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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1071/2012

ATA/215/2013 du 09.04.2013 sur JTAPI/1555/2012 ( LDTR ) , REJETE

Recours TF déposé le 24.05.2013, rendu le 26.11.2013, REJETE, 1C_527/2013
Descripteurs : ; VENTE ; AUTORISATION OU APPROBATION(EN GÉNÉRAL) ; PESÉE DES INTÉRÊTS ; INTÉRÊT PUBLIC ; LOGEMENT ; MARCHÉ LOCATIF ; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Normes : LPA.62.al1.leta; LPA.60.al1.leta; LPA.87; LDTR.1; LDTR.2; LDTR.39; RDTR.13.al1; RDTR.13.al3
Parties : CALIRI GARZON Domenica / ASLOCA ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES, DEPARTEMENT DE L'URBANISME, DE PREUX DINICHERT Martine, DINICHERT ET DE PREUX DINICHERT Nicolas et Martine
Résumé : Vente de deux appartements locatifs en bloc. Les intérêts privés des acquéreurs et de la recourante n'étaient pas prépondérants par rapport à l'intérêt public à la préservation du marché locatif. Le département n'aurait pas dû délivrer l'autorisation d'aliéner. Jugement du TAPI confirmé et recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1071/2012-LDTR ATA/215/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 avril 2013

 

dans la cause

Madame Domenica CALIRI GARZON
représentée par Me Christophe Gal, avocat

contre

ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES
représentée par Me Romolo Molo, avocat

DEPARTEMENT DE L'URBANISME

et

Madame Martine DE PREUX DINICHERT,
représentée par Me Nicolas Dinichert, avocat,
Monsieur Nicolas DINICHERT,
appelés en cause

_________

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 décembre 2012 (JTAPI/1555/2012)


EN FAIT

1) Madame Domenica Caliri Garzon a acquis en octobre 2011, par suite d'une donation, les appartements n° 4.01 de 3,5 pièces et n° 4.02 de 2 pièces au deuxième étage de l'immeuble sis 5, avenue Dumas, sur la parcelle n° 1758, feuille 71 de la Ville de Genève, section Plainpalais.

2) L'immeuble en question était soumis au régime de la propriété par étage (ci-après : PPE) depuis septembre 2007.

3) L'intéressée a mis ces appartements en vente à la fin de l'année 2011.

4) Le 3 février 2012, Mme Caliri Garzon a requis du département l'autorisation de vendre ses parts de copropriété de 46 o/oo et 22.5 o/oo de la parcelle susmentionnée, soit le droit exclusif d'utilisation et d'aménagement des appartements n° 4.01 et n° 4.02, à Madame Martine de Preux Dinichert et Monsieur Nicolas Dinichert, pour le prix de CHF 1'250'000.-.

5) Pour les époux Dinichert, l'acquisition immobilière en cause était d'abord un investissement de leurs actifs privés. Ils envisageaient toutefois de s'installer dans l'un des deux appartements, gardant l'autre soit pour accueillir leur fils handicapé, soit pour le louer à leur fille ou à des tiers.

6) Le 6 février 2012, une promesse de vente et d'achat avec droit d'emption portant sur les deux appartements précités a été signée par Mme Caliri Garzon et Mme de Preux Dinichert et M. Dinichert.

7) Par arrêté VA 11569 du 27 février 2012, le département a autorisé l'aliénation sollicitée au prix envisagé. Mme Caliri Garzon ne possédait que ces deux appartements sur les vingt-huit que comportait l'immeuble en cause et elle entendait les céder en une seule opération. Lesdits logements étaient loués respectivement à Madame Isabelle Fernandez et à Madame Mariarita Lazzarotto. Les acquéreurs s'étaient engagés à reprendre les droits et obligations découlant des baux en cours.

8) Cette décision a fait l'objet d'une publication dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 2 mars 2012.

9) Par acte du 2 avril 2012, l'Association genevoise des locataires (ci-après : ASLOCA) a interjeté recours contre cet arrêté auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) en concluant principalement à son annulation. Préalablement, elle sollicitait la production par le département d'un extrait du registre foncier (ci-après : RF), la liste des noms des propriétaires des appartements de l'immeuble en PPE, le nom des personnes ayant habité dans les appartements mis en vente et les baux, les décisions du département portant sur les ventes d'appartement dans l'immeuble en cause, ainsi que les documents relatifs à l'autorisation de vente VA 11498 et tous les arrêtés concernant les appartements en question. Elle requérait également l'obtention d'un délai raisonnable pour se prononcer sur ces pièces.

10) Le 14 mai 2012, Mme Caliri Garzon a conclu à l'irrecevabilité du recours et, au fond, à son rejet sous suite de frais et dépens et à ce qu'une amende pour emploi abusif de procédure soit infligée à l'ASLOCA.

Le recours précité faisait référence à des tiers parfaitement étrangers à l'affaire en cause. L'ASLOCA discutait la validité d'un partage-attribution intervenu en 2007 qui ne pouvait plus être remis en question. De plus, les développements en relation avec l'art. 34 al. 4 let. d LDTR étaient hors de propos, vu que le département ne s'était pas fondé sur cette disposition pour fonder sa décision. Les appartements concernés avaient été valablement soumis au régime de la PPE en 2007 et transférés à Mme Caliri Garzon. De plus, l'association précitée faisait un emploi abusif et illicite de la procédure en reprenant des arguments auxquels il avait déjà été répondu dans plusieurs décisions de justice.

11) Le 11 juin 2012, le département a transmis ses observations ainsi que son dossier, concluant à l'irrecevabilité du recours et à son rejet.

Le recours ne respectait pas les exigences de motivation prévues à l'art. 65 al. 2 LPA. Sur le fond, la vente litigieuse n'avait aucune influence sur l'affectation locative de l'immeuble. Il était contraire au principe de la proportionnalité de s'opposer à la vente, un propriétaire pouvant toujours aliéner la totalité des unités dont il était propriétaire dans le même immeuble.

12) Par courrier du 24 septembre 2012, le TAPI a invité les parties, ainsi que Mme de Preux Dinichert et M. Dinichert, à se déterminer sur leur éventuel appel en cause.

13) Le 4 octobre 2012, le département a déclaré s'en rapporter à justice quant à l'opportunité de l'appel en cause précité.

14) Le 8 octobre 2012, Mme Caliri Garzon et les époux Dinichert ont également informé le TAPI qu'ils s'en rapportaient à justice. Mme Caliri Garzon précisait que la vente était motivée par un projet familial qu'elle tentait de mener à bien avec son époux et dont le financement commandait la réalisation de liquidités.

15) Les 8 et 9 octobre 2012, l'ASLOCA a produit de nouvelles observations et de nouvelles pièces, sans se déterminer sur l'appel en cause. La donation en faveur de Mme Caliri Garzon d'octobre 2011 aurait dû être soumise à autorisation.

16) Par décision du 17 octobre 2012, le TAPI a appelé en cause les acquéreurs.

17) Le 16 novembre 2012, les époux Dinichert ont ainsi présenté leurs déterminations concluant à l'irrecevabilité du recours et, au fond, à son rejet.

En substance, ils relevaient que les écritures de l'ASLOCA étaient incompréhensibles et appuyaient les développements de Mme Caliri Garzon et du département.

18) Les parties, y compris le département, ont été entendues par le TAPI en audience de comparution personnelle le 11 décembre 2012.

a. Selon la représentante du département, l'immeuble en cause avait été tout d'abord constitué en société simple dont le mari de Mme Caliri Garzon avait été l'un des associés. Suite à la liquidation de la société précitée en septembre 2007, l'immeuble avait été soumis au régime de la PPE. Dans le cadre du partage- attribution, Monsieur Antonio Garzon avait reçu les deux appartements en question. Or, ce partage n'avait pas fait l'objet d'une autorisation du département.

En 2011, M. Garzon avait cédé ses appartements par donation à son épouse. Cette opération n'avait pas non plus fait l'objet d'une autorisation du département, conformément à sa pratique.

b. Le représentant de l'ASLOCA a persisté dans les termes de ses conclusions tendant à la production d'une série de pièces énumérées dans son recours.

c. Mme Caliri Garzon a expliqué qu'elle avait souhaité vendre ses appartements afin de pouvoir contribuer au paiement des travaux de rénovation de la maison acquise avec son époux en 2011, n'ayant pas d'autres actifs et travaillant à temps partiel. Le coût des travaux entrepris avoisinait les CHF 800'000.- et sa participation se montait à CHF 400'000.-. Elle n'avait entrepris aucune démarche auprès d'une banque dans le but d'obtenir un crédit de financement pour ces travaux.

d. Les époux Dinichert ont persisté dans les termes de leurs écritures.

19) Par jugement du 19 décembre 2012, le TAPI a admis le recours.

Aucune des conditions de l'art. 39 al. 4 LDTR n'était en l'espèce satisfaite. Il fallait donc procéder à une pesée des intérêts en cause. Mme Caliri Garzon alléguait un besoin de désendettement qui n'était pas étayé par pièces. Elle avait en effet besoin de liquidités pour financer une partie des travaux entrepris dans la maison qu'elle avait acquise avec son mari en 2011. Pourtant, elle n'avait effectué aucune démarche auprès d'un établissement financier aux fins d'obtenir un crédit destiné à financer ces travaux. En outre, le montant de sa participation aux coûts desdits travaux s'élevait à CHF 400'000.- alors que le prix de vente des deux appartements avait été fixé à CHF 1'250'000.-. Il n'apparaissait pas que la vendeuse devait impérativement assainir sa situation financière et vendre les deux appartements en question. Cette dernière n'avait nullement démontré devoir vendre ses biens par nécessité de satisfaire aux exigences d'un plan de désendettement. Elle ne se trouvait pas dans l'une des situations visée par l'art. 13 al. 3 LDTR et l'intérêt public l'emportait sur son intérêt privé qui restait de pure convenance personnelle. La vente litigieuse conduisait à une diminution de la protection du parc locatif conférée par la LDTR, en accentuant le risque que l'un ou l'autre des appartements perde son affectation locative. Le département aurait donc dû refuser l'aliénation.

20) Par acte posté le 14 janvier 2013, Mme Caliri Garzon a interjeté recours contre le jugement précité auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), en concluant à son annulation et à l'octroi d'une participation à ses honoraires d'avocat.

Dans son jugement, le TAPI remettait en cause l'appréciation du département, respectivement l'opportunité de la décision de ce dernier, alors que celle-ci ne violait aucunement la loi, ni ne consacrait un quelconque excès ou abus du pouvoir d'appréciation. L'intéressée avait un intérêt privé prépondérant à vendre ses deux appartements.

De surcroît, l'affectation locative des appartements devait être maintenue après la vente. Le département était ainsi fondé à autoriser la vente en bloc litigieuse, avec pour condition que l'acquéreur ne puisse revendre les appartements que sous la même forme, sous réserve de l'obtention d'une autorisation individualisée. Cette opération ne conduisait nullement à une diminution de la protection du parc locatif, vu qu'elle ne consistait qu'à en substituer le propriétaire. L'affectation des appartements objets de la vente n'était pas modifiée et il n'y avait pas de risque accru de les voir vendus séparément. Il n'y avait pas non plus un rapport raisonnable entre la limitation de la propriété imposée à Mme Caliri Garzon et le résultat recherché, à savoir éradiquer un risque hypothétique. Le TAPI ne pouvait pas reprocher à l'intéressée de ne pas avoir envisagé d'augmenter son endettement par préférence à la vente de ses biens.

Par ailleurs, dans l'immeuble en cause, l'instance précitée avait déjà admis la vente en bloc de quatre appartements dont trois étaient loués.

21) Le TAPI a produit son dossier le 18 janvier 2013 sans formuler d'observations.

22) Le 1er février 2013, Mme Caliri Garzon a déposé un complément à son mémoire de recours, concluant à nouveau à l'annulation du jugement attaqué et à l'octroi d'une participation à ses honoraires d'avocat.

Elle était dans l'obligation de vendre ses appartements, faute de quoi elle s'exposerait à des difficultés financières. Son intérêt à les vendre était non seulement légitime mais également sérieux, concret et urgent. En effet, elle risquait de perdre la vente litigieuse et subir ainsi un dommage.

A l'appui de ce complément, Mme Caliri Garzon a produit de nouvelles pièces. Il ressort ainsi d'un courrier de la société Domart Design SA, daté du 15 janvier 2013, que, suite à des difficultés rencontrées par l'entreprise, elle a dû réduire son temps de travail à partir du 1er février 2013. En outre, selon un courrier de l'architecte du 21 janvier 2013, le coût des travaux dans la maison familiale se montaient à CHF 867'781.60 TTC, soit 433'990.- TTC à sa charge. Cette dernière devait encore payer CHF 150'000.- à diverses entreprises de travaux, son mari lui ayant avancé le reste de la somme.

23) Par correspondance du 6 février 2013, le conseil de l'ASLOCA a requis une prolongation de délai au 4 mars 2013.

24) L'octroi d'un délai supplémentaire a été refusé par courrier du 8 février 2013, vu l'urgence mise en avant par Mme Caliri Garzon.

25) Par courrier du 14 février 2013, le département a déclaré se rallier entièrement à l'argumentation développée par Mme Caliri Garzon, tant en fait qu'en droit, et aux conclusions prises par cette dernière.

26) Le 15 février 2013, suite à l'hospitalisation du conseil de l'ASLOCA, le juge délégué a accordé une prolongation de délai au 20 février 2013.

27) Dans ses observations du 20 février 2013, l'ASLOCA a conclu à ce que la chambre de céans annule et mette à néant « le jugement par l'ASLOCA ainsi que l'autorisation de vente n° 11569 relevant de Mme Caliri Garzon et du département de l'urbanisme portant sur la vente des deux appartements de l'immeuble 5 rue Dumas, Ville de Genève ».

La pesée des intérêts penchait manifestement pour le maintien du bloc actuel des appartements. L'ASLOCA contestait les problèmes financiers de Mme Caliri Garzon qui n'avait pas prouvé par pièces les difficultés alléguées.

28) Le 20 février 2013, Mme de Preux Dinichert et M. Dinichert ont adressé leurs observations à la chambre de céans, s'en rapportant « à justice quant au maintien ou à l'annulation de l'autorisation de vente n° VA 11569 ».

Ils s'étaient engagés à reprendre la position et les obligations du bailleur à l'égard des locataires occupant les appartements en cause mais ils entendaient également reprendre tous ses droits.

29) Dans sa réplique du 1er mars 2013, Mme Caliri Garzon a repris les conclusions de son recours, ajoutant qu'elle s'en rapportait à l'appréciation de la chambre de céans s'agissant de la recevabilité des observations de l'ASLOCA du 20 février 2013. Elle a aussi déposé un chargé de pièces complémentaire.

Les acquéreurs n'avaient jamais déclaré vouloir réunir les deux appartements litigieux en un seul. En outre, elle n'avait rien caché de sa situation économique et, contrairement à ce que sous-entendait l'ASLOCA, elle n'était pas apparentée à la famille La Marca.

30) Par courrier du 4 mars 2013, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

31) Les éléments suivants ressortent de données publiques disponibles en ligne :

a. Selon les publications en ligne du RF, Monsieur Antonio Garzon, époux de Mme Caliri Garzon, a acquis, le 19 octobre 2011, une maison sise 33, chemin de Chantecoucou, 1255 Veyrier, pour le prix de CHF 2'270'000.- (cf. http://www.ge.ch/registre_foncier/publications_foncieres.asp?query=detail&annee=2011&numero=10501&requisit=23984 consulté le 3 avril 2013).

Il a donné la moitié de cet immeuble à son épouse le 13 décembre 2011 (cf. http://www.ge.ch/registre_foncier/publications_foncieres.asp?query=detail&annee=2011&numero=12683&requisit=24661 consulté le 3 avril 2013).

b. Il résulte de cette source que, le 24 octobre 2011, M. Garzon a fait don à son épouse des deux appartements n° 4.01 et 4.02 de l'immeuble sis 5, avenue Dumas, à Genève (cf. http://www.ge.ch/registre_foncier/publications_foncieres.asp?query=detail&annee=2011&numero=10623&requisit=24020 consulté le 3 avril 2013).

c. Il ressort du suivi administratif des dossiers du service des autorisations de construire du département, consultable en ligne à l'adresse http://etat.geneve.ch/ sadconsult/, qu'en date du 3 janvier 2012 M. Garzon a déposé une demande d'autorisation de vendre les deux appartements n° 4.03 et 4.04 de 2 et 3,5 pièces au 2ème étage de l'immeuble en cause dont il était propriétaire. Le département avait alors rendu un arrêté VA 11592 autorisant la vente en question et il n'y avait pas eu de recours contre celui-ci (cf. http://etat.geneve.ch/sadconsult/ SADConsult.asp?WCI=frmSynoptique&ID=VA%5E11592%5E1&Nm=VA+11592%2F1 consulté le 3 avril 2013).

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985  - LPA  - E 5 10).

2) La recourante, partie à la procédure devant le TAPI et destinataire de l'autorisation d'aliéner annulée par l'instance de recours, dispose de la qualité pour recourir (art. 60 al. 1 let. a LPA).

3) La recourante soutient qu'elle était parfaitement en droit de vendre ses deux appartements aux époux Dinichert car elle avait besoin de liquidités.

La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants, ainsi que le caractère actuel de l'habitat (art. 1 al. 1 LDTR) dans les zones et pour les types d'habitation énoncés à l'art. 2 LDTR. A cette fin, cette loi prévoit, en particulier, tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions quant à l'aliénation des logements destinés à la location (art. 1 al. 2 let. a LDTR).

4) L'aliénation, sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de copropriété d'étages ou de parties d'étages, d'actions, de parts sociales), d'un appartement à usage d'habitation jusqu'alors offert en location est soumise à autorisation dans la mesure où l'appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR).

Le Conseil d'Etat a constaté qu'il y a pénurie, au sens des art. 25 et 39 LDTR, dans toutes les catégories des appartements d'une à sept pièces inclusivement (Arrêtés du Conseil d'Etat déterminant les catégories d'appartements où sévit la pénurie en vue de l'application des art. 25 à 39 LDTR, du 27 juillet 2011 - ArAppart - L 5 20.03).

En l'espèce, les appartements n° 4.01 de 3,5 pièces et n° 4.02 de 2 pièces de l'immeuble en cause sont loués. Ils entrent ainsi en raison de leur type dans la catégorie de logements où sévit la pénurie, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté. Ils sont à ce titre soumis à autorisation d'aliéner en vertu de cette loi et la chambre de céans est compétente ratione materiae pour contrôler la conformité à la loi de l'opération d'aliénation dont ils font l'objet.

5) Le département doit refuser l'autorisation lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose. L'intérêt public et l'intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l'affectation locative des appartements loués (art. 39 al. 2 LDTR).

6) a. Des exceptions sont toutefois possibles. Selon l'art. 39 al. 4 let. a à d LDTR, le département autorise l'aliénation d'un appartement si celui-ci a été, dès sa construction, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue (a), s'il était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue et qu'il avait déjà été cédé de manière individualisée (b), s'il n'a jamais été loué (c), ou s'il a fait une fois au moins l'objet d'une autorisation d'aliéner en vertu de la LDTR (d).

b. Selon la deuxième partie de l'art. 39 al. 4 LDTR, l'autorisation ne porte que sur un appartement à la fois. Une autorisation de vente en bloc de plusieurs appartements à usage d'habitation ayant été mis en propriété par étages et jusqu'alors offerts en location peut toutefois être accordée en cas de mise en vente simultanée, pour des motifs d'assainissement financier, avec pour condition que l'acquéreur ne peut les revendre que sous la même forme, sous réserve de l'obtention d'une autorisation individualisée au sens de cet alinéa.

7) En cas de réalisation de l'une des hypothèses de l'art. 39 al. 4 LDTR, le département est tenu de délivrer l'autorisation d'aliéner (ATA/784/2012 du 20 novembre 2012 consid. 7 ; ATA/725/2012 du 30 octobre 2012 consid. 8 ; ATA/826/2001 du 11 décembre 2001 consid. 2 ; ATA/647/2000 du 24 octobre 2000 consid. 4), ce qui résulte d'une interprétation tant littérale (le texte indique que l'autorité « accorde » l'autorisation, sans réserver d'exception) qu'historique (l'art. 9 al. 3 aLDTR, dont le contenu est repris matériellement à l'art. 39 al. 4 LDTR, prévoyait expressément que l'autorité ne pouvait refuser l'autorisation) du texte légal. Il n'y a donc, le cas échéant, pas de place pour une pesée des intérêts au sens de l'art. 39 al. 2 LDTR. Les conditions posées à l'art. 39 al. 4 LDTR sont par ailleurs alternatives, ce qui résulte notamment de l'incompatibilité entre les let. a et b de cette disposition (ATA/784/2012 déjà cité consid. 7 ; ATA/725/2012 déjà cité consid. 8).

En l'espèce, il est constant qu'aucune des conditions énoncées par l'art. 39 al. 4 let. a à d LDTR n'est satisfaite. Il faut donc vérifier si un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'oppose à l'autorisation d'aliénation querellée, au sens de l'art. 39 al. 2 LDTR.

8) Selon l'art. 13 al. 1 du règlement d'application de la LDTR du 29 avril 1996 (RDTR - L 5 20.01), dans le cadre de l'examen de la requête en autorisation d'aliéner, le département procède à la pesée des intérêts privés et publics en présence.

L'intérêt privé est présumé l'emporter sur l'intérêt public lorsque le propriétaire doit vendre l'appartement pour liquider un régime matrimonial ou une succession (a), satisfaire aux exigences d'un plan de désendettement (b) ou prendre un nouveau domicile en dehors du Canton (c) (art. 13 al. 3 RDTR).

Le département peut délivrer l'autorisation s'il considère que l'intérêt privé du propriétaire l'emporte sur l'intérêt public, notamment lorsque le propriétaire doit vendre le bien en question par nécessité de satisfaire aux exigences d'un plan de désendettement (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.2/1999 du 19 avril 1999, consid. 2f, rés. in SJ 1999 II 287 ; ATA/784/2012 du 20 novembre 2012 ; ATA/725/2012 du 30 octobre 2012 ; ATA/104/2011, ATA/103/2011, ATA/102/2011 et ATA/101/2011 du 15 février 2011, confirmés par Arrêts du Tribunal fédéral 1C_137/2011, 1C_139/2011, 1C_141/2011 et 1C_143/2011 du 14 juillet 2011).

9) Les intérêts qui s'opposent en l'espèce sont, d'une part, les intérêts privés des acquéreurs et du propriétaire à la vente et, d'autre part, l'intérêt public à la protection du parc locatif.

Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de considérer que l'intérêt public poursuivi par la LDTR, qui tend à préserver l'habitat et les conditions de vie existant procède d'un intérêt public important (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4 p. 211 ; ATF 113 Ia 126 consid. 7a p. 134 ; ATF 111 Ia 23 consid. 3a p. 26 et les arrêts cités ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_139/2011 du 14 juillet 2011, consid. 2.3). Le refus de vendre un appartement loué lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose n'est pas une atteinte disproportionnée à la garantie de la propriété, pourvu que l'autorité administrative effectue une pesée des intérêts en présence et évalue l'importance du motif du refus au regard des intérêts privés en jeu (ATF 113 Ia 126 consid. 7b/aa p. 137 ; Arrêts du Tribunal fédéral dans les causes 1C_139/2011 du 14 juillet 2011 consid. 2.3 ; 1C_137/2011 consid. 2.2 ; 1C_141/2011 consid. 3.2 ; 1C_143/2011 consid. 2.2).

La jurisprudence affirme que la vente en bloc doit être préférée à la vente par unités séparées, ce procédé-là ne mettant en principe pas en péril les buts de la LDTR (ATA/28/2002 du 15 janvier 2002 consid. 2c). Le Tribunal fédéral a lui-même eu l'occasion de dire que la LDTR s'appliquait lorsqu'un appartement était individualisé, puis vendu, mais qu'elle ne saurait empêcher la vente en bloc de plusieurs appartements à un même acquéreur, car, dans ce cas, le risque de voir ces appartements sortir du marché locatif était pratiquement nul (Arrêt du Tribunal fédéral 1P_2/1999 du 19 avril 1999 consid. 2f). On ne saurait cependant en déduire qu'en cas de vente en bloc, les parties sont dispensées de justifier d'un intérêt privé particulier (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_180/2007 du 12 octobre 2007 consid. 5.7).

10) Il convient donc d'examiner les intérêts privés en présence.

a. En l'occurrence, il ressort de l'autorisation de vente en bloc litigieuse que les acquéreurs reprendront les droits et obligations découlant des contrats de bail en cours, ce qui laisse présager que, dans un premier temps à tout le moins, ceux-ci ne seront pas menacés. Ils envisagent toutefois de s'installer dans l'un des deux appartements, gardant l'autre soit pour accueillir leur fils handicapé, soit pour le louer à leur fille ou à des tiers. Ils ne prévoient donc pas, à moyen terme, de maintenir l'affectation locative de ces logements. De plus, ces derniers s'en sont rapportés à justice quant au maintien ou à l'annulation de l'autorisation de vente litigieuse démontrant que celle-ci ne leur est pas indispensable. Il résulte de ce qui précède que l'intérêt des acquéreurs n'est, en l'espèce, pas déterminant.

b. Il reste à considérer l'intérêt privé de la recourante et déterminer si ce dernier est spécial et prime sur l'intérêt public à la préservation du marché locatif.

En l'espèce, elle allègue un problème d'endettement pour justifier la vente des immeubles en cause. Elle soutient que la vente litigieuse était motivée par les travaux entrepris dans la maison familiale qu'elle tentait de mener à bien avec son époux et dont le financement commandait la réalisation de liquidités. Les montants des travaux avancés par la recourante ne sont toutefois pas étayés par pièces, cette dernière n'ayant ni produit un devis ni même une facture. Seuls l'architecte et une entreprise de travaux ont écrit à l'intéressée pour lui réclamer des paiements mais elle ne prouve pas faire l'objet d'un quelconque endettement. En outre, à cause des difficultés économiques de la société Domart Design SA, son temps de travail avait dû être réduit conduisant à une baisse de ses revenus. Pourtant, il ressort du registre du commerce du canton de Vaud que l'intéressée est administratrice unique la société précitée. On peut ainsi minimiser la valeur de cet argument. Au vu des pièces produites, la recourante manque certes de liquidités mais elle ne démontre pas avoir établi un plan de désendettement. Comme l'a relevé le TAPI, il n'apparaît également pas que cette dernière doive impérativement assainir sa situation et vendre ses biens immobiliers pour pouvoir payer sa part des travaux effectués dans la maison familiale. La situation économique de la société dont elle est administratrice unique n'y change rien. Elle n'a par ailleurs fait aucune démarche auprès d'un établissement financier pour obtenir un crédit.

De surcroît, la vente contestée paraît d'autant plus singulière que la recourante et son mari ont chacun vendu, au même moment, deux appartements du même immeuble et ce, juste après que cette dernière les eût acquis par donation. A la suite de ce montage, il était évidemment plus aisé de vendre ces appartements, vu qu'ils se trouvaient séparés en deux blocs de deux. Il s'ensuit que l'autorisation délivrée par le département à son époux aurait pu être remise en question. La recourante s'est d'ailleurs gardée d'invoquer une inégalité de traitement par rapport à la vente précitée. L'intérêt privé de l'intéressée, soit son désir de désendettement, n'est, au final, nullement démontré. Il semble plutôt émaner d'une volonté de plus-value dont elle et son époux auraient pu bénéficier consécutivement à la vente litigieuse.

Cet intérêt n'est ainsi pas prépondérant face à l'intérêt public et général auquel il doit céder le pas en période de pénurie de logements. Une multiplication du nombre de propriétaires tend en effet à mettre en péril le maintien de l'affectation locative des appartements loués ainsi que la préservation de loyers bon marché que vise la LDTR.

En conséquence, en faisant primer l'intérêt privé de la recourante, le département a mésusé de son pouvoir d'appréciation découlant de l'art. 13 al. 1 RDTR et aurait dû refuser l'autorisation d'aliéner querellée.

11) La recourante se plaint enfin d'une inégalité de traitement. Elle n'aurait pas été traitée de manière égale aux autres personnes ayant bénéficié d'autorisation de vente dans des circonstances analogues.

Une décision ou un arrêté viole le principe de l'égalité de traitement garanti par l'art. 8 Cst. lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. La question de savoir si une distinction juridique repose sur un motif raisonnable peut recevoir une réponse différente selon les époques et suivant les conceptions, idéologies et situations du moment (ATF 138 V 176 consid. 8.2 p. 183 ; 131 I 1 consid. 4.2 p. 6/7 ; 129 I 346 consid. 6 p. 357 ss ; V. MARTENET, Géométrie de l'égalité, Zürich-Bâle-Genève 2003, p. 260 ss).

Dans le jugement JTAPI/1135/2012 du 25 septembre 2012 auquel la recourante fait référence dans ses écritures, le TAPI avait en effet rejeté le recours de l'ASLOCA contre la vente de quatre appartements n° 8.01, 8.02, 8.03 et 8.04 de 1, 2 et 3 pièces au 6ème étage de l'immeuble en cause.

Toutefois, la situation n'était pas similaire à celle qui prévaut dans le cas présent. En effet, le vendeur avait acquis les appartements en bloc en septembre 2007 et les motifs d'assainissement financier allégués par celui-ci n'étaient nullement démentis. L'autorisation litigieuse ne modifiait en rien l'affectation des quatre appartements, ni le risque de les voir plus tard vendus individuellement. Acquis en bloc de quatre, et revendus de même, ils ne subissaient sous cet angle aucune modification. Dans ce cas, le risque de voir ces appartements sortir du marché locatif était pratiquement nul.

En l'occurrence, la recourante désire vendre deux appartements et non quatre. Il est ainsi plus risqué de voir lesdits appartements quitter le marché locatif. De plus, les motifs d'assainissement financier allégués ne sont en l'espèce pas démontrés.

Vu ce qui précède, le grief de violation de l'égalité de traitement sera ainsi écarté, les deux affaires précitées n'étant pas comparables.

12) En tous points mal fondé, le recours sera rejeté. Le jugement du TAPI sera confirmé, dès lors qu'il est conforme.

13) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de Mme Caliri Garzon. Mme Caliri Garzon devra également s'acquitter d'une indemnité de procédure de CHF 1'500.- en faveur de l'ASLOCA (art. 87 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 janvier 2013 par Madame Domenica Caliri Garzon contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 décembre 2012 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Madame Domenica Caliri Garzon un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à l'Association genevoise des locataires, à charge de Madame Domenica Caliri Garzon ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christophe Gal, avocat de la recourante, au département de l'urbanisme, au conseil de Madame Martine de Preux Dinichert et à Monsieur Nicolas Dinichert, appelés en cause, à Me Romolo Molo, avocat de l'Association genevoise des locataires, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges, M. Jordan, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :