonds (al. 3).

Les travaux préparatoires relatifs à l’art. 54 LIP indiquent que « dans les établissements scolaires, il existe des fonds scolaires, qui trouvent à ce jour une assise réglementaire (à l’art. 39 du règlement de l’enseignement secondaire, du 14 octobre 1998 - C 1 10.24) mais non une assise légale dans la LIP. Ces fonds servent à financer des activités sociales et culturelles qui bénéficient aux élèves (par exemple organisation de pièces de théâtre ou d’un concert) ainsi qu’à alimenter le fond social de l’école, destiné à fournir une aide financière à des élèves dans le besoin. Conformément au rapport de l’[inspection cantonale des finances ; ICF] du 14 novembre 2011, il convient de combler cette absence de base légale formelle en créant un article nouveau dans la LIP » (Projet de loi sur l’instruction publique - PL 11'470 du 4 juin 2014, p. 86). Lors de débats portant sur l’art. 49 PL 11'470, l’al. 3 de l’art. 49 PL 11'470 a été retiré après une longue discussion afin d’éviter que des parents refusent de payer le forfait photocopies, considérant qu’ils paient déjà des impôts s’il était expressément mentionné que tous les élèves paient pour ceux qui sont dans le besoin. Ainsi, il n’était pas problématique qu’il y ait un fonds, mais qu’il fût dit dans la loi à quoi sert ce fonds (Rapport de la commission de l’enseignement, de l’éducation, de la culture et du sport chargée d’étudier le projet de loi du Conseil d’État sur l’instruction publique du 7 juillet 2015, PL 11’470-A p. 144).

3.3. Selon la directive, conformément à l’art. 53 al. 2 LIP, les écoles et centres de formation professionnelle du secondaire II et du tertiaire B perçoivent un émolument forfaitaire de CHF 60.- pour financer les fournitures et le matériel fournis aux élèves en formation gymnasiale (art. 1 al. 1 et 2 de la directive). Ces montants sont perçus en début d’année scolaire par les écoles et centres de formation professionnelle auprès des élèves et apprentis concernés (art. 3 de la directive).

Le 70% des montants perçus peuvent alimenter soit le fonds scolaire, soit le fonds social de l’école ou du centre de formation professionnelle (ci-après : CFP), comme le prévoit l’art. 54 al. 2 LIP. Pour cela, l’école ou le CFP doit disposer d’un règlement interne qui fixe les modalités relatives à l’alimentation, l’utilisation, la gestion et le contrôle pour chaque fonds. Il est approuvé par la direction des finances du département, sur préavis de la DGES II, et déposé sur l’intranet du département. Le 30% des montants perçus sont comptabilisés en recettes dans les comptes des écoles et CFP concernés (art. 4 de la directive).

D’après le règlement du fonds scolaire, le but de celui-ci est de favoriser les activités sociales et culturelles dans l’établissement. Le règlement du fonds social indique que celui-ci a pour but de fournir une aide ponctuelle à des élèves ou apprentis dans les besoins. Ces deux fonds sont financés par le 70% de l’émolument forfaitaire pour fournitures et matériels payé par les élèves et leurs représentants légaux en début d’année scolaire.

3.4. Pour financer les activités que la constitution ou la loi le chargent d'exercer, l'État perçoit des contributions publiques, venant s'ajouter à d'autres ressources que sont notamment les revenus générés par ses propres biens, le produit des sanctions pécuniaires et l'emprunt. Les contributions publiques sont des prestations en argent prélevées par des collectivités publiques et acquittées par les administrés sur la base du droit public. Elles sont subdivisées traditionnellement en impôts, en contributions causales et en taxes d'orientation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_768/2015 du 17 mars 2017 consid. 4.1 ; 2C_483/2015 du 22 mars 2016 consid. 4.1).

Les contributions publiques de nature causale sont des contre-prestations en argent que des justiciables doivent verser à des collectivités publiques pour des prestations particulières que celles-ci leur fournissent ou pour des avantages déterminés qu'elles leur octroient. Elles comportent les émoluments, les charges de préférence et les taxes de remplacement. Les émoluments eux-mêmes se subdivisent en plusieurs catégories, dont les émoluments de chancellerie, les émoluments administratifs, les taxes de contrôle, les émoluments d'utilisation d'un établissement public, les émoluments d'utilisation du domaine public. Les émoluments de chancellerie sont des contributions modiques exigées en contrepartie d'un travail administratif ne nécessitant pas un examen approfondi, essentiellement de secrétariat (ATF 138 II 70 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_439/2014 du 22 décembre 2014 consid. 6.1 ; ACST/12/2017 du 6 juillet 2017 consid. 3a et les références citées).

La perception de contributions publiques est soumise aux principes constitutionnels régissant toute activité étatique, en particulier aux principes de la légalité, de l'intérêt public et de la proportionnalité (art. 5 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101), de l'égalité de traitement (art. 8 Cst.), de la bonne foi et de l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.), ainsi que de la non-rétroactivité.

3.5. À teneur de l’art. 5 al. 1 Cst., le droit est la base et la limite de l’activité de l’État. Toute activité étatique doit reposer sur une règle de droit générale et abstraite, les actes de rang inférieur devant respecter ceux qui sont de rang supérieur (ATA/606/2018 du 13 juin 2018 consid. 3 ; Jean François AUBERT/Pascal MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, 2003, p. 43).

Le principe de la légalité se compose de deux éléments : le principe de la suprématie de la loi et le principe de l’exigence de la base légale. Le premier signifie que l'autorité doit respecter l’ensemble des normes juridiques ainsi que la hiérarchie des normes. Le second implique que l’autorité ne peut agir que si la loi le lui permet ; son action doit avoir un fondement dans une loi (ATA/606/2018 précité consid. 3 ; ATA/383/2017 du 4 avril 2017 consid. 5a).

Le principe de la légalité exige donc que les autorités n'agissent que dans le cadre fixé par la loi. Il implique qu’un acte étatique se fonde sur une base légale matérielle qui est suffisamment précise et qui a été adoptée par l’organe compétent (ATF 141 II 169 consid. 3.1).

Sous son aspect de primauté de la loi, le principe de la légalité, signifie d’abord que l’administration doit respecter la loi, et s’en tenir à ses prescriptions (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd. 2018, n. 467 p. 163).

Le principe de la légalité en droit fiscal, érigé en droit constitutionnel indépendant à l'art. 127 al. 1 Cst. et qui s'applique à toutes les contributions publiques, tant fédérales que cantonales ou communales, y compris aux contributions de nature causale, prévoit que les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l'objet de l'impôt et son mode de calcul, doivent être définis par la loi au sens formel. Si cette dernière délègue à l'organe exécutif la compétence d'établir une contribution, la norme de délégation ne peut constituer un blanc-seing en faveur de cette autorité ; elle doit indiquer, au moins dans les grandes lignes, le cercle des contribuables, l'objet et la base de calcul de cette contribution. Sur ces points, la norme de délégation doit être suffisamment précise (exigence de la densité normative). Il importe en effet que l'autorité exécutive ne dispose pas d'une marge de manœuvre excessive et que les citoyens puissent cerner les contours de la contribution qui pourra être prélevée sur cette base (ATF 144 II 454 consid. 3.4 ; 143 I 227 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_80/2020 du 15 octobre 2020 consid. 6.1 ; ACST/12/2017 du précité consid. 3b et les références citées).

3.6. Ces exigences valent en principe pour les impôts comme pour les contributions causales. Si la qualité de contribuable et l'objet de l'impôt doivent toujours être définis dans une loi formelle, la jurisprudence a cependant assoupli cette exigence en ce qui concerne le mode de calcul de certaines de ces contributions. La compétence d'en fixer le montant peut ainsi être déléguée à l'exécutif lorsqu'il s'agit d'une contribution dont la quotité est limitée par des principes constitutionnels contrôlables, tels que ceux de la couverture des frais et de l'équivalence. Le principe de la légalité ne doit toutefois pas être vidé de sa substance ni, inversement, être appliqué avec une exagération telle qu'il entrerait en contradiction avec la réalité juridique et les exigences de la pratique. Tel est le cas pour les redevances causales dépendantes des coûts, dont les émoluments administratifs, auxquels s'appliquent les principes de la couverture des frais et de l'équivalence, qui sont tous deux l'expression du principe de la proportionnalité dans le domaine desdites contributions (ATF 143 I 227 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_80/2020 du 15 octobre 2020 consid. 6.2 et les références citées ; ACST/12/2017 précité consid. 3c).

L'assouplissement du principe de la légalité en matière fiscale ne se justifie à travers l'application des principes constitutionnels susmentionnés (couverture des frais et équivalence) que dans la mesure où la réglementation en cause vise à ou a pour effet de mettre la totalité des coûts d'une prestation de l'État à la charge de ses bénéficiaires. Tel n'est pas le cas lorsqu'une contribution ne permet de couvrir, conformément à la réglementation applicable, qu'une partie des dépenses effectives. Les principes de l'équivalence et de la couverture des frais ne permettent alors pas d'encadrer de manière suffisante la contribution en cause (ATF 143 I 227 consid. 4.2.2).

Lorsque les émoluments qui sont prélevés ne représentent qu'une contribution au coût de fonctionnement global de l'administration en cause, il appartient en principe au législateur de déterminer le montant desdits émoluments dans une loi formelle ou, au moins, d'imposer des limites à leur détermination par le pouvoir délégataire. A minima, ces limites prendront la forme d'un cadre ou d'un plafond, voire préciseront les bases de calcul des émoluments en cause (ATF 143 I 227 consid. 4.3.2).

3.7. Selon le principe de la couverture des frais, le produit global des contributions causales ne doit pas dépasser, ou seulement de très peu, l'ensemble des coûts engendrés par la subdivision concernée de l'administration (ATF 135 I 130 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_80/2020 du 15 octobre 2020 consid. 6.3 ; ACST/12/2017 précité consid. 3d et les références citées). Les dépenses à prendre en compte ne se limitent pas aux frais directs ou immédiats générés par l'activité administrative considérée ; elles englobent les frais généraux, en particulier ceux de port, de téléphone, les salaires du personnel, le loyer, ainsi que les intérêts et l'amortissement des capitaux investis et des équipements. La subdivision administrative concernée se définit par référence à toutes les tâches administratives matériellement liées les unes aux autres, formant un ensemble cohérent. Les émoluments perçus pour des prestations fournies dans une subdivision administrative ne doivent pas nécessairement correspondre exactement aux coûts de chacune de ces prestations. Certaines prestations, qui coûtent relativement peu cher à l'administration, peuvent être taxées plus lourdement que leur prix de revient, et inversement. La collectivité peut compenser par un émolument perçu sur des affaires importantes l'insuffisance des émoluments prélevés pour d'autres opérations qui, en raison du peu d'intérêt qu'elles présentent, ne permettent pas de réclamer des émoluments couvrant tous les frais qu'elles occasionnent. Un certain schématisme est par ailleurs inévitable, le calcul des coûts considérés ne relevant pas des sciences exactes, mais comportant une part d'appréciation. Les excès que cela pourrait impliquer sont, le cas échéant, corrigés par l'application du principe de l'équivalence (ACST/12/2017 précité consid. 3d et les références citées).

3.8. Le principe de l'équivalence veut que le montant de la contribution causale exigée d'une personne déterminée se trouve en adéquation avec la valeur objective de la prestation fournie qu'elle rétribue. Il doit y avoir un rapport raisonnable entre le montant concrètement demandé et la valeur objective de la prestation administrative (rapport d'équivalence individuelle ; ATF 143 I 227 consid. 4.2.2). Cette valeur se mesure à l'utilité (pas nécessairement économique) qu'elle apporte à l'intéressé, ou d'après les dépenses occasionnées à l'administration par la prestation concrète en rapport avec le volume total des dépenses de la branche administrative en cause. Autrement dit, il faut que les contributions causales soient répercutées sur les contribuables proportionnellement à la valeur des prestations qui leur sont fournies ou des avantages économiques qu'ils en retirent. Le principe d'équivalence n'exclut pas une certaine schématisation ou l'usage de moyennes d'expérience, voire des tarifs forfaitaires (ACST/12/2017 précité consid. 3e et les références citées).

3.9. Dans un arrêt récent ATA/460/2022 du 3 mai 2022, la chambre de céans a retenu, s’agissant d’un « émolument pour forfait photocopies » de CHF 60.- qui avait été facturé à deux élèves, que le département avait émis la directive le prévoyant dans le cadre de la marge de manœuvre laissée par l’art. 62 Cst. et en conformité avec la jurisprudence applicable en la matière. Le montant demandé aux élèves reposait ainsi sur une base légale, soit l’art. 53 al. 2 LIP, et était conforme à la Cst. et la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00). En revanche, le procédé prévu par l’art. 54 LIP posait problème par rapport aux principes de la couverture des frais et d’équivalence. Même s’il était vrai que l’art. 54 al. 1 LIP laissait la possibilité au collège d’instaurer des fonds scolaires alimentés notamment par une somme forfaitaire versée annuellement par chaque élève, les factures envoyées aux élèves indiquaient clairement que le montant réclamé de CHF 60.- avait pour but la contrepartie de la valeur des fournitures et du matériel scolaire mis à disposition des élèves des établissements secondaires II, soit des photocopies, et non pas l’alimentation de ces fonds. L’émolument perçu au titre de forfait de photocopies ne respectait pas les principes précités et contrevenait ainsi au principe de la légalité.

3.10. Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l'une et l'autre se comportent réciproquement de manière loyale (Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. 2, 2018, p. 642 n. 3454). En particulier, l'administration doit s'abstenir de toute attitude propre à tromper l'administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; 129 I 161 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_227/2015 du 31 mai 2016 consid. 7).

3.11. Une décision viole le principe de l'égalité de traitement consacré à l'art. 8 al. 1 Cst., lorsqu'elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu'elle omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente. L'inégalité de traitement apparaît ainsi comme une forme particulière d'arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l'être de manière semblable ou inversement. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. Les situations comparées ne doivent pas nécessairement être identiques en tous points, mais leur similitude doit être établie en ce qui concerne les éléments de fait pertinents pour la décision à prendre (ATF 146 II 56 consid. 9.1 ; 144 I 113 consid. 5.1.1).

En droit fiscal, le principe de la capacité contributive exige en effet que chaque contribuable participe à la couverture des dépenses publiques compte tenu de sa situation personnelle et en fonction de ses moyens, avec une charge fiscale adaptée à sa substance économique (ATF 131 II 562 consid. 3.7 et les références citées).

En application des principes de l'égalité d'imposition et de l'imposition selon la capacité contributive, les contribuables qui sont dans la même situation économique doivent supporter une charge fiscale semblable ; lorsqu'ils sont dans des situations de fait différentes qui ont des effets sur leur capacité économique, leur charge fiscale doit en tenir compte et y être adaptée. Ainsi, chaque citoyen doit contribuer à la couverture des dépenses publiques compte tenu de sa situation personnelle et en proportion de ses moyens (ATF 140 II 157 consid. 7.1 ; 133 I 206 consid. 7.1 et 7.2 ; 118 Ia 1 consid. 3a).

3.12. En l’espèce, les factures querellées mentionnent désormais qu’elles sont fondées sur les art. 53 et 54 LIP, soit les frais à charge des élèves et l’alimentation du fonds scolaire. Les élèves et leurs représentants légaux ont ainsi désormais connaissance du fait que l’émolument de CHF 60.- perçu ne sert pas uniquement au financement des frais à leur charge, mais également à l’alimentation du fonds scolaire.

À cet égard, contrairement à ce que soutiennent les recourants, il ressort expressément des travaux préparatoires en lien avec la LIP, que le législateur a entendu maintenir un système visant à la fois le fonds scolaire en tant que celui-ci servait à financer des activités sociales et culturelles bénéficiant aux élèves, et le fonds social destiné à fournir une aide financière à des élèves dans le besoin. Le législateur a toutefois supprimé cette mention expresse des vocations de ces deux fonds, dans le but précis d’éviter des contestations du type de celles des recourants, refusant de payer l’émolument en question pour ce motif. Il n’en demeure pas moins que l’intimé relève à juste titre que l’intention du législateur restait de maintenir les fonds scolaires, englobant également le fonds social, et d’en prévoir le financement par le biais de l’émolument pour les frais à charge des élèves.

In casu, l’intimé s’est donc prévalu d’une base légale prévoyant que l’émolument en question doit également servir au financement des fonds scolaires, y compris du fonds social. Tant l’art. 53 al. 2 LIP que l’art. 54 al. 3 LIP délèguent la compétence à l’intimé de respectivement fixer le montant de l’émolument perçu et les modalités relatives à l’ouverture, l’alimentation, l’utilisation, la gestion et le contrôle des fonds scolaires. Il s’ensuit que le département dispose effectivement d’une délégation de compétence de la part du législateur pour prendre les mesures nécessaires en la matière.

Ainsi, le département pouvait valablement adopter la directive applicable in casu. Il ressort du document de la directive que celle-ci a été rédigée à l’en-tête du service des finances de la DGES II et que le responsable de la procédure était le directeur financier de la DGES II. La date d’approbation de « SG/DG » n’y figure toutefois pas, tandis que l’art. 54 al. 3 LIP prévoit expressément que la direction des finances du département doit l’approuver. Sur ce point, il est vrai que le département se contente d’expliquer qu’il s’agissait là d’un oubli, sans apporter la preuve de l’approbation requise. Comme le soulèvent les recourants, cette seule affirmation ne saurait cependant suffire à confirmer l’approbation du « SG/DG » auquel ne peut se substituer le directeur financier de la DGES II, à teneur de la loi applicable.

Il s’ensuit que la directive fixant le montant de l’émolument à CHF 60.- n’a pas été valablement adoptée. Par conséquent, celui-ci ne saurait être admis dans sa quotité, bien que légalement fondé dans son principe.

Pour ce seul motif, les factures querellées doivent être annulées, dans l’attente de l’approbation de la directive applicable par l’autorité compétente.

Partant, les recours seront admis.

4) Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée aux recourants, pris solidairement, qui y ont conclu, à la charge du département (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement :

ordonne la jonction des cause nos A/4383/2022 et A/4384/2022 sous le n° A/4383/2022 ;

 

 

 

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 23 décembre 2022 par A______ et B______, agissant par leur mère C______, contre les factures du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 19 novembre 2022 ;

au fond :

les admet ;

annule les factures n° 072-422000116-1688228 et n° 072-422000459-1688228 concernant l'émolument forfaitaire pour fournitures et matériel, année scolaire 2022/2023, émises par le département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- solidairement à A______ et B______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral :

- par la voie du recours en matière de droit public ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, s'il porte sur le résultat d'examens ou d'autres évaluations des capacités, en matière de scolarité obligatoire, de formation ultérieure ou d'exercice d'une profession (art. 83 let. t LTF) ;

communique le présent arrêt à Me Éric BEAUMONT, avocat des recourants, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, Président, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :