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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/232/2023

ATA/165/2023 du 22.02.2023 ( FPUBL ) , ACCORDE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/232/2023-FPUBL ATA/165/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 22 février 2023

sur effet suspensif et mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Romain Jordan, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT

 



Attendu, en fait, que :

1) Madame A______ a été engagée par le département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP) dès le 1er décembre 2018 à la fonction d'assistante administrative 2, à 80 %.

Elle a été affectée dès cette date à B______ (ci-après : B______),

2) Elle a été nommée fonctionnaire avec effet au 1er décembre 2020.

3) Deux procédures pénales ont été ouvertes pour des faits s'étant déroulés au C______, lequel dépendait de B______.

4) Par courrier recommandé du 22 novembre 2022, le directeur général par interim de B______ a prononcé un blâme à l'encontre de Mme A______ pour avoir, le 11 février 2022, copié sur une clef USB privée l'intégralité du dossier informatique de la direction générale de B______ relatif au C______, puis l'avoir amenée à son domicile.

5) Le 5 décembre 2022, Mme A______ a interjeté recours auprès du DIP, concluant préalablement à la récusation de la conseillère d'État en charge du DIP et au traitement du recours par son suppléant, et principalement à l'annulation du blâme.

La récusation de la conseillère d'État en charge du DIP se justifiaient car les faits litigieux s'inscrivaient dans le contexte de la crise du C______, dans le cadre de laquelle la responsabilité de la conseillère d'État était mise en cause.

6) Par arrêté du 11 janvier 2023 déclaré exécutoire nonobstant recours, le Conseil d'État a rejeté la demande de récusation.

Les faits à l'origine du blâme étaient sans lien avec les événements du C______. Ni la conseillère d'État ni Mme A______ n'avaient du reste été entendues dans le cadre des deux procédures pénales ouvertes à la suite de ces événements. Il n'était pas démontré que la conseillère d'État ait un quelconque intérêt personnel à examiner le bien-fondé de la sanction disciplinaire prononcée, ni que celle-là ait un quelconque a priori au sujet de Mme A______.

7) Par acte posté le 24 janvier 2023, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l'arrêté précité, concluant principalement à son annulation et à la récusation de la conseillère d'État, et préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours « dès sa réception ».

Le retrait de l'effet suspensif n'était pas motivé. Il n'existait aucun intérêt public impérieux ou important qui justifiait l'exécution immédiate de la décision. Elle disposait d'un intérêt à ce que sa cause soit soumise à un « juge » impartial, ceci avant que des décisions ne soient prises en sa défaveur. En cas d'admission du recours, l'ensemble des actes d'instruction et des décisions rendues par la conseillère d'État pourraient être annulés. L'issue du recours devait donc nécessairement être réglée au préalable.

8) Le 25 janvier 2023, le juge délégué a communiqué au Conseil d'État que jusqu'à droit jugé sur la requête en restitution de l'effet suspensif, aucune décision ne devrait être prise par la conseillère d'État visée par la demande.

9) Le 7 février 2023, le Conseil d'État, soit pour lui l'office du personnel de l'État, a conclu au rejet de la demande en restitution de l'effet suspensif.

La restitution de l'effet suspensif à une décision négative était exclue. Octroyer par ailleurs des mesures provisionnelles dans ce cadre équivaudrait à accorder à Mme A______ ses conclusions sur le fond. De plus, l'examen prima facie du recours ne révélait aucun élément tangible en faveur de la demande de récusation, les éléments sur lesquels se fondaient la sanction n'ayant pas de lien avec les événements survenus au C______.

10) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Selon l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre ou par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge.

2) La recevabilité du recours sera examinée dans l'arrêt au fond, mais l'on peut déjà relever à ce stade que selon la jurisprudence, une décision incidente refusant la récusation de la personne appelée à statuer sur un recours cause en principe un préjudice irréparable (ATA/1281/2022 du 20 décembre 2022 consid. 1 ; ATA/666/2018 du 26 juin 2018 consid. 2a).

3) a. Aux termes de l'art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3).

b. L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

c. Selon la jurisprudence, un effet suspensif ne peut être restitué lorsque le recours est dirigé contre une décision à contenu négatif, soit contre une décision qui porte refus d'une prestation. La fonction de l'effet suspensif est de maintenir un régime juridique prévalant avant la décision contestée. Si, sous le régime antérieur, le droit ou le statut dont la reconnaissance fait l'objet du contentieux judiciaire n'existait pas, l'effet suspensif ne peut être restitué car cela reviendrait à accorder au recourant d'être mis au bénéfice d'un régime juridique dont il n'a jamais bénéficié (ATF 127 II 132; 126 V 407 ; 116 Ib 344).

Lorsqu'une décision à contenu négatif est portée devant la chambre administrative et que le destinataire de la décision sollicite la restitution de l'effet suspensif, il y a lieu de distinguer entre la situation de celui qui, lorsque la décision intervient, disposait d'un statut légal qui lui était retiré de celui qui ne disposait d'aucun droit. Dans le premier cas, il peut être entré en matière sur une requête en restitution de l'effet suspensif, aux conditions de l'art. 66 al. 2 LPA, l'acceptation de celle-ci induisant, jusqu'à droit jugé, le maintien des conditions antérieures. En revanche, il ne peut être entré en matière dans le deuxième cas, vu le caractère à contenu négatif de la décision administrative contestée. Dans cette dernière hypothèse, seul l'octroi de mesures provisionnelles, aux conditions cependant restrictives de l'art. 21 LPA, est envisageable (ATA/70/2014 du 5 février 2014 consid. 4b ; ATA/603/2011 du 23 septembre 2011 consid. 2 ; ATA/280/2009 du 11 juin 2009 ; ATA/278/2009 du 4 juin 2009).

d. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1112/2020 du 10 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1107/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

e. L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

4) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

5) Lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur l'effet suspensif ou d'autres mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit (examen  prima facie), en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 3).

6) En l'espèce, la décision attaquée consiste en un refus de prononcer la récusation de la conseillère d'État visée. Il s'agit donc d'une décision négative, si bien qu'une restitution de l'effet suspensif n'a pas de sens ; la mention dans l'arrêté attaqué de son caractère exécutoire nonobstant recours relève ainsi du lapsus calami.

Il convient néanmoins d'examiner la nécessité éventuelle d'octroi de mesures provisionnelles, celles-ci n'ayant pas été demandées mais pouvant être octroyées d'office. Or, contrairement à ce que soutient l'intimé, l'octroi de mesures provisionnelles – consistant en l'occurrence à ce qu'il soit fait interdiction à la conseillère d'État en charge du DIP, jusqu'à droit jugé sur le présent recours, de statuer sur le recours hiérarchique de la recourante – ne préfigure pas le résultat du recours au fond, puisqu'il ne s'agit pas de constater que la personne visée devait se récuser, mais permet de sauvegarder l'objet du litige, dès lors que si la conseillère d'État statuait sur le recours dans l'intervalle, le présent recours perdrait son objet, seul un recours contre une décision de confirmation du blâme permettant alors de contester la compétence de la personne mise en cause de statuer. À cet égard, si la jurisprudence admet le recours immédiat contre les décisions sur récusation, c'est justement pour que cette question puisse être tranchée avec célérité et avant toute prise de décision sur le fond.

Il se justifie dès lors de faire interdiction à la conseillère d'État en charge du DIP, à titre de mesure provisionnelle, de statuer sur le recours hiérarchique de la recourante jusqu'à droit jugé sur le présent recours.

7) Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

 

 

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à titre de mesure provisionnelle, fait interdiction à Madame D______de statuer sur le recours hiérarchique de la recourante jusqu'à droit jugé sur le présent recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Romain Jordan, avocat de la recourante ainsi qu'au Conseil d'État.

 

 

La présidente :

 

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :