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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2037/2022

ATA/501/2023 du 16.05.2023 sur JTAPI/1438/2022 ( LDTR ) , REJETE

Descripteurs : PROPRIÉTÉ PAR ÉTAGES;AUTORISATION OU APPROBATION(EN GÉNÉRAL);VENTE;LOGEMENT;MARCHÉ LOCATIF;FRAUDE À LA LOI
Normes : Cst.29.al2; LDTR.39.al1; LDTR.39.al2; LDTR.39.al4.leta; LGZD.8A; LGZD.5.al1; LGZD.5.al3
Résumé : Appartement soumis au régime de la propriété par étage depuis sa construction en 2011 et acquis en 2012 par le propriétaire. Contrairement à ce que soutient la partie recourante dès qu'un motif de l'art. 39 al. 4 LDTR est donné, l'autorité est tenue d'autoriser l'aliénation d'un appartement et il n'y a pas de place pour l'application de l'art. 39 al. 2 LDTR. Une fraude à la loi de l'art. 5 LGZD dans son ancienne teneur n'est pas non plus retenue dans le cas concret. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2037/2022-LDTR ATA/501/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 mai 2023

 

dans la cause

ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES recourante
représentée par Mes Romolo MOLO et Maurice UTZ, avocats

contre

A______
représenté par Me Jacques-Alain BRON, avocat

B______
représentée par Me Jacques-Alain BRON, avocat

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OCLPF intimés

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 décembre 2022 (JTAPI/1438/2022)


EN FAIT

A. a. Selon acte notarié du 9 novembre 2012, A______ a acquis de C______, par achat, pour la somme de CHF 771'200.-, la propriété de l'appartement no 3.03 de 4 pièces, au premier étage de l'immeuble sis chemin D______ au E______.

b. Depuis sa construction, entre 2010 et 2012, ledit immeuble, a été soumis au régime de la propriété par étages (ci-après : PPE), selon acte notarié dûment enregistré et inscrit au Registre foncier, le 14 juillet 2011.

c. A______ est administrateur-secrétaire avec signature individuelle de C______, société inscrite au registre du commerce genevois depuis le 5 mai 2009.

Il est également administrateur-président avec signature individuelle de la société B______ (ci-après : B______), inscrite au registre du commerce genevois depuis le 19 octobre 2012.

B. a. Par requête du 24 mai 2022, F______, notaire, a sollicité du département du territoire (ci-après : le département), pour le compte de A______, l'autorisation d'aliéner l'appartement susvisé à la société B______.

b. Par arrêté du 7 juin 2022 (VA ______), publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du même jour, le département, par l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF), a autorisé cette aliénation, pour le prix de CHF 771'200.-, avec la précision que l’appartement était destiné à l'habitation, à l'exclusion de toute activité commerciale ou administrative.

C. a. Le 20 juin 2022, l'Association genevoise des locataires (ci-après : ASLOCA) a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette autorisation.

L’immeuble en question était soumis au régime de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35). Selon l’art. 8A LGZD, il importait de savoir si l’appartement en question avait été loué. Or, le dossier était muet sur ce point. La décision entreprise devait être annulée pour cette raison.

b. A______, B______ et le département ont conclu au rejet du recours.

L’art. 8A LGZD était entré en vigueur le 19 novembre 2016, soit après l’acquisition de l’appartement, de sorte que le régime prévu par cette disposition n’était pas applicable à la situation. La question de savoir si l’appartement avait été loué depuis sa construction n’avait aucune incidence sur l’autorisation délivrée.

c. Après plusieurs échanges d’écritures, le TAPI a, par jugement du 19 décembre 2022, rejeté le recours.

De jurisprudence constante, l'ASLOCA avait la qualité pour recourir contre un arrêté du département au sens de l'art. 45 al. 6 loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20).

Il n'était pas contesté que la vente de l’appartement litigieux était soumise à autorisation du département.

Les quatre hypothèses de l'art. 39 al. 4 LDTR constituaient « des motifs d'autorisation », qui, lorsque l'une d'elles était réalisée, obligeaient le département à délivrer l'autorisation d'aliéner. Il n'y avait alors pas de place pour une pesée des intérêts en présence. C'était donc à juste titre que le département avait délivré l'autorisation querellée en application de cette disposition, l'immeuble concerné étant destiné, dès l'origine, au régime de la PPE.

Le TAPI était uniquement compétent pour analyser si le département avait correctement appliqué la loi telle qu'elle était en vigueur, de sorte qu’il n’avait pas à analyser les développements de la recourante en lien avec la violation de l’esprit de la LGZD.

D. a. L'ASLOCA a formé recours contre le jugement du TAPI du 19 décembre 2022, notifié le 22 décembre 2022, par acte expédié à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) le 16 janvier 2023. Elle a conclu, à titre principal, à son annulation, de même qu'à celle de l'arrêté de l'OCLPF du 7 juin 2022, et subsidiairement à l'audition de G______ et H______.

L'art. 5 LGZD, dans sa teneur avant le 19 novembre 2016, en lien avec l'art. 39 al. 4 LDTR, de même que l'art. 39 al. 2 LDTR avaient été violés.

Au moment de l'acquisition de l'immeuble, le but de la LGZD était déjà de permettre la production de logements qui répondaient aux besoins de la classe moyenne. Or, les appartements de l'immeuble en question avaient tous été attribués à des promoteurs-constructeurs, à leurs familles ou des personnes morales qu'ils contrôlaient, réduisant à néant le but de la LGZD, aucune de ces personnes n'appartenant à la classe moyenne.

A______ entendait aliéner son appartement à une société dont il était administrateur-président, au prix d'acquisition, soit sans bénéfice. Un tel bénéfice pouvait néanmoins être réalisé par B______ à l'expiration de la période de contrôle. Il y avait donc eu fraude à la loi.

L’appartement 5.01 dans le même immeuble, qui avait été acquis par une personne physique au prix de CHF 1’058'700.-, avait été loué selon un contrat de bail à durée déterminée, contre la volonté des locataires, G______ et H______, qui pourraient en témoigner, venant à échéance au 30 septembre 2022, soit la date de sortie de l’immeuble du contrôle LGZD. Les locataires en question ne disposaient d’aucune solution de relogement et avaient sollicité de l'OCLPF une décision constatant que leur bail était de durée indéterminée. Ils avaient toutefois été dirigés vers les juridictions civiles. La propriétaire en question, qui n’était pas de la classe moyenne mais issue d’une famille de grands propriétaires fonciers et de régisseurs, profitant d’une faille législative, corrigée par la « loi Longchamp » avait en substance acquis cet appartement pour réaliser un bénéfice, que ce soit sur le loyer appliqué après sortie du contrôle ou à la suite de la vente de son bien.

Dans l'arrêt 1C_529/2015 du 5 avril 2016, le Tribunal fédéral avait retenu que l'art. 39 al. 2 LDTR pouvait déjà être invoqué avant l'entrée en vigueur de l'art. 8A LGZD et que, « contrairement à la jurisprudence constante de la chambre administrative, l'art. 39 al. 4 LDTR n'était pas un motif automatique d'autorisation » (avis qui n'est pas soutenu par la chambre de céans). Partant, une exception à cette jurisprudence se justifiait et, dans la pesée des intérêts de l'art. 39 al. 2 LTDR, l'intérêt public au maintien de l'affectation locative devait prévaloir sur les intérêts purement commerciaux de A______ et B______.

b. A______ et B______ ont conclu au rejet du recours.

Il n'existait aucune norme imposant ou interdisant à un propriétaire de louer son appartement pour autant que le loyer soit conforme à celui fixé par le département. L'objectif d'une loi, réinterprété a posteriori, ne saurait se substituer à l'exigence d'une norme imposant ou interdisant un certain résultat pour conclure à l'existence d'une fraude à la loi.

Dans un arrêt ACST/17/2015 du 2 septembre 2015 la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : CJCST) avait rappelé que tant que l’« initiative Longchamp » n'avait pas été acceptée, nul ne serait tenu de se conformer par anticipation aux obligations qu'elle introduirait. Ainsi, l'art. 8A LGZD ne pouvait s'appliquer par anticipation.

c. Le département a de même conclu au rejet du recours.

En cas de réalisation de l’une des hypothèses de l'art. 39 al. 4 LDTR, il était tenu de délivrer l'autorisation d'aliéner. Les art. 5 al. 1 let. b et 8A LGZD ne pouvaient pas s'appliquer par respect du principe de non-rétroactivité des lois.

d. Dans sa réplique du 17 avril 2023, l'ASLOCA a réaffirmé que l’art. 39 al. 2 LDTR trouvait application.

e. Les parties ont été informées, le 18 avril 2023, que la cause était gardée à juger.

f. Leurs arguments, de même que la teneur des pièces figurant à la procédure seront pour le surplus repris ci-dessous dans la mesure utile pour trancher le litige.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante sollicite, « subsidiairement », l'audition de deux anciens locataires de l'appartement no 5.01de l’immeuble concerné par le litige.

2.1 L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours, les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. En d'autres termes, l'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; ATA/123/2019 du 5 février 2019 consid. 5).

2.2 Selon la jurisprudence développée par le Tribunal fédéral et reprise par la chambre de céans (ATA/654/2020 du 7 juillet 2020 consid. 3a ; ATA/1809/2019 du 17 décembre 2019 consid. 2a et les références citées), tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), repris par l'art. 41 LPA, le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (arrêts du Tribunal fédéral 2C_545/2014 du 9 janvier 2015 consid. 3.1; 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3), de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 138 I 154 consid. 2.3.3 ; 138 V 125 consid. 2.1 ; 137 II 266 consid. 3.2).

2.3 En l’espèce, l'objet du litige est l'arrêté du département du 7 juin 2022 délivrant l'autorisation d'aliéner l'appartement no 3.03 à l'intimé, puis sa confirmation par le TAPI. Les allégués des recourants ainsi que leurs pièces concernant l'appartement le no 5.01 et le contentieux civil en cours sont donc exorbitants à l’objet du litige. Partant, il ne sera pas donné suite à la demande d’audition de G______ et H______.

3.             La recourante invoque une violation de l'art. 39 al. 2 LDTR, qui devrait selon elle s'appliquer.

3.1 L’aliénation, sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de copropriété d’étages ou de parties d’étages, d’actions, de parts sociales), d’un appartement à usage d’habitation, jusqu’alors offert en location, est soumise à autorisation dans la mesure où l’appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR). Le département refuse l’autorisation lorsqu’un motif prépondérant d’intérêt public ou d’intérêt général s’y oppose. L’intérêt public et l’intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l’affectation locative des appartements loués (al. 2).

L’art. 39 al. 3 LDTR n’est pas pertinent dans le cas d’espèce.

3.2 Aux termes de l’art. 39 al. 4 LDTR intitulé « motifs d’autorisation », dans sa version avant le 19 novembre 2016, le département autorise l’aliénation d’un appartement si celui-ci a été dès sa construction soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue (let. a) ; était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue et qu’il avait déjà été cédé de manière individualisée (let. b) ; n’a jamais été loué (let. c) ; a fait une fois au moins l’objet d’une autorisation d’aliéner en vertu de la LDTR (let. d). En cas de réalisation de l’une des hypothèses de l’art. 39 al. 4 LDTR, le département est tenu de délivrer l’autorisation d’aliéner (ATA/215/2013 du 9 avril ; ATA/784/2012 du novembre 2012 et les références citées), ce qui résulte d'une interprétation tant littérale (le texte indique que l'autorité « accorde » l'autorisation, sans réserver d'exception) qu'historique (l'art. 9 al. 3 aLTDR, dont le contenu est repris matériellement à l'art. 39 al. 4 LDTR, prévoyait expressément que l'autorité ne pouvait refuser l'autorisation) du texte légal. Il n’y a donc, le cas échéant, pas de place pour une pesée des intérêts au sens de l’art. 39 al. 2 LDTR (ATA/868/2022 du 30 août 2022 consid. 3 ; ATA/1359/2021 du 14 décembre 2021 consid. 3 ; ATA/1038/2016 du 13 décembre 2016 consid. 5).

L’art. 39 al. 4 let. a LDTR a été modifié le 19 novembre 2016, par l’entrée en vigueur de l’art. 8A LGZD et prévoit depuis lors que le département autorise l’aliénation d’un appartement si celui-ci a été dès sa construction soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue, sous réserve du régime applicable à l’aliénation d’appartements destinés à la vente régi par l’art. 8A LGZD.

3.3 Cette dernière disposition, également en vigueur depuis le 19 novembre 2016, prévoit que si un logement destiné à la vente selon l’art. 5 al. 1 let. b LGZD est loué pendant la période de contrôle instituée par l’art. 5 al. 3 LGZD, son aliénation ne peut en principe pas être autorisée en application de l’art. 39 al. 4 let. a LDTR.

3.4 S’agissant de l’historique de ces nouveaux art. 5 al. 1 let. b et 8A LGZB, il y a lieu de rappeler que le 14 mars 2013, le Conseil d'État avait saisi le Grand Conseil d’un projet de loi modifiant la LGZD (ci-après : PL 11141). Il prévoyait d’obliger les propriétaires de logements destinés à la vente situés en zone de développement à les occuper eux-mêmes, sauf justes motifs agréés par le département compétent (art. 5 al. 1 let. b LGZD), et de ne pas permettre, en principe, l’aliénation de tels logements qui seraient loués durant la période de contrôle pour le motif qu’ils avaient été dès leur construction soumis au régime de la propriété par étages (art. 8A LGZD), soit pour l’un des motifs d’autoriser l’aliénation d’appartements destinés à la location prévu par l’art. 39 al. 4 let. a LDTR - L 5 20. Il s’agissait de remédier à des pratiques auxquelles certains promoteurs-constructeurs et certains acquéreurs de logements PPE en zone de développement se livraient, à savoir la thésaurisation de tels appartements aux fins de revente avec une forte plus-value à l’issue de la période de contrôle.

Le 7 janvier 2014, la commission du logement avait rendu son rapport sur le PL 11141 (ci-après : PL 11141-A). Pour l’essentiel, la majorité de la commission acceptait l’obligation faite par le PL 11141 au propriétaire d’un logement destiné à la vente de l'habiter, mais elle proposait d’énumérer à titre exemplatif les justes motifs de déroger à cette obligation et de modifier l’art. 39 al. 4 let. a LDTR par une réserve du régime applicable à l’aliénation d’appartements destinés à la vente régi par le nouvel art. 8A LGZD. Lors de sa séance du 23 janvier 2014, le Grand Conseil a renvoyé le PL 11141 à la commission du logement, qui a rendu le 20 février 2014 un nouveau rapport sur le PL 11141 (ci-après : PL 11141-B). Celui‑ci proposait l’abandon de l’obligation d’occuper les logements destinés à la vente que le PL 11141-A imposait aux acquéreurs de tels logements, la majorité de la commission prévoyant de limiter le droit d’aliéner de tels appartements « à une personne physique qui n’est pas déjà propriétaire d’un logement dans le canton » (ci-après : « primo-acquéreur »), sauf justes motifs énumérés à titre exemplatif, et de ne pas retenir l’art. 8A LGZD. Le 14 mars 2014, le Grand Conseil avait adopté le PL 11141-B, en l’amendant sur quelques points.

Aucun référendum n’ayant été lancé contre la L 11141, le Conseil d’État l’a promulguée par un arrêté du 30 avril 2014, publié, avec la L 11141. La L 11141 a par contre fait l'objet de trois recours en matière de droit public au Tribunal fédéral (causes 1C_223/2014, 1C_225/2014 et 1C_289/2014).

Le 19 mai 2014, un comité d’initiative « Halte aux magouilles immobilières » a lancé une initiative législative cantonale intitulée « Halte aux magouilles immobilières, OUI à la loi Longchamp ! » (ci-après : IN 156).

L’objectif du comité d’initiative était de faire modifier la LGZD et la LDTR dans le sens qu’avait proposé le PL 11141-A alors soutenu par la majorité de la commission du logement, comportant l’idée maîtresse – défendue par le conseiller d’État François LONGCHAMP, en charge du département s’occupant notamment du logement lors du dépôt du PL 11141, devenu le président du Conseil d’État élu pour la législature 2013-2018 – que l’acquéreur d’un logement destiné à la vente sis en zone de développement doive l’occuper personnellement.

Le lancement et le texte de l’IN 156 ont été publiés dans la FAO du 23 mai 2014. L’échéance du délai de récolte des signatures était fixée au 23 septembre 2014.

L’art. 5 al. 1 let. b LGZD (nouvelle teneur) était le suivant : « en exécution de l’art. 2 al. 1 let. b la délivrance de l’autorisation de construire est subordonnée à la condition que : les bâtiments d’habitation destinés à la vente, quel que soit le mode d’aliénation (notamment cession de droits de copropriété d’étages ou de partie d’étages, d’actions ou de parts sociales), répondent, par le nombre, le type et le prix des logements prévus, à un besoin prépondérant d’intérêt général ; les logements destinés à la vente doivent être occupés par leur propriétaire, sauf justes motifs agréés par le département. Sont notamment considérés comme justes motifs : 1° des circonstances imprévisibles au moment de l’acquisition du logement, soit, notamment, le divorce des acquéreurs, le décès, la mutation temporaire dans un autre lieu de travail ou un état de santé ne permettant plus le maintien dans le logement ; 2° le fait que le propriétaire du bien-fonds ait reçu le ou les appartements concernés en paiement du prix du terrain pour permettre la construction de logements prévus sur son bien-fonds ou une circonstance d’échange analogue ; 3° une situation sur le marché du logement ne permettant pas de trouver un acquéreur au prix contrôlé et admis par l’État ».

Le nouvel art. 8A LGZD serait rédigé ainsi : « si un logement destiné à la vente selon l’art. 5 al. 1 let. b est loué pendant la période de contrôle instituée par l’art. 5 al. 3, son aliénation ne peut en principe pas être autorisée en application de l’art. 39 al. 4 let. a LDTR ».

L’art. 39 al. 4 let a LDTR nouvelle teneur serait : « le département autorise l’aliénation d’un appartement si celui-ci a été dès sa construction soumis au régime de la propriété par étages ou à une forme de propriété analogue, sous réserve du régime applicable à l’aliénation d’appartements destinés à la vente régi par l’art. 8A LGZD ».

Par arrêté du 29 octobre 2014, publié dans la FAO du 31 octobre 2014, le Conseil d’État a constaté l’aboutissement de l’IN 156.

3.5 Dans l’arrêt 1C_529/2015, le Tribunal fédéral a rejeté un recours contre l'arrêt de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : chambre constitutionnelle) du 2 septembre 2015 confirmant l’IN 156, à l'exception des dispositions transitoires, qui avaient été annulées, faute de délais et de modalités d'adaptation suffisants en faveur des propriétaires actuels.

Seul est déterminant, au regard de l'objet du litige, le grief du recourant qui soutenait que l'initiative portait une atteinte excessive à la garantie de la propriété et à la liberté économique. Le Tribunal fédéral a retenu que l'IN 156 poursuivait un but d'intérêt public aussi important qu'évident vu les dysfonctionnements de plusieurs ordres constatés dans le cadre d'opérations en PPE en zone de développement. L'obligation d'occuper personnellement le logement acquis en zone de développement ne touchait pas à l'essence même du droit de propriété, mais seulement un aspect de celui-ci. Il s'agissait donc d'une atteinte proportionnée aux droits constitutionnels.

Le recourant estimait également comme excessif l'interdiction de vente en cas de location pendant la période de contrôle (art. 8A LGZD). Le Tribunal fédéral a retenu qu'une aliénation ne pouvait en principe pas être autorisée en application de l'art. 39 al. 1 LDTR et qu'un refus pouvait déjà être prononcé en application directe des dispositions actuelles (avant l'entrée en vigueur de la loi Longchamp), soit l'art. 39 al. 1 et 2 LDTR. En tant que l'art. 8A LGZD opérait un simple renvoi à une disposition existante – qu'elle venait compléter – et qu'elle n'était pas applicable sans nuance, la disposition litigieuse n'était pas disproportionnée.

3.6 En règle générale, la loi applicable est celle qui est en vigueur au moment où les faits pertinents doivent être régis (ATF 140 II 134 consid. 4.2.4). Le principe est celui de l’interdiction de la rétroactivité des lois. Une norme a un effet rétroactif lorsqu'elle s'applique à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 119 Ia 254 consid. 3 ; 116 Ia 207 consid. 4a ; ACST/16/2015 du 2 septembre 2015 consid. 16b ; ATA/210/2016 du 8 mars 2016 consid. 10c).

Comme l'a retenu la chambre constitutionnelle de la Cour de justice dans l'arrêt ACST/17/2015, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral précité, opposer l'inapplicabilité du motif d'autorisation automatique de l'art. 39 al. 4 let. a LDTR du fait qu’un propriétaire aurait mis son appartement en location durant la période de contrôle, mais avant l’entrée en vigueur de l’interdiction de le faire, l’empêcherait de vendre, sauf circonstances particulières visées par une autre disposition de la LDTR. Cela serait non seulement contraire au principe de la proportionnalité, mais aussi arbitraire, en tant que cela irait à fins contraires du but poursuivi que les logements PPE en zone de développement soient dorénavant habités par leur propriétaire durant la période de contrôle (ACST/17/2015 consid. 24c).

4.             En l'espèce, il est constant que l'appartement litigieux est soumis au régime de la PPE depuis sa construction, plus précisément le 14 juillet 2011. Le système de l'art. 39 LDTR est un raisonnement en cascade. Ainsi, lorsqu'une des hypothèses de l'al. 4 est donnée, il n'y a pas lieu d'analyser les autres alinéas.

L'hypothèse de l'art. 39 al. 4 let. a LDTR, dans sa version avant le 19 novembre 2016, étant remplie en l’espèce, le département était tenu de délivrer l'autorisation sans aucune pesée des intérêts, peu important que l’appartement ait été loué ou non.

C’est à juste titre que la recourante ne se prévaut plus des art. 8A et 5 al. 1 let. b LGZD, puisqu’entrés en vigueur le 19 novembre 2016, soit après l'acquisition de l'appartement, en 2012.

5.             La recourante invoque une fraude à la loi au vu de l'art. 5 aLGZD, en lien avec l'art. 39 al. 4 LDTR.

5.1 Avant l'entrée en vigueur de l'art. 8A LGZD, l'art. 5 al. 1 let. a et b aLGZD prévoyait que les bâtiments d'habitation à construire en zone de développement, destinés à la location ou la vente – quel que soit le mode d'aliénation (notamment cession de droits de copropriété d'étages ou de parties d'étages, d'actions ou de parts sociales) – devaient répondre, par le nombre, le type et le prix des logements prévus, à un besoin prépondérant d'intérêt général. Les prix et les loyers des bâtiments visés sous al. 1 let. a et b, étaient soumis au contrôle de l’État pendant une durée de dix ans dès la date d’entrée moyenne dans les logements ou locaux, selon les modalités prévues au chapitre VI (art. 42 à 48) de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05) ; (art. 5 al. 2 aLGZD).

5.2 Il y a fraude à la loi – forme particulière d’abus de droit – lorsqu’un justiciable évite l’application d’une norme imposant ou interdisant un certain résultat par le biais d’une autre norme permettant d’aboutir à ce résultat de manière apparemment conforme au droit. La norme éludée doit alors être appliquée nonobstant la construction juridique destinée à la contourner. Pour être sanctionné, un abus de droit doit apparaître manifeste. L’autorité qui entend faire appliquer la norme éludée doit établir l’existence d’une fraude à la loi, ou du moins démontrer l’existence de soupçons sérieux dans ce sens (ATF 144 II 49 consid. 2.2 et les références citées).

5.3 En l'espèce, quand bien même A______ n’aurait pas eu pour intention initiale d’occuper le logement litigieux et à terme pourrait réaliser un bénéfice sur sa vente de par sa sortie du contrôle de l’État, ce qui n’est au demeurant pas démontré et demeure au stade des suppositions de la recourante, le changement législatif, provoqué par la « loi Longchamp », a justement pour but d'empêcher ce type de dysfonctionnement pour autant qu’avéré.

Certes, l’art. 5 aLGZD avait pour but la mise sur le marché, en zone de développement, d’appartements devant répondre, par le nombre, le type et le prix des logements prévus, à un besoin prépondérant d'intérêt général de la « classe moyenne ». L’histoire a démontré que d’aucuns ont pu contourner cette vocation. Ceci ne permet toutefois pas de retenir dans le cas concret que A______ et la société ABC ont fraudé la loi dans la situation en cause.

Au vu de ce qui précède, le recours est infondé et sera rejeté.

6.             Un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et il ne sera alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 janvier 2023 par l'ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 décembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge de l'ASLOCA ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Mes Romolo MOLO et Maurice UTZ, avocats de la recourante, à Me Jacques-Alain BRON, avocat de A______ et B______, au département du territoire, à l'office cantonal du logement et de la planification foncière ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance .

Siégeant : Francine Payot ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean‑Marc VERNIORY, Valérie LAUBER, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :